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Indiens et bengalis sont-ils « insensibles » à l’obésité ?

Dr Anastasia Roublev | jim.fr | 03/03/2011

jeudi 3 mars 2011

Les relations entre l’indice de masse corporelle (IMC, défini par le rapport entre le poids en kilogrammes sur la taille en mètres au carré) et la morbi-mortalité ont été explorées dans d’innombrables études épidémiologiques. Globalement ces travaux ont conclu qu’IMC et mortalité étaient liés par une courbe en J ou en U. Ce qui signifie en d’autres termes que les IMC élevés (supérieurs à 25 pour le surpoids et à 30 pour l’obésité), comme les IMC bas (inférieurs à 20) s’accompagnent d’une surmortalité par rapport aux sujets ayant un IMC entre 20 et 25.

On pouvait donc penser qu’une nouvelle étude sur ce thème apporterait bien peu d’éléments supplémentaires. Et pourtant il n’en est rien puisque le travail de Wei Zheng et coll. publié dans le New England Journal of Medicine pourrait remettre partiellement en cause nombre de nos certitudes.

Pour déterminer si les constatations faites dans ce domaine, essentiellement fondées sur des études conduites sur des sujets d’origine européenne, étaient valables pour des populations asiatiques et si, en particulier, les définitions du surpoids et de l’obésité devaient rester identiques pour l’Asie, une équipe internationale a repris des données publiées provenant de 19 cohortes asiatiques. L’analyse a ainsi porté sur plus de 1 100 000 personnes suivies pendant une durée moyenne de 9,2 ans et pour lesquelles on connaissait l’IMC à l’inclusion et la mortalité.

Européens, Chinois et Japonais égaux devant l’obésité

Pour les populations originaires d’Asie de l’Est (principalement Chinois, Japonais et Coréens) les résultats ont été sans surprise et sont relativement proches de ceux que l’on observe chez les sujets d’origine européenne avec une courbe en U :
 le risque de décès est le plus faible pour des IMC compris entre 22,6 et 27,5 ;
 il est multiplié par 1,5 environ au-delà d’un IMC de 35 ;
 il est multiplié par 2,8 environ en dessous d’un IMC de 15.

Cette surmortalité pour les obésités et les maigreurs excessives apparaît liée à un accroissement des décès par cancer, par maladies cardiovasculaires et surtout par les autres causes habituelles de mort, notamment les maladies respiratoires. Elle a concerné les hommes comme les femmes, les fumeurs (ou les anciens fumeurs) comme les non fumeurs.

Comme pour les sujets d’origine européenne, la majoration du risque de décès observée pour les IMC bas (supérieure à ce qui est constatée chez les occidentaux) semble bien être un phénomène réel et ne pouvoir être expliquée par des facteurs de confusion ou par une causalité inverse.

La surprise indienne

En revanche pour les populations indiennes et bengalis, la relation IMC mortalité apparaît bien différente (voir figure).

Figure 1.
Associations entre IMC et mortalité de causes spécifiques
(maladies cardiovasculaires MCV, cancers et autres causes)
dans deux populations asiatiques en Asie de l’Est
(Chinois Japonais, Coréens) et en Inde et au Bengladesh

Si comme pour les asiatiques de l’Est on constate une surmortalité chez les sujets ayant un IMC inférieur à 20, contre toute attente, il n’y a pas d’excès de décès en cas de surpoids et même en cas d’obésité avérée. Cette absence apparente d’influence de l’excès pondéral sur la mortalité s’observe pour les décès par cancer, par maladies cardiovasculaires et par les autres causes habituelles de mort notamment les maladies respiratoires.

Comment pourrait-on expliquer ce phénomène surprenant. Si l’on exclut des erreurs méthodologiques spécifiques aux études ayant porté sur les indiens et les bengalis qui paraissent peu vraisemblables on ne peut qu’évoquer des hypothèses :

 Le surpoids serait associé à un statut socio-économique élevé en Inde et au Bengladesh et donc à un meilleur accès aux soins. Mais ce phénomène a été écarté, au moins partiellement, grâce à un ajustement par les indicateurs socio-économiques.
 Les relations entre IMC et adiposité abdominale (qui serait un meilleur indicateur de risque) seraient différentes dans ces populations pour des raisons ethniques.
 Des facteurs ethniques ou alimentaires protecteurs à déterminer, contrebalanceraient la majoration du risque liée au surpoids et à l’obésité.

Une piste pour faire la part entre ces différentes hypothèses consisterait à conduire une étude épidémiologique sur une population d’origine indienne vivant dans un pays occidental (la Grande Bretagne par exemple), en distinguant parmi eux les immigrants qui ont adopté le régime alimentaire européen et ceux qui restent fidèles aux habitudes culinaires indiennes.

La solution de cette énigme est loin d’être anecdotique. Elle permettrait tout d’abord d’adapter les conseils sanitaires pour une population dépassant largement le milliard d’habitants. Elle nous aiderait peut-être aussi à mieux comprendre les mécanismes par lesquels, dans une population donnée, certains obèses ont une longévité réduite tandis que pour d’autres celle-ci ne semble pas influencée par l’excès pondéral.

Dr Anastasia Roublev

Zheng W et coll. : Association between body-mass index and risk of death in more than 1 million asians. N Engl J Med 2011 ; 364 : 719-29.

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