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Tunisie : une partie de l’armée refuse la répression

Pierre Puchot | mediapart.fr | 10 Janvier 2011

mardi 11 janvier 2011

C’est un tournant. Jamais, dans l’histoire de la Tunisie, le pays n’avait affronté une telle remise en cause du pouvoir du président Ben Ali ni une telle répression. Ce lundi, le pays ne parlait que de la répression menée par les forces de l’ordre tunisiennes depuis samedi soir autour de la ville de Kasserine, dans le centre-ouest, à quelque kilomètres Sidi Bouzid, là où tout a commencé le 17 décembre, avec le suicide de Mohammed Bouazizi, jeune diplômé au chômage.

Alors que les manifestants continuent de descendre dans les rues aux quatre coins du pays, au moins 24 personnes sont mortes sous les balles des policiers dans les environs de Kasserine et de Regueb depuis samedi 8 janvier. Lundi, au moins quatre personnes ont trouvé la mort au cours des manifestations, dont le jeune Adel Sadaoui, selon plusieurs témoins et l’avocat Amar Jabali.

Contacté par Mediapart à la mi-journée, Amar Jabali nous a fait le récit suivant : « À midi ce lundi, un cortège de plusieurs centaines de personnes, conduit par un collectif de 46 avocats grévistes dont je fais partie, se dirigeait vers le quartier populaire de Aïzou, encerclé par la police, et d’où sont issues les quatre victimes tuées par balles ce matin. Dispersée par les gaz lacrymogènes, la foule s’est ensuite scindée en petits groupes. » Rappelé une heure plus tard l’avocat a poursuivi son récit : « Vous entendez les tirs là ? Ce sont les policiers qui font feu. Les ambulances circulent sans arrêt. Nous nous sommes réfugiés devant le tribunal, mais j’ai égaré la moitié de mes confrères dans la bousculade. C’est l’insurrection ici, je n’ai jamais vu ça. »

En fin de journée, toujours selon l’avocat, les rues de Kasserine se vidaient peu à peu, à mesure que les forces de police cédaient la place au déploiement des militaires. Depuis trois jours, tous les magasins, bureaux et représentations officielles demeurent fermés.

Depuis le palais présidentiel, ce « climat insurrectionnel » de la région de Kasserine paraît sans doute bien lointain. Après une première intervention le 28 décembre, le président Ben Ali s’est une nouvelle fois adressé aux Tunisiens ce lundi à 16h : « La Tunisie n’est pas moins bien lotie que les autres Etats en matière de chômage, qui n’est pas seulement un problème tunisien, a-t-il expliqué. Il reste aux fauteurs de mensonges, aux terroristes, de cesser de fomenter des troubles contre la Tunisie, contre leur pays. Contre ces gens-là, ces groupes extrémistes, l’unique solution passe par la loi. »

Outre « de nouveaux efforts pour le développement régional » et « la tenue d’un forum pour l’emploi le mois prochain, si Dieu veut », le président a appelé les partis à « consulter le peuple ». Il a également promis la création de « 300.000 emplois » d’ici 2012, sans que l’on sache très bien comment le gouvernement compte s’y prendre, ni quels seront les moyens mis à sa disposition, en dehors de 3,5 milliards d’euros déjà promis dimanche par le porte-parole du gouvernement, dans un pays où plus de 55% des diplômés de l’université pointaient au chômage fin 2008.

En somme, une intervention présidentielle de 13 petites minutes, complètement déconnectée de la réalité du terrain. « Nous sommes atterrés, souffle Amar Jabali. Il a répété la même chose que le 28 décembre, il cherche à gagner un peu de temps, à diviser les manifestants, et nous promet toujours plus de violence. Il n’a même pas condamné les meurtres de manifestants ! » Les avocats de Kasserine ont notamment voté ce lundi la reconduction de la grève, et manifesteront demain toute la journée devant le tribunal, entre 9h et 18h.

Lundi soir, les Tunisiens restaient encore sous le choc de la violence des dernières 48 heures, face à des policiers qui n’entendaient pas les laisser enterrer leurs morts en paix.

Selon les témoignages de membres de l’opposition locale recueillis par Mediapart, la police a fait feu dimanche sur les cortèges funéraires à Regueb et Kasserine, tuant notamment un enfant de 8 ans. Si bien qu’à Regueb, les habitants auraient demandé l’aide de... l’armée, pour les protéger des policiers.

À Thala aussi, l’avocate Mounia Boualila raconte à Mediapart comment la municipalité a demandé la protection des militaires, après que la police s’est livrée à plusieurs actes de violences et d’intimidations, comme ce fut le cas dans la nuit de dimanche à lundi avec l’évacuation forcée du dortoir du collège-lycée local.

L’avocate, qui évoque un bilan de 9 morts depuis samedi soir à Thala, expliquait lundi en fin d’après-midi que les policiers « séquestrent toujours trois cadavres de manifestants tués cette nuit-là dans le poste de police. Nous tentons de négocier avec eux, mais ils ne veulent pas nous rendre les corps, sans doute pour que nous ne voyions pas dans quel état ils sont après leur arrestation survenue samedi. La police a également tenté de récupérer les corps des cinq autres victimes tuées par balles, et menacé les cortèges qui se dirigeaient vers le cimetière. Les soldats ont tenté de raisonner les policiers, nous avons discuté, et finalement nous sommes parvenus à les enterrer discrètement. Il reste toujours un mort à l’hôpital, gardé par les policiers, que l’on n’arrive pas à identifier, et que l’on ne peut approcher. »


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