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Livret A : 30 milliards pour les banques, qui en redemandent

Emmanuel Lévy | marianne2.fr | Mercredi 26 Janvier 2011

mercredi 26 janvier 2011

Depuis 2009, sous le patronage du banquier François Pérol, alors conseiller de l’Elysée, les banques peuvent distribuer les livrets A. Elles conservent 30 milliards d’euros censés financer les PME. Confrontées à de nouvelles obligations réglementaires, celles-ci lorgnent sur les milliards encore centralisés à la Caisse des dépôts et qui financent le logement social. Le décret fixant les nouvelles règles fait l’objet d’une guerre feutrée

Dessin : Louison

« Fifty-fifty » ! François Pérol, le sémillant patron de la Fédération bancaire française n’a pas oublié son passage au sein du premier cercle des conseillers de Nicolas Sarkozy. Redevenu banquier par la grâce présidentielle, il veut appliquer aux 265 milliards d’euros, déposés sur les Livrets A et Livret de développement durable (LDD), la règle simple et en apparence équilibrée que, celui qu’il se targue d’imiter si bien, avait formulée pour le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux.

A le suivre, ces fonds devraient pour moitié aller à la disposition des banques et pour son autre moitié financer le logement social via la Caisse des dépôts et consignations (CDC), « cette machine à transformer l’épargne des Français – dont François Bloch-Lainé disait qu’elle permettait de transformer « des liquidités en barrages » et qui permet surtout aujourd’hui de les transformer en « briques » », comme la désigne Augustin de Romanet, son directeur Général. Des briques en dur, que François Pérol a permis de transformer en cash.

C’est le dernier épisode d’une guerre à peine feutrée opposant les banquiers qui lorgnent sur ces milliards et la CDC, soutenu par Thierry Repentin ; président de l’Union des sociétés d’HLM. Dans les pas de François Pérol, même si il le conteste, « je ne suis pas venu devant vous pour défendre les banques », ce fut au tour de Christian Noyer, le gouverneur de la banque de France, de venir plaider la cause des banquiers devant la commission des finances de l’Assemblée.

Car le temps s’accélère. Le gouvernement doit impérativement trancher dans les prochains jours. Et fixer le fameux décret organisant le partage de la manne. Dans son premier canevas, rejeté par la Commission de surveillance de la CDC, mercredi dernier, le décret prévoit de fixer à 65% la part des fonds restants à disposition de la CDC. « Inacceptable », pour Michel Bouvard. Le député UMP de Savoie, par ailleurs président de la commission de surveillance rappelle que Christine Lagarde, le ministre de l’économie, « s’était engagée sur un plancher de 70 % en 2008 ». Et du sol au plafond, il n’y a qu’un pas. Car ce qui fut un minimum est en passe de devenir un maximum, sur lequel les députés comme la CDC s’apprêtent à transiger.

Mieux, ils seraient prêts à ce que ce taux soit atteint graduellement en 2016.

Du cash, et du pas cher

Il faut dire que l’effort pour les banques est à la mesure de l’intense lobby qu’elles font peser sur Bercy. Car leur gourmandise naturelle pour ces fonds de bonne qualité et pas chers -le livret A, c’est du quasi cash bon marché - s’est soudainement accru.

La crise financière dont elles furent à l’origine n’a pas totalement laissé de marbre l’instance internationale chargée de la régulation du secteur. Ridiculisée, dépassée par la sophistication financière qu’elle a laissé s’épanouir, cette autorité basée en Suisse est en passe de faire payer aux banques son discrédit. Les normes de solvabilité, dîtes Bâle III, telles qu’envisagées obligent les banques à placer d’avantage de fonds propres en face de leurs engagements. Selon les travaux du comité de Bâle, pour faire face aux prêts qu’ils accordent d’une main, les établissements financiers devront avoir dans l’autre main 100% des fonds qu’ils pourraient perdre dans une crise identique à celle de 2007.

Un taux de couverture de 100% : à ce jeux là, il devient plus compliquer de faire l’apprenti sorcier. Et les banques françaises qui se sont targuées de leur bonne santé sont gros-jean comme devant. Dans son édition du mardi 25 janvier, le journal Les Echos cite un banquier : « pour certaines banques (ce taux est) autour de 20% ». Ce sont donc des dizaines de milliards d’euros que les banques hexagonales vont devoir trouver et rapidement. Et de deux chose l’une : soit les actionnaires mettent la main à la poche, en augmentant les fonds propres, soit les banques trouvent des ressources nouvelles…

Quand on sait que la première solution fait baisser le rendement des actions, on comprend vite l’appétit des banquiers pour les noisettes du livret. « La centralisation de la collecte du livret A et du LDD ne doit pas devenir une variable d’ajustement au regard des nouvelles règles de Bâle », dénonce Michel Bouvard.

