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La guerre du cannabis entre dans les jardins

Laurent Appel, avec le soutien de Jean-Pierre Galland et Olivier PoulainLaurent Appel - Jean-Pierre Galland - Olivier Poulain | asud.org - geopolcrim.info | lundi 4 & mardi 5 février 2013 | geopolcrim.info | mardi 5 février 2013

samedi 9 mars 2013

 La guerre du cannabis entre dans les jardins (1)
Laurent Appel, avec le soutien de Jean-Pierre Galland et Olivier Poulain | geopolcrim.info | mardi 5 février 2013
 Cannabiculteurs en danger
Jean-Pierre Galland | asud.org | lundi 4 février 2013




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La guerre du cannabis entre dans les jardins (1)
Laurent Appel, avec le soutien de Jean-Pierre Galland et Olivier Poulain | geopolcrim.info | mardi 5 février 2013

Le marché du cannabis a longtemps eu une image cool, surtout comparé à l’héroïne ou la cocaïne. Ce temps est révolu : règlements de comptes et enlèvements, mafias transnationales et clubs de motards 1%, go-fast kamikazes et occupations de territoires, extorsions et braquages, vols de plantes et ripostes armées… désormais cette violence endémique concerne autant le caïd de gang ou ses charbonniers (dealers) que les riverains des » fours » (deal de rue), l’importateur de résine (haschich) que l’industriel local de weed indoor (fleurs de cannabis cultivées sous lampe), le cannabiculteur semi-pro que le petit auto producteur (voir encadré de Jean-Pierre Galland).

Partie du Canada et des USA dans les années 80/90, la guerre du cannabis s’est d’abord propagée à la Scandinavie, puis l’Angleterre et le Benelux au début des années 2000, avant de toucher le reste de l’Europe dont la France.

Si des mesures cohérentes et pragmatiques ne sont pas rapidement mises en œuvre, le principal risque du cannabis sera l’overdose de plomb par Kalachnikov.

 

Comment en est-on arrivé là ?

Pendant longtemps, le marché était alimenté par une multitude de micro-filières sur fond de commerce équitable en bus Volkswagen avec le Népal, le Maroc ou le Zaïre. Il y avait aussi des équipes du grand banditisme dans l’import en gros et des militaires de retour d’opérations extérieures comme le Liban. L’offre couvrait à peine une demande encore assez restreinte, le marché générait assez peu de conflits et de violence apparente.

C’est l’explosion de la consommation dans les années 90 puis le développement de la production en Europe qui ont considérablement modifié le marché. La fourniture des centaines de deals de rue contrôlés par des gangs très autonomes, mais aussi des milliers de dealers d’appartement et des dizaines de milliers de réseaux amicaux de quelques usagers, forment un nouveau paysage qui devient un enjeu économique majeur et l’objet d’une lutte sans merci. Aujourd’hui, le trafic de cannabis structure le banditisme français. Sans oublier l’action, parfois violente, de la police et de la justice qui déstabilise les producteurs et les territoires mais relancent aussi de nouvelles guerres, comme le démontre le rapport 2011 de la Global Commission on drug policy (p15).

Une première partie de ce dossier compile les souvenirs d’acteurs majeurs de la scène cannabique française sous le « parrainage » de Jean-Pierre Galland, auteur des ouvrages de référence Fumée clandestines 1 et 2, afin de décrire de l’intérieur l’évolution du marché du cannabis français. Une interview à deux voix d’anciens militants de Chanvre et Compagnie illustrera cette partie.

Une deuxième partie (à paraître en mars) présentera les acteurs de cette guerre sous forme de fiches thématiques : gangs de cités, grand banditisme, mafias, clubs de motards, dealers d’appartement, producteurs indépendants, auto producteurs, clients de four, riverains, forces répressives, cannabis social clubs, stratégies d’apaisement avec ou sans régulation du marché du cannabis.

Première partie : l’évolution du marché français du cannabis

La scène se déroule en 1999 pendant la 12ème Cannabis Cup à Amsterdam. Je viens de projeter dans un bar mon film « Cannabis TV » à une trentaine d’Américains. Ils sont sidérés par les images de plantes géantes en Suisse. Félix, un des intervenants de mon film, est présent et en profite pour montrer des photos et vendre ses graines. Un groupe de trois femmes dans la cinquantaine, look hippie chic, se montre particulièrement intéressé. Elles sortent aussi des photos de leurs productions clandestines aux USA. Une chose me frappe : il y a des armes automatiques partout. J’ose remarquer que leur business n’a pas l’air très peace pour des hippies. La cheffe me répond : « On voit bien que vous ne cultivez pas beaucoup d’herbe en France. Si cela arrive un jour, vous porterez aussi des armes et ça risque de servir »

La préhistoire

La consommation de cannabis est très faible dans la France de l’après-guerre. On trouve des groupes restreints de consommateurs chez les coloniaux militaires ou civils, les travailleurs immigrés, les voyageurs, les noctambules, les Antillais, les artistes… avec une augmentation après 1962 et le retour des rapatriés et des harkis puis avec l’accélération du recrutement des travailleurs immigrés.

