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Le TTIP : Marché transatlantique UE-Etats-Unis
Raoul Marc Jennar - Noël Mamère - Martin Bernard - Thierry Brun | politis.fr - mediapart.fr - rue89.com - jennar.fr | lundi 3, mardi 11, samedi 15 & dimanche 16 juin 2013
dimanche 16 juin 2013
Le TTIP : la pire menace pour les peuples d’Europe (I)
Raoul Marc Jennar | jennar.fr | dimanche 16 juin 2013
Marché transatlantique UE-Etats-Unis : François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont dit oui
Thierry Brun | politis.fr | samedi 15 juin 2013
Marché transatlantique UE-Etats-Unis : le mandat explosif de la Commission européenne
Thierry Brun | politis.fr | mardi 11 juin 2013
Marché transatlantique : non à l’Otan de l’économie !
Noël Mamère | rue89.com/ | lundi 3 juin 2013
La marche forcée vers un grand marché transatlantique unifié
Martin Bernard | mediapart.fr/blog | lundi 3 juin 2013
sur le net
Marché transatlantique : le gouvernement nomme victoire la préparation de la débâcle !
Florian Philippot | frontnational.com | samedi 15 juin 2013
Grand Marché Transatlantique : transfert de la souveraineté européenne
yann | agoravox.fr | samedi 25 avril 2009
Le TTIP : la pire menace pour les peuples d’Europe (I)
Qui | jennar.fr | dimanche 16 juin 2013
TTIP, voilà un sigle nouveau auquel chacun doit se familiariser. Ce 14 juin, les gouvernements des 27 Etats membres de l’Union européenne (UE) ont donné mandat à la Commission européenne pour négocier avec le gouvernement des USA la création d’un marché commun transatlantique. Ce projet s’appelle, en anglais bien entendu, TTIP : Transatlantic Trade and Investment Partnership. En français, on parlera d’un partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement. Un décodage s’impose. De quoi s’agit-il ? Dans cette première partie, je vais m’efforcer de rendre public et lisible le texte du mandat. Dans une seconde partie, je fournirai des indications sur les dangers qu’il contient.
En dehors des peuples
Après le Parlement européen le 23 mai, les gouvernements viennent ainsi de donner le feu vert au Commissaire européen Karel De Gucht pour négocier ce projet au nom des 27 Etats (voir mon article du 29 mai, L’objectif ultime des libéraux de droite et de gauche : une Europe euro-américaine : http://www.jennar.fr/?p=2994). Que contient ce mandat ? Selon la volonté de la Commission européenne soutenue par les 27 gouvernements qui se prétendent démocratiques, ce document est « restricted », c’est-à-dire qu’il n’est pas public (en dépit d’une disposition qui affirme non sans humour que « rien dans cet accord ne devrait affecter le droit de l’UE ou des Etats membres concernant l’accès du public aux documents officiels »). Ce qui signifie qu’il ne peut y avoir aucun débat public sur les enjeux d’un projet qui, comme on va le voir, est d’une ampleur sans égale depuis la création du marché commun européen, en 1957. Mais nul ne doit s’étonner. Depuis le traité de Rome, des choix de société fondamentaux ont été effectués sans que le peuple ait eu la possibilité de se prononcer. Cinquante-six ans de « construction européenne » se sont traduits par un bon demi siècle de destruction démocratique.
Force est donc de travailler sur des documents qui résultent de fuites et d’indiscrétions, confirmées ou non par les informations toujours euphoriques diffusées par la Commission européenne. Ce qui permet quand même de connaître l’essentiel.
Plus que du simple commerce
Une mise en garde s’impose. Ne pas croire qu’il s’agit simplement de commerce, au sens classique du mot : acheter et vendre des marchandises. Il s’agit de bien plus. Il s’agit de supprimer certes les droits de douane, mais aussi et surtout ce qu’on appelle les « barrières non-tarifaires » au commerce, c’est-à-dire les normes constitutionnelles, légales, réglementaires dans chaque pays lorsqu’elles sont susceptibles d’entraver une concurrence érigée en liberté fondamentale suprême à laquelle aucune entrave ne peut être apportée. Ces normes peuvent être de toute nature : éthique, démocratique, sociale, environnementale, financière, économique,… Elles ne sont désormais pertinentes qu’à la condition de ne pas provoquer des « distorsions » de concurrence. C’est ce que s’impose l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Mais comme le démantèlement de ces normes doit chaque fois faire l’objet de négociations et que celles-ci sont bloquées à l’OMC par les pays du sud, les gouvernements de l’UE et celui des USA ont décidé de contourner l’obstacle en négociant directement entre eux. Le texte du mandat est explicite à cet égard : « l’accord doit prévoir la libéralisation réciproque du commerce et de l’investissement des biens et des services, ainsi que les règles sur des matières ayant un rapport avec le commerce, avec un accent particulier sur l’élimination des obstacles réglementaires inutiles. L’accord sera très ambitieux allant au-delà des engagements actuels de l’OMC. L’accord s’imposera à tous les niveaux de gouvernement. » Ce qui signifie, selon le mandat, que la négociation va aborder trois domaines : l’accès au marché, les réglementations et les barrières non tarifaires, les normes.
L’accès au marché
L’objectif est d’éliminer tous les droits de douane et les restrictions quantitatives tant en ce qui concerne les importations que les exportations des produits industriels et agricoles.
La négociation cherchera à concilier les approches européennes et américaines en ce qui concerne les critères permettant de déterminer l’origine d’un produit.
Dans le domaine des défenses commerciales, l’objectif est d’établir un dialogue sur les mesures anti-dumping et les subventions compensatoires.
