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La “censure” de la LOPPSI2 ? Une opération “cosmétique”

| bugbrother.blog.lemonde.fr | 11 mars 2011

dimanche 13 mars 2011

Le Conseil Constitutionnel n’a pas censuré 13 articles de la LOPPSI2, mais 13 passages de ses 142 articles. La nuance est de taille.

Et de même qu’une opération de chirurgie esthétique peut gommer certains détails peu reluisants sans changer fondamentalement l’état réel de la personne opérée, la censure effectuée par les Sages ne change pas fondamentalement la portée de cette 42e loi sécuritaire depuis 2002.

Politiquement, il s’agit bien évidemment d’une victoire symbolique forte pour les défenseurs des libertés, comme le soulignait Le Monde :

“C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’autant d’articles d’une loi sont censurés”.

Mieux, comme on peut le lire dans son communiqué, le Conseil Constitutionnel explique avoir “examiné d’office pour les censurer certaines des dispositions de 5 des articles de la LOPPSI2. Les 13 articles n’ont donc pas été (partiellement) censurés suite à la seule saisine des parlementaires de l’opposition, mais également à l’initiative du Conseil Constitutionnel lui-même.

Dès lors, le parti socialiste a beau jeu de déclarer que “le gouvernement est largement désavoué“, mais Eric Ciotti n’a pas tort quand il rétorque que “le Conseil constitutionnel ait validé les principales dispositions de la Loppsi 2“.
Objectif : légaliser des fichiers policiers “clandestins”

Carrot surgeryPrenons le cas des “logiciels de rapprochement judiciaire” introduits dans l’article 14 de la LOPPSI2 afin de “permettre d’exploiter et de rapprocher les données provenant de tous types d’enquête quelle que soit la gravité des faits en cause“, et donc la création de nouveaux fichiers policiers.

Les Sages n’ont pas censuré le principe du croisement des fichiers, ni même la création de telles bases de données à partir des données d’ores et déjà présentes dans les fichiers. Il a, a contrario, validé la légalisation des fichiers d’ores et déjà créés, et qui ne disposaient pourtant pas, jusque là, de “base légale“, se contentant de censurer la possibilité d’y stocker des données pendant plus de trois ans.

Jusque là, ce type de “fichiers d’analyse sérielle” étaient réservés à certaines catégories de crimes et délits particulièrement graves. Désormais, ils ne seront plus, comme le notent les Sages, “limités par une exigence de gravité des infractions sur lesquelles des données personnelles sont recueillies“.

Dans les Commentaire aux Cahiers (.pdf) annexés à leur décision, les Sages reconnaissent ainsi qu’”actuellement il n’existe pas de fondement légal à de tels fichiers“, tout en notant qu’il en existe déjà plusieurs, et que l’article en question vise précisément à légaliser ces fichiers pour l’instant clandestins :

La préfecture de police de Paris expérimente une application dénommée “CORAIL” (pour cellule opérationnelle de rapprochement et d’analyse des infractions), alimenté par les télégrammes en provenance de toute la région.

S’il apparaît que plusieurs faits sont susceptibles de présenter un intérêt pour établir par la suite un rapprochement avec d’autres affaires, une ” fiche affaire ” est créée à laquelle seront ensuite ajoutés éventuellement les télégrammes qui lui semblent liés, ainsi que des éléments utiles à l’enquêteur (dépêches de presse…) (…).

De même, la préfecture de police expérimente le logiciel d’uniformisation des procédures d’identification (LUPIN). Ce traitement a pour objectif l’utilisation des traces et informations relevées par la police technique et scientifique en vue d’effectuer des rapprochements entre affaires et un descriptif très détaillé des modes opératoires.

Une “censure” cosmétique

Jocelyn WiltgensteinForts de ce constat, les Sages ont tout d’abord tenus à exprimer deux réserves, afin d’exclure la possibilité de “permettre à tous les services de police judiciaire de mettre en commun leurs informations exploitées par des logiciels de rapprochement“, ce qui aurait conduit à “des traitements de données à caractère personnel dont le champ serait manifestement excessif“.

Le recours à ces logiciels devraient ainsi être réservé à “des services déterminés de police judiciaire conduisant à travailler sur une série de faits et, partant, de données collectées dans le cadre d’une enquête déterminée“, de sorte d’empêcher la création d’”un traitement général des données recueillies à l’occasion des procédures et des enquêtes judiciaires :

Il ne saurait être question de faire « travailler » des logiciels de rapprochement sur un grand fichier global de toutes les informations en provenance de tous les services d’enquête.

Ce que le Conseil a censuré, c’est la possibilité de stocker des données ad vitam aeternam. L’article, tel qu’il avait été rédigé, prévoyait que les données personnelles soient effacées à la clôture de l’enquête et « en tout état de cause, à l’expiration d’un délai de trois ans après le dernier acte d’enregistrement ».

Ce qui, ont estimé les Sages, ouvrait “la possibilité que tout nouvel acte d’enregistrement dans le traitement ne permette de reporter indéfiniment le point de départ du délai de trois ans, à l’issue duquel les données doivent être effacées“, et ce qui leur ont “apparu excessif“, les entraînant à déclarer contraire à la Constitution les mots « après le dernier acte d’enregistrement » : les données personnelles ne pourront donc y être conservées plus de trois ans.

La nuance est d’importance, et s’il était important de mieux encadrer la portée de telles bases de données, le principe même de l’interconnexion des fichiers policiers, quelle que soit la gravité des infractions concernées, a bien été validé par le Conseil Constitutionnel.

Je ne sais combien, des 12 autres articles pointés du doigt par les Sages, ont ainsi été partiellement censurés, tout en validant le principe même des articles adoptés, mais la LOPPSI2 est loin, très loin d’avoir été “censurée“… Tout juste peut-on parler d’une opération de censure cosmétique.


Voir en ligne : La “censure” de la LOPPSI2 ? Une opération “cosmétique”

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