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Mettons un terme à l’homophobie d’Etat

Caroline Mecary | lemonde.fr | 1er février 2011

jeudi 3 février 2011

Par un hasard du calendrier judiciaire, deux décisions importantes concernant la manière dont notre société traite les lesbiennes et les gays ont été rendues le 28 janvier. D’une part, la cour d’assises de Créteil (Val-de-Marne) a condamné les quatre agresseurs de Bruno Wiel pour tentative d’homicide volontaire, actes de torture et de barbarie (notamment le viol avec un bâton et les brûlures de cigarette) avec la circonstance aggravante que les faits ont été commis en raison de l’homosexualité.

Les peines prononcées vont de seize à vingt ans de réclusion. Le procès a été remarquable, par la qualité du travail des policiers, du juge d’instruction et de l’audience devant la cour d’assises, où chacun a pu s’exprimer. Il est avéré que Bruno Wiel a été choisi parce que, au départ comme dans tous les crimes crapuleux, les auteurs s’en prennent à des victimes faibles ou supposées faibles : les femmes, les vieux et... les homosexuels, qui sont perçus, aux travers des poncifs habituels comme efféminés. Un gay, ce n’est pas un homme, c’est une femmelette, une tapette, il n’est pas rangé dans la catégorie homme mais assimilé à une femme, donc il est supposé faible. Une victime choisie donc en raison de cette supposée faiblesse, choisie parce que homosexuelle, choisie pour ce qu’elle est.

L’arrêt rendu par la cour d’assises marque un tournant dans la nécessaire répression des actes homophobes, mais il n’est toutefois pas suffisant pour stopper l’homophobie, car il n’arrête que les agresseurs de Bruno Wiel. Or il y a 3 millions d’homosexuel(le)s en France, qui sont, à tout moment, susceptibles d’être victimes de tels actes, car ils sont toujours, en 2011, considérés comme des « sous-citoyens ».

Cette situation perdurera tant qu’existera cette homophobie d’Etat, qui ne dit pas son nom : celle qui laisse perdurer les inégalités résultant de la loi, notamment en matière de mariage. C’est le sens de la décision QPC (question prioritaire de constitutionnalité) rendue le même jour par le Conseil constitutionnel. En refusant aux homosexuel(le)s qui le désirent l’accès au mariage, l’Etat et ses institutions accréditent dans l’imaginaire collectif que les lesbiennes et les gays sont des citoyens de seconde zone : ils n’ont pas accès aux mêmes droits et aux mêmes devoirs, c’est donc qu’ils valent moins que les hétérosexuels, qu’ils sont inférieurs.

Le Conseil constitutionnel, qui était saisi de cette question dans le cadre de la nouvelle procédure de QPC, qui permet à tout citoyen, dans le cadre d’un procès, de demander à ce que la conformité d’une loi à la Constitution soit vérifiée, a raté une occasion historique d’entrer dans l’Histoire en mettant fin à cette inégalité. Plaidant devant lui, je lui ai demandé de mettre fin à la discrimination, qui résulte de la loi, et de dire et juger que cette loi (deux articles du code civil) était contraire à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme, qui déclare que « tous les hommes naissent et demeurent égaux en droit ».

Je l’ai aussi invité à suivre l’exemple de la Cour suprême du Canada, qui en 2004 a jugé non conforme au principe d’égalité constitutionnel la loi canadienne définissant le mariage comme étant uniquement l’union d’une femme et d’un homme.

Le Conseil constitutionnel a rejeté la QPC. Il a botté en touche et renvoyé au législateur. Ce faisant, il prit une décision, qui n’est pas juridique, mais politique. Il a choisi de vider de sa substance la procédure de QPC, qui a toujours pour objet de vérifier la constitutionnalité d’une loi et dès lors ne peut concerner que le champ du législateur. S’il avait rendu une décision juridique, fondée sur la nouvelle procédure de QPC (en constatant très simplement que l’article 1er de la Déclaration de 1789 était violé - les couples homo et hétéro sont dans une situation de fait similaire, ils doivent recevoir un traitement juridique similaire, à l’instar de ce qui existe dans neuf pays européens, qui ont ouvert le mariage), alors il aurait fait reculer l’homophobie d’Etat et il aurait envoyé à la société française tout entière un symbole d’une force incroyable : tous les hommes sont égaux en droit, y compris s’ils sont homosexuels. Il est clair que désormais, selon le domaine de la QPC, le Conseil constitutionnel s’arrogera le droit de recevoir ou de rejeter la QPC en fonction de critères bien peu juridiques : il a encore du chemin à faire pour devenir une cour véritable Cour suprême.

Quoi qu’il en soit, il appartient désormais au législateur, c’est-à-dire aux femmes et aux hommes politiques, de changer la loi. Il est peu vraisemblable qu’une telle initiative puisse venir de l’UMP, majoritaire à l’Assemblée et au Sénat (même si ce dernier peut basculer à gauche en septembre, encore qu’il faille pour cela choisir les bons candidats). Il faudra donc attendre vraisemblablement l’échéance politique de 2012, car, si la gauche gagne la présidentielle, il sera mis fin à cette inégalité de droit, qui participe de l’homophobie.

En attendant cet hypothétique avènement, la Fondation Copernic a recueilli l’engagement de tous les partis de gauche d’ouvrir le mariage et l’adoption aux lesbiennes et aux gays ; elle entend désormais sans plus attendre lancer une grande campagne de mobilisation « Homos, hétéros, mêmes droits même loi », afin de mettre un terme à l’homophobie d’Etat.

Caroline Mecary, avocate au barreau de Paris, coprésidente de la fondation Copernic

* Article paru dans lemonde.fr, édition du 02.02.11. | 01.02.11 | 13h13 • Mis à jour le 03.02.11 | 09h15.

Mis en ligne le 3 février 2011


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