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Précarité, licenciements, chômage, insécurité : la spirale de la récession sociale – Comment faire face ? Une contribution au débat

Jean-Claude MAMET | europe-solidaire.org | mercredi 27 mars 2013

mercredi 27 mars 2013

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Précarité, licenciements, chômage, insécurité : la spirale de la récession sociale – Comment faire face ? Une contribution au débat
Jean-Claude MAMET | europe-solidaire.org | mercredi 27 mars 2013

 Sommaire 
  • 1- Licenciements : effet (...)
  • 2- Combiner la lutte contre
  • 3- Limiter ou délégitimer (...)
  • 4- La sécurité sociale (...)

  • Cette contribution vise à apporter un éclairage sur la façon dont il faut défendre un contre-projet global face à l’offensive contre le droit social portée par les licenciements ainsi que par l’accord ANI du 11 janvier 2013.

    Trop souvent par exemple, le débat a pu se focaliser de manière un peu binaire entre les secteurs militants engagés contre les licenciements, et ceux qui mettraient l’accent sur le côté trop réducteur de ces luttes. Les premiers estiment que sous-estimer la question des licenciements laisse intact le pouvoir patronal de détruire l’emploi. Les seconds répondent que les luttes contre les licenciements laissent de côté un pan très important de la précarité, caché par effet loupe porté sur les fermetures d’usines. Les premiers ont le sentiment de s’attaquer au vrai pouvoir capitaliste et ont tendance à dénoncer les dérives opportunistes des deuxièmes. Et ceux-ci expliquent que la rhétorique anti-capitaliste n’est en réalité pas efficace, qu’il faut une action plus globale sur la sécurité sociale professionnelle, parfois estimée même plus radicale (au sens de prendre les choses à la racine). Ces débats parfois vifs traversent les forces politiques et le syndicalisme, à l’intérieur des organisations, mais aussi entre les organisations.

    Est-il possible d’associer ces deux points de vue trop exclusifs l’un de l’autre dans une démarche d’ensemble ? C’est le sens de cette argumentation.

     1- Licenciements : effet loupe ou révélateur politique ?

    Le cumul des licenciements ne mesure en effet qu’une réalité limitée de la crise sociale globalisée. Mais les chiffres doivent eux-mêmes être mis en perspective.

    Selon le collectif militant les Autres chiffres du chômage (ACDC), apparu début 2007, il y a chaque mois 580 000 personnes qui s’inscrivent au chômage et un peu moins qui en sortent, soit un mouvement ou flux permanent qui représente 11 à 12% des demandeurs d’emplois inscrits (étude de 2011). Dans ce flux, les entrées au chômage par le biais des contrats précaires interrompus (CDD et intérim) représentent l’écrasante majorité : 50% environ. Le total des licenciements (de toute nature) est en-dessous de 20% des entrées au chômage et il tendrait à diminuer, très probablement à cause de l’augmentation exponentielle des ruptures conventionnelles depuis l’accord ANI « légalisé » de 2008 qui les autorise. Celles-ci atteignent le chiffre de 1 million de ruptures, parmi lesquelles seules 25% sont à peu près « volontaires » selon une étude du Centre d’étude de l’emploi-CEE- commandée par la CFDT.

    Selon la DARES (Ministère du travail), en août 2012, les licenciements économiques stricts représentent 2,5% seulement des entrées au chômage, auxquelles il faut ajouter 8,4% des « entrées » par les autres types de licenciements. Les fins de CDD correspondent à 26% des entrées et les fins de contrats d’intérim 6% environ.

    Selon Mathieu Plane de l’OFCE, les fins de contrats précaires représentent une cause 10 fois plus élevée d’entrée au chômage que les licenciements économiques. Elles se produisent surtout dans les petites entreprises qui représentent l’écrasante majorité de l’emploi privé, et qui peuvent échapper pour partie à certains aspects de la législation encadrant les licenciements. En juin 2012, il y a eu 160 000 entrées au chômage issues de contrats précaires, soit 5000 par jour, soit l’équivalent quotidien d’un « grand plan social », de ceux qui font la une des médias.