Dans le vaste domaine des activités de services, la volonté est de maximiser les engagements de libéralisation, c’est-à-dire d’opérer une avancée significative dans la mise en œuvre de l’Accord général sur le commerce des services de l’OMC (AGCS). A cet égard, on peut craindre que l’accord intervenu à la conférence ministérielle de l’OMC à Hong-Kong en décembre 2005, et qui est gelé à l’OMC, serve de référence (voir http://www.jennar.fr/?p=799). Le mandat précise qu’un objectif sera de « lier le niveau existant de libéralisation des deux parties au plus haut niveau de libéralisation obtenu suite aux accords de libre-échange déjà conclus, tout en cherchant à atteindre de nouveaux accès au marché en éliminant les obstacles qui demeurent depuis longtemps. »
La Commission devra veiller à ce que l’accord n’empêche pas le respect des lois et règlements relatifs au travail et à la main d’œuvre « pourvu que ce faisant, ils n’annulent ou ne compromettent les avantages découlant de l’accord ». On énonce un principe qu’on s’empresse de vider de son contenu !
Le protocole 26 au Traité sur le fonctionnement de l’UE sur les services d’intérêt général doit tenir compte des engagements de l’UE en ce qui concerne l’AGCS.
Les services audio-visuels (la fameuse exception culturelle !) sont provisoirement retirés du mandat, mais la Commission pourra soumettre de nouveau la question pendant le cours des négociations. De ce point de vue, le cri de victoire (complaisamment relayé par grand nombre de médias, ce qui leur évite de parler du reste) de la ministre de la culture relève de l’enfumage typique au PS.
Dans le domaine des investissements, l’objectif est d’atteindre le plus haut niveau de libéralisation et les normes les plus élevées de protection des investisseurs obtenues à ce jour par les deux parties (UE et USA) dans les accords de libre échange qu’elles ont négociés avec des tiers. Ce qui signifie que les objectifs atteints par les USA dans l’accord de libre-échange de l’Amérique du Nord (Canada, USA, Mexique) seront sur la table des négociations. L’exigence inscrite dans le mandat d’obtenir le plus haut niveau de protection pour les investisseurs européens aux USA et la promotion des normes européennes semble dès le départ bien compromis. Le champ d’application de cette partie de l’accord sur l’investissement est extrêmement vaste puisqu’il intègre les droits de propriété intellectuelle et une série de normes de l’OMC sur le traitement juste et équitable, le traitement national[1], le traitement de la nation la plus favorisée[2], la protection contre l’expropriation directe et indirecte, la protection des investisseurs et des investissements, le libre transfert de fonds de capital et les paiements par les investisseurs. L’accord devra inclure un mécanisme de règlement des différends sans que cela interdise aux investisseurs le recours à d’autres forums d’arbitrage.
Tant en ce qui concerne les services que l’investissement, l’accord s’appliquera à tous les niveaux (Etats fédérés aux USA, Etats membres dans l’UE, niveau municipal partout).
En ce qui concerne les marchés publics, l’accord visera à permettre l’accès mutuel à tous les niveaux administratifs (national, régional et local), y compris dans la construction publique.
On peut, sans craindre d’exagérer, affirmer qu’on se trouve, dans cette partie du mandat, en présence d’une conception maximisée du projet d’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI) rejeté par la France en 2007.
Les réglementations et les barrières non tarifaires
Dans ce domaine, où les législations et les réglementations nationales issues depuis des décennies sinon des siècles de la souveraineté des Etats sont remises en cause, « l’accord visera à éliminer les obstacles inutiles au commerce et à l’investissement, y compris les obstacles non-tarifaires par le biais de mécanismes efficaces et efficients, en réalisant un niveau ambitieux de compatibilité de la réglementation des biens et des services. »
L’accord devra comporter des dispositions dans les matières suivantes :
- les mesures sanitaires et phytosanitaires : l’accord s’appuiera sur les principes de l’OMC régissant la manière dont les gouvernements peuvent appliquer les mesures relatives à l’innocuité des produits alimentaires et les normes sanitaires pour les animaux et les végétaux tout en empêchant que des réglementations sanitaires trop rigoureuses ne servent de prétexte à la protection des producteurs nationaux ;
- les réglementations techniques, normes et procédures d’évaluation de la conformité : la négociation se fera dans le respect de l’accord de l’OMC sur les obstacles techniques au commerce ;
- la cohérence de la réglementation : l’accord devra comprendre des « disciplines transversales »[3] dans des secteurs des biens mais aussi des services comme la chimie, l’automobile, la pharmacie, les « industries de la santé » (sic), les services financiers, les technologies de l’information et de la communication.
Les normes
Les négociations du TTIP porteront également sur des questions qui sont au cœur des débats à l’OMC où les blocages sont importants.
- les droits de propriété intellectuelle (brevet, copyright) : il s’agit en fait d’aller au-delà de l’accord de l’OMC (ADPIC : accord sur le droits de propriété intellectuelle en rapport avec le commerce) sur cette question essentielle qui touche à des domaines aussi variés que les semences ou les médicaments ; le mandat insiste sur la nécessité de protéger les indications géographiques[4] en Europe.
- Le commerce, le travail et le développement durable : l’accord devrait inclure des dispositions garantissant l’application effective des normes et des accords convenus au niveau international dans le domaine du travail (conventions de l’Organisation Internationale du Travail) et de l’environnement. Une bonne intention dont l’application devra être vérifiée pendant la négociation et à l’issue de celle-ci.
- Le mandat comporte aussi des dispositions concernant la lutte contre la fraude, les lois antitrust, l’énergie et les matières premières, la libre circulation des capitaux et la transparence.
Un accord sans fin
A l’image de l’AGCS qui programme des négociations permanentes pour aller vers toujours plus de mise en concurrence des activités de service, le mandat demande d’inclure dans l’accord TTIP un dispositif institutionnel permettant, au delà de cet accord, la poursuite de négociations sur les réglementations afin de réduire les obstacles encore existants et de prévenir la création de nouveaux.
Ce qui signifie qu’une éventuelle ratification de l’accord TTIP ne constituera que le début de la vague de libéralisation et de dérégulation qu’il autorisera.