La première explosion vient de Londres, Amsterdam et San Francisco, à partir de 1966, jusqu’à l’apogée du Summer of love de 1969. Elle concerne principalement les hippies et les gauchistes les plus dévoyés si on peut les appeler comme cela. Quelques déserteurs américains de la guerre du Vietnam se planquent dans les communautés du Sud. J’en ai rencontré bien plus tard en Ardèche, ils cultivent déjà des variétés californiennes. Des marginaux voyageurs collectent des graines dans l’Himalaya et en Turquie et les plantent ici avec succès. Il y a beaucoup plus de fourmis pour ramener de l’héroïne ou même de la coke que pour le cannabis. Le point de départ des voyages, le Magic bus, est souvent Amsterdam où les Provos (un groupe de gauchistes bataves) tiennent des centres de jeunesse très cannabis friendly, le Melkweg deviendra le plus célèbre. Au fil des années, des milliers de hippies français camperont sur la place du Dam et dans le Vondelpark.

La consommation des jeunes se développe dans les années 70, tant d’un point de vue social que géographique, au grand étonnement de la population qui ne comprend pas cet engouement pour une drogue de l’étranger. Lors des premiers festivals de rock de la révolution psychédélique française, on assiste à une guéguerre entre les hippies et certains gauchistes pour qui les drogues ne riment pas avec révolution prolétarienne. Il est alors simple de cultiver du cannabis car peu de gens connaissent cette plante, beaucoup de retraités la prennent pour du chanvre à graines, encore cultivé pour la pêche. L’immense majorité des consommateurs ne connait rien à la culture ni à la transformation du cannabis. Ils ne savent souvent pas que le hasch vient de l’herbe ou que les feuilles ne contiennent presque pas de principes actifs.

A partir de 1975, le hasch de Turquie et de la route de Katmandou se fait rare, les herbes de Colombie, du Mexique, de Thaïlande et des USA aussi. Les premières plaquettes de pollen marocain font leur apparition avec l’herbe zaïroise et sénégalaise/gambienne et toujours la ganja des DOM/TOM autour de ces communautés. Ces graines très peu adaptées à notre climat ont été majoritairement celles utilisées pour appliquer les premiers conseils de culture publié dans la presse underground (Libération, Actuel) ou les ouvrages de hippies allemands, américains et surtout québécois par proximité linguistique (Mainmise, 77). Cette erreur de génétique a découragé de nombreuses vocations et accordé pour longtemps une mauvaise réputation à « la locale ».

A partir de 1978, le marché se polarise sur le libanais jaune et rouge et l’africaine générique, de qualité très variable, au détriment du marocain, sauf l’huile très présente car facile à trafiquer, et de la diversité du cannabis ramené des voyages (premier renforcement des contrôles douaniers). Les squats des grandes villes commencent à héberger des scènes ouvertes de deal de cannabis puis d’autres drogues. Les affrontements entre dealers, la dépouille des clients et les raids de police sont fréquents mais très localisés.

A partir de 1980, on fume dans toutes les cours de lycées de France. L’usage s’est répandu dans toutes les couches sociales et les usagers vieillissent. Des réseaux de deal d’appartement apparaissent même à la campagne. La plupart sont des réseaux de taille modeste et conviviaux, mais le grand banditisme s’intéresse déjà au marché de gros, tout en privilégiant largement l’héroïne. Les militaires de retour de la Finul, la Force intérimaire des Nations unies au Liban, fournissent aussi une part du marché : on trouve du libanais rouge vraiment partout. Pour l’herbe africaine, les foyers Sonacotra sont des points névralgiques d’approvisionnement.

Le titre de Libé du 30/31 janvier 1982 est : « Drogues : le boum mondial ». Entre 1982 et 1984, les efforts de Joseph Francesci, secrétaire d’Etat à la sécurité, vont disperser les zones de deal et les repousser dans les banlieues. A partir de 1985, les médias focalisent encore plus sur le fléau mondial de la drogue. Les contrôles policiers et douaniers augmentent considérablement. Le Liban convertit ses cultures de cannabis, plante du pavot pour produire l’héroïne, drogue dominante du marché. Les premières pénuries apparaissent, les produits fréquemment coupés aussi. La situation se dégrade vraiment à partir de 1986 avec l’apparition puis la généralisation de la savonnette marocaine.

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Les pionniers de la production française

Les premiers reportages sur les cultivateurs en herbe sont diffusés à partir de 1981, par exemple « Du hasch à la ferme » en prime time sur TF1. Toujours en 81, la police saisit 18 913 pieds de cannabis, le double de l’année précédente. Les magazines underground comme Viper ou L’Écho des savanes propagent la culture cannabique. Jusqu’en 1985, l’excellent rapport qualité/prix sur le marché ne pousse pas beaucoup à l’autoproduction. Pourtant, certains planteurs sont déjà des experts et produisent de bonnes quantités, notamment en Ardèche, Drome, Alpilles, Luberon, Lot et dans toutes les zones montagneuses peu peuplées et ensoleillées. Le mouvement cannabique est déjà très fort aux Pays-Bas, en Allemagne et surtout aux USA. Amsterdam est la Mecque de la cannabiculture pour les Français qui apprennent l’anglais dans les ouvrages d’horticulture spécialisée.

Sans lien direct, la consommation de cannabis explose, à 90 % de la résine marocaine ou du Border Afghan ramené de Hollande. Les premiers convois de trois voitures reliées par CB ouvrent la route du sud de l’Espagne ou des moulins du Nord. Le prix de gros couramment constaté va de 800 à 5000 FF le kilo de savonnette et de 6600 à 16 000 FF pour le kilo de noir. Les premiers kilos de skunk (fleurs de haute qualité) apparaissent à partir de 20 000 FF, mais cette variété est encore rare. La qualité de l’herbe est jugée excellente, le hasch juste passable.