    En 2004, selon une étude DARES (donc avant certaines modifications du Code de travail récentes et avant la crise débutée en 2009), les fins de CDD représentent 50% des sorties d’emploi, les démissions 20%, les licenciements économiques 2%, les autres licenciements 6%, les fins de période d’essai 6%. A noter que l’étude montrait que les licenciements pour « motif personnel » avaient augmenté de 50% entre 1989 et 2004, soit 3 fois plus que les licenciements économiques, et les fins de CDD 6 fois plus !

    Il y a donc bien une explosion de la précarité générale, qui n’est pas toujours suffisamment prise en compte si on s’en tient seulement aux grands plans de licenciements les plus visibles.

    Certes, tous ces chiffres présentent quelques disparités qu’un travail d’étude approfondi devrait permettre d’expliquer. Mais ils indiquent tous les mêmes ordres de grandeur : les licenciements économiques stricts ne représentent qu’une petite partie du flux des entrées au chômage. Et comme les contrats précaires, même s’ils représentent aujourd’hui l’écrasante majorité des embauches, sont loin encore de représenter la majorité des situations d’emploi (disons maximum 20%), on peut éventuellement penser que l’entrée au chômage est un risque qui ne concerne qu’une part du salariat, celle qui demeure précarisée. Certains commentateurs vont même plus loin en dénonçant les « privilèges » des CDI sur les précaires, les jeunes, etc. (évidemment pour aligner tout le monde vers le bas). Cette lecture est cependant dangereuse à plusieurs titres.

    Le premier biais trompeur est constitué de la catégorisation trop stricte des « entrées » au chômage. Par exemple les fins de contrats d’intérim ne sont pas comptés en licenciements (on l’a vu), alors que lorsqu’une entreprise licencie, elle commence déjà par se séparer de ces intérimaires, et elle le fait à bas bruit (c’est par exemple ce qui s’est passé à PSA Aulnay). Le volant d’intérim est donc la première variable d’ajustement dans les plans de licenciements. Or, ce volant peut représenter 5% des entrées au chômage. « Socialement », il n’y a aucune raison de ne pas les ajouter aux 2% de licenciements économiques stricto sensu.

    On pourrait discuter aussi du véritable sens des licenciements individuels et des ruptures conventionnelles, au nombre de 25 000 par mois. Selon le Centre d’étude de l’emploi, 75% des ruptures dites conventionnelles depuis 2008 ne sont pas vraiment volontaires. De plus en plus, le patronat cherche à s’affranchir de la législation du licenciement économique, jusqu’ici encadrée juridiquement, pour licencier sans contrainte (ANI du 11 janvier 2013), ou pour pousser les gens dehors (plans de départ volontaires) avec de l’argent. Etant entendu que les salarié-e-s, notamment celles et ceux qui sont « au bout de la chaine » de sous-traitance en cascade, cherchent avant tout (ayant intégré la réalité des rapports de force) à maintenir leur droit au salaire, même si les « primes à la valise » sont disqualifiées dans une partie du mouvement syndical et maquillent incontestablement des inégalités criantes, et/ou des situations de mépris total tant les sommes sont parfois dérisoires (20 000 euros à PSA).

    Même les licenciements individuels pour « faute » doivent être décortiqués dans leur signification sociale et économique réelle, notamment dans des entreprises dépourvues de représentation syndicale, ou dans les secteurs d’entreprises directement sous la coupe des décideurs (cadres, chercheurs, secrétariats…) où il est très facile de pousser à la faute. Là encore, il faudrait des études plus poussées.

