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Arafat Jaradat : Martyr et crime d’Etat
Gilles Devers | lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr | lundi 25 février 2013
lundi 25 février 2013
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Arafat Jaradat : Un crime d’Etat
Gilles Devers | lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr | lundi 25 février 2013
Arafat Jaradat, « un martyr qui s’ajoute à une longue liste » ?
Julien Salingue - Caroline Paré | rfi.fr | lundi 25 février 2013
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Funérailles d’Arafat Jaradat, Palestinien mort pendant sa détention en Israël
Sa’ir | citizenside.com | lundi 25 février 2013
Arafat Jaradat : Un crime d’Etat
Gilles Devers | lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr | lundi 25 février 2013
La mort du jeune Palestinien Arafat Jaradat est un crime d’Etat. La première main est celle des bourreaux, qui ont tué sous la torture ; la seconde, qui est la principale responsable, est celle des dirigeants politiques qui organisent cette gestion du sereine du crime.

1/ Regardons les faits
La vie
Arafat Jaradat était un Palestinien âgé de 30 ans, père de deux enfants : Yara, 4 ans, et Mohammed, 2 ans. Il vivait à Hébron, dans le sud de la Cisjordanie, territoire de Palestine occupée. Il était en bonne santé. C’était un militant du Fatah.
L’arrestation
Il a été arrêté par les services israéliens le 18 février, à la suite d’incidents du 18 novembre 2012, où des heurts avaient eu lieu près de la colonie de Kiryat Arba, à proximité d’Hébron. Un Israélien avait été blessé par des jets de pierre.
L’épouse d’Arafat, Dalal, a déclaré à l’agence Ma’an que l’officier du renseignement israélien avait ramené son mari un moment à son domicile, juste après son arrestation, et qu’il lui avait dit de dire adieu à ses enfants : « Pour cette raison, j’étais très inquiète. Mon mari a été arrêté plusieurs fois auparavant, mais cette fois, l’agent israélien du renseignement a parlé d’une façon étrange ».
Le transfert en Israël
Il a été emmené à la prison d’al-Jalama, dans le Nord de la Cisjordanie, avant d’être transféré à la prison Megido en Israël. Il était sous le contrôle du Shin Bet, le service de la sécurité intérieure israélien.
La mort
Il est décédé dans cette prison samedi 23.
La preuve de la torture
Le corps d’Arafat Jaradat a été autopsié dimanche au Centre national médico-légal d’Israël. Selon le Shin Bet, le jeune homme a été « victime d’un malaise » samedi après le déjeuner. Le ministère israélien de la Santé a estimé que les premières constatations n’étaient « pas suffisantes » pour déterminer la cause de la mort.
Une autopsie a été pratiquée au retour du corps en Palestine. Issa Qaraqaë, le ministre palestinien des prisonniers, a divulgué des détails de l’expertise, mentionnant des blessures et des contusions sur le dos et à la poitrine, des traces de torture sur le haut de l’épaule gauche ainsi que deux côtes cassées. « Les résultats de l’autopsie prouvent qu’Israël l’a assassiné », a déclaré le ministre.

2/ Que dit le droit ?
L’occupation et la résistance
La Cisjordanie est un territoire palestinien sous occupation militaire israélienne depuis 1967. La Palestine est un pays souverain, et l’occupation militaire légitime la résistance. C’était valable pour la France de Jean Moulin, c’est valable pour la Palestine et c’est valable pour toutes les occupations militaires.
La violation de la IV° Convention de Genève
Le droit est bien connu, car c’est celui défini par la 4° Convention de Genève de 1949. Sur tous les points en cause dans cette affaire, le texte reprend des règles existantes depuis le Règlement de la Haye de 1907, précisées par le Protocole additionnel de 1979, reposant sur maintes décisions de justice, et reprises dans le Statut de la CPI. Ces règles sont tellement sûres qu’elles sont considérées comme faisant partie de la coutume internationale, laquelle est opposable aux Etats n’ayant pas ratifié les traités.