A partir de 1990, la qualité de la résine est standardisée sur le pire, on fume du Volvo et du Mercédès (arborant les logos sur les savons) coupé à la paraffine, et ce de Lille à Marseille, de Strasbourg à Nantes. Certains lots sont si mauvais que les consommateurs baptisent ce shit vert-noir « Tchernobyl  ». En 1992, le CIRC alerte les médias sur la qualité détestable du cannabis en France. De nombreux deals de rue s’implantent pourtant dans les villes et surtout dans les cités. Ils sont souvent tenus par les jeunes du voisinage et n’occasionnent pas beaucoup de nuisances.

En réaction au Tchernobyl, la production outdoor (en pleine terre) s’intensifie. De nombreux néo-ruraux développent un revenu de complément et assurent le ravitaillement de leur entourage. Certains établissent des relations avec les dealers d’appartements des villes. Mais cette production reste confidentielle. La masse des usagers est urbaine donc peu concernée par la guérilla verte. C’est la généralisation dans les coffee shops des variétés indoor, la diffusion des magasines américains comme Hightimes et la popularisation des headshops et autres growshops hollandais puis allemands qui ont conduit les plus aventureux des cannabinophiles français sur la piste de la Sensi Seed Bank et de Positronic Sensimilia Fan Club à Amsterdam, de Jaja à Breda ou Organic Earth à Maastricht. D’autres volaient les lampes de croissance sur les monuments aux morts et autres chapelles. Le sodium de floraison était souvent fourni par les municipalités et les drive in de McDonald.

A partir de 1994, le CIRC communique largement sur l’autoproduction. La diffusion du savoir s’accélère avec les publications des éditions du Lézard et notamment « Les très riches heures du cannabis » en 1995. Les premiers sites Internet dédiés à la culture apparaissent en 1996. Les premières méthodes plus ou moins déguisées d’autoproduction sont publiées dans la grande presse entre 1997 et 2000. L’association Paka ouvre « Chanvre et Cie » en 1997, puis le CIRC Lyon et le Jardin d’Eden ou encore le CIRC Bretagne et le Jardin de poche et le CIRC Montpellier avec Mauvaise graine forment ainsi le noyau « dur » des promoteurs de la production de cannabis indigène. A partir de 2000, l’autoproduction s’impose à toutes les associations militantes comme une résistance à la prohibition et un moyen de réduire les risques sanitaires et sociaux.

On assiste alors à une séparation entre les structures militantes qui diffusent les fameuses « graines à oiseaux », profitant d’un vide juridique sur les semences à destination de l’oisellerie, et les structures de jardinage d’intérieur, dont le nombre explose, qui diffuse exclusivement du matériel de culture, principalement hydroponique. A l’apogée en 2002, Paris compte une dizaine de boutiques. A partir de 2003, l’autoproduction apparait plus précisément dans les statistiques de l’OFDT, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Des évènements comme le salon du chanvre drainent des milliers de visiteurs. Les magasins fournissent des dizaines de milliers de graines, de lampes, de systèmes hydro, etc.

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Une nuée d’autoproducteurs

A partir de 2003, la politique de tolérance zéro a d’abord frappé les usagers-revendeurs indépendants, les réseaux de dealers d’appartements et les réseaux intégrés aux cités. Cette répression a désorganisé le marché. Le deal de rue est devenu une affaire de gang structuré et plus violent, depuis le go-fast, le go slow ou le fly fast jusqu’au « four » de cité (point de deal). Certains groupes contrôlent par la terreur des territoires achetés ou conquis violement. Ils « checkent » les identités, filtrent le passage. Ils utilisent parfois des détecteurs de métaux et s’approprient des locaux collectifs et privés. Ils forcent souvent des habitants à collaborer comme guetteurs ou comme nourrice (planque du cannabis mais aussi de l’argent, des armes, des téléphones), comme « taxi  » ou comme prête-nom dans le blanchiment. Les affrontements violents, les « carottes » (arnaques), les enlèvements et autres extorsions se multiplient exponentiellement.

Les gangs de cités importent et gèrent le stockage, ils distribuent en gros vers les dealers des quartiers aisés, ils vendent au détail dans les quartiers pauvres. Toutes les enquêtes observent une grande disponibilité des produits (OFDT 2012, p5), environ 80% des usagers savent où trouver ce dont ils ont besoin sous 24h. C’est surtout la consommation de fleurs de cannabis (dit « cannabis végétal » dans les enquêtes) qui augmente très rapidement. Plus de 50% des usagers réguliers de cannabis ont consommé des buds (fleurs) dans l’année, 47% des fumeurs d’herbe estiment qu’elle provient de l’Hexagone. L’autre provenance majoritaire étant les Pays-Bas, avec un pic d’herbe suisse de 1998 à 2007, et de plus en plus d’herbe espagnole depuis 2003.