L’enjeu principal de l’élection de 2014 du Parlement européen
Même si on peut compter sur la Commission européenne pour tout faire – et sans doute tout concéder aux USA – afin que l’accord soit bouclé avant l’élection du Parlement européen, fin mai de l’an prochain, il y a peu de chance que ce soit le cas. Par contre, à ce moment-là, on en connaîtra sans doute beaucoup sur l’état d’avancement des négociations et le TTIP sera un des enjeux de cette élection. Gageons que libéraux de droite et de gauche, avec la complicité d’une grande partie des médias, feront tout pour étouffer le débat sur cette négociation. Car, comme l’observe Mediapart, « ce seront les eurodéputés issus du scrutin de 2014 qui auront, in fine, leur mot à dire. »
Raoul Marc Jennar
16 juin 2013
[1] Traitement national : chaque pays doit accorder à tout fournisseur de services ou à tout investisseur le même traitement qu’il accorde à ses propres fournisseurs et investisseurs ; cette exigence est une contrainte automatique à la libéralisation et à la privatisation, car aucun Etat n’est en capacité de la satisfaire.
[2] Traitement de la nation la plus favorisée : chaque pays doit étendre à tous les autres les meilleures conditions douanières et commerciales qu’il offre à l’un d’entre eux.
[3] Disciplines transversales : listes de dispositions légales ou réglementaires considérées comme inacceptables. L’établissement de ces disciplines a pour but d’empêcher que les prescriptions et procédures prévues par ces lois et règlements soient plus rigoureuses que nécessaire.
[4] Indication géographique : c’est un signe utilisé sur des produits qui ont une origine géographique précise et possèdent des qualités, une notoriété ou des caractères essentiellement dus à ce lieu d’origine.
Marché transatlantique UE-Etats-Unis : François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont dit oui
Thierry Brun | politis.fr | samedi 15 juin 2013
Il n’y a pas eu de veto français le 14 juin lors du conseil européen des ministres du commerce qui a donné son accord pour l’ouverture des négociations autour d’un accord de libre échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis. Le très libéral commissaire européen au Commerce, Karel De Gucht s’est réjoui du feu vert des Etats membres, y compris sur les services audiovisuels.
Lors de la conférence de presse à Bruxelles, vendredi 14 juin, le commissaire européen au Commerce Karel De Gucht s’est livré à un tour de passe-passe dont la Commission européenne a le secret (voir ici). Peu expansif, De Gucht a d’abord déclaré être « ravi que le Conseil a décidé le 14 juin de donner à la Commission européenne le feu vert pour commencer les négociations » autour d’un accord de libre échange avec les Etats-Unis, ce que les technocrates de la Commission ont nommé le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI, TTIP en anglais).
« 98 % du contenu du mandat de la Commission a été adopté, avec un consensus très large » , a révélé le commissaire européen, qui a ensuite développé la position de la Commission sur le dossier brûlant de la culture et de l’audiovisuel. « Les services audiovisuels ne sont actuellement pas dans le mandat », jure Karel De Gucht. « Mais le mandat indique clairement que la Commission a la possibilité de revenir au Conseil avec des directives de négociations supplémentaires sur la base d’une discussion avec nos homologues américains ». L’audiovisuel n’est pas dans le mandat, mais il n’est pas exclu qu’il y soit...
« Nous sommes prêts à discuter avec nos homologues américains et d’écouter leur point de vue sur cette question ». La conclusion de Karel De Gucht est que les services audiovisuels pourraient faire l’objet de directives de négociations supplémentaires le moment venu. Une belle victoire pour la Commission européenne qui a obtenu ce qu’elle souhaitait contre la bronca française de ces derniers jours.
Lire ici : Le coup de bluff du gouvernement sur l’exception culturelle
A l’issue du conseil des ministres européens du Commerce du 14 juin, les services de Nicole Bricq, ministre français du Commerce extérieur ont gardé le silence. Le silence a aussi prévalu à Matignon et à l’Elysée. La Commission européenne a pourtant publié le jour même un long Mémo (lire ici en anglais) détaillant ce que les Etats membres ont approuvé dans le cadre des négociations entre l’Union européenne et les Etats-Unis pour un accord de libre échange.
Pourtant, François Hollande et Jean-Marc Ayrault auraient dû réagir sur le contenu de ce Mémo daté du 14 juin. Si un accord est conclu avec les Etats-Unis, les multinationales pourront protéger leurs investissements en utilisant une procédure d’arbitrage privée nommée « règlement des différends investisseur-Etat » (ISDS, Investor to State Dispute Settlement), et ainsi lever les barrières juridiques dans les secteurs convoités.
Lire ici : Marché transatlantique UE-Etats-Unis : le mandat explosif de la Commission européenne
Dans ce billet de blog, on découvrira ce que contient le mandat de négociation en ce qui concerne l’exception culturelle. En fait la Commission européenne évoque la « diversité culturelle », ce qui nuance fortement les propos d’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, dont on dit abusivement qu’elle a obtenu gain de cause face à la commission européenne. Filippetti a d’ailleurs repris ce terme : c’est un « succès pour la diversité culturelle partout en Europe »...
Et pour Karel De Gucht, c’est un grand succès, car à Bruxelles, on a une autre lecture du mandat adopté par les ministres du Commerce. Ce conseil européen est en fait un échec pour François Hollande et Jean-Marc Ayrault, qui ont ouvert la porte à la marchandisation décidée par les multinationales européennes et américaines.
Lire ici : Accord de libre échange UE-USA : les lobbies n’ont pas à décider de notre avenir
Lire ici le communiqué de bilaterals.org
Marché transatlantique UE-Etats-Unis : le mandat explosif de la Commission européenne
Thierry Brun | politis.fr | mardi 11 juin 2013
Préparé dans le secret, le mandat de la commission européenne pour négocier un accord de libre-échange entre l’Union Européenne et les Etats-Unis contient une bombe à fragmentation nommée « règlement des différents » entre investisseur privé et Etat. C’est ce qu’on découvre dans une version datée du 21 mai, révélée avant son adoption le 14 juin lors d’un conseil des ministres européens.
