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Le Joly pavé du 14 juillet

Paul Oriol | pauloriol.over-blog.fr | 17 juillet 2011

lundi 18 juillet 2011

Éva Joly ayant proposé de remplacer le défilé militaire du 14 juillet par un défilé populaire et citoyen, la droite et une partie importante de la gauche se sont précipitées pour condamner une telle proposition « contraire aux traditions nationales ».


Que célèbre la fête nationale du 14 juillet ?
Tout d’abord la prise de la Bastille en 1789 lors de laquelle les militaires « officiels » n’étaient pas du « bon coté ». Ou la fête de la Fédération de 1790 qui commémore la prise de la Bastille et l’unité nationale, avec les serments de La Fayette, commandant de la garde nationale, au nom des gardes nationales fédérées, du président de l’Assemblée au nom des députés et des électeurs et enfin du roi. On peut trouver une parenté entre ce serment de différentes autorités et le fait que lors du défilé militaire, les Armées saluent le président de la République et à travers lui font acte de soumission au peuple français.

En instaurant la fête nationale du 14 juillet, la IIIème République en 1880 n’a pas tranché entre 1789 et 1790. Elle a associé à cette fête un défilé militaire destiné à rappeler que la France, après la défaite de 1870, ne renonçait pas à reconquérir les territoires perdus 10 ans plus tôt. Ce défilé militaire a été « sacralisé » après la guerre de 14-18.

Cette « tradition » du défilé militaire du 14 juillet traduit bien une dérive nationaliste de circonstance mais ne correspond en rien à l’événement qu’elle prétend commémorer. Pour les Français, le 14 juillet c’est la chute de la Bastille et la prise du pouvoir par le peuple que symbolise parfaitement le drapeau tricolore lui aussi détourné de sa signification première - le pouvoir (le blanc royal) aux mains du peuples de Paris (bleu et rouge).

Proposer un défilé des citoyens lors de la fête déjà populaire du 14 juillet serait renouer avec sa véritable signification.

Pour tous, urbi et orbi, le 14 juillet, c’est la Révolution française, la prise de la Bastille et la déclaration des droits de l’homme qui aura lieu quelques jours plus tard.

Ce charivari à la suite des déclarations d’Éva Joly n’est que l’écume qui cache les questions réelles qu’on aurait pu se poser.

Certains ont pu parler d’une manifestation de l’attachement populaire du peuple français à son armée. Pourquoi plus à son armée qu’à d’autres institutions ? L’armée est-elle plus chère au peuple français que d’autres institutions ? Est-elle plus porteuse de valeurs ou d’avenir que la solidarité nationale, l’éducation nationale, la recherche ou la justice ? Est-elle, plus que d’autres le symbole de la cohésion nationale ? On peut en douter.

Le défilé militaire du 14 juillet a été mis en cause subrepticement par la plus haute autorité de l’État. Les engagements militaires dans le passé se sont déroulés sur deux terrains, l’Europe et l’Empire colonial. Peut-on aujourd’hui commémorer ces engagements ? Il ne semble pas. Lors du défilé d’années précédentes, des troupes européennes ou de pays anciennement sous administration française ont participé à la parade sur les Champs-Élysées.

Les défilés militaires du XXIème siècle n’ont plus la signification revancharde d’autrefois à l’heure de l’Union européenne et conquérante du temps du colonialisme ou du sous impérialisme, à moins que....

L’indignation devant la remise en cause du défilé militaire n’est-elle pas tout simplement un leurre. Au moment où la France a renoncé à son autonomie en réintégrant l’Otan pour des raisons politiques et financières : l’impossibilité d’entretenir une armée « tous azimuts » allant de la force nucléaire à la capacité d’intervention rapide dans des terres lointaines. Au moment où il est apparu clairement qu’elle ne pouvait conduire l’intervention en Libye sans le soutien de l’Otan, c’est à dire des États-unis. Au moment où elle est engagée dans des aventures coûteuses et discutables : Afghanistan, Libye, Cote d’Ivoire.

Bien entendu, ce n’est pas l’armée qui est en cause mais le pouvoir politique qui lui assigne ses engagements. Et tout un chacun peut se demander quel est le but des engagements de l’armée française.

François Fillon vient de le rappeler opportunément, à Abidjan, le 14 juillet : « La démocratie, les droits de l’homme... appartiennent à tous les hommes, au Nord comme au Sud. Vous avez été les témoins directs de la détermination de la France à faire respecter cette conviction ». C’est probablement pour renforcer le respect des droits d l’homme en Cote d’Ivoire qu’il a débarqué à Abidjan, le 14 juillet, en compagnie de 3 ministres et d’une vingtaine de chefs d’entreprise – dont les dirigeants de Bouygues, Bolloré, Alstom, Total et Parisbas, très connus pour leur attachement à ces principes.

Les choses sont dites clairement : « La France a pris toute sa part » pour faire respecter le verdict des urnes ivoiriennes. A présent, elle « espère être le partenaire de référence de la Côte d’Ivoire » même s’il n’est pas exclusif. Il ne fait pas de doute que l’intervention en Libye est tout aussi désintéressée : tapis rouge hier pour Kadhafi, tapis de bombes aujourd’hui... La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Le but est le même ; l’habillage change.

À défaut d’argumenter sérieusement sur le fond, les attaques personnelles n’ont pas manqué contre Éva Joly, « devenue française tardivement ». Attaques qui ne respectent pas nos traditions puisque, de tout temps, des étrangers ou des Français d’origine étrangère ont participé à l’élaboration et à la conduite de la politique française. Thomas Paine est un des plus connus, parmi ceux qui ont participé à la l’élaboration de la fameuse Déclaration...

Éva Joly a l’avantage sur beaucoup d’autres d’avoir choisi la nationalité française alors que beaucoup de ses détracteurs ne se sont « donnés que la peine de naître » et sont fiers d’une nationalité qu’ils ont seulement hérité par le hasard de la naissance. Elle a aussi un passé professionnel qui milite pour elle et pour son courage. Mais c’est peut-être aussi ce que certains « amis » n’ont pas oublié.

Quoi qu’il en soit, l’attaque d’Éva Joly, au nom de sa double nationalité, est malvenue même si elle est dans l’air du temps. Car pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi ne pas mettre en cause, le président de la République, le Premier ministre ou tel ministre qui ont épousé des étrangères ? Faudra-t-il demander au Président de répudier la nationalité italienne de l’enfant à venir qui sera un « binational de naissance » ? Faudra-t-il supprimer le droit de vote aux millions de Français par acquisition ?

On pourrait par la même occasion retirer des manuels d’histoire toutes les personnes qui ont joué un rôle éminent, hier ou avant hier, et qui étaient d’origine étrangère ou même étrangers.

Ce serait remettre en question une tradition nationale qui remonte beaucoup plus loin dans le temps que le défilé militaire du 14 juillet.


Paul ORIOL
Né le 02/12/35 à Carcassonne, études à Carcassonne et Toulouse, coopérant en Algérie de 1964 à 1972, militant au PSU puis aux Alteernatfs, retraité, habitant Versailles.
Auteur de
 Immigrés, métèques ou citoyens, Syros, 1985
 Les Immigrés devant les urnes, Hamattan, 1992
 Résidents étrangers, Citoyens ! Plaidoyer pour une citoyeneté européenne de résdence, 2003


Voir en ligne : Le Joly pavé du 14 juillet

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