En 2007, l’OFDT mène une étude sur la production française de cannabis, et en déduit que la France produit annuellement 32 tonnes de cannabis végétal pour un marché de 250 tonnes de résine importée. « Le volume de cannabis produit par autoculture n’est pas compris dans cette estimation. S’il était valorisé sur le marché au prix moyen du cannabis en vigueur (5,3 €) le produit de sa vente serait estimé à environ 83 millions d’euros. », p. 75, OFDT, 2007 → « (…) la proportion d’autoculture a été́ divisée par deux dans l’estimation finale (soit 1 % parmi les usagers non réguliers, 4 % parmi les réguliers et 8 % parmi les quotidiens). », p. 77

Environ un joint sur neuf serait made in France. La tendance dans les festivals et les manifs pro-légalisation est clairement à l’herbe maison. On y sent beaucoup moins d’effluves suspectes. En quelques années, ce marché très majoritairement de résine tourne à une forte demande de fleurs.

A partir de 2007, une vague de cannabis importé du Benelux et coupé à la bille végétale, minérale ou plastique entraîne une grosse panique sur le marché et une alerte sanitaire de la DGS. Cet évènement booste les usagers vers l’auto-culture comme la qualifie la MILDT, Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies. Depuis 2005, le nombre de sites de vente de graines et de matériel est en constante progression. De nombreux magasins de culture ferment, mais le marché ne diminue en rien.

D’après l’ONDRP en 2010, il reste encore 400 points de vente en France. Il existe aussi des dizaines de sites traduits en français. L’étude OFDT 2007 évalue l’autoproduction française à 200.000 pratiquants, attestant par là l’estimation du CIRC. Les chiffres de ventes sur la France de gros sites de grainetiers cannabiques (communiqués en off) permettent d’affirmer sans risque que le phénomène est encore en extension. Depuis 2008, la presse consacre chaque semaine un article à un cannabiculteur pris la main dans le sac de beuh (herbe). Dans le rapport 2008-2011, le plan d’action de la MILDT fait grand cas de la lutte contre les autoproducteurs, qualifiés par Etienne Apaire, son président à l’époque, d’ennemis de l’intérieur.

De l’artisan cannabiculteur à l’industriel de la weed (herbe)

Un vendeur de four me déclarait récemment : « Si tu as 100 pochettes d’Amnésia, de la frappe, tu les charbonnes [vends] en deux heures avec un bon réseau de bolosses [pigeons] sur ton Blackberry Messenger. Si tu as 100 pochettes de teuteu [hasch], même du seum [shit de qualité supérieure], t’en as jusque tard dans la nuit et il t’en reste souvent.  » Le même genre d’observation se retrouve chez des dealers d’appartement.

En conséquence et la crise aidant, un certain nombre d’autoproducteurs sont passés à la production artisanale. De quelques centaines de grammes annuels, ils sont passés à une fourchette entre 3 et 20 kilos. Ils embauchent des amis saisonniers pour faire les trous, arroser, sécuriser, tailler et manucurer les têtes après séchage. Dans certaines régions, ils sont des moteurs de l’économie de proximité, surtout lorsque la saison touristique est terminée comme en Ardèche, dans la Drôme, l’Aude, le Lot, l’Ariège…

Des gangs ont organisé des filières d’importation depuis le Benelux. Ils participent largement à l’achat des 800 tonnes annuelles d’herbe locale (selon une évaluation des polices hollandaise et belge). Depuis la fin des années 90, ces plantations sont contrôlées soit par des organisations locales : forains, immigrés marocains, gangs locaux sous couvert de sociétés légales ; soit par des organisations criminelles internationales : mafia vietnamienne, clubs de motards 1% (Hell’s Angels, Bandidos, Outlaws…), mafias slaves. Nous y reviendrons en détail dans la seconde partie à paraitre en mars prochain.

Ces organisations sont souvent impliquées dans plusieurs pays. Elles ont d’abord délocalisé au Royaume-Uni, en République Tchèque, en Allemagne, en Suisse, autant pour fournir le marché principal d’Europe du nord que pour se rapprocher des clients locaux et contourner la parano sécuritaire post 11 septembre. En France, on rapporte depuis le début des années 2000 de nombreuses rumeurs (parfois vérifiées) de productions d’envergure et d’artisans fournissant exclusivement les coffee shops hollandais. Bien malin(e) qui peut dire de quel placard, de quel entrepôt vient l’herbe qu’il achète : elle parcourt souvent un chemin hallucinant.

A partir de 2009, les affrontements pour le contrôle des fours deviennent hebdomadaires. On trouve de plus en plus d’herbe dans les cités, elle est très standardisée autour d’une qualité supérieure assez constante à 10 euros le gramme (prix officiel, jusqu’à 17,50 prix réel). La police saisit du matériel de culture lors des opérations contre les gangs de cité. A partir de 2010, les médias se font plus souvent l’écho de saisies de plantations industrielles comme à Vergèze près de Nîmes (un entrepôt de centaines de pieds géants), à la Courneuve (750 pieds), plus récemment dans l’Aube (3000 pieds) et la petite industrie Alsacienne (2 appartements et une maison-usine), série en cours…

La lutte gagne les routes de la résine : les braqueurs de convois sont très violents, les convoyeurs utilisent des armes de guerre et des grenades pour se défendre. Il y a aussi une lutte pour le contrôle des fours les plus rentables, surtout à Marseille et en région parisienne. Il y a des rivalités entre vendeurs de shit et vendeurs d’herbe. Des gangs de braqueurs attaquent les producteurs indépendants, des bandes de racaille rackettent le moindre gramme dans un jardin ou sous lampe. Le vol se répand, par l’entourage, les voisins, les chasseurs, les randonneurs, les cueilleurs de champignons…

On oublierait presque les nombreuses dénonciations, le quadrillage de larges zones rurales par la gendarmerie avec leurs hélicoptères, les photos satellites, les enquêtes des stups, les descentes des GIR constitués depuis 2002 (groupes d’intervention régionaux, associant police, gendarmerie, douanes, fisc), la faute à pas de chance et enfin les prédateurs naturels. La vie du cultivateur d’herbe, comme celle du dealer, n’est plus un long fleuve tranquille. Les agressions se multiplient, les acteurs du marché s’arment lourdement, la parano règne au-delà des limites, les victimes s’amoncellent.

