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François Mitterrand, grand homme de droite (et de poche)

Fabrice Nicolino | fabrice-nicolino.com | 10 mai 2011

mercredi 11 mai 2011

 Mise en garde : le texte qui suit est long. Fait aggravant, il parle de François Mitterrand, trente ans après un orage parisien qui ne laissa que quelques gouttes sur le pavé

Appelons cela un interlude, entre deux cris contre l’état de notre planète. Mais au fait, les amis, si l’état de notre humanité n’était pas ce qu’il est, en serait-on à ce point de déréliction écologique ? Je m’autorise trois mots sur notre grand homme de poche, François Mitterrand. Il y a trente ans, donc, il remportait l’élection présidentielle au nom du parti socialiste, et promettait de rompre avec le capitalisme. Mais vite, hein ? Il ne fallait pas traîner. Aux oublieux, à ceux qui étaient trop jeunes, je dédie ce court passage tiré d’un document officiel du parti socialiste. Il est consacré à une sorte de congrès tenu à Alfortville (Val-de-Marne) quelques mois avant mai 1981.

Cet extrait fait partie d’un texte écrit en 2006, en une époque bien plus calme pour nos Excellences de gauche, et son ton en est singulièrement adouci. Voici : « Divisé en trois parties – comprendre, vouloir, agir – le projet socialiste doit orienter l’action des socialistes pour les années 80. Rupture avec le capitalisme et stratégie d’union de la gauche, volonté de s’affranchir de la logique du marché et des contraintes extérieures, affirmation de la souveraineté nationale face au processus d’intégration européenne et à la puissance américaine, le texte soumis aux militants est marqué par le volontarisme politique et économique ; il réunit 96 % des suffrages ». En 1980, les mots réellement prononcés étaient de feu. Il s’agissait de faire rendre gorge aux capitalistes, rien de moins.

Longtemps après le roi du Tibet

Or donc, il s’agissait bel et bien de changer le monde. Ce qui n’a pas été fait, à moins qu’on l’ait caché à tous. Je sais que de nombreux lecteurs de Planète sans visa conservent pour Mitterrand les yeux de Chimène. Et moi ? Euh, non. Lorsque la discussion roule sur ces années-là en présence de femmes et d’hommes de gauche, la première et souvent la seule chose qu’ils trouvent à dire, c’est : « Oui, mais quand même, l’abolition de la peine de mort ». Et, bien que je sois poli, et que je tâche alors de détourner la conversation, je dois dire qu’intérieurement, je rigole. Ou bien je bous, selon. L’abolition de la peine de mort eût pu être décidée longtemps avant, et l’aura été sous toutes sortes de régimes. Elle avait été décidée il y a plus de 13 siècles au Tibet, sous le règne de l’excellent roi Songtsen Gampo. Le Venezuela l’avait inscrit dans sa Constitution en … 1864. Alors bon, Mitterrand n’aura fait que suivre un mouvement historique. Et c’est tout. Nous, les Français, avons bel et bien cette fâcheuse tendance à croire que nous inspirons la terre entière. Même lorsque nous arrivons parmi les derniers.

Mitterrand avait en tout cas d’affreuses raisons personnelles pour abolir. Car comme le rappelle le livre - que j’ai lu - signé par François Malye et Benjamin Stora (François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Calmann-Lévy, 2010), il avait du sang sur les mains. Devenu ministre de la Justice et garde des Sceaux en février 1956, il le restera jusqu’au 21 mais 1957. Et pendant ce temps, sous sa responsabilité écrasante, 45 militants de la cause algérienne ont été guillotinés, dont le communiste Fernand Iveton. Je vous le dis, je n’aurais pas aimé être Missak Manouchian en 1944, avec un Mitterrand au pouvoir. Tiens, au fait, n’a-t-il pas été ami jusqu’à son assassinat - en 1993 - avec ce cher René Bousquet, l’un des plus hauts responsables de la police fasciste du régime de Pétain ? Si.

