Accueil > 2013 > mai > Rapport Lescure, le catalogue répressif de l’industrie... personne n’est dupe

Rapport Lescure, le catalogue répressif de l’industrie... personne n’est dupe

Juan Branco | lesinrocks.com - laquadrature.net | lundi 13 mai 2013

lundi 13 mai 2013

 Rapport Lescure, le catalogue répressif de l’industrie
laquadrature.net | lundi 13 mai 2013
 Rapport Lescure : “Une opération de blanchiment dont personne n’est dupe”
Juan Branco | lesinrocks.com | lundi 13 mai 2013




laquadrature.net

Rapport Lescure, le catalogue répressif de l’industrie
laquadrature.net | lundi 13 mai 2013

Paris, 13 mai 2013 — Le rapport Lescure rendu public ce lundi s’inscrit dans la même philosophie répressive que la loi Hadopi. Au lieu d’entamer une réforme en profondeur des politiques culturelles pour les adapter à l’ère numérique, notamment en autorisant le partage des œuvres entre individus, ce rapport poursuit la fuite en avant répressive qui caractérise l’approche des pouvoirs publics français et européens depuis plus de dix ans. En pérennisant les missions répressives de la Hadopi, notamment au travers du maintien du délit de « négligence caractérisée » et des sanctions pécuniaires, et en encourageant la censure privée sur Internet sous couvert d’en appeler à « l’auto-régulation » des hébergeurs, fournisseurs d’accès, moteurs de recherche ou des services de paiement en ligne, le rapport Lescure représente une grave menace pour la protection des droits fondamentaux sur Internet.

Dans le texte qui suit, La Quadrature du Net analyse les mesures répressives proposées dans le rapport (qui sont largement inspirées des récents travaux de la Hadopi) et souligne les effets délétères qu’elles auraient sur les droits fondamentaux si elles étaient mises en œuvre. Le refus de légaliser le partage non-marchand des œuvres culturelles sur Internet est également dénoncé.

 Les missions de la Hadopi pérennisées et le contrôle du Net par le CSA
 Vers le renforcement de la censure privée par les hébergeurs
 La banalisation du blocage de sites Internet
 Des taxes au profit d’intérêts particuliers sans droits réels pour le public ni pour les auteurs
 Conclusion

Les missions de la Hadopi pérennisées et le contrôle du Net par le CSA

Christine Albanel et Pierre Lescure
Christine Albanel et Pierre Lescure

Si l’annonce de la disparition de la Hadopi et de la sanction de déconnexion de l’accès à Internet font croire à la fin de la répression instaurée par la loi Création et Internet, il n’en est rien. La mission Lescure propose de pérenniser le délit de « négligence caractérisée » dans la surveillance de l’accès Internet, en imposant une obligation de moyen. La machine à spam qu’est la Hadopi continuera donc à tourner sous l’autorité du CSA, alors que ce dernier pourra reprendre à son compte la dangereuse tentative d’imposer des outils de « sécurisation des accès Internet »1 (propositions 55, 56 et 57).

Ensuite, alors que le Conseil national du numérique préconisait, dans son avis de mars dernier, de protéger la neutralité du Net au sein de la loi de 1986 – destinée à réguler l’audiovisuel et ainsi parfaitement inadaptée à la structure du réseau –, la mission Lescure propose à son tour de soumettre Internet et sa culture au CSA (propositions 17, 18 et 19). Cette démarche est viciée d’avance en ce que le rôle du CSA a toujours été de contrôler des contenus diffusés sur des canaux limités et centralisés. Appliquer les logiques et réflexes qu’il en a développés à Internet – somme décentralisée d’une infinité de canaux, où chacun peut être son propre canal de distribution – ne peut conduire qu’aux résultats les plus dangereux.

Ainsi, le rapport propose que le CSA puisse octroyer aux hébergeurs et diffuseurs de contenus culturels des conventions « engagements-bénéfices ». Ces conventions seraient attribuées selon des conditions fixées par le CSA : mise en avant et financement des créations françaises et européennes, puis mise en œuvre de systèmes de protection des droits d’auteur. En contrepartie, le rapport propose d’augmenter les aides publiques et sectorielles des intermédiaires remplissant ces conditions voire, « pour les plus "vertueux", une priorité dans la gestion des débits pourrait même être envisagée » – une parfaite atteinte à la neutralité du Net, proposée noir sur blanc, sans détour, par la mission Lescure. On atteint une absurdité absolue avec la recommandation de charger le CSA de l’observation des pratiques culturelles sur Internet2. Dans le passé, le CSA a démontré qu’il n’était même pas capable de suivre l’activité des radios et télévisions associatives, alors que dire de sa capacité de comprendre et analyser les pratiques de millions d’internautes.

