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Le FMI : une institution antidémocratique qui impose la régression sociale

Éric Toussaint | alainet.org | 19 mai 2011

vendredi 20 mai 2011

Le présent texte est une version actualisée et modifiée par l’auteur d’une interview donnée à Jean-François Pollet du magazine Imagine (www.imagine-magazine.com). La version originale de cette interview a été publiée par Imagine dans son numéro de janvier-février 2010.


Le FMI : une institution antidémocratique qui impose la régression sociale


Sur cette carte du monde la surface des pays a été modifiée afin de refléter le poids dont chacun dispose en termes de droits de vote au sein du FMI. On distingue clairement que la Belgique (10 millions d’habitants) occupe une surface supérieure à celle de pays comme le Brésil (qui a pourtant une population 18 fois plus importante et un territoire 279 fois plus étendu), le Mexique, l’Indonésie ou la République démocratique du Congo (6 fois plus d’habitants que la Belgique et un territoire 77 fois plus étendu).
 
Le FMI est au centre de la scène internationale ?
 
Depuis quelques jours, les accusations que porte la justice des Etats-Unis contre Dominique Strauss Kahn renouvellent l’intérêt de l’opinion publique pour l’institution dont il est le directeur général. Avec la crise qui s’est aggravée au Nord en septembre 2008, le FMI est revenu sur le devant de la scène après des années très difficiles. Profondément délégitimé par ses graves échecs au cours des décennies 1980 et 1990, il connaît aussi une sévère crise interne puisque ses deux derniers directeurs généraux ont démissionné avant la fin de leur mandat. Malgré cela, le G20 réuni à Londres en avril 2009 a voulu le remettre au centre du jeu politique car il est un outil essentiel de la domination des grandes puissances. Les pays du Sud préfèrent souvent éviter autant que possible de se plier aux conditions qui accompagnent toute signature d’un accord avec le FMI. Le Mexique, l’Argentine et la Pologne, qui ont obtenu la promesse de crédits possibles pour un total de 52 milliards, attendent le dernier moment pour effectivement accepter ces prêts. Ils veulent explorer toutes les alternatives possibles et éviter autant que faire se peut les diktats du FMI. En 2011, le Portugal a tenté pendant plusieurs mois d’éviter de devoir recourir aux prêts du FMI car, la dernière fois que celui-ci est intervenu, il y a eu un bain de sang social. C’était en 1983. L’opinion publique portugaise est opposée à un accord avec le FMI mais Socrates, le premier ministre (socialiste) démissionnaire est favorable à un tel accord.
 
Les conditions du FMI sont tellement contraignantes ?
 
Oui. Elles se basent sur le Consensus de Washington, en vigueur depuis une trentaine d’années, qui préconise de comprimer les dépenses publiques et les budgets sociaux, de privatiser à tout va, d’ouvrir les marchés pour permettre les profits des sociétés transnationales et d’abandonner toutes les protections dont bénéficiaient les producteurs locaux et les populations pauvres. Officiellement, ce consensus n’a plus cours mais en réalité, les conditions qu’impose le FMI aux pays qui font appel à lui n’ont pas changé et leur logique est toujours la même. La Hongrie, qui fut le premier pays à solliciter un prêt après la crise financière, a dû supprimer le treizième mois de ses fonctionnaires. L’Ukraine a été sommée de reculer l’âge de la retraite. Les conditions imposées à la Grèce et à l’Irlande en 2010 provoquent une brutale régression sociale au point qu’on peut parler de violation des droits économiques et sociaux de la population. Le FMI dicte ses volontés aux gouvernements et leur impose des mesures très impopulaires. Il se permet de réécrire les codes nationaux du travail en contraignant les parlementaires à revoir les législations en vigueur dans un sens favorable aux grands créanciers et défavorables aux populations du pays. Bien sûr, officiellement, ce sont les autorités du pays qui prennent l’initiative de modifier les lois mais en réalité le travail est prémâché par les équipes du FMI. Pourtant, en Grèce, les accords passés en 2010 entre le FMI et le gouvernement grec n’ont pas été approuvées en bonne et due forme par le parlement grec. On en revient au temps des oukases du temps du Tsar de toutes les Russies.
 