Une version quasi définitive du mandat de la Commission européenne pour négocier un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI, Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP) entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis, datée du 21 mai, a été récemment dévoilée par le blog netzpolitik.org. Traduite en français (lire ici), cette version consacre plusieurs paragraphes à un processus redoutable, nommé « règlement des différends » entre investisseur privé et État (Investor-State Dispute Settlement, ISDS). Cet arbitrage commercial international permet aux puissantes multinationales de contourner les tribunaux classiques respectueux de la souveraineté des États et de leurs droits nationaux, notamment sur la protection de l’environnement.
Dans les dernières lignes du mandat de la Commission, sous le chapitre intitulé : « Cadre institutionnel et dispositions finales », il est indiqué que l’accord de libre échange entre l’UE et les États-Unis « comprendra un mécanisme de règlement des différends approprié ». Ce quasi fait accompli apparaît à un autre endroit du mandat, dans la partie concernant le commerce des services et la protection des investissements : l’accord « devrait viser à inclure un mécanisme de règlement des différends investisseur-Etats efficace ». Le terme est utilisé à plusieurs reprises : la Commission souhaite ainsi inclure « le règlement des différends d’État à État, [qui] ne devrait pas interférer avec le droit des investisseurs d’avoir recours à des mécanismes de règlement des différends investisseur-État ». Ainsi, cette procédure initiée par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et son successeur, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) « devrait fournir aux investisseurs un large éventail d’arbitrages actuellement disponibles en vertu d’accords bilatéraux d’investissement des États membres ».
Souvent utilisé dans les accords bilatéraux, ce type d’arbitrage est un formidable levier pour les multinationales qui ont leurs entrées au sein de la Commission européenne. Mais avec le PTCI, « on va au-delà de ce qu’exigent les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les droits de propriété intellectuelle, sur l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), sur la déréglementation, sur les pratiques administratives, sur l’agriculture. Il s’agit en fait de créer un marché commun qui sera soumis à un organe d’arbitrage contraignant sur le modèle de l’Organe de règlement des différends de l’OMC. Un pas de géant sera franchi vers la dépossession de notre destin, un recul de plus, considérable, de la démocratie, dont ne profiteront que les firmes américano-européennes. C’est la fin de tout espoir d’une Europe européenne », explique Raoul Marc Jennar, spécialiste des accords commerciaux internationaux, consultant au Parlement européen auprès de la Gauche Unitaire Européenne (GUE), de 2005 à 2007.
La proposition de Partenariat transatlantique entre l’UE et les États-Unis « va ouvrir les vannes à des poursuites de plusieurs millions d’euros par de grandes entreprises qui contestent des politiques démocratiques visant à protéger l’environnement et la santé publique », souligne un récent rapport de Corporate Europe Observatory et du Transnational Institute (lire ici).
Le rapport révèle une campagne déterminée de lobbying menée par les groupes de pression de l’industrie et des cabinets juridiques afin d’accorder des droits sans précédent aux entreprises, leur permettant de poursuivre des gouvernements pour des législations ou réglementations qui interfèreraient avec leurs profits. Il met en évidence le programme agressif du géant états-unien de l’énergie Chevron sur cette question du règlement des différends investisseur-État : « Chevron a déjà utilisé des mécanismes similaires afin d’essayer d’éviter de payer 18 milliards de dollars en réparation d’une pollution pétrolière en Amazonie. Il en appelle maintenant à "la plus forte protection possible" vis-à-vis des mesures gouvernementales européennes qui pourraient interférer avec ses investissements dans de grands projets énergétiques, dont la fracturation [hydraulique, ou fracking, pour l’extraction des gaz de schiste] », préviennent les deux ONG.
Une plateforme dénonce les accords marchands entre les Etats-Unis et l’Europe et publie de nombreuses informations sur les coulisses du projet de partenariat transatlantique. Accès ici
A lire : Le grand marché transatlantique, Bruno Poncelet et Ricardo Cherenti, préface de Jean-Luc Mélenchon, Bruno Leprince éditions, 2011. Ici
Lire le communiqué publié le 13 juin de la Confédération paysanne, d’Attac France, d’Agir pour l’environnement, de la Fondation Copernic, de Nature et Progrès, de l’Union syndicale Solidaires, de Minga, France Amérique latine, Artisans du monde, Mouvement régional des Amap, faucheurs volontaires d’OGM, Adéquations, OGM en danger, Combat Monsanto, Veille au grain, Solidarité, etc. (ici)
Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault n’a exprimé aucune réserve sur ce projet. Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, représentant le gouvernement au conseil des ministres européen du Commerce prévu le 14 juin, au cours duquel le mandat de la Commission devrait être validé, estime qu’on « ne peut être que favorable » au projet de partenariat transatlantique. Pourtant, la commission des Affaires européennes au Sénat, dans un rapport daté du 15 mai qui a analysé la recommandation de la Commission européenne proposée le 13 mars au Conseil européen, a mis en garde le gouvernement :
« En matière d’investissement, il est préférable d’éviter le règlement des différends entre les investisseurs et les États par l’arbitrage. La question du recours à un tel mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États, prévue actuellement par le mandat, devra être revue. Un tel dispositif est en effet contestable dans sa mise en œuvre, en raison des coûts très élevés qu’il risque de représenter pour les États, comme dans ses implications politiques : le recours à un arbitre privé pour régler un différend entre un État et un investisseur risque de remettre finalement en cause la capacité à légiférer des États. »
La procédure d’arbitrage bilatérale conduirait à une explosion des litiges initiés par les multinationales et les investisseurs aux États-Unis et en Europe. « En 2012, le nombre de différends entre investisseurs et États soumis à l’arbitrage international a battu un nouveau record, montrant une nouvelle fois la nécessité d’engager un débat public sur l’efficacité de ce mécanisme et la manière de le réformer », prévient la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), dans un rapport publié en avril (lire ici). 518 différends investisseur-État ont été recensés en 2012, impliquant des millions de dollars et sapant, dans de nombreux cas, des politiques démocratiques.