    Enfin, il faut lire aussi la dynamique de l’évolution des chiffres sur les restructurations ou les fermetures d’entreprises. Depuis 2009, ce n’est pas surprenant, les suppressions d’emplois, les défaillances ou les fermetures d’entreprises se sont multipliées. Selon un travail mené par un institut (TRENDEO, observatoire de l’emploi et des investissements), en 2012, 266 usines ont fermé, soit 42% de plus qu’en 2011. Cela représente près de 24 000 emplois détruits, dont près de 13 000 dans l’automobile. Si on observe la situation depuis la crise de 2009, 1087 usines ont été fermées, et 703 ont été créées. Et c’est dans l’industrie au sens strict que l’hécatombe est la plus forte (près de 30 000 dans l’automobile, 6824 en pharmacie, 6548 en chimie, etc). De telles statistiques ont des effets induits ici non mesurés. Par exemple ces licenciements, ou fermetures d’activité, ont sans doute des effets sur les fins de contrats CDD dans les chaines de sous-traitance, les fins de contrat d’intérim, etc. Par ailleurs, certains licenciés économiques ou victimes de plans de suppressions d’emplois passent par la case des Contrats de transition professionnelle (CTP) avant d’être inscrits à Pôle emploi, échappant ainsi aux statistiques sur les licenciements.

    Au total donc, tout se tient. Il y a un volant permanent de précarité dû à la relativisation du CDI et donc un effet structurel d’entrée au chômage par les contrats précaires dont le but est précisément d’être…rompus. Mais les décisions de restructuration des groupes, grands ou petits, ont une signification économique et sociale non ambigüe, qu’elles aient ou non des effets statistiques dénombrés dans telle ou telle catégorie d’entrée au chômage.

    Enfin-dernière remarque-lorsque que des plans de licenciements touchent des usines automobiles, sidérurgiques, chimiques, pétro-chimiques, la conscience se propage qu’il s’agit là du cœur du salariat-prolétariat, parfois des secteurs ultra-qualifiés (recherche chez SANOFI), et que le noyau dur de l’emploi (industrie ou services : les frontières sont ténues) est atteint, propageant la menace d’une insécurité sociale en voie de généralisation. Tout le monde peut être touché. On pourrait d’ailleurs généraliser le propos avec les emplois publics.

    La question des licenciements agit donc aussi comme un révélateur politique, mais en effet elle ne résume pas à elle seule tout le champ de la crise sociale. Batailler contre les licenciements ne doit pas faire oublier que le droit du licenciement se mobilise différemment selon la taille des entreprises (plus de 50 ou non), selon qu’elles ont ou non un CE, selon leurs traditions de luttes, selon qu’elles sont en sous-traitance d’un donneur d’ordre ou pas, qu’elles sont en prise avec le marché mondial ou non, selon qu’on se trouve dans le cas de salarié-e-s totalement isolés et non syndiqués ou pas. Il est donc nécessaire de disposer d’une orientation qui englobe cette complexité, et pas de réduire le réel à un aspect unique. Il est nécessaire d’avoir une politique et un projet pour tous les salarié-e-s, et pas seulement pour les plus mobilisés.

     2- Combiner la lutte contre le pouvoir patronal de licencier avec la lutte pour conquérir un droit à l’emploi légalement opposable

    Les plans de licenciements dans les grands groupes ont une visibilité politique amplifiée parce qu’ils touchent le cœur du tissu social, dans sa symbolique (grandes industries où se sont côtoyés des générations, des métiers, où se sont forgées des mémoires populaires, même si c’est de moins en moins vrai aujourd’hui) et dans sa chair.

    Il est donc absolument essentiel d’agir, par les luttes et par la loi (par le droit), pour contester autant que faire se peut le pouvoir patronal de décider du sort de milliers, et potentiellement de millions de personnes et de familles. Tout licenciement, toute mise au chômage (qui équivaut à une destruction ou un amenuisement du droit social), est illégitime. Les fermetures d’usines, de services, parfois les délocalisations, accompagnées en plus (mais pas toujours) de dividendes versés, d’effets de bourse, sont des démonstrations éclatantes du pouvoir capitaliste et de sa logique mises à nu. C’est pourquoi, elles sont des occasions de luttes sociales présentant une opportunité de démonstration politique à l’échelle d’une région ou parfois du pays entier lorsque des entreprises emblématiques sont à la une de l’actualité (Arcelor, PSA, Goodyear, SANOFI…).