Laurent Appel, avec le soutien de Jean-Pierre Galland et Olivier Poulain

Interview : le temps des pionniers

Ruderalix, militant du chanvre global, Florent, jardinier-chef en herbe, ont animé la boutique « Chanvre et Cie » à Montreuil jusqu’à la fermeture définitive de 2007. Ce Little Amsterdam aux portes de Paris a largement contribué à l’expansion de la culture du cannabis. Aujourd’hui en retrait de l’activisme, ils ont préféré garder l’anonymat même si de nombreux cannabinophiles sauront les identifier.

Y a-t-il un profil type du cultivateur de cannabis ?

Florent : Jeune majeur urbain, mâle, de toutes les tribus, mais essentiellement du lascar du 93, notre clientèle locale, puis du nobody invisible mais à capuche, puis du bio tendance nouveaux Robinsons, puis du teuffeur/punk à chiens, et marginalement des mamans pour leur fiston. Et enfin, après un bon travail d’information, les premiers usagers thérapeutiques.

Ruderalix : entre 20 ans et 50 ans, plutôt masculine, mais vraiment tout type de gens surtout avec la vente de produits légaux au chanvre, c’était même étonnant.

Qu’elle était l’installation type ?

F : Des petits systèmes, 1 lampe de 400 Watts, 9 pots de 6,5 litres, ils cultivent de préférence en terre puis en coco/ bille d’argile/laine de roche pour ceux qui veulent se faire de l’argent de poche, dans un placard discret (en fait c’est impossible à cause de l’extraction et du bruit) d’environ un mètre carré. L’objectif était presque toujours de produire un gramme par watt, très difficile à atteindre. Un demi-gramme par watt était une base plus réaliste.

R : Dans un premier temps, une grande majorité de stricts auto producteurs à petits besoins, car nous étions une structure militante. Alors que les boutiques conventionnelles ont fourni les plus grosses installations, nous aussi à partir de 2002.

D’où venait la génétique de vos graines de cannabis ?

F : A l’origine les graines étaient prélevés dans la beuh, avec des résultats très variables, surtout avec les africaines, vraiment décevantes. Avec les variations de Skunk et de Northern light, on arrive à des graines vraiment très adaptées. Nos premiers acheteurs s’informaient sur le catalogue de la Sensi Seeds, les pubs Hightimes, les premiers sites Internet, puis avec la globalisation de l’information par Internet (mais sans acheter en ligne). La filière française de graines était le système graines à oiseaux (Grainaoizo). Ne pas faire germer comme pour tout le chènevis alimentaire !

R : Nous vendions ainsi dix graines de cannabis sélectionnés chez les meilleurs grainetiers récréatifs de l’époque, dans un mélange de graines pour oiseaux de luxe. Il suffisait de faire le tri. Commercialement, ça a fait un carton

Combien de systèmes, combien de grainaoizos ?

F : Au plus fort environ 20 systèmes par semaine et une centaine de pochettes de graines. Gros succès pour les leaders hollandais sur souches américaines, mention spéciale pour Skunk number 1 et Jack Herrer de la Sensi Seeds  ; White Widow, Super Silver Haze, de Greenhouse ; AK 47, Chronic pour les cités et Bubblegum pour les amateurs chez Serious Seeds, KC 33 et Special Haze de chez KC Brain. Puis nous avons développé nos propres croisements avec : la base suisse : Heaven, Bubalina ; la base hollandaise avec la Jack Herrer, la Hasch Plan ; la base canadienne avec la Blueberry et la Skunk sweet tooth.

Combien de magasins similaires ?

F : Beaucoup ont essayé mais ont rapidement fermé. Certains ont eu beaucoup d’ennuis comme Lyon et Rennes. A la fin, une demi-douzaine.

R : Cinq avec le Cannabar de Rennes, vraiment militants, et de nombreux autres sous le manteau pour la génétique. Nous avions un menu comparable avec les seeds shops d’Amsterdam.

Quels rapports entre les autoproducteurs et les pros ?

F : Nous n’avions pas un stock important. Les gros besoins s’orientaient sur les grossistes en jardinerie d’intérieur. Nous avions surtout les autoproducteurs.

R : Au magasin, la peur du gendarme intéressé par la vitrine militante faisait fuir le pro ou le dealer de cité. Nous avions le tout-venant. J’ai rarement eu des commandes de 10 ou 20 lampes. Les gros passaient vraiment par les boutiques « ordinaires ». Les forums ont ensuite aiguillé les gens vers les grossistes Internet. A partir de 2007, le marché militant disparait, la parano gagne mais pourtant Internet se généralise.

Y a-t-il une dérive de l’autoproduction à la production ?

F : C’est une question de place. Le producteur sait tout de suite s’il a la place de faire plus. C’est rare qu’à Paris la place soit suffisante. Avec les tentes, la production augmente, tu produis pas mal, pas de quoi inonder le quartier mais tes amis. Mais ce n’est pas le débit des cités.