« 62 nouvelles plaintes ont été déposées en 2012. Il s’agit du nombre le plus élevé d’actions connues intentées au titre d’un accord international d’investissement (AII) en une année, ce qui confirme la tendance croissante des investisseurs étrangers à recourir aux mécanismes d’arbitrage pour régler les différends les opposant aux États », ajoute la Cnuced. « En 2012, les investisseurs étrangers ont intenté des actions contre un large éventail de mesures gouvernementales, dont la modification de règlements intérieurs (concernant le gaz, l’énergie nucléaire, la commercialisation de l’or et les changes) et la révocation de licences et de permis (dans les secteurs de l’exploitation minière, des télécommunications et du tourisme). Ils ont aussi engagé des poursuites, alléguant des violations de contrats d’investissement, des irrégularités dans les marchés publics, des retraits de subventions (dans le secteur de l’énergie solaire) ou des expropriations directes ».
« En Uruguay comme en Australie, le géant du tabac Philip Morris, basé aux États-Unis, a mené des poursuites contre les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes ; la multinationale suédoise de l’énergie Vattenfall réclame 3,7 milliards d’Euros à l’Allemagne suite à la décision démocratique d’abandonner progressivement l’énergie nucléaire ; et la société états-unienne Lone Pine poursuit le Canada à hauteur de 250 millions de dollars concernant un moratoire sur l’extraction (fracturation) controversée du gaz de schiste au Québec » , précisent le Corporate Europe Observatory et le Transnational Institute.
La récente version, quasi achevée, du mandat de la Commission européenne franchit une étape importante en défendant le principe d’un règlement des différends dans un accord de libre échange avec les États-Unis. Elle devrait être adoptée le 14 juin, lors d’un conseil des ministres européens du Commerce, a indiqué la commission des affaires européennes du Sénat. Dans la foulée, les négociations devraient débuter après le sommet du G8 des 17 et 18 juin, pour s’achever en 2015.
L’objectif est de créer un grand marché transatlantique, « le plus important au monde », selon José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. Celui-ci a rappelé en février que les États-Unis et l’Union européenne représentent environ la moitié (47 %) de la production de richesse mondiale et près d’un tiers du commerce mondial. Ce type d’accord vise à libéraliser la circulation des marchandises, c’est-à-dire des biens, des services, des travailleurs, des capitaux et des capacités d’investissement, et à éliminer toutes les entraves au commerce avec le dangereux règlement des différends, pierre angulaire du PTCI.
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Marché transatlantique : non à l’Otan de l’économie !
Noël Mamère | rue89.com/ | lundi 3 juin 2013
Les 17 et 18 juin prochains, l’Union européenne risque de s’engager dans des négociations qui changeront la face de l’Europe. Au moment où François Hollande dénonce le rôle de la Commission qui se substitue aux instances légitimes de la gouvernance européenne (Conseil européen et Parlement européen), celle-ci est en train de concocter une véritable « Otan de l’économie » dans le dos des peuples européens.
Si ce projet aboutit, il réduira l’Europe au statut d’élément subalterne d’un ensemble occidental dominé par le libre-échange, l’ultralibéralisme et le dollar. Mais surtout, les règles, les normes et les droits qui régissent l’économie en seront bouleversés. Ce grand chambardement aura des conséquences immédiates : fin du moratoire sur les OGM, accentuation de la libéralisation des services publics, menace sur les libertés numériques...
Ce projet de grand marché transatlantique au service des groupes transnationaux est l’aboutissement de la stratégie de dérégulation généralisée voulue par les Etats-Unis, sur le modèle de l’Alena (Accord de libre-échange nord-américain) avec le Mexique et le Canada. Entrée en vigueur en 1994, cette zone de libre-échange est inégale et protège essentiellement les intérêts américains.
Après l’AMI et l’ACTA...
Il y a une quinzaine d’années, en 1998, sous la cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin, la Commission européenne et l’OMC (Organisation mondiale du commerce) avaient tenté d’imposer un tel type d’accord sous le nom de l’AMI (Accord multilatéral d’investissement).
A gauche, nous avions organisé la résistance en appliquant la stratégie dite « de Dracula » : mettre en pleine lumière ce faux-ami. Au Parlement, chaque semaine, les députés écologistes, socialistes et communistes harcelaient l’ensemble des ministres concernés avec des questions orales et des dizaines de questions écrites ciblées.
Dans le pays, des centaines de réunions et de rassemblements eurent lieu pour dénoncer la réalité de cet accord. Nous avons gagné. Lionel Jospin a retiré le soutien de la France et le projet capota.
En novembre 2011, les Etats-Unis revinrent à la charge lors d’un sommet bilatéral avec l’Europe. Ils relancèrent leur projet de grand accord commercial (produits, services, investissements, propriété intellectuelle et accès aux marchés publics), rappelant par la même occasion aux pays émergents qu’Europe et Etats-Unis produisent la moitié des richesses mondiales.
En 2012, nouvelle mobilisation pour une nouvelle bataille gagnée contre l’ACTA (l’Accord anti contrefaçon), grâce à la révélation de dispositions négociées secrètement à l’abri des peuples ; vingt-deux pays avaient pourtant accepté cet accord. Nous devons aujourd’hui reconduire cette stratégie, organiser dès maintenant une campagne contre ce projet d’accord transatlantique.
Constituer un bloc occidental
Ce qui est en jeu est encore plus grave qu’à l’époque de l’AMI. Il s’agit ni plus ni moins de constituer un grand bloc occidental s’inscrivant dans la logique de la théorie du « choc des civilisations » de Huntington : le bloc occidental face aux blocs asiatique, africain, arabo-musulman…
Avec cet accord, le vieux dessein politique des républicains conservateurs américains s’adosserait sur une zone de libre-échange, qui pèserait le tiers du commerce mondial. Les Etats-Unis pourraient ainsi redéployer leur force vers ce qui constitue leur obsession : perdre la maîtrise du monde à la faveur d’un basculement vers le Pacifique et, surtout, la Chine.
Notre modèle social, notre mode de consommation, nos normes seraient en danger. Nous deviendrions des supplétifs des Etats-Unis, comme nous le sommes déjà sur le plan militaire depuis le retour de la France dans l’Otan.