Sur cette photo prise à Marseille en 1943, Bousquet a vraiment l’air très malheureux de la présence nazie en France. Où en étais-je ? L’Algérie. Un jour, Michel Rocard accusa Mitterrand, en public, d’être un assassin. Et il avait bien entendu raison. Ce qui ne l’empêcha nullement de devenir son Premier ministre, car la carrière, mon Dieu, c’est la carrière. Question d’une rare absurdité, d’autant qu’elle plonge au plus profond de cette aventure : Mitterrand était-il de gauche ? Je vous vois frétiller, car il y a de quoi. Mitterrand a été toute sa vie un homme de droite, et l’aura à peine caché. Les sots, les pauvres sots sont ceux qui ont cru autre chose, et ne veulent à aucun prix qu’on ose s’attaquer à leur idole de pacotille.

Un militant d’extrême-droite

Reprenons en quelques phases. Avant guerre - Mitterrand est né en 1916 -, il est un militant d’extrême droite. Sans doute pas un activiste, quoique, mais en tout cas, ce qu’on pourrait appeler sans excès un fasciste. Le 1er février 1935, il participe à une manifestation de petites crapules pour protester contre l’installation de médecins étrangers en France. Aux cris de « La France aux Français » et « Non à l’invasion métèque ». Ce n’est pas un gosse, il va avoir vingt ans. Autour de l’internat des Pères maristes - 104, rue de Vaugirard, à Paris -, où Mitterrand habite alors, la canaille fasciste est omniprésente. Mitterrand noue des liens de franche amitié avec des responsables de la Cagoule, parmi lesquels Eugène Deloncle, Gabriel Jeantet ou Simon Arbellot. Or la Cagoule est une société secrète antisémite, très proche des militaires, qui entend bien abattre par la force et le complot la « Gueuse », comme ils appellent la République. Un coup d’État sera déjoué de justesse en 1937, et l’on retrouvera beaucoup de ces chers anges aux côtés des nazis, quelques années plus tard. Un détail : l’un des hommes de main de la Cagoule, Jean Filliol, assassinera en 1937 les frères Rosselli, opposants à Benito Mussolini. Sur commande du dictateur romain.

Dans ces conditions, Mitterrand pouvait-il devenir le grand résistant antifasciste qu’une vulgaire propagande ne cesse de nous vendre ? Voyez à quoi je suis rendu : j’en doute. J’en doute d’autant plus fort que Mitterrand a été avant tout un maréchaliste convaincu. Un homme de Vichy. Je ne peux tout raconter, vous seriez lassé. Mitterrand sera décoré de l’ordre de la Francisque par Pétain lui-même, en mars ou avril 1943. Un Pétain qu’il admire alors de toutes ses belles forces, comme l’attestent des lettres d’époque, signées de sa main. Il va jusqu’à se féliciter de la création du Service d’ordre légionnaire (SOL) de Darnand, ancien de la Cagoule, qui deviendra la Milice, chère au cœur de tous les démocrates. Extrait du serment des volontaires du SOL : « Je jure de lutter contre la démocratie, la lèpre juive et la dissidence gaulliste ».

Ensuite, Mitterrand serait devenu résistant. Quand ? En toute certitude, après les premières lourdes défaites de l’armée nazie. Probablement dans la deuxième moitié de 1943. Je ne vais pas jouer au devin, mais je crois profondément que son choix fut alors opportuniste. Au reste, il ne faut pas exagérer ce que les mitterrandistes de toujours ont présenté comme autant d’actions de gloire. Mitterrand n’est pas Jean Moulin. Mitterrand ne figurait pas sur l’Affiche rouge, car sur cette affiche de 23 héros assassinés par les nazis, il n’y avait que des métèques, engeance que notre Mitterrand national n’aimait guère. Des Espingouins. Des Ritals. Des Polaks. Des Arméniens. Et parmi eux - pouah ! -, des juifs.

Une seule et même obsession

J’insulte ? En effet, j’insulte. Ceux de l’Affiche rouge sont de mon sang. À la sortie de la guerre, un Mitterrand tout ripoliné devient dès 1944 une sorte de ministre des Anciens combattants. Il est aussi copain avec un autre grand résistant, un certain Jacques Foccart, qui sera le suprême Manitou de la Françafrique. Formidable. Peu après, il donnera un témoignage décisif qui sauve Eugène Schueller, financier de la Cagoule avant guerre, et fondateur de l’Oréal, la belle entreprise de madame Bettencourt, je n’y peux rien. Il a 28 ans et va bientôt obtenir ce qu’on appelle aujourd’hui un « emploi fictif » dans le vaste empire L’Oréal. Ô beauté des cieux. Parallèlement, Mitterrand sera 12 fois ministre jusqu’en 1957. Un record fabuleux. Pendant ces années, la France s’honore de vastes massacres à Madagascar, en Indochine, en Algérie. Ailleurs. Mitterrand n’a qu’une obsession, la même qui court tout au long de sa vie : le pouvoir. Pour lui. Il tente à de nombreuses reprises de devenir Président du Conseil, le poste le plus haut sous la Quatrième République. Mais il échoue et, pis que tout, un revenant lui barre la route de la victoire : De Gaulle, qui revient au sommet en 1958 et sera bientôt président, élu pour comble au suffrage universel.