À rebours des propositions du rapport Lescure et de celles du Conseil supérieur de l’audiovisuel lui-même, le gouvernement doit délimiter précisément les compétences du CSA et les circonscrire aux services de radio et de télévision faisant l’objet d’autorisations administratives. Quant aux missions de la Hadopi et au délit de négligence caractérisée dans la surveillance de l’accès Internet, elles doivent être abrogées.

Vers le renforcement de la censure privée par les hébergeurs

Le rapport Lescure prône une censure privatisée des contenus sous couvert d’autorégulation. En effet, il propose que les pouvoirs publics contribuent à généraliser les technologies de détection automatique et de filtrage (proposition 64) qui font d’ores et déjà peser une grave menace sur la liberté de communication des utilisateurs d’Internet. Les dispositifs de ce type déjà déployés, tels que le système Content-ID de YouTube, présentent en effet un risque de blocage de contenus parfaitement licites et compromettent gravement l’application effective des exceptions et limitations au droit d’auteur3.

En prônant « l’autorégulation » et l’inscription de clauses relatives à la lutte contre la contrefaçon dans les « conditions générales d’utilisation » de ces services en ligne (proposition 63), il s’agit pour les auteurs du rapport de contourner l’interdiction faite aux pouvoirs publics en vertu des droits français et européen d’imposer aux hébergeurs la surveillance généralisée des communications sur Internet4, notamment au travers de dispositifs techniques dont la CJUE a estimé dans son arrêt SABAM c/ Netlog du 12 février 2012 qu’ils ne respectaient ni la liberté d’expression, ni le le droit au respect de la vie privée. Une telle incitation pour les entreprises du Net à mettre en œuvre, par voie contractuelle, des dispositifs de surveillance des communications et des utilisateurs en vue d’appliquer des sanctions est parfaitement contraire à l’État de droit et attentatoire aux libertés fondamentales.

Par ailleurs, s’agissant des intermédiaires financiers, des régies publicitaires et de la mise en place d’une « liste noire » tenue par les « CyberDouanes », le rapport Lescure reprend en les adaptant certaines des dispositions proposées dans le cadre du projet de loi PIPA/SOPA et rejetées l’an dernier aux États-Unis. Là encore, il est question de négocier des « chartes de bonne pratique » visant de fait à couper les entrées financières des services en ligne (propositions 66 et 67). Or, même s’il est bien évidemment préférable du point de vue de la liberté d’expression d’intervenir au niveau des flux financiers que des flux d’information, le fait que les dispositifs proposés s’inscrivent dans un cadre extra-judiciaire les rend inacceptables.

Plutôt que d’encourager cette régulation extra-judiciaire des communications sur Internet, qui concerne également les moteurs de recherche (proposition 65), les pouvoirs publics doivent au contraire encadrer plus étroitement de tels mécanismes et en décourager l’utilisation, pour ainsi faire en sorte que la compétence de l’autorité judiciaire soit réaffirmée chaque fois que la liberté d’expression est en cause et le droit au procès équitable protégé par l’article 6 de la CEDH.

La banalisation du blocage de sites Internet

Comme le rapport Hadopi, et dans la droite ligne des demandes formulées par les ayants droit à l’occasion de l’affaire AlloStreaming, le rapport Lescure propose d’élargir le blocage de sites Internet, notamment des sites miroirs (proposition 61).

Tout en reconnaissant que les dispositions législatives en vigueur5 sont extrêmement larges6, et bien qu’il évoque les dangers de ces mesures pour la liberté de communication, le rapport défend le recours à cette méthode. Il propose d’étendre les mesures de blocage à tout site miroir répliquant le contenu d’un site ayant précédemment fait l’objet d’une ordonnance judiciaire de blocage. Il s’agit selon le rapport de lutter contre « l’effet Streisand » et de prendre acte de la jurisprudence actuelle7.