Alors que nous sommes incapables de protéger l’industrie européenne, comme vient de le montrer la dernière controverse sur le marché du photovoltaïque, la Commission organise une fuite en avant vers une dérégulation accrue du commerce, qui mettrait fin à un modèle social européen déjà en crise.
Les écologistes ne peuvent accepter un tel projet. Ils en savent le coût, tant sur le plan du climat ou de la biodiversité que sur le plan social. Les Amis de la Terre ont déclaré dernièrement : « L’accord transatlantique pourrait être un monstre ».
Il l’est déjà, c’est le cheval de Troie des grands groupes transnationaux. Alors que nous tentons de leur fermer la porte des paradis fiscaux, ils ouvrent la fenêtre de l’accord transatlantique pour dépecer des réglementations sociales et environnementales.
Seule l’exception culturelle échappe au monstre
Comme au temps de l’AMI, leur objectif est le même : pouvoir attaquer devant l’OMC un Etat qui ne respecterait pas les dispositions garantissant un libre accès aux marchés, sans contraintes nationales ou européennes.
Les pétroliers s’attaqueront aux mesures d’interdiction du gaz de schiste, les groupes agroalimentaires nous refileront leur bœuf aux hormones et leur poulet à la chlorine, autorisés aux Etats-Unis mais interdits en Europe. Les assurances privées asphyxieront les mutuelles, l’éducation et la santé seront attaquées comme services publics…
Pour l’instant, seule l’exception culturelle, défendue bec et ongles par les artistes, les producteurs et réalisateurs, a échappé au monstre. Mais l’arbre de la culture cache la forêt de la dérégulation.
Monsieur le Président, vous ne pouvez pas dénoncer à Paris le président Barroso et accepter à Bruxelles qu’il mène dans l’opacité la plus complète une négociation dangereuse pour l’existence même de l’Union européenne.
La marche forcée vers un grand marché transatlantique unifié
3 juin 2013 Par Martin Bernard | mediapart.fr/blog | lundi 3 juin 2013
La création d’une union économico-politique réunissant dans un seul bloc les États-Unis et l’Union Européenne est plus que jamais d’actualité. Le 14 juin prochain débuteront en effet entre Bruxelles et Washington des négociations en vue de créer un Accord de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (TTIP). De la bouche même de Karel de Gucht, commissaire européen chargé du commerce et un des principal responsable de la mise en place de ces futures négociations, un accord de ce type « deviendra la norme, non seulement pour nos prochaines bilatérales concernant le commerce et l’investissement, mais aussi pour le développement de règles globales (…) qui participeront à définir l’environnement économique futur du monde [1] ». Juan Manuel Barroso, de son côté, soulignait que, malgré les nombreuses difficultés que suppose la mise en place de cet accord, ce dernier constituera « le plus important accord bilatéral jamais signé [entre les USA et l’Union Européenne] ».
La réactivation de ce projet de grand marché transatlantique pris forme début février, lorsqu’une avalanche de déclarations et de communiqués de presse, mentionnés uniquement par les observateurs attentifs, s’est abattue sur les sites web des principaux organes du pouvoir européen. A bien y regarder, cette effervescence a été déclenchée par la parution, le 11 février, du rapport final établit par le High Level Working Group on Jobs and Growth[2] (HLWG). Cet organe, une commission d’étude transatlantique établie en novembre 2011 par les principaux responsables états-uniens et européens, avait pour but :
« d’identifier les politiques et les mesures à mettre en place afin d’augmenter les échanges commerciaux et l’investissement, et de soutenir mutuellement les effets bénéfiques de la création d’emploi, de la croissance économique et de la compétitivité, en travaillant étroitement avec le secteur public et les intervenants des groupes du secteur privé, et en faisant appel de manière appropriée aux relations et aux mécanismes déjà existants [3] ».
L’objectif affiché était donc ni plus ni moins que l’analyse des différentes modalités d’actions politiques et juridiques disponibles en vue de l’expansion du commerce transatlantique et de la création d’un grand marché unifié entre les deux rives de l’Atlantique nord.
Ce rapport faisait suite à plusieurs déclarations émanant des plus hautes sphères du pouvoir européen, et allant dans le sens de la création d’un marché atlantique commun. Le 7 février, le site Neurope.eu révéla que le développement des relations commerciales avec les Etats-Unis serait une des priorités de la nouvelle présidence irlandaise du conseil de l’Europe. Cette dernière annonça en effet lors de la séance du Conseil européen du 7 février qu’elle « ferait avancer les recommandations retenues par le High Level Working Group on Jobs and Growth, incluant la mise en place d’une nouvelle génération d’agrément de libre-échange et d’investissement entre les USA et l’UE [4] » capables de maximiser le potentiel de la coopération transatlantique. Le lendemain de cette déclaration, dans un autre article publié sur Neurope.eu rapportant des propos émis par l’agence de presse Reuters, on pouvait lire que « le premier jet des propositions[concernant la mise en place un accord de libre échange entre les USA et l’UE] avancées par Karel de Gucht, commissaire européen chargé du commerce, et Ron Kirk, le représentant au commerce américain, est presque terminé, et que les négociations pourront commencer dans les mois qui viennent. [5] » Ces propositions renvoyaient en fait aux conclusions finales que le HLWG allait rendre publique trois jours plus tard.
Le 12 février, parallèlement à ces déclarations, Barack Obama, dans son discours sur l’état de l’union (aussi disponible ici en vidéo), donna son feu vert au début des négociations portant sur la mise en place de cette future union économique. Faisant écho aux conclusions positives émises par le HLWG, et venant confirmer les attentes des commissaires européens formulées lors de la dernière réunion du conseil, les propos du président américains tombèrent à pic. Ils laissent cependant augurer de la tenue d’âpres discussions sur des sujets ayant déjà fait couler beaucoup d’encre par le passé, comme les réglementations portant sur le commerce des produits agricoles et le traitement des informations numériques, sur lesquels il sera pourtant impératif de trouver un terrain d’entente.
