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Interventions d’Alain Bertho sur les émeutes anglaises d’août 2011

Alain Bertho | berthoalain.wordpress.com | 11 août 2011

jeudi 11 août 2011

L’Europe face à la colère de sa jeunesse

11 08 2011

La Grande-Bretagne fait tout pour juguler ses émeutes urbaines. Mais, là comme ailleurs, les racines de la violence semblent profondes. Entretien avec Alain Bertho, spécialiste des phénomènes émeutiers

 « Sud Ouest ». L’hiver dernier, des manifestations étudiantes s’étaient soldées par des violences dans le centre de Londres. Y a-t-il des points communs avec les troubles actuels ?

Alain Bertho. La matrice qui conduit à ce type d’affrontement est toujours la même : un effondrement de la représentation politique telle qu’on la connaît depuis un siècle. Il y a un certain nombre de colères et de frustrations qui ne trouvent plus d’espace politique pour s’exprimer. Les jeunes de Manchester et de Birmingham sont face au même mur d’incompréhension que les étudiants britanniques confrontés à l’envolée de leurs droits d’inscription. En ont-ils conscience, ce n’est pas sûr ! Les cibles ne sont pas identiques, à quelques mois d’intervalle, mais le passage à l’acte est plein de réminiscences. Rappelons-nous que le siège du Parti conservateur a été mis à sac par les étudiants. Et, en mars, la grande manifestation organisée à Londres contre la réforme des retraites s’est aussi terminée par des échauffourées, un fait assez rare dans la période récente en Grande-Bretagne.

Les émeutes au Royaume-Uni, le mouvement des Indignés en Espagne, les violences en Grèce… La jeunesse européenne est-elle en révolte ?

L’émergence de coups de sang collectifs est un phénomène mondial qui s’exprime de façon identique d’un continent à l’autre à partir de situations assez récurrentes, dont la mort d’un jeune. Il y a d’autres faits générateurs qui reviennent, comme les mobilisations étudiantes, les coupures d’électricité (pas en Europe) ou encore la répression du commerce informel. In fine, on retombe invariablement sur les effets de la mondialisation. On dénombre plus de 1 200 émeutes dans le monde en 2010, plus de 1000 depuis le 1er janvier de cette année. Les acteurs de ces émeutes sont des jeunes, qu’ils soient éduqués, issus de classes populaires ou chômeurs. Le cas français est assez spécifique. Chaque classe sociale explose dans son coin. C’était également vrai en Grèce avant 2008, dans une certaine mesure.

Comment expliquer que les mêmes causes sociales ne débouchent pas sur les mêmes débordements ? L’Irlande a manifesté pacifiquement contre la rigueur en novembre 2010…

L’alchimie nationale est toujours particulière. En Grèce, la « génération 600 euros », c’est tout le monde. La colère, c’est tout le monde. La question des mots utilisés par les gouvernements pour se justifier est également essentielle. En 2005, en France, c’est la mort de deux jeunes, mais aussi la façon dont on l’a commentée, qui ont déclenché les feux.

Et le mouvement des Indignés, en Espagne ?

C’est un mouvement extrêmement intéressant. Son inspiration est sans doute à chercher du côté du printemps arabe. La contestation de masse n’y est pas réduite à l’affrontement et à la défaite. Elle passe par la parole, par la possibilité de porter un discours et des revendications. Tant qu’il n’y a pas de réponse violente du pouvoir, il n’y a pas de basculement dans l’émeute. Ces modalités permettent une circulation de la mobilisation d’un pays à un autre. Alors qu’il n’y a pas de contagion de l’émeute hors des frontières.

Qu’il s’agisse d’Israël, de l’Espagne ou de la Grande-Bretagne, la classe politique semble stupéfaite. Pourquoi ?

Elle a partout les yeux rivés sur les contraintes internationales. À partir du moment où la survie des États est à la merci des agences de notation et des marchés financiers, les marges de manœuvre pour les politiques sociales sont annihilées. Les gouvernants sont tétanisés par ce carcan. Ils ont parfois du mal à se rendre compte qu’ils sont en charge d’un peuple. C’était particulièrement éclatant dans les jours qui viennent de s’écouler.

Les ingrédients pour une flambée de violence existent-ils en France ?

