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Bouquin : Ficher, filmer, enfermer, vers une société de surveillance ?

| fondation-copernic.org | jeudi 10 février 2011

samedi 12 février 2011

Livre coordonné par Evelyne Sire-Marin, éditions Syllepse

...de très vieilles ombres sont de retour et nous fixent sans trembler” Patrick Chamoiseau

Ce livre collectif tente de mettre la main au collet de la société de surveillance qui se profile en France, lois après lois. Une société de défiance issue de la concurrence mondialisée tente de se préserver de tout conflit et de prévoir tout risque social, en mettant à l’index les pauvres, les chômeurs et les étrangers. L’école, la justice, la psychiatrie, la prison, les services sociaux, et bien sûr la police, sont dévorées par la tentation sécuritaire, multipliant les fichiers, les relevés d’ADN, les vidéo-surveillances et autres bracelets électroniques. Les puces RFID et les réseaux sociaux gardent la trace de nos vies, de nos opinions et de nos passions. Le PDG de Google n’a-t-il pas récemment déé : "le développement des nouvelles technologies devrait faire renoncer au concept de vie privé" ?

Nous vérifions aujourd’hui les fulgurances de Michel Foucault sur l’histoire de la société disciplinaire. Le panopticum, plan architectural du monastère et des prisons de l’âge classique, où chacun pouvait être vu de tous, semble dessiner le projet d’architecture sociale de la France de la dernière décennie. En annexe de ce livre, un tableau des dernières lois de surveillance, démontre mieux qu’un long exposé l’état de déréliction des libertés, aujourd’hui en France.

Il ne s’agit pas seulement de surveiller, mais aussi de classer les êtres humains en populations utiles et inutiles, qu’on peut alors discriminer et éliminer socialement.

Les expulsions massives de Roms l’ont dévoilé en été 2010. Derrière des rafles policières dans les camps de nomades, et bien avant les expulsions effectives de femmes et d’enfants, il y a eu des fichiers et des circulaires organisant le travail de la police, émanant du pouvoir politique.

Des fichiers, comme le fichier MENS de la gendarmerie (Minorités ethniques non sédentarisées), qui énumèrent les noms des familles de gens du voyage, les recensant en gitans, manouches, roms, et les classant par “spécialité”, vol à la tire, vol au distributeurs de billets, proxénétisme, trafic de véhicules.

Des circulaires, comme l’incroyable circulaire du 5 août 2010 du Ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, qui ordonnait l’expulsion des roms en tant que communauté, et non pas, comme cela aurait été légal, de tout occupant irrégulier de terrains communaux.

Des politiques, comme Brice Hortefeux, déjà condamné pour injure raciale et cependant toujours Ministre de la République, qui, bien qu’il soit entouré de services de renseignements, n’était, selon lui, pas informé de l’existence de ce texte profondément contraire à nos principes constitutionnels. Ou comme Eric Besson, le Ministre de l’Immigration et de l’identité nationale, qui s’est félicité en août 2010, de la mise en place de la biométrie dans le fichier OSCAR (Outil de statistique et de contrôle de l’aide au retour) créé par un décret du 26 octobre 2009, pour collecter des données (photographie numérisée du visage et empreintes des dix doigts), tant pour le bénéficiaire de l’aide au retour que pour ses enfants dès l’âge de 12 ans.

Cela ne fera qu’un fichier de plus alors que les nomades sont astreints en France à posséder un livret de circulation, ayant remplacé le carnet anthropométrique, qui servit aux autorités de collaboration pour acheminer les tziganes vers les camps de concentration.

Ce livre tente, comme tous les travaux de la Fondation Copernic, d’être une passerelle entre différents savoirs, différentes analyses, différentes organisations, différents auteurs. Mais il se veut surtout l’écho de différentes mobilisation, celles de la Ligue des Droits de l’Homme pour le pacte citoyen pour les droits, de DELIS (Droits et Libertés face à l’Informatisation de la Société) contre la société de surveillance, de l’appel des appel autour de la marchandisation des métiers du social et de la santé et de la Fondation Copernic, “pour remettre à l’endroit ce que le capitalisme a mis à l’envers”.

Mais il s’agit aussi de faire se rencontrer des mondes professionnels fonctionnant le plus souvent en monades, juristes, psychanalystes, scientifiques ou philosophes.

Jean-Claude Vitran, membre du Bureau National de la Ligue des Droits de l’Homme dresse un bilan exhaustif des technologies de surveillances. Son texte détaille les techniques d’informatisation, de fichage, de video-surveillance, de profilage, de géolocalisation et de biométrie, tant publiques que privées. Tentant une définition du contrôle social, il rappelle que jamais les révolutionnaires de 1789 ne mentionnent la sécurité dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 ; l’article II affirme seulement que la sûreté est un droit naturel et imprescriptible. La sûreté n’est pas du tout la sécurité, prônée aussi bien par la loi sécurité quotidienne du socialiste Daniel Vaillant ou par la loi sécurité intérieure du populiste Nicolas Sarkozy, tout deux Ministres de l’Intérieur. La sûreté, comme le dit Robert Badinter, c’est l’assurance pour le citoyen que le pouvoir de l’Etat ne s’exercera pas sur lui de façon arbitraire et excessive. Jean-Claude Vitran souligne donc l’inversion politique et intellectuelle du concept sécuritaire qui justement s’applique sur les individus de façon arbitraire et excessive.

