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Le Livre blanc de la défense entérine une doctrine bien peu démocratique

Patrice Bouveret, Tony Fortin | obsarm.org | samedi 4 mai 2013

samedi 4 mai 2013

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Le Livre blanc de la défense entérine une doctrine bien peu démocratique
Patrice Bouveret, Tony Fortin | obsarm.org | samedi 4 mai 2013

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, un simple document de cadrage budgétaire ? C’est l’impression donnée par un certain nombre de commentateurs, pour qui la principale critique concerne la diminution de l’effort de défense.

Pourtant, le Livre blanc, publié le 29 avril avec quatre mois de retard, n’est pas rédigé par Bercy mais bien par une commission composée de militaires, de parlementaires, et autres experts militaires, sous la tutelle du ministre de la Défense et de ses conseillers.

C’est un acte profondément « politique », car il définit la doctrine stratégique de l’armée pour les années à venir. On a oublié un peu trop facilement que le précédent Livre blanc (2008) avait suscité de nombreuses critiques en faisant entrer la « sécurité nationale » dans le répertoire français, un concept tout droit tiré de la politique « anti-terroriste » américaine.

 Une doctrine bien pratique pour les politiques

Ce concept fait des militaires les auxiliaires d’une politique plus large, dont le président de la République est le maître d’œuvre, aux côtés de son ministre de l’Intérieur, qui devient presque un vice-Premier ministre en cas de crise grave (attaque terroriste, crise environnementale, émeutes urbaines...).

En pratique, la doctrine d’emploi des forces armées a été élargie au-delà de la seule réponse à une agression contre le territoire national ou les « intérêts vitaux » de la France. De fait, la doctrine de « sécurité nationale » donne au pouvoir en place les moyens de réagir contre toute « menace » ou « risque » qu’il estimerait susceptible d’affecter la vie de la nation.

À l’époque, de nombreux députés socialistes, alors dans l’opposition, avaient poussé des cris d’orfraie contre une doctrine qui sous couvert de lutte contre le terrorisme, venait concentrer tout l’arsenal répressif entre les mains du président de la République.

Or la réaffirmation de la pertinence de cette stratégie de sécurité nationale n’a fait l’objet d’aucune remarque de la part des commentateurs !

 Une analyse plus policière que géopolitique

De même, sous bien des aspects, l’intervention française au Mali concrétise de manière clinquante la philosophie sécuritaire du Livre blanc de 2008. La précédente livraison considérait déjà le Sahel – intégré dans « l’arc de crise » qui s’étend de la Mauritanie à la Corne de l’Afrique » – comme une périphérie menaçante pour la France.

Le Nord du Mali présenterait toutes les caractéristiques de ces « zones grises » mettant en danger la sécurité hexagonale : présence de groupes « djihadistes » liés à Al-Qaida, plaque tournante du trafic de drogue, trafics d’armes légères…

On le voit, la grille d’analyse est « policière » plus que « géopolitique » ou « sociale » et conduit de fait à minimiser le rôle de la gouvernance, la question du partage des richesses et des rapports de force ethno-nationaux.

En renvoyant systématiquement à la maîtrise du territoire par l’autorité centrale, elle favorise une lecture tronquée de la situation : l’effondrement de l’État malien et de son armée n’est pas imputable en tant que tel aux mouvements djihadistes, mais est bien le résultat d’une « équation nationale » non soldée depuis l’indépendance.

Bien sûr, « le champ sécuritaire » du Nord-Mali ne se superpose pas avec le « pré carré » ou « le domaine réservé » de l’âge d’or de la « Françafrique », dans la mesure où d’autres acteurs d’importance sont entrés en jeu ces dernières années dans le Sahel : les États-Unis, la Chine et, indirectement, le Qatar.

 Derrière la guerre au Mali, la Françafrique

Mais l’intervention au Mali a permis aux auteurs du nouveau Livre blanc de justifier l’utilité des forces prépositionnées en Afrique : celles installées au Tchad, en Côte d’Ivoire et au Mali, alors qu’elles étaient remises en cause dans le Livre blanc de 2008 au nom de la rupture consommée avec la « Françafrique ».

On objectera que la ficelle est un peu grosse, mais elle fonctionne pourtant. En cela, le « hollandisme » appliqué s’inscrit dans le droit fil de ses prédécesseurs. La crise au Mali a offert à l’Élysée l’opportunité de restaurer une partie de son influence en Afrique dans un contexte très concurrentiel, où s’épuisait sa surface de rayonnement.

Le répertoire de la guerre contre le terrorisme a fourni « les marges de manœuvre » nécessaires à cette ambition. Rappelons que l’opération au Mali a été déclenchée hors de tout mandat de l’ONU, sur simple demande du Président malien.

Une exception à la règle ? Trop facile ! L’aspect critiquable de la doctrine de la « sécurité nationale » est précisément de laisser au président de la République la libre appréciation de ce qui constitue une « menace » ou un « risque » contre la nation... sans les garde-fous démocratiques qui vont avec, comme un examen préalable à tout engagement des troupes à l’extérieur par le Parlement.

Si le Livre blanc de 2008 avait introduit quelques améliorations en la matière, nous sommes encore loin du compte. Et la nouvelle version reste singulièrement silencieuse sur le sujet. Comme s’il s’agissait de répondre aux zones grises par la constitution de nouvelles zones grises excluant toute implication possible des citoyens et de leurs représentants...


Voir en ligne : Voir la tribune sur le site de Rue89


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