On les a en permanence depuis 2005. Il y a quelque chose de larvé depuis cette date. Notre pays est l’un de ceux dans le monde où l’on compte le plus d’émeutes après la mort d’un jeune. 2005, 2007 à Villiers-le-Bel, Grenoble l’an passé, Saint-Aignan… À un moment, des centaines de personnes qui ne se connaissent pas se retrouvent pour se rebeller à partir d’un élément déclencheur. Mais personne ne peut savoir si cela arrivera ici, ni quand.

GRANDE-BRETAGNE. « une cocotte minute qui peut exploser à tout moment »

10-08-11

Pour l’anthropologue Alain Bertho, les émeutes qui embrasent le pays depuis samedi 4 août sont loin d’être une surprise. Interview par Benjamin Harroch.

La Grande-Bretagne est en proie à des émeutes jamais vues depuis 1985. A l’origine : la mort d’un jeune métis de 29 ans, Mark Duggan, tué par la police londonienne dans des conditions si floues qu’une enquête indépendante a été ouverte.

Alors que le gouvernement conservateur promet « une riposte« , des chercheurs appellent à s’attaquer aux véritables enjeux économiques et sociaux. En France, où des émeutes ont éclaté en 2005 après la mort de deux jeunes poursuivis par la police en banlieue parisienne, l’anthropologue Alain Bertho mène le même combat. Interview.

Comment peut-on expliquer une telle flambée de violences ?

- La situation est comparable à une cocotte minute qui peut exploser à tout moment. Les raisons structurelles existent depuis plusieurs années déjà : soumission des Etats aux logiques financières et aux agences de notation, aggravation considérable des inégalités, politique ultra-sécuritaire…

Avec tous ces ingrédients, on ne peut pas être surpris par ces événements. Ce qui est toujours étonnant, en revanche, est l’alchimie collective qui les déclenche.

Le gouvernement britannique se borne à qualifier les émeutiers de voyous. Qu’en est-il réellement ?

- Il s’agit d’un langage classique de l’Etat en pareil cas. Passons. Ce sont des jeunes des classes populaires dans leur diversité d’âges, d’origines et de comportements. L’émeute correspond au moment où on s’exprime autrement que par les mots, simplement parce qu’on ne peut plus le faire autrement. Pour comprendre la motivation des émeutiers, il faut regarder ce qu’ils font. Le message est dans l’acte. Ces jeunes cassent pour s’imposer dans un système qui ne veut pas d’eux. Si on applique à ces événements une seule lecture policière, on rate l’essentiel.

Des manifestations étudiantes importantes se sont déroulées il y a quelques mois en Grande-Bretagne. Les deux mouvements peuvent-ils converger ?

- L’exaspération et le passage à l’acte émeutier, qui au passage est un signe des temps, peut se faire de façon dispersée. On a vu à quel point les émeutiers de 2005 en France ont été extrêmement isolés. A quel point aussi le lien entre le mouvement étudiant et ces jeunes de quartiers populaires a été conflictuel en 2006 au moment du CPE.

La question d’une jonction, ne serait-ce qu’au sein de la jeunesse, est ouverte. Elle est essentielle. Elle s’est faite en Grèce en 2008. En France, les évènements au cœur des manifestations contre la réforme des retraites, l’année dernière, semblent indiquer qu’il y a un mouvement en ce sens.

Parce que la jeunesse populaire a agrégé autour d’elle le reste de la jeunesse, voire d’autres générations, Ben Ali est tombé en Tunisie.

Chacun restera-t-il dans son coin avec sa propre colère ? C’est la question qui prévaut aujourd’hui. Mais il est très difficile de le prévoir. Ce phénomène couve de façon silencieuse et invisible.

L’année qui vient de s’écouler en Grande-Bretagne m’inciterait plutôt à penser qu’un tel processus est lancé. On a eu successivement le mouvement étudiant au début de l’année, celui, plus massif, contre l’austérité en mars, puis ces émeutes. Il y a plusieurs fronts dans lesquels l’exaspération se manifeste de façon similaire. Il y a fort à parier qu’ils se rejoignent à un moment ou un autre.

Comment s’achèveront les émeutes qui, pour l’heure, s’étendent à toute la Grande-Bretagne ?

- Comme d’habitude. Ça va s’arrêter, on ne saura pas pourquoi. Et ça réapparaîtra à un autre moment, sous d’autres formes. Je ne crois pas trop à une insurrection violente, mais plutôt à un élargissement des nouveaux espaces politiques, ouverts notamment par les « Indignés ». L’avenir est sans doute dans ces mouvements d’exigences populaires et de masse, qui se situent en dehors du système électoral.

