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Trop de volontaires pour jouer au policier

Dominik Ehrentraut | Die Welt | courrierinternational.com | 9 juin 2011

vendredi 10 juin 2011

aaTrop de volontaires pour jouer au policier - courrierinternational.com/ - 09.06.2011 Depuis des années, des citoyens sont recrutés au rabais pour jouer les “shérifs adjoints” dans les villes allemandes. Sans réelles compétences, ils aggravent la précarité de la profession, déplore le syndicat de la police.

L'équipement des volontaires employés par la
        police.

L'équipement des volontaires employés par la police.

Un homme complètement ivre importune les passants devant une galerie commerciale du centre de Leipzig. Kristina Scholz, qui patrouille dans le secteur, l’entend de loin. Elle se dirige vers lui et tente de le calmer. Pas moyen. L’homme devient de plus en plus agressif et menace même de la frapper. Mais Kristina Scholz, 51 ans, ne peut rien faire. Elle n’a ni la capacité ni le droit de plaquer l’ivrogne au sol. Elle n’a qu’une solution : appeler par radio les policiers du commissariat le plus proche. Ceux-ci arrivent quelques minutes plus tard et embarquent l’individu.

Dans ces cas-là, Kristina Scholz voit bien qu’elle se heurte rapidement aux limites de son travail : elle ne fait pas partie de la police mais de la Patrouille de sécurité saxonne, composée de volontaires employés par la police. Sa mission consiste avant tout à donner aux gens une impression de sécurité.

Remède aux effectifs réduits

La ville de Leipzig emploie un peu moins de 600 volontaires de police. Ce genre d’engagement civique fait débat depuis des années dans tout le pays. On trouve ces volontaires en Saxe, en Bavière, en Hesse et dans le Bade-Wurtemberg. Leurs attributions sont différentes selon les Länder. Pour les partisans de ce système, les volontaires contribuent de façon importante à la sécurité intérieure. Pour ses détracteurs, en revanche, ils ne font que cacher les manques causés par la réduction des effectifs de la police. D’après les experts, les Länder sont en train de privatiser le travail de police et l’Etat de déléguer sa mission de maintien de l’ordre. Une marche sur le fil du rasoir.

“Les bénévoles sont censés servir d’auxiliaires à la police, pas la remplacer” déclare Bernd Turowski, qui dirige le commissariat de Leipzig centre. Il connaît Kristina Scholz depuis des années. Le commissariat emploie en tout huit volontaires, hommes et femmes, qui patrouillent dans le centre-ville. La Patrouille de sécurité saxonne existe depuis 1998. Les candidats doivent avoir au moins 18 ans, une bonne moralité et un diplôme de fin d’études scolaires ou professionnelles. Ils reçoivent une formation de soixante heures et ne peuvent travailler que quarante heures par mois. “Ils sont là en premier lieu pour manifester leur présence et servir d’interlocuteurs aux citoyens”, précise Bernd Turowski.

Ce système pose cependant une question fondamentale : dans quelle mesure l’Etat peut-il déléguer sa mission de protection des citoyens ? Les exigences des citoyens en matière de sécurité augmentent et la police doit les satisfaire avec un budget de plus en plus réduit. Or la sécurité, ça coûte cher. Le système des patrouilles de sécurité berce toutefois les citoyens d’une impression de sécurité trompeuse car les volontaires ne portent en général pas d’armes.

“Nos compétences sont clairement définies”, explique Kristina Scholz en montrant sa carte de service. Celle-ci précise qu’elle a le droit d’interpeller les personnes, de relever leur identité et de leur demander de quitter un endroit. Pas plus. Depuis quelques années, Kristina Scholz fait avec sa collègue Ramona Abel une patrouille par semaine, moyennant 5,11 euros l’heure.

Leur territoire, c’est le centre de Leipzig. Dans la zone piétonnière, elles demandent aux cyclistes de descendre de vélo et d’avancer en le poussant. Beaucoup les reconnaissent de loin et descendent d’eux-mêmes. Après tout, les deux femmes ressemblent à de vrais policiers. Avec leur blouson vert, leur béret, la lampe de poche et la bombe lacrymogène au poivre qui pendent à leur ceinture, elles dégagent de l’autorité. C’est là-dessus que tablent les responsables politiques : la simple présence des uniformes augmente le sentiment de sécurité.