    Il est donc absolument nécessaire d’agir sur les deux fronts :

    • empêcher ou limiter le pouvoir de licenciement, obtenir pour cela des droits supplémentaires pour les salariés,
    • et agir pour sécuriser les situations de travail de manière stable, de telle sorte que la précarité des contrats de travail se réduise au maximum et que les licenciements deviennent un acte illégitime ; il s’agit de l’extension de la sécurité sociale à l’emploi (et au salaire) revenant à conférer à la situation d’emploi une portée statutaire et abolir la logique purement contractuelle de subordination.

     3- Limiter ou délégitimer le pouvoir de licencier, par les luttes et par la loi

    Luttes : la décision de licencier, lorsqu’elle tombe, apparait comme un pouvoir exorbitant, totalement injuste et révoltant, de détruire la vie sociale de plusieurs dizaines, centaines ou milliers de personnes, avec leur famille, voire d’anéantir un bassin d’emploi entier. Dès lors, le cri jaillit des luttes elles-mêmes : il faut interdire ce droit ! C’est un cri de révolte et de mobilisation légitime, qui met en évidence la contradiction insurmontable entre l’intérêt de la classe capitaliste et celle des salarié-e-s. Parfois aussi, ce cri ne jaillit pas et c’est l’anéantissement qui prévaut.

    Lorsque des licenciements s’accumulent dans plusieurs entreprises simultanément, il est naturel que des solidarités soient recherchées, visant des actions communes, des manifestations communes, etc. C’est là l’essence même du syndicalisme : empêcher la division, l’émiettement, la concurrence. La difficulté est cependant énorme : chaque situation de licenciement, dans un contexte donné du droit, a son propre calendrier, sa chronologie légale, ses rythmes de mobilisation, ses traditions de lutte. De sorte qu’il est rare qu’une coordination inter-entreprise soit facile à établir et réellement efficiente. Il faut aussi pour y parvenir disposer de moyens organisationnels puissants, qui ne sont pas donnés à des entreprises isolées avec des traditions syndicales variables. Seules les confédérations et fédérations auraient le poids nécessaire pour compenser ces inégalités, mais sans les annuler. Une entreprise phare peut jouer un rôle fédérateur si le plan de licenciement qui la concerne parvient, par le rapport de force installé préalablement à la décision de l’employeur, à étaler le calendrier suffisamment pour permettre des contacts inter-entreprises, et mettre en commun les expériences. Ce fut le cas de Lip en 1973-1974 ; ce fut le cas de Danone-Mark and Spencer-Air Liberté au printemps 2001 (aboutissant à une manifestation de 20 000 personnes le 7 juin, en plein débat parlementaire pour une loi d’encadrement des licenciements) ; ce fut le cas très ponctuellement avec les licenciements à Electronics (Rennes) ; c’est ce qui se passe avec le réseau fragile des Licencielles depuis l’automne 2012, réseau qui a quand même permis de mettre cette question politique au centre du débat public.

    Les stratégies syndicales mises en avant face à des plans de suppressions d’emploi sont très complexes, articulant le droit, le temps, la mobilisation, les soutiens politiques et institutionnels, des solutions alternatives, l’environnement économique. L’irruption des salariés dans la dénonciation de la propriété privée est maximale (avec un effet subversif) si elle parvient à se traduire par exemple par une remise en marche partielle ou totale de l’usine (Lip 1973) ou par l’exigence de prise de contrôle public (Arcelor, M Réal, Fralib pour une part). Inversement, la polémique a pu se développer lorsque des collectifs de salariés, avec leurs syndicats, acceptent d’entrer dans des logiques de primes compensatrices, lorsqu’ils (elles) ont le sentiment que c’est le dernier recours possible pour préserver une dignité collective. Chaque situation et chaque débat syndical doivent être appréciés dans un contexte précis, et pas hors du temps : il ne peut être question de porter des jugements de condamnation à priori lorsque des collectifs de salariés négocient des avantages sociaux et que le rapport de force est dégradé. Empêcher une fermeture d’usine ou des licenciements n’est pas totalement impossible, mais extraordinairement difficile dans le contexte global d’aujourd’hui.