La Quadrature du Net ne peut que rappeler les carences inhérentes à ce mode de régulation des communications sur Internet, à la fois inefficace puisque pouvant être aisément contourné, et dangereux pour la liberté d’expression puisqu’aucune technique de blocage ne permet d’écarter le risque de sur-blocage, c’est-à-dire de blocage de contenus parfaitement licites8. Élargir ces mesures de blocage en permettant à l’autorité administrative (en l’occurrence le service national de douane judiciaire) d’ordonner aux fournisseurs d’accès le blocage de sites miroirs revient à accroître les dangers inhérents au blocage, et ce alors que les sites miroirs sont souvent utilisés à des fins d’expressions politiques par des citoyens souhaitant dénoncer la censure d’un site, comme ce fut le cas dans l’affaire Copwatch.

Le gouvernement doit au contraire s’engager dans un moratoire concernant les mesures de blocage de sites Internet, amender la loi française pour revenir sur le vocable extrêmement large qu’elle emploit (« toutes mesures propres à »), et imposer aux juridictions un contrôle de proportionnalité rigoureux des mesures limitant la liberté de communication sur Internet.

Des taxes au profit d’intérêts particuliers sans droits réels pour le public ni pour les auteurs

Le rapport Lescure recommande une extension considérable des prélèvements obligatoires sur les dispositifs et services techniques (« smartphones » et tout dispositif connecté, fournisseurs d’accès, hébergement « cloud », etc.). Ces prélèvements alimenteraient soit les répartiteurs de la copie privée actuelle soit un fonds de soutien à la transition numérique des industries culturelles. En d’autres termes, au lieu de financer la culture numérique vivante et ses millions de contributeurs, on taxera pour aider à la survie d’acteurs dont les modèles inadaptés sont responsables de leurs relatives difficultés et des plateformes de services en ligne qui n’ont d’autre ambition que d’être les équivalents nationaux ou européens des acteurs américains dominants.

En ce qui concerne le contrat d’édition, les recommandations s’inspirent de la loi sur les œuvres indisponibles sans paraître s’aviser qu’elle fait l’objet d’un rejet majeur de la part des auteurs qui s’estiment spoliés et viennent de la contester dans un recours pour excès de pouvoir. Même alignement sur des dispositions contestées en ce qui concerne la durée de cession des droits pour l’édition numérique et l’absence de clauses de rémunérations minimales.

L’exigence d’effectivité des exceptions dans la sphère numérique doit être saluée de même que la demande de « clarification » du statut fiscal des contributions au financement participatif ou l’introduction d’une définition positive du domaine public. Mais aucun droit n’est créé ou réaffirmé pour le public, qu’il s’agisse d’usagers ou des centaines de milliers d’auteurs et contributeurs de valeur à la création aujourd’hui absents des revenus du droit d’auteur et des droits voisins. Dans son obsession de garantir la survie des industriels de la rareté, le rapport Lescure passe à côté du vrai défi de la culture à l’ère d’Internet : comment rendre soutenables les pratiques d’un nombre très accru de contributeurs aux activités créatives et d’expression publique ?

Le partage non-marchand d’œuvres culturelles entre individus doit être légalisé. Alors que l’introduction de cette problématique dans le rapport est intéressante, les arguments avancés pour la rejeter retombent dans les pires effets rhétoriques, par exemple lorsque le rapport compare le produit d’une contribution créative au chiffre d’affaires total des industries de la musique et de la vidéo enregistrée, alors qu’il vient pourtant de reconnaître que le partage n’est nullement incompatible avec la consommation numérique. Contrairement à ce qui est affirmé, la mise en place de financements mutualisés n’implique nullement une surveillance des échanges, intrusive pour les individus, alors que c’est ce qui va perdurer avec le système d’amendes recommandées.

Conclusion

En reprenant à son compte les positions de l’industrie du divertissement qui entachaient déjà l’accord ACTA ou les projets de loi PIPA/SOPA aux États-Unis, la mission Lescure fournit un nouvel exemple de l’impasse démocratique et juridique à laquelle conduisent les conflits d’intérêts récurrents dans les débats touchant au droit d’auteur.

Le gouvernement doit renoncer à ces propositions qui perpétuent la logique répressive qui perdure depuis plus de dix ans, et qui met gravement en cause la protection des droits fondamentaux sur Internet.