R : Cela reste mineur en quantité absolue. La plupart se contente du réseau d’amis, mais il y a aussi les fous qui partent sur de centaines de mètres carrés. On a vu de gros systèmes hydro (type Colyseum) partir de chez notre grossiste hollandais vers Paris.

Et les cités ?

F : Ils sont venus mais nous étions trop petits, trop militants. Ils avaient peur d’être grillés, ils venaient surtout pour les graines. Nous avions un bon capital de confiance.

Combien de lampes, combien de graines dans votre carrière ?

F : 2500 lampes et 260 000 graines environ. Juste pour un magasin.

Donc, Alain Bauer aurait raison ? C’est bien un petit noyau qui a propagé la culture du cannabis en France ?

F : Le pauvre, s’il savait vraiment… En effet, l’origine du monde du cannabis français était très restreinte, mais l’extension de la lutte dix ans après est phénoménale, la beuh pousse tant ça peut. Nous avons lancé une marée verte.

R : Même dans mon patelin, quand je rencontre un jeune, il fait pousser et il a les deux livres de base : J’attends une récolte et Fumée clandestine.

Croyez-vous que le marché se soit professionnalisé ?

F : Certains ont franchi le pas, beaucoup n’ont pas eu les résultats escompté et ont éteint leurs lampes, certains sont devenus des experts, la crise a lancé de nouveaux amateurs, les prix ont flambés, la tentation est grande.

R : Oui certainement mais la violence et l’agressivité sont bien plus présentes qu’avant.

Avez-vous constaté plus d’herbe française sur le marché ?

F : Avant la majorité venait de Hollande. Depuis 2009, elle semblait sortie des maraichers français puis la qualité s’est standardisé sur une qualité haute, un prix fou et un débit constant. Certains fours de la région parisienne proposaient de manière constante trois variétés d’herbe qualité « à 50 mètres de producteur ».

R : Il y a beaucoup de petits malins qui vendent de la française pour de la hollandaise. Tu passes les boutures, tu sors les lampes et cela ressemble. Il y a tellement d’herbe de type hollandaise sur le marché que cela ne peut plus être uniquement poussé aux Pays-Bas.

Et la demande, elle a évolué ?

F : Non. Le marché de la culture s’est stabilisé, il ferme plus de magasins qu’il n’en ouvre, Internet n’est pas si discret. Le marché stagne à cause de la peur du gendarme et du voleur. Il y a beaucoup d’intermittents de la production et aussi des amateurs devenus pros. C’est tentant.

R : Le marché gonfle quand même. Avant, un planteur contaminait dix fumeurs et aujourd’hui c’est plutôt deux ou trois. Mais il y en a moins qu’avant qui se lancent. De fait, au 20ème  siècle, il fallait produire pour fumer de l’herbe. Le produit standard est devenu l’herbe locale, surtout à la campagne. Le shit se fait rare.

On parle de racket, de maquereautage, d’extorsion…

F : J’ai entendu des histoires mais pas trop proches de moi. Attaque au pétard pour braquer, qui finit par un : « maintenant, tu plantes pour moi », les nourrices de plantes dans des frigos, forcées à devenir jardinières. Les très bons producteurs approchés par les coffee shops hollandais, surtout pour l’herbe de luxe et le hasch d’élite. Nous n’avions ni la place ni l’envie de faire de la grosse production. Nous avons aussi assisté au départ de grosses écuries, en mode contrôlé jusqu’à cinq lampes, puis dérivant en free style, inondations, incendies, fortes odeurs… Et aussi des dealers de tous bords en reconversion, de l’import vers la production, surtout les gangs du 93 et 92, en force dans la place.

R : La masse d’argent attise les comportements violents et les menaces. La consommation d’autres produits, coke, alcool, speed, n’aide pas à calmer le jeu. Je confirme, le passage du petit artisanat à la production de masse n’est pas simple. C’est beaucoup de boulot. Les fumeurs idéalisent le plan, mais c’est un vrai travail, il faut peu ou pas fumer, sinon cela part en couilles. Avec l’apport financier et le dérapage dans d’autres produits, l’extorsion, c’est devenu plus courant mais pas directement sur nous.

Depuis que vous avez quitté le milieu, quelles les grandes tendances qu’on peut observer ?

F : Le deal de cité marche très bien. Maintenant on vend beaucoup de weed, merci aux Viets ! Haute qualité, approvisionnement constant, certes prix excessif mais comparé à l’africaine, c’est du lourd. Avant, on fumait de tout, dont les branches d’africaine et même d’autres pays comme la Thaï ou la St-Vincent Fil rouge compressée. Parfois bonne, parfois dégueu. Aujourd’hui, c’est l’Amérique avec des sachets d’un gramme de weed dense, épluchée, odorante et gavée de résine. La résine est encore majoritaire dans les fours mais plus dans les réseaux amicaux, où l’herbe locale et l’import de provenance indéterminée ont remplacé le marocain.

R : La vraie tendance, c’est de chercher à se détourner du marché noir. Mais j’habite maintenant dans un trou paumé. Dur de faire des stats.

Avez-vous été des ennemis de l’intérieur ?