    La Loi et le droit : la capacité de mobilisation est souvent fonction de ce qui est perçu collectivement comme son « bon droit » bafoué par une décision unilatérale ou brutale. Droits acquis, droits à acquérir et luttes ne s’opposent pas, mais se complètent et s’épaulent. En conséquence, l’encadrement du droit du licenciement économique et du licenciement individuel sont des leviers absolument décisifs pour aider l’action. En même temps, le pouvoir d’embaucher et de licencier est consubstanciel au pouvoir capitaliste, à la propriété privée des moyens de production, et à la nature assymétrique du contrat de travail et de la relation de subordination. Il ne peut pas y avoir d’encadrement juridique en aval du droit de licenciement qui englobe toutes les situations, prévoit tous les cas possible et anéantisse le pouvoir capitaliste. Seule la portée constitutionnelle, définie en amont, du droit universel à l’emploi (déjà inscrite dans le préambule de la Constitution), si elle se développe jusqu’au bout sous la poussée du rapport des forces politique global, peut rééquilibrer (ou mettre en cause) le marché du travail capitaliste. C’est tout le sens de la sécurité sociale d’emploi (voir plus loin).

    La loi et le Code du travail doivent porter sur des mesures qui permettent d’entraver le pouvoir capitaliste, et de donner plus de temps et de moyens pour s’organiser, contester, mobiliser (salarié-e-s, opinion publique), imposer des alternatives sur les points suivants (non exhaustif) :

    • La définition même encadrant le droit de licenciement, étant donné que dans la jungle capitaliste mondialisée, il peut y avoir des situations où ceux-ci sont impossibles à éviter ; ce droit de licenciement doit être mobilisable pour toute situation sans contournement possible (exemples de contournement : plans de départ volontaire, ruptures conventionnelles, amiables, etc) ; ce droit d’encadrement du licenciement économique devrait pouvoir commencer dès lors qu’un seul emploi est concerné ;
    • Leur justification : il n’est pas possible que le droit de supprimer une relation d’emploi se fasse sans cause « réelle et sérieuse », ou seulement pour augmenter la rentabilité des capitaux investis, ou encore si l’entreprise a bénéficié d’aides publiques qu’elle consomme sans rendre de comptes à la collectivité ;
    • Le pouvoir de contester, le droit de veto : il est essentiel que les collectifs de salariés et donc leurs organisations représentées dans les IRP puissent avoir les moyens de vérifier les procédures et la teneur des décisions prises en disposant du même droit à l’information détaillée que les actionnaires (par exemple) ;
    • Le droit de veto débouche sur la nécessité d’une médiation, l’intervention d’un tiers, afin que soit appréciée la possibilité de faire valoir d’autres solutions : la justice parait l’institution la plus appropriée. Cela implique cependant qu’elle ait le droit et les moyens de juger quant au fond (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui). Un débat existe aussi pour donner ce pouvoir aux pouvoirs publics actuels (inspecteurs du travail, directeurs du travail) ou pour définir d’autres institutions (comités régionaux de l’emploi).
    • Le droit à l’alternative : il peut s’agir de l’obligation d’examiner des possibilités de reprises, ou du droit des salarié-e-s à faire valoir des solutions solidaires de type coopérative (avec obligation d’étudier la faisabilité économique) , ou de l’exigence d’une intervention directe des pouvoirs publics (nationalisation, intervention d’une collectivité locale).
    • Droit de veto et droit à l’alternative peuvent amener des contradictions dans le collectif des salarié-e-s : une SCOP peut être viable avec moins de salariés que l’entreprise en crise n’en salariait au début, etc. Cette question amène donc des débats et des positions différentes parmi les syndicalistes, les avocats, les défenseurs du droit du travail. Il faut affronter ces débats, afin que les salarié-e-s, lorsque c’est possible (cela ne l’est pas toujours, loin s’en faut) tentent de déboucher sur une attitude active face aux restructurations. L’accumulation d’expériences de type autogestionnaire ou d’économie sociale et solidaire est nécessaire pour rendre concrète une perspective d’appropriation sociale collective.

