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Ce dont Wikileaks est le révélateur.

Raoul Marc Jennar | jennar.fr | 23 Dec 2010

jeudi 23 décembre 2010

La révolte citoyenne est-elle légitime dans un Etat démocratique ?
L’académicien Jean-Christophe Rufin en doute. Raoul Marc Jennar, militant altermondialiste lui répond.

Dans un très récente tribune (Le Monde, du 21 décembre, p.18), le romancier et ancien ambassadeur Jean-Christophe Rufin nous livre une analyse de l’évolution des mouvements citoyens depuis les années 1970. Il y voit trois âges d’une révolte : le premier est dominé par l’action humanitaire qui s’emploie à soigner partout les maux que les Etats infligent aux peuples ; le deuxième est celui des altermondialistes qui, au-delà des effets, s’attaquent aux causes ; le troisième, « fortement marqué par l’influence croissante des réseaux virtuels » est celui de la subversion virtuelle et de la radicalité écologique.

Cette mise en perspective débouche sur une conclusion qui doit retenir l’attention. « Quand la révolte citoyenne s’applique à l’Etat totalitaire, sa légitimité est difficilement contestable » écrit notre acamédicien. Mais il ajoute « Il en va tout autrement dans les Etats démocratiques. » Et de questionner « Jusqu’où le citoyen est-il fondé à aller contre l’Etat dans un régime démocratique ? A partir de quel seuil passe-t-on de la mobilisation utile à la menace contre le contrat social ? »

Mais il renonce à s’interroger sur les raisons pour lesquelles «  l’initiative citoyenne s’est constituée en cinquième pouvoir dans les démocraties » et préfère accuser « la dernière génération de mouvements citoyens que symbolise Wikileaks de présenter de ce cinquième pouvoir un visage extrême et inquiétant qui interroge sur ses limites. »

Pourquoi donc, en effet, depuis au moins quarante ans, des femmes et des hommes, pourvus du seul mandat que leur assigne leur conscience, se sont-ils d’abord substitués aux fautes des Etats, sur la scène internationale, mais aussi en interne (ex : les Restos du Coeur) ? Pourquoi se sont-ils ensuite mobilisés pour dénoncer la confiscation de la souveraineté populaire au profit d’institutions supranationales (FMI, Banque Mondiale, OMC, Union européenne) aux pouvoirs contraignants dont la fonction première est de livrer les peuples et la planète à la discrétion des firmes transnationales et des banquiers ? Pourquoi, aujourd’hui, se servent-ils des technologies de communication les plus performantes au moindre coût pour exprimer leur révolte contre les mensonges de ces institutions et des Etats qui les soutiennent, mensonges qui justifient guerres, invasions, occupations, privatisations, démantèlement des politiques publiques, atteintes aux libertés ?

N’est-ce pas plutôt la dilution des principes démocratiques, le recul de l’Etat de droit, la professionnalisation de la démocratie représentative, le mensonge érigé en méthode de gouvernement qui expliquent la formidable perte de confiance des citoyens dans les institutions dites démocratiques et qui constituent la principale menace contre le contrat social qu’invoque M. Rufin ? Une perte de confiance qui jusqu’ici s’est exprimée de deux manières : l’abstention lors des échéances électorales ou le soutien aux formations d’extrême-droite.

Ne convient-il pas dès lors de se réjouir de ce que les citoyens les plus attachés aux idéaux démocratiques privilégient des méthodes nouvelles de transgression de l’ordre établi et parviennent à montrer à la face du monde que le mensonge ça ne prend plus, que ce qui est présenté comme motivé par l’intérêt général ne sert en fait que des intérêts particuliers, que ceux qui ont la garde du contrat social ont renoncé ?

Ne convient-il pas dès lors de soutenir des vétérans en la matière comme le Monde diplomatique et le Canard enchaîné et leurs cadets que sont les animateurs de Fakir ? Ne convient-il pas de faire en sorte que les espaces devenus ténus d’une presse libre et indépendante comme Mediapart et Wikileaks soient défendus ?

Plus que jamais s’impose la formule de Montesquieu sur la nécessité d’opposer à tout pouvoir un contre-pouvoir. Et aujourd’hui face à la toute puissance du monde des affaires et de la finance, face au dévoiement de la démocratie par ceux qui devaient en être les gardiens, face au pouvoir des groupes médiatiques chargés de propager le prêt-à-penser néolibéral, un cinquième pouvoir s’impose. Celui des citoyens conscients et agissants. Ce n’est pas leur détermination qui présente un « visage extrême et inquiétant », M. Rufin. C’est ce à quoi ils s’opposent.


Voir en ligne : Ce dont Wikileaks est le révélateur.

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