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L’Europe protège le profit, pas la santé

Raoul Marc Jennar | jennar.fr | 4 juin 2011

samedi 4 juin 2011

Dix ONG cambodgiennes viennent d’entamer une campagne pour dénoncer les conditions qu’impose l’Union européenne (UE) dans la négociation d’un accord de libre-échange avec l’Inde. Ces ONG, qui sont toutes impliquées dans l’aide aux malades atteints du sida, ont adressé mercredi une lettre à toutes les ambassades à Phnom Penh pour souligner que les exigences de l’Union européenne en matière de droits de propriété intellectuelle vont avoir pour conséquence de réduire l’accès aux versions génériques des traitements antirétroviraux qui sont d’un prix plus abordable.

Les médicaments génériques produits en Inde et dans quelques autres pays émergents (Afrique du Sud, Brésil, par ex.) ont permis depuis une dizaine d’années aux gens qui souffrent du sida dans les pays pauvres de recourir à un traitement qui, sans cela, leur était inaccessible. D’après le Phnom Penh Post, au Cambodge, selon le « Cambodian People Living with HIV/AIDS Network », grâce à la production de médicaments génériques, le prix d’un traitement antirétroviral de base est passé de 10.000 $ à 80 $ par an. Plus de soixante-dix mille personnes sont atteintes du sida au Cambodge et quarante mille suivent un tel traitement avec des médicaments dont 85% viennent de l’Inde.

Depuis trois ans, ces ONG insistent auprès de l’Union européenne pour qu’elle ne crée pas, de fait, une « liste noire » des pays privés d’accès aux médicaments essentiels. Une liste qui résulterait des conditions imposées dans le domaine de la propriété intellectuelle par l’UE à travers les accords de libre-échange qu’elle négocie avec les pays émergents producteurs de médicaments génériques. L’Union européenne, dans la réalité des négociations, et en totale contradiction avec sa rhétorique officielle, est totalement sourde à cette attente.

Il en va de même des Etats-Unis, du Japon et de la Suisse qui, avec l’Union européenne, se préparent à soumettre à l’ONU un document réduisant les protections qui entourent aujourd’hui les médicaments génériques. Ce que les ONG cambodgiennes ont également dénoncé dans leur lettre. Le secrétaire général adjoint de l’Autorité nationale de lutte contre le sida, M. Hor Bun Leng, a confié au Phnom Penh Post l’inquiétude des autorités gouvernementales suite au report des contributions de ces trois pays et de l’UE au Fonds Global pour Combattre le Sida, la Tuberculose et la Malaria, dans l’attente de l’adoption de ce document. Un Fonds qui a versé au Cambodge 45 millions $ cette année.

La Commission européenne, négociateur unique au nom des 27 Etats membres qui la soutiennent sans réserve, manifeste une attitude constante de protection des entreprises pharmaceutiques au mépris du droit à la santé et à l’accès aux médicaments essentiels. Dans « Europe, la trahison des élites » (2004), j’avais déjà stigmatisé cette attitude des décideurs européens en prenant l’exemple des négociations d’adhésion du Cambodge à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Européens et Américains avaient imposé, en matière de propriété intellectuelle dans le secteur des médicaments, des dispositions dont le Cambodge, comme tous les pays qui font partie de la catégorie des PMA (pays les moins avancés) étaient dispensés en vertu même des textes de l’OMC.

Lorsque les négociations d’adhésion à l’OMC se sont terminées à Genève, M. Cham Prasidh, Ministre cambodgien du Commerce, a évoqué dans ces termes l’ensemble du processus d’adhésion : « Supposé être le chemin vers le jardin d’Eden, en réalité, ce n’est qu’un sentier dans la jungle, bourré de mines, d’embuscades de guérillas, de tigres et de piranhas. » Il a décrit ensuite le résultat final de ces négociations : « Voici un ensemble de concessions et d’engagements qui va bien au-delà de ce qui est proportionné avec le niveau de développement d’un PMA comme le Cambodge ». Un propos que confirmait, le même jour, l’Ambassadeur de Malaisie auprès de l’OMC, au nom des pays de l’ASEAN déjà membres de cette organisation, en exprimant « de profonds regrets pour les demandes coûteuses faites par des Etats membres à des pays candidats comme le Cambodge. »

Les textes de l’OMC sont surtout appliqués lorsqu’ils servent les intérêts des firmes transnationales. Celles-ci se justifient en affirmant que leurs bénéfices plantureux sont indispensables pour la recherche et le développement (R&D), ce qui est totalement démenti lorsqu’on procède à un examen attentif de leur budget R&D : pour les dix firmes pharmaceutiques les plus importantes au monde, la part de ce budget consacrée à la R&D pour les trois grandes pandémies (sida, tuberculose, paludisme) est inférieure à 1% .

Les peuples d’Europe doivent savoir ce qui se trame en leur nom, en particulier dans les négociations des accords de libre-échange avec des pays du Sud. Le colonialisme n’est pas mort. Il a simplement changé de forme. Plus besoin de conquérir des territoires et de contrôler des populations. Il suffit pour les mettre sous la tutelle des firmes occidentales d’invoquer les accords de l’OMC et d’en imposer l’interprétation qu’en attend le patronat européen et américain. Le prétendu caractère « pro développement » du cycle de négociations entamé à Doha en 2001 n’est qu’une fable distillée par Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, une éminente personnalité du PS français proche d’Aubry.

(voir Phnom Penh Post du 3 juin : « EU slammed over HIV policy » par David Boyle et Vong Sokheng)


Transmis par Raoul Marc Jennar
Sat, 4 Jun 2011 06:13:52 +0000


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