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Paroles d’officiers français sur la guerre d’Algérie

Antoine FOUCHET | la-croix.com | 15 avril 2011

mardi 19 avril 2011

Cinquante ans après le putsch des généraux à Alger, le tabou se lève sur cette guerre, aujourd’hui sujet de réflexion pour l’armée française

13 mai 1961, place du Gouverneur à Alger. Quelques semaines après le putsch des généraux, une Algéroise croise une patrouille de militaires français. (AFP/STF)


A l’école de guerre, dans le 7e arrondissement de Paris, « les événements » d’Algérie – selon la formule en vigueur à l’époque – ne sont plus un sujet tabou pour les 300 officiers, qui, après une première partie de carrière d’une quinzaine d’années, se préparent durant neuf mois à intégrer les états-majors.

Cinquante ans après le putsch des généraux d’avril 1961 à Alger, ils sont même prêts à en parler à la presse, alors qu’il y a peu encore l’armée vouait aux gémonies les journalistes, prompts à « sortir » les vieilles histoires de torture. Les officiers stagiaires se veulent décomplexés, à propos d’un épisode historique douloureux à plusieurs titres. Et ils tranchent ainsi avec la frilosité des anciens sur le sujet.

Au vrai, entre les murs épais du bâtiment de l’école érigé sous Louis XV (1) et où sont passés presque tous les grands chefs militaires français, ces futurs généraux et amiraux se sont déjà vu proposer, dans le cadre de leur formation, un « module d’approfondissement » de deux semaines sur « les techniques de contre-insurrection » et un travail dirigé sur la guerre d’Algérie.

Dans les années 2000, les langues se délient

Des innovations récentes, motivées par le désir de comprendre (par une étude comparative et toutes proportions gardées) les ressorts du conflit contemporain en Afghanistan. Il aurait été malencontreux de se passer des retours de l’expérience algérienne, consignés en leur temps dans des ouvrages par des officiers français (David Galula, Roger Trinquier) et qui ont suscité un vif intérêt de l’armée américaine.

C’est au milieu des années 2000 que l’armée française a vu en son sein les langues se délier à propos de la guerre d’Algérie. L’évolution est aussi due au changement de générations, les « élèves » de l’école de guerre étant âgés de 35 à 40 ans et ayant à leur actif plusieurs missions en opérations d’interposition à l’étranger (Balkans, Liban, Afrique, Afghanistan).

« La distance par rapport à ce passé nous permet de l’analyser d’une manière dépassionnée », affirme ainsi ce cavalier de l’armée de terre venu d’un régiment de Mourmelon (Marne). Toutes les facettes de l’action de l’armée française lors du conflit en Algérie sont évoquées au nom de ce souci d’objectivité.

Le putsch fournit encore matière à interrogation

Qu’il s’agisse du recours à la torture par certaines unités (« intolérable aujourd’hui »), des opérations militaires (par exemple celles du plan Challe de 1959 à 1961), du travail de protection des populations par les Sections administratives spéciales (à partir de 1955) et du putsch des généraux.

Avec l’accent mis de préférence sur ce dernier événement, de nature à intéresser particulièrement des officiers qui se destinent à de hauts postes de commandement. Ainsi, pour ce commandant parachutiste de Tarbes, c’est bien le putsch qui fournit encore matière à interrogation.

« La guerre d’Algérie, dit-il, a été une tragédie due en partie à l’inconstance des hommes politiques de tous bords. Nous, les militaires, sommes astreints au devoir d’obéissance et à un engagement total dans la mission demandée par le pouvoir. Je trouve pertinente la question de la relation entre l’armée et la classe politique, lorsque celle-ci est versatile dans ses choix. Les soldats ont besoin d’une ligne claire. »

Un climat apaisé

Un demi-siècle après, la tentative de coup d’État des quatre généraux, Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller, intrigue encore, mais dans un climat apaisé qui n’a rien à voir avec le ressentiment que de nombreux officiers d’active avaient nourri à l’encontre des leaders politiques, et plus particulièrement du chef de l’État, le général de Gaulle.