Vital Moreira, membre de la Commission du commerce international (International Trade Commitee) et responsable européen des relations avec les USA, a d’ailleurs souligné dans un article du 22 février paru sur neurope.eu que « le plus gros problème dans les négociations concernerait les normes sanitaires des plantes et de la viande ». Nous apprenons aussi dans ce même article que les autres sujets d’inquiétude relevés par les membres du parlement européen, par ailleurs largement favorables à cet accord de libre-échange, sont notamment les droits de propriété intellectuelle ainsi que les divergences juridiques et idéologiques existant de part et d’autres de l’Atlantique concernant les organismes génétiquement modifiés (OGM) – couramment consommés aux États-Unis mais pas en Europe –, ainsi que l’utilisation du bœuf aux hormones ou du poulet chloré. Un marché commun supposerait en effet que les produits venant des USA, y compris les OGM, soient largement distribués, de manière non régulée, sur l’ensemble du territoire européen.
Selon les estimations [6], et malgré les évidentes difficultés qu’elle suppose, la signature définitive de cet accord de libre-échange serait cependant susceptible de booster le PIB européen et États-unien de 0.5 %, ce qui équivaudrait à plusieurs millions d’euros chaque année. Le 18 avril dernier, à Dublin, lors d’une rencontre informelle entre plusieurs ministres européens du commerce (dont Karel de Gucht), une date précise a été évoquée quant à la mise sur pied concrète d’un Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement. C’est en présence de Mike Froman, conseiller américain au commerce international venu spécialement des Etats-Unis pour l’occasion, que le début du mois de juin a été retenu. L’échéance prévue pour la mise en place effective d’un marché unique se situe, elle, selon toute vraisemblance, à l’horizon 2015 [7].
Un peu d’histoire…
Afin de bien comprendre tous les enjeux recouvrant les déclarations exposées plus haut, il est important de souligner que ce projet, tel qu’il apparaît dans sa forme actuelle (qui est celle des conclusions exposées dans le rapport final du HLWG), ne date pas d’hier, et est l’aboutissement récent d’une longue maturation d’idées et de palabres s’étant tenus pour la plupart en secret, dans les coulisses du pouvoir, à Washington et à Bruxelles. Il remonte en fait au début des années 1990. Sa première évocation fut consécutive à la chute du rideau de fer, et est contenue dans la Déclaration Transatlantique, signée l’année suivante. Les actuelles propositions de suppression des tarifs douaniers y étaient déjà évoquées, tout comme la volonté de resserrer les liens politiques à l’aide de consultations fréquentes entre les instances du pouvoir des deux puissances atlantiques. La priorité était alors à l’approfondissement de la coopération et de la solidarité transatlantique [8]. Il était aussi question d’encourager la mondialisation du commerce.
En 1995, un Nouvel Agenda Transatlantique fut adopté par Bruxelles et Washington. Pour la première fois y était mentionnée explicitement la création d’un nouveau marché transatlantique. Y était souligné également la nécessité d’un rapprochement de l’UE et des USA sur un nombre varié de sujets allant de la promotion de la paix dans le monde à l’établissement de relations économiques plus étroites entre les deux partenaires, devant s’incarner à travers différents contacts formels ou informels, notamment parlementaires et économiques, avec la création du Transatlantic Business Dialogue (TABD), le plus grand lobby de multinationales au niveau transatlantique [9]. Ce Nouvel Agenda stipulait aussi le besoin de créer des ponts (sociaux, culturels et scientifiques) à travers l’Atlantique.
En mai 1998, lors du sommet EU-US de Londres, un Partenariat Economique Transatlantique fut signé. Lors de l’adoption de cette charte, une étape importante en vue de l’établissement d’une intégration économique transatlantique fut franchie. Ce partenariat mériterait qu’on s’y attarde plus longuement, mais il suffit de dire ici que s’y trouvait déjà en substance tous les points exposés dans le rapport final de février du HLWG : mise en place d’un marché commun des produits agricoles ; suppression des tarifs douaniers ; égalisation juridique en ce qui concerne la propriété intellectuelle, l’investissement et le commerce électronique ; libéralisation des échanges et de l’investissement ; etc. Plus concrètement, il s’agissait surtout d’harmoniser les réglementations pour les biens et services, de manière à accélérer le processus d’intégration économique des deux continents.
Le 30 avril 2007, enfin, fut crée le Conseil Economique Transatlantique (CET), dirigé conjointement par un commissaire européen, actuellement Karel de Gucht (également commissaire européen du commerce), et un américain, Michael Froman. La création de ce Conseil fut l’œuvre de George W. Bush, alors Président des Etats-Unis, Angela Merkel, alors présidente du Conseil Européen, et J. M. Barroso, président de la Commission Européenne. Les buts du CET, se réunissant habituellement une fois par année, sont les mêmes que ceux définis préalablement depuis 1990 : définir un cadre concret d’application du partenariat transatlantique, en harmonisant les politiques de régulation afin d’être plus compétitif face aux économies émergentes, notamment la Chine. Le rôle du CET est aussi de produire des recommandations et de restreindre les potentielles envies de protectionnisme des différents acteurs politiques.
Une ambition géocivilisationnelle
Derrière les beaux discours sur la croissance, l’emploi et la compétitivité, l’ambition à terme d’une telle alliance économique est de fondre dans un bloc politique et culturel unifié les continents européens et nord-américains, en traçant des frontières allant de San Francisco à la Russie (cette dernière n’entrant pas dans les limites assignées au monde « occidental ». Comme le souligne très bien le sociologue Jean-Claude Paye, « un processus d’absorption de l’Union européenne dans l’espace économique états-unien [10] » est en cours, devant à terme déboucher sur une uniformisation politique et culturelle des deux blocs.