Israël n’avait pas le droit de transférer Arafat Jaradat sur son territoire
La puissance militaire occupante ne peut arrêter, juger et emprisonner les ressortissants de la puissance occupée qu’à condition de rester sur le territoire occupé. C’est l’article 49 de la 4° Convention de Genève : « Les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre Etat, occupé ou non, sont interdits, quel qu’en soit le motif ». Tout transfert de prisonnier est illicite et constitue un crime de guerre (CPI, art. 8, 2, b, viii). Or, c’était le cas pour Arafat Jaradat, mais c’est le cas pour les 5000 prisonniers, ce qui rend toutes ces détentions irrévocablement illégales et désigne les dirigeants politiques comme principaux responsables.
Israël n’avait pas le droit de confier les interrogatoires au Shin Bet
C’est le Shin Bet, le service de la sécurité intérieure israélien, qui interrogeait Arafat Jaradat, et qui a annoncé son décès. Cela signifie que l’arrestation, la détention et l’accusation se joue sans le contrôle d’un juge. Or, même en temps d’occupation, la privation des règles du procès équitable est un crime de guerre. (CPI, art. 8, 1, a, vi). C’est une règle de jus cogens, indérogeable (CEDH Golder ; CIADH, Goiburú ; TPIY, Tadic).
Le Shin Bet n’a aucun droit de recourir à la torture
La torture comme cause de la mort est établie par l’autopsie pratiquée en Palestine, et elle est la seule cause possible. Il faut un cynisme infini pour évoquer un malaise après le déjeuner… La torture des prisonniers est interdite, comme tous les traitements inhumains, et aucun fait ne peut justifier le recours à la torture. C’est en toutes circonstances un crime (Art. 3 commun aux quatre conventions de Genève ; CPI, art. 8, 1, a, ii ; TPIY, Furundzija, 1998 ; CEDH, Selmouni, 1999). La France peut juger les faits grâce à un régime de compétence universelle (CEDH, Ould Dah, 2009). En Israël, c’est une méthode d’enquête reconnue, ce qui engage la responsabilité des responsables politiques, dont le ministre de la défense, compétent pour les prisons israéliennes où sont détenus les Palestiniens.
Les dirigeants israéliens n’avaient aucun droit de procéder à une autopsie
Les services israéliens n’ayant aucun droit pour transférer Arafat Jaradat chez eux, tout ce qu’ils ont pu faire, dont l’autopsie, est illicite. De même, ils ne pouvaient procéder d’autorité à l’autopsie sans demander l’avis de la famille, et sans processus judiciaire respectant les principes du droit. C’est une violation du cadavre (CPI, art. 8, 2, b, xxi).
* * *
Arafat Jaradat sera inhumé ce lundi matin dans son village natal de Sa’ir, à côté d’Hébron.

Arafat Jaradat, « un martyr qui s’ajoute à une longue liste » ?
Julien Salingue - Caroline Paré | rfi.fr | lundi 25 février 2013
Colère, condamnations, mais aussi recueillement, 48 heures après la mort du détenu palestinien dans une prison israélienne, Arafat Jaradat, dont les funérailles se sont déroulées ce lundi 25 février près de Hébron en Cisjordanie. La branche armée du Fatah a dénoncé un « crime horrible » qui ne restera pas impuni. Et des milliers de personnes se sont donc rassemblées pour ces obsèques. Julien Salingue, docteur en science politique à l’université Paris VIII, répond aux questions de Caroline Paré.
RFI : Arafat Jaradat est cet homme de 30 ans, qui a succombé samedi 23 février. Est-il un nouveau martyr de la cause palestinienne ?
Julien Salingue : En tout cas, c’est vécu comme tel dans les Territoires palestiniens puisque de toute évidence, si le jeune Jaradat âgé d’une trentaine d’années est décédé, c’est suite aux interrogatoires qu’il a subis par les services israéliens et c’est interprété par les Territoires palestiniens comme un énième cas de mort sous la torture dans les prisons israéliennes, puisque ce sera le 73e Palestinien mort sous la torture depuis 1967. Donc oui, un martyr de plus qui s’ajoute à une longue liste.
Justement, les résultats officiels de l’autopsie n’ont pas encore été publiés. Régulièrement, les organisations de défense des droits de l’homme s’alarment de la situation de ces prisonniers palestiniens.
Oui, depuis 2003, il y a eu plus de 700 plaintes qui ont été déposées pour des faits de torture dans les prisons israéliennes et aucune enquête diligentée par les autorités. Les ONG, que ce soient les ONG palestiniennes ou israéliennes ou même internationales (comme Amnesty International ou Human Right Watch), n’arrêtent pas d’alerter sur la situation des prisonniers, qu’il s’agisse de faits de torture ou tout simplement de conditions de détention, le fait qu’il y ait des détenus mineurs, et la situation assez dramatique d’un certain nombre de prisonniers qui sont à l’isolement, sans même parler de ceux qui sont en ce moment en grève de la faim pour exiger leur libération.