Stuttgart fait marche arrière

Le syndicat de la police allemande voit depuis longtemps d’un très mauvais œil les volontaires comme Kristina Scholz et Ramona Abel. “Ils arpentent la zone en jouant les policiers”, déclare Rainer Wendt, le président national. Or le travail de police exige des qualifications qu’on ne peut pas acquérir avec une formation courte. Les patrouilles, c’est la mission des fonctionnaires de police. “On n’a pas besoin de shérifs adjoints privés”, ajoute-t-il. Le système des volontaires représente selon lui une évolution vers la précarité. La police a perdu 10 000 postes dans tout le pays au cours des dix années précédentes. La Bavière est le seul Land à avoir augmenté ses effectifs – 1 300 fonctionnaires supplémentaires – cette année. Les pires craintes du syndicat sont une réalité depuis longtemps dans le Bade-Wurtemberg. Les volontaires y sont présents depuis 1963 et leur statut est proche de celui de fonctionnaire de police. Au nombre de 1  200, ils portent uniforme, pistolet et menottes. Ils se distinguent visuellement des policiers par quelques barrettes sur les épaulettes, mais sont toujours sous l’autorité d’un fonctionnaire de police responsable de la mission.

Guido Söndgen, 45 ans, fait partie depuis plus de vingt ans des volontaires de la police. Les jours ouvrés, il travaille dans le transport d’automobiles ; le week-end, il patrouille, souvent dans l’équipe de nuit. “Il y a toujours de gros besoins à ce moment-là”, explique-t-il. Les volontaires remplacent-ils donc les policiers ? “Non, assure-t-il. Nous ne faisons que les appuyer dans leur travail.” Cela dit, les policiers ont besoin des volontaires.

Même dans le prospère Bade-Wurtemberg, de nombreux postes ont été supprimés. De plus, beaucoup de policiers doivent quitter leur commissariat, voire leur Land, pour intervenir lors de gros événements ou de manifestations. Ailleurs, ce n’est pas mieux. Le passage des convois de déchets nucléaires dans le Wendland [en Basse-Saxe, en novembre 2010 – l’événement a donné lieu à des manifestations antinucléaires] a mobilisé à lui tout seul 20 000 policiers. Les ministres de l’Intérieur des Länder concernés, qui manquent de policiers, s’irritent de ces gros besoins en personnel. Les représentants de la police se plaignent que la multiplication des interventions touchant plusieurs Länder les poussent à la limite de leurs capacités. Les 122 interventions de ce type qui ont eu lieu l’année dernière ont, selon les syndicats, mobilisé 67 000 policiers.

Reinhold Gall, le nouveau ministre de l’Intérieur (SPD) du Bade-Wurtemberg, souhaite mettre un terme à la privatisation de la police. “Nous voulons supprimer le service des volontaires”, nous a-t-il déclaré. La formation des volontaires est minimale alors que le métier de policier est très exigeant. “Nous avons donc décidé d’arrêter de réduire les effectifs et de donner à la police les moyens de remplir ses missions.”

L’accord de coalition [conclu en avril dernier par le nouveau gouvernement vert-rouge de ce Land] prévoit que le service des volontaires sera supprimé “à moyen terme” et son budget gelé. Les recrutements sont suspendus à partir de maintenant. Les ressources ainsi dégagées seront affectées à “l’augmentation des effectifs [de la police].”

Ces considérations laissent Kristina Scholz et Ramona Abel de marbre. Le ministère de l’Intérieur de Saxe continue à être favorable aux volontaires parce qu’il en a grand besoin. Rien que dans les huit prochaines années, les cinq Länder d’Allemagne de l’Est comptent supprimer 30 % des postes de policiers à plein temps, soit 9 600. Le syndicat lance une mise en garde : non seulement le système des volontaires berce la population d’une fausse impression de sécurité, mais, en cas d’accident de la route ou de cambriolage, les citoyens devront attendre la police plus longtemps. Car, dans ces cas, les volontaires ne peuvent rien faire d’autre que l’appeler.

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