Accueil > 2010 > décembre > Les comptes de Banier, de la Suisse au Liechtenstein

Les comptes de Banier, de la Suisse au Liechtenstein

Nicolas Beau | bakchich.info | lundi 27 décembre

lundi 27 décembre 2010

Combines /

Les investigations de magistrats suisses ont permis de découvrir l’existence de versements effectués par Liliane Bettencourt vers deux comptes appartenant à son ami photographe. Ce qu’Eric Woerth ne pouvait ignorer.

La commission rogatoire internationale (CRI) envoyée en Suisse par le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, avant qu’il soit dessaisi du dossier Bettencourt, n’aura pas été tout à fait infructueuse.

Le juge suisse chargé de cette CRI a d’abord mis au jour les montages financiers qui ont permis à Liliane Bettencourt d’acheter la fameuse île d’Arros en 1999, puis de la revendre en 2006 à une fondation située au Liechtenstein. À l’évidence, la milliardaire française a échappé ainsi deux fois à l’impôt qu’elle aurait normalement dû payer lors de chacune de ces transactions.

Mais l’essentiel n’est pas là. Les investigations des magistrats suisses ont permis, apprend-on à Genève de source judiciaire, de découvrir l’existence de versements effectués par Liliane Bettencourt vers deux comptes appartenant au photographe François-Marie Banier.

François-Marie Banier
Dessin d’Oliv’

Cette découverte est capitale. Elle conforte le scénario qu’ici, à Bakchich, nous avons tenté de révéler. La faute d’Éric Woerth, dont la femme Florence est embauchée par Liliane Bettencourt à la fin de 2007, n’aura pas été de faire décerner, au début de 2008, une Légion d’honneur à Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de la milliardaire. De toute façon, ce dernier avait exactement le profil pour recevoir une telle décoration ; un de ses collaborateurs l’avait même obtenue avant lui ! Et l’embauche de Florence Woerth pour la coquette somme de 200 000 euros par an n’était pas nécessaire pour une si maigre compensation.

Non, la responsabilité d’Éric Woerth pourrait être autrement plus grave : le ministre du Budget qu’il était a tout fait pour étouffer les investigations fiscales qui avaient débuté à la fin de 2007 sur la fortune du photographe François-Marie Banier, l’intime de Liliane Bettencourt.

Et si Éric Woerth a agi ainsi (sur ordre ?), c’est parce que de telles enquêtes auraient immanquablement mis au jour les petits arrangements fiscaux de l’héritière de L’Oréal, accessoirement une très généreuse donatrice de l’UMP.

Woerth étouffe l’affaire

Dès le début de 2008, Bakchich révèle qu’un compte au nom de Banier figure sur le fameux listing de 200 comptes situés au Liechtenstein et livré au ministère des Finances à la fin de 2007.

Aussitôt, le dossier fiscal du photographe est transféré de la perception du VIe arrondissement de Paris à la Direction nationale des vérifications des situations fiscales. Sous ce sigle se cachent les plus fins limiers du fisc, connus pour passer au scalpel les fortunes des particuliers. S’ils avaient poursuivi normalement leur enquête, ces redoutables investigateurs auraient alors découvert les combines entre Liliane et François- Marie. Or il n’en fut rien.

Car, pour Woerth et l’Élysée, il y a subitement le feu au lac. Pas question d’exposer la vieillesse tranquille de la richissime Liliane Bettencourt via des enquêtes sur son si gourmand photographe préféré. Interrogé, en juillet 2010, par l’Inspection des finances sur l’existence d’un compte appartenant à Banier au Liechtenstein, Éric Woerth fournit une lettre de sa main où il indique que jamais, au grand jamais, un tel compte n’a existé. L’Inspection des finances se contente de cette attestation…

Un mois auparavant, lorsqu’il répond aux questions de Jean-Michel Aphatie sur RTL, les explications du ministre du Budget sont nettement plus embarrassées. Moins nettes.

– Jean-Michel Aphatie : « Connaissiez-vous les noms des personnes qui avaient un compte au Liechtenstein ? »

– Éric Woerth : « Nous avions… Je ne connaissais pas… Je n’en sais rien. Je n’ai jamais regardé les listes, cela ne m’intéresse pas. »

Quelques instants plus tard, et alors qu’Aphatie revient à la charge et lui redemande s’il a vu les noms inscrits sur le fameux listing, Éric Woerth se contredit : « J’ai vu les noms, bien sûr. »

– J.-M. A. : « Et Banier y figurait ? »

– É. W. : « Je n’ai pas à répondre à cela, je n’ai pas à répondre à cela. »

Chronologie falsifiée

À l’époque, Éric Woerth fournit à la presse une tout autre version. Selon lui, un contrôle fiscal a bien eu lieu sur la situation de François-Marie Banier en mars 2009, mais pas en 2008, comme Bakchich l’a écrit. Et, évidemment, précise Woerth, ce contrôle s’est soldé par quelques broutilles.

Cette présentation est un leurre et la chronologie est falsifiée, comme le montre le rapport de l’Inspection des finances remis sur cette affaire à l’été 2010. Dans l’annexe 3 de leur travail, qui n’a pas été rendue publique mais dont Bakchich a pu prendre connaissance, les inspecteurs notent que le contrôle sur Banier démarre bien en 2008 et non en 2009. Hélas, leur curiosité n’ira guère au-delà de cette constatation chronologique…

Aujourd’hui, alors que mère et fille Bettencourt ont enterré la hache de guerre, les juges de Bordeaux désormais en charge de ce qui reste de cette enquête ont les moyens, grâce au zèle de la justice suisse, de revenir au cœur de ce vaste scandale d’État.

___


Voir en ligne : Les comptes de Banier, de la Suisse au Liechtenstein

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.