Roland Gori, Psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique, fondateur de l’appel des appels, dans un article lumineux, livre sa réflexion philosophique sur la norme. Il décrit la médicalisation de l’existence, et la transformation de la médecine en biopouvoir dans le cadre de l’économie capitaliste. Il montre comment la modification constante des normes biologiques, hypertention, ostéoporose, dépression..., conduit chaque individu à pratiquer une surveillance sociale médicalisée de lui-même, pour le plus grand bénéfice des laboratoires pharmaceutiques. Aujourd’huil les “dys”, dysfonctionnants de toutes sortes (dyslexiques, dysphoriques, etc), ont remplacé les malades, d’où le titre de l’article “la traque des dys”. Les troubles se sont substitués aux symptômes, participant en médecine et en psychiatrie, de cette confusion totale entre normal, pathologique, et anomal. L’anomalie n’est plus un fait clinique, mais elle devient le signe d’une différence normative suspecte qu’il faut dépister et contrôler en permanence. Ce n’est plus tant la maladie mentale qui intéresse la psychiatrie, mais le petit peuple des “anormaux”. Ce n’est plus tant le criminel qui intéresse la justice, mais les déviants, ceux qui commettent des incivilités.

Julien BACH, haut fonctionnaire, retrace dans un article très documenté l’histoire du droit des prisonniers. Citant de nombreuses décisions des justices administratives et judiciaires françaises, et de la justice européenne, il souligne le contraste entre la réalité de la condition des détenus, humiliante et misérable, et les normes juridiques. Ainsi, parmi de nombreux exemples, le droit à l’encellulement individuel est proclamé depuis une loi du...5 juin 1875, mais les détenus s’entassent toujours, parfois à quatre dans la même cellule, puisque le taux d’occupation de certaines prisons est de 200%. Si les prisons françaises sont une honte pour la République, l’auteur souligne qu’il existe cependant une pression croissante de la part des juridictions, et surtout de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, pour sanctionner les états qui ne respectent pas la dignité des hommes en prison, leur droit à une vie familiale et leur droit au travail. Un récent arrêt de la Cour Européenne confirme son propos, puisque la France vient d’être condamnée le 12 octobre 2010, dans un arrêt Brusco, pour la non conformité de son régime de garde à vue à l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ( Droit à un procès équitable).

Odile Morvan et A-M Alléon, psychanalyste et psychiatre, décrivent la réalité quotidienne des soins en psychiatrie, les patients entravés, les réhospitalisations qui se multiplient après des séjours de courte durée et le fichage systématique des malades. Elles constatent que la souffrance devient une arme politique, à travers l’utilisation de la souffrance des victimes, alors qu’elle était jusqu’ici une affaire individuelle. Dans le climat de peur qui est sans cesse alimenté par le gouvernement,les populations sont dressées les unes contre les autres, utilisant la binarité victime/bourreau. Les auteurs réfléchissent autour de la dangerosité et du fichage en psychiatrie, questions réactualisées par le projet de loi sur les soins sous contrainte, qui crée une obligation de soins en ambulatoire. Mettant en oeuvre les déclarations du discours d’Antony du Président de la République du 2 décembre 2008 sur la dangerosité psychiatrique, le projet prévoit que le patient sera surveillé hors les murs de l’hopital, à l’opposé du climat de confiance nécessaire aux soins, comme le dénonce l’appel “Mais c’est un homme”.

Enfin, Evelyne Sire-Marin, magistrat et membre de la Fondation Copernic, montre, à partir de son expérience judiciaire, comment le droit pénal s’étend, bien au delà du domaine habituel de la justice, à la surveillance des “classes dangereuses”. Si l’on parle ici de société de surveillance, c’est que l’état ne se borne plus à utiliser ses forces régaliennes, police, justice, armée, pour réprimer le désordre social et punir les actes réels de délinquance. En réponse au chômage de masse, l’état sécuritaire a remplacé l’état social. Le champ pénal et la surveillance ont débordé le domaine de la justice. La mission de celle-ci était de sanctionner des infractions matérielles dont la réalité est prouvée. Mais pour l’état sécuritaire, le risque de délinquance, le danger virtuel suffisent et justifient un "ordre mobile", selon le terme édifiant du programme de l’UMP lors de l’élection présidentielle). L’école, la psychiatrie, les services sociaux sont dévorées par la tentation sécuritaire qui cherche à identifier et à contenir des dangers errants et virtuels.

Pour cet “ordre mobile”, la surveillance s’étend infiniment dans le temps et dans l’espace. Dans le temps, car les délais de prescription des infractions s’allongent, et la durée d’inscription sur les fichiers policiers va désormais de 20 à 40 ans, créant une présomption permanente de culpabilité.

La surveillance s’étend dans l’espace, avec les bracelets électroniques, la biométrie, la video surveillance, la téléphonie mobile. Mais c’est aussi dans les esprits que s’insinue la société de surveillance, alors qu’une police de la parole finit par dominer le discours public, et notamment celui du Président, parlant de racailles, de nettoyage au Kärcher, et de “guerre nationale aux délinquants d’origine étrangère”.

Après avoir dressé le bilan calamiteux de cette politique, qui échoue à lutter contre la délinquance, qui désorganise la police et la justice, E Sire-Marin énonce de nombreuses propositions alternatives en matière de fichage, de video surveillance et de protection des données personnelles.

Un historique des dernières lois de surveillance est annexé à l’ouvrage.


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