Le général Philippe Mercier, chef d’état-major de l’armée de terre de 1996 à 1999, et le général Joël Marchand, qui couronna sa carrière à Bruxelles auprès de l’Otan, étaient élèves en deuxième année à Saint-Cyr-Coëtquidan au printemps 1961 et ont terminé leur école d’application à l’été 1962.

Tous les deux se souviennent d’un « climat délétère » au sein de l’armée, avec des officiers « aigris » et « au bord de la dissidence », certains allant jusqu’à démissionner. Tandis qu’il fallait au général de Gaulle limoger, muter, dissoudre, tout en lançant à plein régime la Cour de sûreté de l’État et en remobilisant les troupes face au danger soviétique, pour que le soufflé retombe au bout de deux bonnes années.

Tirer les leçons de l’expérience algérienne

En République, la conformité de l’institution militaire aux droits de l’homme est indispensable pour le maintien de sa bonne image dans l’opinion. Cela, les stagiaires de l’école de guerre en sont convaincus. « Le recours à la force disproportionnée n’est pas moral et, en plus, peut être contre-productif sur le plan tactique », assurent-ils, à l’unisson d’une armée qui, concernant l’usage de la violence, a tiré les leçons de l’expérience algérienne.

On se souvient de la stupeur provoquée, en 2001, par les mémoires du général Paul Aussaresses vantant la torture. Quatre ans plus tard, alors qu’il venait d’être condamné par la cour d’appel de Paris à 7 500 € d’amende pour « apologie de crimes de guerre et complicité », les instances disciplinaires des armées obtenaient son exclusion de la légion d’honneur par décret présidentiel.

Une suite logique. À chaque évocation de ce passif algérien, les officiers français soulignent aujourd’hui qu’ils se rattachent à une longue tradition du respect de l’adversaire et des populations civiles, tradition renforcée par plusieurs textes officiels depuis 1962. Le nouveau règlement de discipline générale des armées de 1966 et le statut du militaire de 1972 actualisé en 2005 stipulent que le soldat peut refuser d’appliquer un ordre illégal (qui le conduirait par exemple à torturer).

« Plus jamais ça ! »

Sans oublier le code du soldat de l’armée de terre de 1999 : « 11 articles qui formalisent les repères pour une force devenue professionnelle », explique son promoteur, le général Jean-René Bachelet. Rappelons, en outre, la célérité avec laquelle les autorités militaires sont intervenues en 2005 pour sanctionner des soldats de la force Licorne en Côte d’Ivoire dans l’affaire de la mort par étouffement d’un Ivoirien, Firmin Mahé. « Plus jamais ça ! » avait alors souhaité le général Bernard Thorette, chef d’état-major de l’armée de terre.

Les stagiaires de l’école de guerre sont également amenés à préciser ce qu’un certain humanisme implique pour leur métier dans le cadre cette fois d’un « module éthique », conçu pour « marquer les esprits » selon le général Pascal Valentin, commandant de l’établissement. Et la guerre d’Algérie est désormais l’un des matériaux de ce programme.

Depuis 2008, est ainsi visionné et discuté L’Ennemi intime, le film de Florent Emilio Siri. Cette année, les élèves officiers auront également assisté à une conférence-débat donnée sur le conflit par le général Benoît Royal, patron du recrutement de l’armée de terre qui s’est fait connaître par un ouvrage exigeant sur L’Ethique du soldat français (2). L’histoire est aussi une boussole utile pour les militaires.

Antoine FOUCHET


(1) L’école de guerre a ses locaux à l’école militaire.

(2) Une 2e édition, avec un chapitre sur la guerre d’Algérie , vient de paraître, Économica (222 p., 19 €).


Transmis par Invers@lis
Sun, 17 Apr 2011 23:42:07 +0000
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