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Corruption et changement climatique : risques sur les modes de financement

Béatrice Héraud | novethic.fr | 6 mai 2011

samedi 7 mai 2011

Alors que les gouvernements s’apprêtent à dépenser jusqu’à 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour limiter le changement climatique et s’adapter à ses impacts, Transparency International (TI) met en garde contre les risques de corruption liés au financement de ces mesures.

« Le changement climatique n’est pas qu’un défi pour les approches établies de la gouvernance, il transcende également les typologies établies de corruption », avertissent d’emblée les auteurs du « Rapport mondial sur la corruption : le changement climatique », publié le 2 mai par Transparency International (voir document lié). Avec un coût estimé par certains experts à 700 milliards de dollars -dont environ 250 milliards de dollars annuels qui passeront par « de nouveaux canaux, manquant relativement de coordination et de vérification »-, une forte pression pour accélérer la mise en place de solutions, auxquels il faut ajouter une bonne dose de complexité, d’innovation et d’incertitudes… la lutte contre le changement climatique semble constituer un terreau quasi idéal pour la corruption.

La menace est loin d’être théorique. On l’a déjà vu il y a quelques mois, les crédits carbone peuvent être l’objet d’une escroquerie lucrative. En novembre 2010, CDM Watch révélait ainsi que des entreprises chimiques chinoises fabriquaient du HFC-23, un gaz à effet de serre très puissant et rare, uniquement pour le détruire et obtenir des crédits carbone, revendus par la suite à des entreprises européennes et américaines (voir article lié). Une opération qui aurait porté sur plusieurs milliards de dollars. Mais bien d’autres formes de corruption entachent le financement de la lutte contre le changement climatique selon Transparency International : manque de transparence dans les mécanismes de financement comme les MDP et le fonds pour l’adaptation où « aucun espace n’est accordé à une supervision indépendante des prises de décision », conflits d’intérêts, créativité comptable, lobbying, etc.

Des cas avérés de corruption

En Slovaquie, des enquêtes ont par exemple révélé que le gouvernement qui bénéficiait en 2008 de nombreux permis d’émissions (ses émissions étant inférieures de 32 % à sa cible établie à Kyoto en 1990), en a vendu pour 15 millions de tonnes sans enchère publique et pour moitié de leur valeur à une compagnie nouvellement créée, ayant un lien avec les membres du ministère chargés de vendre les permis. Une perte estimée à 75 millions d’euros. En Espagne, ce sont les parcs de panneaux solaires qui ont été la source de fraude : en misant sur l’obligation des entreprises du service public d’acheter l’énergie solaire à un prix fixe et très élevé, de nombreuses sociétés ont enregistrés leur parc (4000 installations dans 13% des parcs du pays, selon une enquête) comme étant opérationnel alors qu’il ne l’était pas. Plusieurs permis d’installations avaient d’ailleurs été attribués par des fonctionnaires à des sociétés appartenant à leurs proches…

Dans les pays les plus susceptibles de souffrir du changement climatique, le risque est encore plus grand. Aucun des 20 pays les plus exposés n’a de score supérieur à 3.6 sur l’Indice de Perception de la Corruption de Transparency International ce qui est synonyme de forte exposition à la corruption. Or, une grande partie des fonds sera investi dans ces pays. On estime par exemple que les coûts de construction d’infrastructures résistantes au changement climatique comme les murs anti-inondation ou les systèmes de drainage pourraient atteindre 100 milliards de dollars d’ici 2030. Prenons le Bangladesh : la forêt de mangrove des Sundarbans, qui constitue un « bouclier naturel » contre les cyclones et raz-de-marée, est peu à peu détruite par l’abatage illégal des arbres. Ce phénomène est favorisé par la corruption puisque TI estime que les pêcheurs et ramasseurs transportent illégalement du bois pour une valeur de 10 millions de dollars par an et que les fonctionnaires leur extorquent près de 3,1 millions de dollars...Les forêts qui jouent aussi un rôle clef dans la lutte contre le changement climatique, notamment à travers le mécanisme REDD + (voir article lié) peuvent être une source de problème. 28 milliards de dollars devraient être transférés chaque année aux pays ayant de grandes forêts tropicales pour décourager la déforestation et préserver le stockage naturel de carbone. Or, le rapport de TI souligne que certains gouvernements ont déjà réclamé des crédits pour des projets fictifs de plantation de forêts.

Améliorer la gouvernance

Pour rendre la gouvernance climatique plus efficace, les auteurs recommandent une plus grande participation du public, un meilleur accès à l’information de la part des gouvernements, entreprises et institutions ainsi qu’une « redevabilité » sociale (audits sociaux, contrôle coopératif). Le rapport met aussi en garde contre le risque de malédiction des ressources vertes, comme le lithium de Bolivie nécessaire à de nombreuses technologies vertes. « Il est primordial que les industries minières exploitant ces ressources soient transparentes et révèlent publiquement les paiements effectués auprès des gouvernements afin que les citoyens puissent s’assurer que les recettes sont utilisées à leurs avantages », précise le rapport. De la même manière, les gouvernements qui vendent des terrains pour la culture de biocarburants, qui représenteront d’ici 2030 environ 10% des carburants de transport dans les principales économies du monde, « doivent permettre la participation et la surveillance publiques pour que les droits de propriété des communautés locales soient respectés ». Plus globalement, les gouvernements doivent garantir une surveillance transparente de l’usage des fonds destinés à la lutte contre le changement climatique, ce qui peut être amélioré par un suivi de la société civile. Pour traduire ces recommandations en actes, Transparency International a lancé un programme sur la gouvernance climatique destiné à aider la société civile de six pays pilotes (le Bangladesh, la République dominicaine, le Kenya, les Maldives, le Mexique et le Pérou) à surveiller les programmes relatifs au changement climatique.

Béatrice Héraud
Mis en ligne le : 06/05/2011
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