Peut-on faire un parallèle avec les émeutes de 2005 en France ?

- L’analogie est inévitable. Il y a aussi, et surtout, une évolution dans le temps. En 2005, il s’agissait d’actes de visibilité. Les émeutiers voulaient se faire voir en brûlant des voitures dans leurs quartiers. Ils voulaient manifester leur présence, être enfin comptés comme des citoyens à part entière et manifester leur ras-le-bol contre le tout sécuritaire et le racisme d’Etat. On a visiblement passé plusieurs crans en Grande-Bretagne. On est dans autre chose, encore difficile à définir.

Après les révolutions arabes, assistons-nous à une internationalisation de la révolte de la jeunesse populaire ?

- J’ai compté plus de 1.200 émeutes en 2010. Et plus de 1.000 depuis le 1er janvier 2011. D’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre, on retrouve des situations récurrentes : la mort d’un jeune impliquant la police ou des mobilisations étudiantes (au Chili en ce moment par exemple). La jeunesse n’a pas d’avenir. Ou plutôt, le monde n’est pas actuellement en mesure de lui en proposer un.

Existe-t-il une volonté de convergence des luttes ? On ne retrouve pas ce sentiment chez les émeutiers. On le perçoit, en revanche, dans le mouvement des « Indignés ». Il y a des références, des Grecs aux Espagnols en passant par les Arabes. Il y a une culture commune qui est en train de se construire.

Interview d’Alain Bertho, par Benjamin Harroch – Le Nouvel Observateur (le mercredi 10 août 2010)  

Angleterre : émeutes shopping ou émeutes sociales ?

Régis Soubrouillard – Marianne | Mercredi 10 Août 2011

Rentré de vacances, le Premier Ministre britannique David Cameron, tente de ramener le calme dans le pays. Si le déploiement massif de policiers a ramené un calme relatif à Londres, les émeutes se sont propagées dans de nombreuses villes moyennes du pays. Le Royaume-Uni, qui n’a pas vu venir les signes précurseurs, s’interroge sur les raisons d’un tel déchaînement de violences.

Alors que la capitale retrouvait cette nuit un calme très relatif, grâce au déploiement de 16.000 policiers, le feu se propageait à différentes villes du Royaume-Uni.« Lors de ces dernières heures, la police du Grand Manchester a dû faire face à des actes d’une très grande violence commis par des groupes de criminels » a déclaré un membre des forces de police. Même chose à Liverpool et Nottingham.

Des troubles ont également été signalés à West Bromwich et à Wolverhampton, au nord-ouest de Birmingham, dans le centre du pays. Un effet de contagion rapide qui surprend le pays tout entier.

Alors que tous les matchs de football ont été suspendus jusqu’à nouvel ordre et que des membres du CIO étaient en visite au moment du déclenchement des émeutes, la Grande Bretagne n’en finit pas de s’interroger sur les raisons de cette explosion de violence survenue en pleine torpeur estival. Manifestement, la mort, dans des circonstances non élucidées de Mark Duggan ne suffit pas à expliquer ces débordements. « La vague de violence gratuite n’a absolument rien à voir avec la mort de Mark Duggan » a affirmé le vice-premier Ministre Nick Clegg.

Certes les émeutiers n’ont rien revendiqué de précis, on « entend » que la violence. Justement selon l’anthropologue Alain Bertho, « quand il n’y a pas de slogans politiques exprimés ce sont les actes qu’il faut lire. La violence est parfois illisible, elle est rarement dépourvue de sens. De ce point de vue, la mise à sac des magasins, les incendies, les pillages, sont aussi un message, une façon de s’exprimer. En France, en 2005, il n’y a pas eu de pillages, j’ai vu des centres commerciaux être détruits, il ne manquait pas une chaussette… » explique l’auteur du Temps des émeutes et qui tient un blog sur le sujet« Il y a toujours des effets d’aubaine mais on ne peut pas lire ce genre de phénomènes que par le truchement des effets d’aubaines. Il y a là quelque chose d’assez clair, on prend dans les magasins ce que l’on ne peut pas prendre autrement parce qu’il n’y a pas assez d’argent. Ce n’est pas tout à fait nouveau dans l’histoire longue des révoltes sociales. C’est un message qu’il faut prendre au sérieux. Cela croise d’autres pratiques que l’on connaît aux Etats-Unis ». Lire la suite…

Émeutes de Londres : une exaspération mondiale

09 AOÛT 2011 | PAR ELLEN SALVI

Des bâtiments et des véhicules en feu, des magasins vandalisés, des bus calcinés… Depuis trois jours, les images impressionnantes des violences urbaines de Londres font la une de tous les journaux britanniques.