  • 1. Le délit de négligence caractérisée contribue également à décourager le partage des accès WiFi, qui pourrait jouer un rôle important dans le développement de réseaux collaboratifs. Ces derniers ont pourtant un potentiel important pour contribuer à la réduction de la fracture numérique et à encourager l’innovation en matière d’accès Internet sans-fil. Voir notamment : Pour une politique des fréquences au service de l’innovation et de la démocratie
  • 2. Voir la proposition opposée formulée par La Quadrature du Net dès 2008 de créer un observatoire indépendant de ces pratiques.
  • 3. Voir notamment : https://www.laquadrature.net/en/like-nina-fight-privatized-censorship-of-culture
  • 4. Voir l’article 15 de la directive eCommerce et l’article 6-I-7 de la LCEN, qui disposent que les hébergeurs et les FAI ne sont pas soumis « à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ».
  • 5. Article 6-I-8 de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique et article 336-2 du Code de la propriété intellectuelle
  • 6. Aussi bien l’article 6-I-8 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004 que l’article 336-2 du Code de la propriété intellectuelle utilisent la même expression, à savoir : « Le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visées à l’article L. 321-1 ou des organismes de défense professionnelle visés à l’article L. 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier. »
    Cette formule – « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte au droit d’auteur » – est de portée extrêmement générale, tandis qu’aucune « jurisprudence constante » n’a déjà entériné sur son fondement une mesure équivalente à la mesure sollicitée. La loi française sur laquelle se fonde le blocage ne peut donc être considérée comme satisfaisante du point de vue du droit européen comme préalable, claire et précise.
    Par ailleurs, dans son opinion concordante dans l’arrêt Yildrim c. Turquie du 18 décembre 2012, le juge de la CEDH Pinto De Albuquerque notait que « ni les dispositions ou clauses générales de la responsabilité civile ou pénale ni la directive sur le commerce électronique ne constituent des bases valables pour ordonner un blocage sur l’Internet ».
  • 7. Le TGI de Paris ayant indiqué dans son ordonnance dans l’affaire Copwatch II qu’il « n’appartient pas à l’autorité judiciaire gardienne constitutionnelle des libertés individuelles de déléguer des prérogatives de son pouvoir juridictionnel sans qu’un texte législatif ne l’y autorise expressément. ».
    Voir : affaire Copwatch
  • 8. Voir la note de LQDN : Le filtrage d’Internet viole l’État de droit



    aaa

    Rapport Lescure : “Une opération de blanchiment dont personne n’est dupe”
    Juan Branco | lesinrocks.com | lundi 13 mai 2013


    Pierre Lescure en mai 2012 (Charles Platiau/Reuters)

    Juan Branco, ancien collaborateur de campagne d’Aurélie Filippetti et opposant à Hadopi, réagit dans une tribune au rapport Lescure sur les politiques culturelles à l’ère du numérique.

    Pierre Lescure a tenté. En homme de médias, il sait l’importance de la première dépêche AFP, de la “headline” sur laquelle se concentreront la grande majorité des réactions. Avec malice, il a fait un pari fou. Celui de conquérir les “jeunes” sans ne rien céder aux industries culturelles. De proposer une réforme d’apparence qui satisfasse l’ensemble des acteurs du débat, société civile inclue, sans au fond ne rien changer.

    Mais le temps passe, et la génération Internet n’est plus la génération télévisée. En proposant la “suppression d’Hadopi”, pour mieux en renforcer le volet répressif, Pierre Lescure et le gouvernement se prêtent à une opération de blanchiment dont personne n’est dupe. Elle masque les autres mesures, notamment la création de plusieurs taxes, dont on interrogera nécessairement la légitimité dès lors qu’aucun nouveau droit n’est créé pour les publics.

    La manœuvre est grossière. Un changement de nom, une transformation du procédé, et l’on oubliera toutes les promesses de campagne, tous les engagements du monde socialiste depuis 2005. De notre ministre de la Culture. Cette promesse d’une nouvelle approche, d’un pouvoir attentif enfin aux besoins des acteurs les plus fragiles du système, porteur d’une vision d’ensemble.