F : Du point de vue de l’idéologie sécuritaire, certainement, mais ce point de vue ne fait rien changer. Il n’a pas de solution. La France est capable de s’auto-suffire en deux ou trois ans d’organisation en régime légal. Si on continue la prohibition actuelle, la demande de beuh étant exponentielle, la tendance majoritaire devrait s’inverser vers la weed en deux ans. Et heureusement que l’immense majorité ne connait pas encore le shit maison, sinon cela serait plus rapide. Heureusement pour eux, les dealers de shit proposent aussi de la weed et de la coke. Le multicarte sauve leur marché.

R : Je pensais être un citoyen qui travaillait pour la cause du peuple, mais de leur point de vue j’ai été certainement un ennemi de l’intérieur. Je me sentais utile sur le terrain. Nous avons même été attaqués par les proprios de magasins dits « conventionnels », alors qu’en fait nous leur avons ouvert un immense marché. Nous avons aussi popularisé le chanvre autant que l’autoproduction dans des salons d’importance. Les militants sont devenus des commerçants, ou ont disparu dans la production. Avec la répression et les boutiques intégrées j’ai l’impression d’avoir reculé de trente ans, sauf qu’il y a beaucoup plus de planteurs.

Connaissez-vous des producteurs en plein cannabis rush ?

F : C’est le temps de l’extension du domaine de la production au maximum possible. Donc d’abord la fume perso, puis la fume de la tribu, et aussi l’argent de poche sur les copains fumeurs. Ensuite, certains deviennent des pros, indépendants ou bien connectés en premier avec les gangs du quartier, mais aussi avec des organisations plus structurées. Le risque est que de nombreux autoproducteurs deviennent plus professionnels et inondent le marché. La réaction des gangs et des mafias sera sans doute de chercher à les contrôler par la corruption et la violence.

Propos recueillis par Laurent Appel



asud.org

Cannabiculteurs en danger
Jean-Pierre Galland | asud.org | lundi 4 février 2013


Une enquête diligentée en 2008 par l’OFDT estimait à 200 000 le nombre de cannabiculteurs pour une production avoisinant les 32 tonnes. 11,5% de l’herbe fumée serait française et son taux en THC ne dépasserait pas les 8%. Le « Plan gouvernemental 2008/2011 de lutte contre les drogues et les toxicomanies » préparé par la Mildt s’est focalisé sur l’autoproduction à des fins domestiques, « un phénomène favorisé par la libre circulation des graines et du matériel de production, ainsi que par la prolifération de magasins et de sites internet spécialisés dans la cannabiculture ». Et de promettre à la police « des moyens de détection innovants » pour lutter contre ce nouvel ennemi de l’intérieur !

Un effet collatéral de la répression

L’explosion de l’autoproduction au XXIe siècle est liée à la politique de la tolérance zéro pour le cannabis et à la répression qui s’ensuivit. Les amateurs de cannabis ont vite compris que pour échapper à la police et au haschich médiocre à prix prohibitif du marché noir, il leur suffisait de planter quelques pieds de chanvre sur un balcon, dans un placard ou en pleine terre.

Conséquence directe, les cannabinophiles qui fumaient naguère de la résine marocaine ne jurent plus que par la beuh. Une étude instructive publiée en 2010 par l’ONDRP (Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales) confirme cette tendance :
« L’herbe représente désormais 40% du marché français. Un usager sur deux (47,7%) estime consommer de l’herbe made in France, soit 12% du marché total du cannabis. » Comme le note l’ONDRP, les trois-quarts des planteurs cultivent uniquement pour leur usage personnel et celui de leurs amis. Et le quart restant ? Au fil des ans, les jardiniers en herbe sont de plus en plus nombreux à maîtriser parfaitement le sujet, à passer du stade de l’autoproduction à la culture artisanale pour le plus grand plaisir de consommateurs certains de trouver une herbe saine à un prix raisonnable.

Une profession en pleine expansion

L’artisan cannabiculteur réside souvent à la campagne, pratique le cannabis depuis des lustres et produit des variétés qui feraient le bonheur des coffee shops. Il est « normal », prudent, a passé l’âge de se faire contrôler à tout bout de champ et tient à conserver un travail valorisant qui lui permet de fumer à l’œil toute l’année et aussi de mettre un peu de beurre dans les épinards.

Combien sont-ils à vivre du commerce de l’herbe qu’ils ont plantée, récoltée, séchée, manucurée et emballée de préférence sous vide ? Des cannabiculteurs qui accepteraient par ailleurs (quitte à perdre une part de leur revenu) de vendre leur production à des coopératives ou à des organismes officiels après analyse des cannabinoïdes et contrôle phytosanitaire.

Le jardinier du dimanche se distingue du cannabiculteur professionnel par la quantité d’herbe qu’il cultive à l’année. En plein champ, un jardinier expérimenté et vigilant produira en moyenne six cents grammes de fleurs sèches par plante. Après avoir déduit les frais qui vont des engrais aux petites mains rémunérées pour manucurer, il lui suffira d’en rétrocéder cinq kilos pour survivre toute l’année. Qui plus est, avec les petites feuilles récupérées, il produira du haschich maison à l’aide du Pollinator et de l’Ice-o-lator. S’il double sa production, augmentant sensiblement les risques, il gagnera bien sa vie et participera activement à la vie économique de sa région.

Pour en avoir croisé partout lors de mes pérégrinations militantes, l’artisan cannabiculteur est généralement un honnête homme, un commerçant arrangeant qui n’exige pas toujours d’être payé de suite. Il s’est construit un réseau de personnes ordinaires avec qui il entretient des relations de confiance, des gens « qui n’ont pas la gueule à ça » trop contents de s’approvisionner directement à la ferme.