     4- La sécurité sociale d’emploi et du salaire

    • Comme nous l’avons dit plus haut, le droit du licenciement se mobilise différemment selon le rapport de force qui l’actionne : grandes entreprises, petites entreprises, place dans la chaîne productive, histoire syndicale, etc. Ce qui fait que la lutte contre les licenciements économiques reflètent aussi des inégalités sociales fortes. Pour les partisans de l’émancipation collective, il est essentiel de disposer d’un corps de propositions qui puisse être entendu par tous-tes les salarié-e-s et refléter leur expérience du droit social. Cette universalisation des droits est plutôt représentée par le droit de la sécurité sociale. Historiquement, la sécurité sociale s’est construite pour compenser les effets désastreux du « libre » marché du travail capitaliste, où un employeur n’est intéressé à contracter avec un-e salarié-e que pour le temps où cela rapporte un profit. Ce qui n’aboutit qu’à la misère (maladie, retraite des morts). La mise en commun de moyens entre salarié-e-s (mutuelles), l’invention des cotisations, puis l’augmentation du salaire qui en a résulté (salaire collectif ou socialisé), et enfin la reconnaissance politique de ces droits par les pouvoirs publics (République sociale, appelée aussi improprement Etat social), ont peu à peu débouché sur des conquêtes salariales, des institutions du salariat. Bref, face au capital, le travail n’est pas « rien », il a une puissance accumulée, des points d’appui, il a réussi à développer des germes de socialisation. Aujourd’hui, la stratégie du capital et de la globalisation est de détruire tout cela (la troîka s’y emploie dans une partie de l’Europe).

    • Dès la Révolution française (1789-1793), le « droit au travail » est inscrit dans les tentatives successives de rédactions constitutionnelles pour définir les « droits de l’homme et du citoyen », en même temps que le « droit de propriété ». En 1793, la Constitution inscrit le « droit à la subsistance aux malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui n’en ont pas ». Notons-le : « procurer du travail » est une exigence politique constitutionnelle. Par la suite cette tension entre marché du travail et droit social a été permanente. Elle a été au cœur de l’affrontement sanglant de 1848. Sans parcourir toute l’histoire populaire, il en découle qu’il faut réfuter totalement l’idée que le « droit d’obtenir un emploi », qui figure dans le préambule de 1946, repris en 1958, serait un simple droit de moyen (tendre vers le plein emploi) et non de résultat. C’est une bataille politique et juridique. En 1946, ce droit d’obtenir un emploi n’est pas passé dans le droit général de la sécurité sociale, bien qu’il en était question et que le Conseil national de la Résistance l’avait prévu. La crise capitaliste et ses effets ont remis cette problématique dans le débat public depuis 15 ans environ.

    • En amont du droit de licenciement, il y a donc le droit constitutionnel d’obtenir un emploi. Au fond, il s’agit d’étendre au « droit à l’emploi » la mutualisation (ou socialisation) des moyens qui ont obligé la classe capitaliste à payer des salaires collectifs sous forme de droits à la santé, à la retraite, aux allocations familiales, aux accidents du travail. Donc d’étendre à l’emploi, ou, si on veut, vers un statut de salarié titulaire d’un emploi qualifié (donc en rupture avec le marché du travail contractualisé), ce qui est (et reste encore) déjà reconnu socialement et politiquement sur d’autres questions sociales (santé, etc). Dans cette compréhension, emploi et salaire sont intrinsèquement liés : il ne saurait être question de lâcher l’un pour l’autre.

    • Pour y parvenir, il faut une progression juridique et un rapport de force. La progression juridique peut partir du droit actuel. Par exemple, dans le droit actuel du licenciement, le reclassement qui accompagne le « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) a été justifié explicitement par le préambule de 1946 lorsqu’il a été codifié. C’est donc un droit constitutionnel. Mais il n’y a pas d’obligation de résultat, seulement de moyens : il doit cependant s’appliquer y compris dans les entreprises du groupe (par exemple) si l’entreprise qui licencie fait partie d’un groupe. Et le licenciement ne peut intervenir que si le reclassement est réputé impossible. Il est donc possible de partir de là pour proposer que ce reclassement soit effectif, et qu’il y ait obligation de résultat, à salaire et qualification égale (c’était d’ailleurs un « mot d’ordre » de l’après-1968 !). Amender le Code du travail en ce sens aurait une portée politique décisive.