Pendant toutes ces années, son arme politique s’appelle l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), formée en 1945, et dont il sera le chef après 1950. Ne pas se laisser impressionner par l’étiquette. L’UDSR aura été un parti de notables. De notables de droite. Mitterrand y prend le pouvoir après des manœuvres qui rappellent fort sa prise de pouvoir sur le parti socialiste en 1971. Cette courte citation d’un excellent article de l’universitaire Éric Duhamel (Pleven et Mitterrand) : contrairement à Pleven « François Mitterrand, en revanche, s’appuie sur une poignée d’hommes qu’il a connus avant la guerre et une cohorte rencontrée sous l’Occupation. Par l’intermédiaire des associations de PG [ prisonniers de guerre], tous ces hommes sont capables dans chaque département de recruter ceux de leurs camarades qui sont prêts à faire un bout de chemin avec “François” ». C’est de cette époque que date l’amitié indéfectible qui réunit Roland Dumas - député UDSR en 1956 -, notre grand moraliste à bottines, et Mitterrand. C’est à peu près de ce temps-là que datent les liens plus qu’étranges noués avec François de Grossouvre, retrouvé mort d’une balle dans la tête à l’Élysée en 1994. À peu près, car au fond, qui le sait ? Le sûr, c’est que De Grossouvre a été membre du Service d’ordre légionnaire (SOL) de Vichy déjà nommé. Le sûr, c’est qu’il a joué un rôle important dans la création en France de réseaux politico-militaires imaginés après-guerre par les Américains. Ce qu’on a appelé en Italie Gladio, et dont le rôle dans la stratégie de la tension et les attentats des années 70 du siècle passé est certain. Le sûr, c’est qu’il aura été, une fois Mitterrand élu président en 1981, le gardien de tous les secrets. Dont beaucoup, selon moi, demeurent inconnus.

Prise de pouvoir au parti socialiste

Je vous sens perdus, et j’en suis désolé. Il me faut aller plus vite, car je rédige ce texte le 9 mai 2011 au soir, et je tiens à ce qu’il soit en ligne le 10, notre grand anniversaire national. De Gaulle. Un De Gaulle terrible, qui bouche les allées du pouvoir pendant des années. Mitterrand en sera l’opposant en chef. De gauche ? Voyons donc ! En 1965, entre les deux tours de la présidentielle, il recevra l’étrange appui de l’avocat fasciste Tixier-Vignancour, qui avait obtenu 1 253 958 voix au premier tour. Au nom de quoi ? Tixier-Vignancour avait en tout cas, bien entendu, été vichyste pendant la guerre. Le reste ? Après avoir tenté l’impossible pour revenir dans le jeu, notamment en mai 1968, où il se brûla les ailes, Mitterrand a compris l’essentiel. S’il veut gagner - c’est la seule chose qui compte -, il doit représenter la gauche. Toute la gauche, y compris ces communistes qu’il vomit depuis sa jeunesse, et dont il ne cessera, avec un magnifique succès, d’attaquer les positions de pouvoir, jusqu’à les réduire au rang de supplétifs.

Comment faire ? D’abord, comme avec l’UDSR de 1950, s’emparer d’une structure. Ce sera le parti socialiste, en voie de pure et simple disparition en 1970, après de calamiteux résultats en 1969. Au congrès d’Épinay, en 1971, par la ruse, toutes les ruses, Mitterrand s’empare d’un parti dont il n’est même pas membre ! Grâce, entre autres, au concours empressé d’un certain Jean-Pierre Chevènement, dont vous aurez du mal, même en cherchant, à retrouver qu’il fut officier d’active pendant la guerre d’Algérie, et partisan assumé de l’Algérie française. La suite vous est connue dans les grandes lignes. La saison, qui dure dix ans, est aux grands discours. Mitterrand, homme de droite, devient un expert de l’emphase « gauchiste », bien meilleur à ce jeu que le pauvre Guy Mollet de jadis, qui nous a pourtant légué l’expression « mollettiste », désignant ceux qui parlent d’une manière et agissent d’une autre.