Pas de pitié pour les cultivateurs en herbe !

Nous avons rêvé d’un monde où le peuple de l’herbe formerait une tribu solidaire, où les cultivateurs échangeraient leur savoir comme leurs boutures et organiseraient pour de rire des Cannabis Cups, mais ce temps-là est bien fini.

À cause des policiers qui traquent les parcelles en hélicoptère et des gendarmes qui promènent leurs chiens renifleurs dans les rues des villages ? À cause des ados qui profitent de la nuit pour dérober quelques plantes et en cas de problèmes avec la maréchaussée, dénoncer leur légitime propriétaire ?

Non ! À cause des gangs qui s’intéressent désormais de près aux cultivateurs en herbe, une proie facile. Dans le grand Sud où la pègre est bien implantée, les braquages se multiplient, déclenchant un climat de suspicion et un vent de panique chez les cultivateurs de beuh, lesquels ont déjà fort à faire pour dissimuler leurs activités aux voisins curieux et aux policiers sur les dents.

Qui informe les gangs ? Rémunèrent-ils des gamins pour sillonner la campagne à la recherche de plantations ?
On m’a rapporté que si vous êtes dans une région connue pour être un grenier à beuh, que vous avez le look du fumeur et que votre maison est isolée, vous prenez le risque d’être méchamment agressé par des apprentis gangsters persuadés que vous plantez du cannabis.

Mais le pire est à venir et je l’affirme en connaissance de cause. J’ai été, alors que je rendais visite à un jardinier de mes amis, le témoin oculaire d’un braquage dans les règles de l’art. Quand ils ont surgi de la nuit, portant cagoules et gants, brandissant qui un fusil à pompe, qui une arme automatique, nous avons cru que c’était les flics. Lorsqu’ils ont aboyé l’ordre de nous coucher face contre terre et frappé mon ami à coups de pieds et de crosse, nous en avons douté, mais la suspicion demeure. Ils étaient violents sans pour autant perdre leur sang-froid, avares en paroles mais bien renseignés sur la vie privée du principal intéressé. Avant de décamper, ils nous ont lié les mains dans le dos avec de la ficelle et confisqué nos téléphones. Nous les avons retrouvés le lendemain au fond de la poubelle. Ils sont partis avec la voiture du propriétaire débordante d’herbe en nous assurant que nous la retrouverions sur le parking d’un supermarché. Finalement, ils l’ont brûlée.

Ces agressions sont traumatisantes pour des victimes se sentant totalement impuissantes. Le jardinier à qui l’on a posé un flingue sur la tempe ne porte pas plainte au commissariat, il se tait et rumine. Agriculteur compétent et commerçant honnête, il a tout perdu en quelques minutes.

Il fallait s’y attendre, la prohibition est une aubaine pour les gangs, au détail l’herbe se négocie dans la rue entre dix et quinze euros. Il y a un marché à prendre, quitte à partager avec quelques agents de la force publique corrompus comme ce fut le cas aux États-Unis lors de la prohibition de l’alcool, comme c’est le cas de façon criante au Mexique et comme ce sera bientôt le cas chez nous, la preuve avec les agissements douteux de la BAC-Nord de Marseille.

Les mafias à la manœuvre !

La culture du cannabis à des fins lucratives est désormais une réalité et les gangs sont devenus les alliés involontaires des policiers dans leur traque aux cultivateurs, sauf que les voleurs ne détruisent pas la beuh mais la recyclent.

Si les autorités en charge de la sécurité s’en lavent les mains du style « C’est bien fait pour eux, on ne va pas les plaindre », à la guerre pour le contrôle des quartiers dans les banlieues s’ajoutera la guerre pour contrôler la production locale d’herbe, un marché très juteux. Suite à une agression, les victimes des gangs réduisent considérablement, voire abandonnent, leur activité, un manque à gagner pour les mafias qui pourraient alors les contraindre à cultiver contre un pourcentage et une protection, ce qui nécessiterait en passant de corrompre des responsables de la répression. Mais la mafia sait se montrer généreuse et persuasive. Science-fiction ? Pas si sûr ! Au Canada, par exemple, ce sont les Hell’s Angels qui assurent, de la production à sa distribution, le commerce du cannabis. Et gare à ceux qui ne se plient pas à leur diktat !

Tout comme Stéphane Gatignon dénonce, dans son livre Pour en finir avec les dealers, la politique française en matière de drogues et met en garde contre les mafias prenant le pouvoir en banlieue, à mon tour d’attirer l’attention des autorités sur le statut du cannabiculteur, un acteur économique certes hors-la-loi, mais bien réel et fort utile pour les fumeurs qui refusent de cautionner le marché noir.

Et lorsque les mafias hexagonales auront conquis par la force une part du gâteau, elles se feront la guerre pour le contrôle, à moins qu’elles préfèrent s’associer à la mafia vietnamienne récemment impliquée dans deux affaires : 750 plants saisis à La Courneuve et 3 000 dans une boulangerie abandonnée de l’Aube.

Pour échapper à ce scénario du pire où nous compterons bientôt les morts, qu’on le veuille ou non, le gouvernement n’a pas d’autre solution qu’encadrer la production et la distribution du cannabis.




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Transmis par Olivier Poularon
Thu, 7 Mar 2013 02:20:45 -0800


PAMF





Voir en ligne : La guerre du cannabis entre dans les jardins (1)

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