    Hadopi n’a jamais été qu’une façade, une porte d’entrée dans un débat bien plus large qui touche au financement de la culture et à sa démocratisation. Hadopi n’a jamais coupé la moindre connexion internet. Elle est une coquille vide depuis le premier jour, depuis que de recours en recours, ses opposants l’ont vidé de sa substance. Pierre Lescure le sait. Le tour de passe-passe qu’il propose, en transformant la “coupure d’accès à internet”, impossible techniquement, en amende automatisée, est une entreprise de communication. Loin de l’effet d’annonce, elle rendra fonctionnelle la riposte graduée, les sanctions automatiques. Il ne s’agit pas là d’un changement de paradigme. Rien de révolutionnaire, avait-il annoncé.

    Nos politiques culturelles méritent une autre ambition. L’exception culturelle se trouve bel et bien à un tournant. Lorsque, pendant la campagne, je propose à Aurélie Filippetti et François Hollande d’en faire un “acte 2″, ce n’est pas par ambition cosmétique. Les problèmes soulignés par Vincent Maraval et tant d’autres depuis affleurent déjà. Baisse des recettes des acteurs du pré-financement, dépendance excessive aux chaînes de télévision, visibilité des films… le milieu de la culture, et du cinéma en particulier, affronte un véritable bouleversement. Deux choix s’offrent à nous : figer le système dans le temps, en niant les nouveaux usages et en abandonnant toute ambition de réforme d’ensemble, comme l’a fait Nicolas Sarkozy en tentant d’ériger un barrage contre le pacifique appelé Hadopi. Ou profiter de l’opportunité offerte par le numérique pour redonner un élan à nos politiques culturelles.

    Il s’agissait dans cette dernière hypothèse de s’appuyer sur les nouvelles technologies, et le gisement de financements afférent, pour pérenniser en le réinventant le système né dans les années 80. Les télévisions étaient alors vues comme une menace pour le cinéma, dans la même mesure qu’internet aujourd’hui. Le coup de génie fut, plutôt que de les opposer, de les associer. Il s’agissait de reprendre le flambeau.

    Cette perspective ouvrait mille possibilités : compenser l’affaissement des chaînes de télévision par de nouveaux financements issus du numérique, intégrés à une chronologie des médias rénovée, réformer le CNC, ses aides automatiques et ses commissions pour les ouvrir à de nouvelles formes de production, réhabiliter le CSA en lui donnant de nouvelles prérogatives de sanction, créer de nouvelles obligations pour les chaînes de la TNT… Il s’agissait, en échange d’un véritable mouvement de démocratisation culturelle encadré par l’État, d’offrir enfin aux acteurs de la culture une opportunité de palier aux déficiences du modèle actuel. Il s’agissait de rendre crédible l’abrogation d’Hadopi, la vraie, et d’accompagner les artistes dans cette transition.

    Cette ambition a été abandonnée pendant la campagne, pour n’en garder que le slogan. L’inconnue que représente le monde de la culture pour Aurélie Filippetti et François Hollande ont réduit leur vision du secteur à quelques acteurs obsédés par leur rente. Leur méconnaissance leur a empêché de dépasser la cogestion qui caractérise depuis dix ans les politiques culturelles, avec le pendant corporatiste et court-termiste qui en résulte. Elle leur a interdit de porter un projet ambitieux, en accord avec leurs promesses. A la concertation de la campagne a donc suivi une concertation menée par Pierre Lescure, qui sera elle même suivie de concertations sectorielles, avant éventuellement l’adoption de dispositifs législatifs…

    Le rapport Lescure a bien évidemment été suivi de près par la rue de Valois et l’Élysée. Il fallait s’assurer que, malgré le renoncement, les apparences restent. Que la dédite faite à la parole donnée ne soit pas trop évidente. Qu’un simili d’éthique politique soit préservé, non pas tant par principe, mais pour rendre viables les propositions. Pour que les contradictions n’apparaissent qu’à ceux qui se donneront la peine d’approfondir.

    Au fond, on le voit, Pierre Lescure aurait aimé que l’on croie qu’il a bien voulu, mais que non, ce n’était vraiment pas possible, les industries culturelles n’étaient pas prêtes. Mais au fond, on le sait, il n’a pas vraiment cherché à xle rendre possible. L’homme de l’acte I ne pouvait se défaire des servitudes du passé. La présentation de son rapport à Cannes, samedi prochain, dans le patio de Canal +, encadré par Méheut et Belmer, n’en sera que la triste illustration. Cet homme s’est cru libre. Il n’a été que le rouage d’un système.

    Juan Branco




Voir en ligne : Rapport Lescure, le catalogue répressif de l’industrie

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.