La Hongrie, la Grèce, l’Irlande,… sont des pays européens. Le FMI n’intervenait jusqu’ici qu’au Sud ?
 
Ce n’est pourtant pas une première. On l’a oublié, mais au cours des années 1970, le gouvernement travailliste a fait appel à lui pour enrayer la chute de la livre sterling. Le plan concocté par le FMI a produit un tel rejet de la population que celle-ci a infligé aux travaillistes une punition électorale qui a abouti à l’élection de Margaret Thatcher ! Comme dit plus haut, le Portugal du socialiste Mario Soares a également fait appel au FMI en 1983. En 2009, c’était au tour de l’Europe centrale et orientale, sans oublier l’Islande, touchée de plein fouet par la crise financière. En 2010, la Grèce et l’Irlande sont soumises aux exigences du FMI. En 2011, le Portugal passera sous ses fourches caudines et d’autres pays risquent de s’ajouter à la liste. Ses tentacules se développent au Nord sans relâcher la pression sur le Sud, il faut combattre l’action du FMI de manière urgente.
 
Le pouvoir de décision au FMI est distribué en fonction de la quote-part versée par les pays membres au moment de leur adhésion. Pourquoi les pays qui s’estiment sous-représentés n’augmentent-ils tout simplement pas leur contribution ?
 
Parce qu’on les en empêche. La Chine dispose de plus de 2 200 milliards de dollars de réserves de change. Elle demande à avoir plus de poids au FMI, mais les contributions ne sont pas volontaires, elles dépendent des alliances géostratégiques. Le FMI a été imaginé, au sortir de la seconde guerre mondiale, par les pays industrialisés qui y disposent de la majorité des voix alors qu’ils représentent moins de 20 % de la population mondiale. Ils rechignent à redistribuer les cartes aujourd’hui. Ils ont construit un FMI à leur service et veulent le maintenir tel quel.
 
Sur la carte, l’Afrique ne semble pas trop mal lotie…
 
Soyons sérieux : l’Afrique subsaharienne occupe une place égale à la France alors qu’elle compte 10 fois plus d’habitants. L’Afrique au Sud du Sahara ne dispose que de deux membres au sein du Conseil d’administration du FMI et ces deux membres doivent exprimer le point de vue de 48 pays. La France dispose à elle seule d’un administrateur. Les pays de l’Union européenne ont 8 représentants au sein du Conseil d’administration sur un total de 24 membres, soit un tiers d’entre eux. Vous imaginez la difficulté des 48 pays africains à se faire entendre si seuls 2 administrateurs les représentent. Le FMI est parfaitement verrouillé par les pays européens et nord-américains. L’Afrique a demandé que l’on porte de 24 à 26 le nombre d’administrateurs afin de dégager deux sièges supplémentaires en sa faveur. Ils se sont heurtés à un refus net des États-Unis. C’est donc l’immobilisme qui prévaut, mais pendant ce temps, les dégâts sociaux au Nord et au Sud s’aggravent.
 
Le FMI est donc irréformable ?
 
Oui car ses statuts sont foncièrement antidémocratiques. Le G20 réuni à Pittsburgh en 2009 a décidé de transférer 5% des voix des pays surreprésentés vers certains pays sous-représentés comme la Chine, l’Espagne et la Pologne. Ce transfert, qui se fera probablement au détriment des pays comme la Suisse et la Belgique, ne transformera pas pour autant le FMI en une institution démocratique, car il concernera quelques dixièmes de pourcent mais ne modifiera pas les rapports de force en profondeur. En conclusion, il faut créer une nouvelle institution mondiale garantissant la stabilité monétaire, notamment en luttant contre la spéculation, et fondamentalement centrée sur le respect des droits humains fondamentaux, ce qui n’est pas du tout le cas actuellement. Il est très important de faire sauter le verrou du FMI pour espérer jeter les bases d’un autre monde.
 
- Éric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, est président du CADTM Belgique.

Le présent texte est une version actualisée et modifiée par l’auteur d’une interview donnée à Jean-François Pollet du magazine Imagine (www.imagine-magazine.com). La version originale de cette interview a été publiée par Imagine dans son numéro de janvier-février 2010.


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