Ce processus, s’il devait arriver à son terme, aurait plusieurs implications concrètes qu’il est important d’avoir en tête pour comprendre l’ampleur des conséquences d’un tel rapprochement. Tout d’abord, dans la continuation du mouvement d’américanisation de l’Europe s’étant mis en place depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il est plus que probable que l’unification transatlantique se fera sur le modèle économico-culturel nord-américain [11], empêchant tout développement identitaire indépendant de l’Europe. L’influence américaine en Europe est déjà visible de facto dans nombres de think tanks [12] et autres institutions transatlantiques, présentes depuis longtemps sur le continent, et dont l’OTAN est certainement une des plus représentatives.
Les influences institutionnelles supra-continentales induites par un marché unique auront aussi leur pendant dans la perte croissante de souveraineté des démocraties européennes, et en dernier ressort agiront directement sur les politiques sociales et environnementales, qui, rappelons-le, divergent fortement de part et d’autres de l’Atlantique sur tout une série de critères, que les débats autour de l’agriculture et des OGM cristallisent.
Il s’agit donc de penser cette construction transatlantique sous deux angles bien spécifiques, celui de l’économique et celui du politique. La mise en place de nombreuses lois harmonisant les réglementations concernant les biens et les services échangés, devant déboucher sur la création d’un grand marché transatlantique unifié, n’est que l’une des faces du processus d’intégration. La seconde est la création d’une Fédération transatlantique ayant pour base une défense commune (existant déjà de facto avec l’OTAN), et des réglementations monétaires unifiées. De fait, dans une résolution du parlement européen datant du 25 avril 2007, est mentionné à l’alinéa 35 que :
« Les échanges interparlementaires existants devraient être graduellement transformés en une « assemblée transatlantique » (…) »
Cette assemblée transatlantique, regroupant des membres du Congrès américain et du Parlement européen serait alors, si elle se mettait en place, la première expression concrète de la mise sur pied d’une réelle Fédération transatlantique.
On apprend par ailleurs que la perspective de créer une monnaie transatlantique commune, qui pourrait notamment s’appeler l’euro-dollar, fut un des sujets discuté lors de la séance du CET du 13 mai 2008 [13]. Une telle union monétaire serait en fait la suite logique de la création d’un marché commun unifié et de la mise en place d’institutions politiques transatlantiques.
En définitive, il semble que la construction transatlantique se fasse à peu de chose près sur le même modèle que celle de l’Union Européenne depuis les années 1950. Tout commence par une union économique (création d’une communauté du charbon et de l’acier pour l’Europe en 1952), conduisant à une intégration économique et politique progressive (Traité de Rome en 1957) débouchant à terme sur une union monétaire (le passage à l’euro en 1999).
A n’en pas douter, le rapprochement transatlantique se fera de cette manière, et les faits avancés tout au long de cette article viennent appuyer la réalité de ce processus. Quelles que soient ses conséquences culturelles et sociales, il tient à cœur les responsables de Washington et de Bruxelles. Comme affirme à ce sujet un symposium de la Fondation Bertelsmann datant de juillet 2003 :
« En raison des défis globaux, il n’y a pas d’autre alternative qu’une alliance transatlantique. Le diagnostic est posé et la thérapie doit commencer. Qui veut positivement changer le monde, doit utiliser le potentiel transatlantique. Le partenariat transatlantique reste la force décisive qui façonne la politique mondiale [14]. »
Il est difficile de prévoir actuellement quel sera le résultat des débats récents sur le sujet, mais il n’est pas utopique de penser, au vu des moyens mis en œuvre, qu’ils finiront par aboutir à un accord concret. Cela pose de graves questions aux populations européennes, notamment en termes d’implications sociales, environnementales et culturelles. Mais, au regard de l’opacité entourant les discussions politiques actuelles, cela interroge aussi sur l’avenir de nos démocraties occidentales. Autant de sujets sur lesquels il est impératif de faire toute la lumière. Ce sera l’enjeu principal de ces prochaines années pour tous ceux qui s’y intéressent, journalistes et spécialistes confondus. Il en va de l’avenir de l’Europe et du monde.
Martin BERNARD
Une première version de cet article fut publié début mars de cette année sur mon blog, Nouvelles Alternatives
[1] http://www.neurope.eu/article/eu-us-trade-negotiations-launched-soon (23.02.2013)
[2]Groupe de haut niveau pour la croissance et l’emploi
[3]Interim Reports to Leaders from the Co-Chairs EU-U.S. High Level Working Group on Jobs and Growth, Introduction, 19 Juin 2012.
[4] http://www.neurope.eu/article/eu-us-trade-relationship-priority-irish-presidency (07.02.2013)
[5]http://www.neurope.eu/article/eu-us-may-start-fta-negotiations (08.02.2013)
[6]http://www.neurope.eu/blog/transatlantic-trade-offs (26.02.2013)
[7] Ibid.
[8] Un site complet et sérieux explore en détails chacune des étapes du projet de création d’un marché unique transatlantique. Y sont analysés en détail les différents documents officiels disponibles sur le site de l’UE. Une mine d’information pour toute personne souhaitant approfondir le sujet. En voici le lien : http://www.theorie-du-tout.fr/search/label/Chroniques%20Transatlantiques (02.03.2013)
[9] Pour quelques compléments : http://fr.wikipedia.org/wiki/Transatlantic_Business_Dialogue (02.03.2013)
[10] PAYE Jean-Claude, « Le futur grand marché transatlantique », 2009, réseau Voltaire (www.voltairenet.org)
[11] C’est-à-dire pour faire court le néolibéralisme et la société de consommation.
[12] Comme le German Marschall Fund, The Chatham House ou la Fondation Bertelsmann
[13] Voir l’article de Pierre Hillard intitulé « La fondation Bertelsmann au service d’un marché transatlantique et d’une gouvernance mondiale », disponible sur le réseau Voltaire à l’adresse suivante : http://www.voltairenet.org/article160130.html
[14] Cité in HILLARD Pierre, « La fondation Bertelsmann au service d’un marché transatlantique et d’une gouvernance mondiale », pp. 2-3 (lien de l’article à la note précédente)
Voir en ligne : Le TTIP : la pire menace pour les peuples d’Europe