Dans les conditions décrites plus haut, il était fatal que Mitterrand ne fasse rien de ce qu’il avait promis. La gauche au pouvoir ne décréta pas la mobilisation générale pour les banlieues, mais la mobilisation générale de Julien Dray et Harlem Désir. Elle ne combattit pas le capitalisme, mais tout au contraire, réhabilita l’exploitation et donc les exploiteurs, Tapie en tête. Vous vous souvenez, n’est-ce pas ? Il faut dire qu’avec un Attali dans le bureau d’en face, ce ne dut pas être si difficile. Elle déplia le tapis rouge pour Berlusconi, à qui l’on refila une chaîne de télé, la défunte 5. Elle statufia Jacques Séguéla, fondateur de l’agence de pub Euro RSCG, qui conseille aujourd’hui aussi bien DSK que les industriels des gaz de schistes, sans oublier, jusqu’à certain changement, Laurent Gbagbo. Elle coucha avec le fric et la corruption.

« Dites-moi, où est le pouvoir ? » (air connu)

Trente ans plus tard, c’est oublié. L’ombre bienfaisante de Mitterrand câline candidats et futurs électeurs. Hélas, je n’ai plus le temps - et vous, je l’espère, plus la patience - de vous dire en détail pourquoi une génération entière s’est elle-même fourvoyée de la sorte. Et pourquoi la suivante est prête à recommencer. Cela a à voir, selon moi, avec l’une des faces les mieux cachées de la réalité. Cette soumission à l’autorité si bien analysée par Stanley Milgram. Il faut du chef. Il faut de l’admiration. Et donc de l’aveuglement. Et donc de la connerie à tous les étages. Rien ne changera jamais vraiment tant que ce phénomène sera à ce point dominant. Oh, je ne pense pas qu’on puisse balayer une telle invariance psychique en soufflant dessus, certainement pas. Mais je suis bien convaincu que nous serons perpétuellement défaits si nous ne sommes pas capables d’analyser et de critiquer sans relâche la notion même de pouvoir. Et ce lien maudit qui pousse des millions d’êtres à croire n’importe quelle promesse, sourire aux lèvres et yeux embués.

Allez, une conclusion. Mitterrand et la crise écologique. Il s’en cognait d’autant plus qu’il n’avait strictement rien remarqué. Et ne venez pas me dire que c’est une question d’âge ! Le vieux Dumont était né, lui, en 1904, douze ans avant Mitterrand. Et il avait 70 ans en 1974, quand au même moment Mitterrand promettait la Lune aux crédules pour pouvoir s’y installer un jour en leur marchant dessus. Jacques Ellul était né quatre ans avant Mitterrand. Cornelius Castoriadis était né six ans après Mitterrand. André Gorz était né sept ans après Mitterrand. Ivan Illich était né dix ans après Mitterrand. Alors non, ne me parlez pas d’âge ou de génération. Mitterrand est l’archétype de l’homme ignorant, et qui lisait pourtant des livres. Philistins, petits marquis d’ici ou d’ailleurs, idiots savants de toute nature ne cesseront jamais de vanter sa culture. Mais quelle était-elle, dites-moi ? Un homme qui entendait mener la France aura passé son existence sans dire un mot sur la crise de la vie sur terre. Contemporain de l’événement le plus foudroyant de l’histoire des hommes, il n’en aura rien su. Comment appelle-t-on cela, par chez vous ?

Ce que j’ai voté en 1981 ? Mitterrand. Mais je jure qu’il s’agissait d’un vote contre Giscard. J’avais la naïveté de croire qu’une victoire de la gauche ouvrirait un espace neuf à la liberté de tous. Si c’était à refaire, j’irais plutôt regarder le soleil se lever. Puis le soleil se coucher. Et entre-temps, je sais que je ne mettrais pas le pied dans un bureau de vote.


Transmis par JP de Loupian
Date : Tue, 10 May 2011 17:19:34 +0200


Voir en ligne : François Mitterrand, grand homme de droite (et de poche)

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