« On a bien compris que les banques avaient un problème avec Bale III, explique Jean-Pierre Balligant, député PS de l’Aisne et également membre de la commission de surveillance de la CDC. C’est d’ailleurs clairement leur dernier argument en date pour demander une part accrue de la ressource des livrets. Mais je rappelle que ces fonds sont de l’argent public. La non fiscalisation de leurs intérêts est la contrepartie d’une politique publique. C’est par nature le cas pour le financement du logement social. C’est bien moins clair pour le financement des PME, au nom duquel les banques ont déjà arraché un morceau de la ressource. Aller plus loin, ce serait un hold-up. »

Imbroglio statistiques

Car les banques n’en sont pas à leur coup d’essai. En plus de la libéralisation de la distribution du Livret A (réclamée par Bruxelles), jusque là réservée à l’Ecureuil, au Crédit Mutuel et à la Poste, elles se sont déjà assurées en 2008 une part du gâteau (non réclamée par Bruxelles). Sous couvert de financer les PME, une partie des fonds des Livrets A ouverts à leurs guichets peut demeurer à leur bilan aux cotés des fonds issus des LDD dont elles avaient historiquement la charge.

A la date du 4 août, cette somme atteignait les 64 milliards d’euros. Sans compter la petite gâterie de 9,5 milliards ponctionnés sur la CDC fin 2008, au titre du plan de relance, et elle aussi destinée à financer les PME. Une sorte de 4 août à l’envers, ce jour d’été 2008 où elles obtinrent le privilège de conserver un peu de cet argent public.

Pour rendre le tableau favorable aux banques, le rapport de l’Observatoire de l’épargne réglementée fait débuter ses observations à la fin du dernier trimestre 2008. Il fait ainsi l’impasse sur le transfert d’octobre 2008 de 9,5 milliards d’euros. L’observatoire peut ainsi conclure qu’entre le dernier trimestre 2008 et le dernier trimestre 2009, le taux de centralisation s’est certes réduit passant de 69,1 % à 66,4 %, mais les fonds encore dans les caisses de la CDC progressent eux de 163,5 milliards à 169 milliards d’euros. En faisant débuter ses observations un trimestre auparavant, le résultat aurait été tout autre : il y avait 174 milliards d’euros, pour un taux de centralisation de 73 %.

Résultat : entre août 2008, et fin 2010, pas moins de 30 milliards d’euros supplémentaires innervent désormais leurs comptes. Les établissements bancaires auront ainsi capté la totalité de l’augmentation de cette épargne sur les deux dernières années. Une petite bouffée d’argent frais qu’ils rémunèrent une bouchée de pain, et qu’ils ne prêtent ensuite aux PME qu’au compte goûte et à des taux très substantiels. Entre fin 2008 et fin 2009, leurs encours de prêts aux PME n’a progressé que de 6 milliards.

Au total, les adhérents de la FBF contrôlent donc près 93,5 milliards sur les 265 milliards déposés sur les LDD et les livrets A, ainsi que le montre une note de Bercy.

François Pérol, grand gagnant

J’y suis, j’y reste : ces 93,5 milliards d’euros rapportés aux 265 milliards d’euros d’encours total donnent bien un taux de 65% de conservation pour la CDC. D’où la proposition du gouvernement qui permettrait aux banques de ne pas reverser d’argent à la CDC. Pour celles qui verraient émerger un taux de 70 % d’ici 2016, elle assurerait un passage sans douleur, les nouvelles collectes venant faire le joint.

En revanche, que ce taux soit abaissé à 50% et ce sont 40 autres gros milliards qui iraient directement dans les poches des banques.

En attendant, et dans tous les cas, le principal gagnant de ce système est… l’Ecureuil. Contrairement à la Poste qui absente du marché du crédit aux PME, a du rendre la totalité des fonds, l’autre acteur historique du livret A, les Caisses d’Epargne, a fait une belle affaire. L’établissement dont François Pérol prend la tête en février 2009, a pu constater à son bilan 13 milliards d’euros supplémentaires de fonds propres issus des Livret A.

De quoi mettre du beurre dans les épinards du groupe Banques Populaires-Caisses d’Epargnes (BPCE) qui en avait bien besoin. Au bord du précipice, le groupe dont la fusion fut pilotée par François Pérol, alors banquier d’affaires chez Rothschild puis conseiller du Président, avait un besoin impératif de fonds propres pour colmater les pertes, notamment constatées sur les subprimes, de sa filiale Natixis.

Qu’importe donc la question de déontologie, on se souvient de l’épisode où François Pérol s’est joué de la commission éponyme, sa nomination à la tête de la BPCE a tout les atours d’un bon bon gros bonus pour bonne assistance de banque en danger. Et là pas question de partager « Fifty-fifty ».


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