    • Il ne s’agit pas pour autant d’abandonner la lutte contre le droit patronal de licencier. Il faut garder intacte la contestation de ce droit. Mais il est nécessaire de se battre, politiquement et parallèlement, pour que le salariat comme collectif se voie reconnaitre un droit à l’emploi et au salaire maintenu, reconnu à chaque personne (statut) indépendamment de sa place à un moment donné dans la production. C’est le patronat dans son ensemble qui doit devenir le garant de ce droit universel. Il s’agit au plan juridique d’ajouter au Code de la Sécurité sociale un article mettant en place un Fonds interprofessionnel de mutualisation de cotisations patronales, garantissant le maintien des salaires contre les aléas de la crise, jusqu’à reclassement effectif. Un tel fonds existe déjà pour les faillites : l’Association pour la garantie des salaires (AGS), ce n’est donc pas une utopie complète, même si le patronat veut réduire ce fonds ou le faire payer par les pouvoirs publics. Un tel fonds pourrait dans un premier temps être constitué par branches (voire bassin d’emploi) afin que les entreprises de telle ou telle branche subissent concrètement les conséquences de leurs décisions en matière d’emploi, notamment en payant une proportion des conséquences du reclassement effectif jusqu’à nouvel emploi stable en CDI. Ainsi il ne s’agit en aucun cas d’un droit de licencier compensé par le paiement d’une amende dûment proportionnée aux coûts sociaux induits, tel qu’envisagé par certains défenseurs libéraux de la sécurité sociale professionnelle (rapport Cahuc-Kramarz en 2004). Il s’agit d’une péréquation interne à la classe capitaliste sur le coût de ses décisions, et sur le modèle de la Sécurité sociale. Par là, le droit social revêt une dimension collective, une dimension politique, une dimension de classe.

    Conclusion provisoire sur le rapport des forces : Il est parfois objecté que le rapport des forces nécessaire pour obtenir la pleine constitutionnalisation du droit à l’emploi, lequel serait rendu opposable à toute décision de suppression d’emploi, serait extrêmement difficile à obtenir. Il ne s’agit pas de nier ce constat : c’est un bouleversement de société. Inversement, il serait inopportun de ne pas voir que le débat public sur la critique des licenciements guidés par la recherche de la profitabilité a marqué la scène politique et contribué à éclairer les esprits, et donc participe du rapport des forces indispensable. En réalité, l’approche du rapport des forces par les licenciements et celle par l’insécurité sociale générale se complètent et se renforcent. Aucune ne saurait à elle seule rendre compte de la totalité des éléments à prendre en compte pour construire une alternative d’ensemble à la mesure du défi d’une récession sociale généralisée. La lutte contre les licenciements a fait irruption sur la scène politique, mettant en avant la nécessité d’y opposer l’action coordonnée pour déboucher sur une loi d’intérêt général. Le défaut est cependant d’attaquer la logique d’ensemble du système en aval une fois les décisions prises. L’insécurité sociale aggravée exige de prendre les problèmes en amont : quelle société produit une telle récession des droits ? Il s’agit alors de faire le pari qu’un projet s’appuyant sur une universalisation des droits peut revêtir une force politique d’ensemble. Il s’agit bien dans cette approche de tarir les licenciements à la source et de briser la logique destructrice du marché du travail. Il s’agit dans l’autre approche de contester pas à pas le droit régalien et patronal de supprimer l’emploi, au su et au vu de tous et toutes, et donc d’agir à chaud. Les deux approches, combinant la lutte et le droit, sont complémentaires et d’une urgente nécessité.

    Jean-Claude Mamet


Voir en ligne : Précarité, licenciements, chômage, insécurité : la spirale de la récession sociale – Comment faire face ? Une contribution au débat

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