Les premiers troubles avaient éclaté samedi 6 août au soir à la suite d’une manifestation réclamant « justice » après la mort d’un homme de 29 ans, Mark Duggan, tué jeudi lors d’un échange de tirs avec la police dans le quartier nord de Tottenham.

D’abord concentrées sur ce quartier nord de la capitale britannique, les émeutes se sont étendues dans le reste de la ville avant de gagner, dans la nuit de lundi à mardi, les provinces de Birmingham (centre), de Liverpool (nord-ouest) et de Bristol (sud-ouest).

À l’issue d’une réunion d’urgence, ce mardi 9 août, le Premier ministre David Cameron a assuré qu’il mettrait tout en œuvre pour rétablir l’ordre dans les rues des grandes villes. Annonçant une augmentation des effectifs policiers à Londres (qui passeront de 6.000 à 16.000), il a également indiqué que les vacances parlementaires seraient interrompues jeudi pour une séance exceptionnelle consacrée aux émeutes.

Scotland Yard – qui twitte les événements en direct – a annoncé mardi que 334 personnes – dont un garçon de 11 ans – avaient été arrêtées depuis le début des violences, qui ont fait au moins 35 blessés parmi les forces de l’ordre et un mort. Un homme de 26 ans, blessé par balle dans une voiture lundi soir lors des échauffourées, a en effet succombé à ses blessures mardi.

Chercheur et professeur d’anthropologie à l’université Paris 8, Alain Bertho étudie les phénomènes émeutiers (voir sa bibliographie sous l’onglet « Prolonger »). Pour Mediapart, il revient sur la genèse des émeutes britanniques, mais aussi sur leurs points communs avec l’embrasement des banlieues françaises en 2005, et sur le rôle joué par les nouvelles technologies dans ces révoltes, à Londres, comme dans le reste du monde.

Les émeutes de Londres s’inscrivent-elles dans un contexte plus général d’insurrection ?

Il y a eu, depuis janvier et un peu partout dans le monde, un petit millier d’événements de gravité diverse, qui ont des caractères communs d’affrontements entre les gens, les forces de police et les États. De ce point de vue là, les émeutes de Londres s’inscrivent dans l’air du temps. Elles ont été déclenchées après la mort d’un jeune, abattu par la police dans des circonstances obscures si l’on en croit la presse britannique. Cet événement est un événement classique de déclenchement d’affrontements, qui sont des révélateurs ensuite de tensions qui n’arrivent pas à s’exprimer dans le jeu politique traditionnel.

Des émeutes après la mort d’un jeune, il y en a déjà eu une petite vingtaine dans le monde depuis le 1er janvier 2011. Après, chaque émeute, chaque situation, chaque explosion de colère de ce type, a ses caractéristiques. Cela nous dit des choses qui n’apparaissent pas dans le débat politique traditionnel.

Les politiques de rigueur des États soumis aux diktats des marchés financiers jouent un rôle dans ces émeutes. Les États, puissants ou non, reportent les exigences budgétaires sur les populations. A cela s’ajoute la généralisation des politiques sécuritaires et policières dans le monde entier. C’est une matrice émeutière tout à fait efficace. On la trouve partout : en Grèce, en Italie, dans les pays africains… C’était également le cas en Tunisie.

La révolution tunisienne a démarré après le suicide d’un jeune qui avait été humilié et maltraité par la police, une fois de plus. Si autant de jeunes se sont sentis concernés, c’est que ça ne devait pas être un phénomène isolé. Dans un pays où la corruption était telle qu’il était évident qu’on faisait payer le capitalisme financier à la population, tout a fini par exploser. Nous sommes devant une matrice mondiale. Le reste se donne à voir et se développe dans des circonstances à chaque fois particulières, nationales. Lire la suite… 


Voir en ligne : Interventions d’Alain Bertho sur les émeutes anglaises d’août 2011

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