Puis un autre élément que dénoncent régulièrement les défenseurs des droits de l’homme, c’est la détention administrative. Autrement dit, des gens emprisonnés sans inculpation...
La détention administrative, c’est un emprisonnement sans inculpation, sans motif, sans charge et sans être déféré devant un juge. Ce sont des périodes de six mois renouvelables à l’infini. Aujourd’hui, on a à peu près 200 prisonniers palestiniens qui sont dans cette situation, ce qui est l’arbitraire le plus total puisque la justice militaire israélienne n’a pas besoin de présenter de preuves ou de motifs d’accusation, et ils peuvent garder des gens pendant un an, deux ans, trois ans, cinq ans dans les prisons, sans qu’ils soient jugés, sans qu’ils sachent s’ils vont être un jour libérés.
C’était le cas d’ailleurs pour Arafat Jaradat ?
Il venait tout juste d’être arrêté, et cinq jours après, il est mort dans les prisons. Les Israéliens disent qu’il est mort d’un arrêt cardiaque, mais ce qu’on lit dans la presse palestinienne, c’est que c’est quelqu’un qui avait une trentaine d’années, qui était en bonne forme physique. Il attendait un troisième enfant. Donc, il y a de forts soupçons quant aux conditions dans lesquelles il est décédé.
Il y a eu de nombreuses réactions côté palestinien. Ce matin par exemple, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, a accusé Israël de vouloir créer le chaos. Pourquoi ces déclarations ? Est-ce qu’elles relayent le sentiment général ou bien c’est une forme de surenchère politique ?
Non, Mahmoud Abbas se contente de « coller » à la colère qu’il y a dans les Territoires palestiniens mais qui précédait en réalité la mort de Jaradat. La question des prisonniers, c’est une question essentielle dans la société palestinienne. Il y a des détenus qui sont en grève de la faim depuis maintenant plusieurs mois dans les prisons israéliennes. La veille de la mort de Jaradat, il y avait des manifestations de solidarité dans les Territoires palestiniens avec ces détenus. Il y a eu une centaine de blessés dans ces manifestations. Donc il y a une colère qui monte dans les Territoires palestiniens et c’est « logique » que Mahmoud Abbas s’aligne sur cette colère là pour ne pas être en décalage une fois de plus avec l’état d’esprit de la population.
Hier, il y avait une double réaction côté israélien : appel au calme et puis dans le même temps, ce déblocage de fonds, ces taxes collectées par Israël et qui étaient bloquées depuis que la Palestine avait accédé au statut d’observateur à l’ONU. Est-ce une forme d’aveu ?
Quelque part il y a une logique, mais en même temps une certaine hypocrisie. La logique, c’est que c’est de l’argent qu’Israël doit à l’Autorité palestinienne. Ce n’est pas un cadeau qu’ils leur font, mais c’est de l’argent qu’ils leur doivent. Cet argent sert principalement à payer les salaires des fonctionnaires. Et les fonctionnaires étaient soit à moitié payés ou pas du tout payés, depuis plusieurs mois. Et là, Israël demande dans le même temps à l’Autorité palestinienne de maintenir le calme, c’est-à-dire en gros de faire appel à ses forces de police pour maintenir le calme dans les Territoires palestiniens. Il ne manquerait plus qu’on leur demande de maintenir le calme sans être payés. Quelque part, oui, c’est un aveu d’une chose, c’est que tout simplement l’Etat d’Israël compte une fois de plus se décharger de ses responsabilités en exigeant que ce soit l’Autorité palestinienne qui maintienne le calme alors que les responsables du chaos qu’il pourrait y avoir dans les Territoires palestiniens sont les autorités israéliennes.
On peut d’ailleurs noter que ces dernières 48 heures, Benyamin Netanyahu est resté très discret, par exemple sur ces annonces. Ce n’est pas lui qui les a faites hier, mais un des porte-parole du gouvernement. Il faut dire qu’il est toujours empêtré dans ses tractations pour monter un gouvernement, n’est-ce pas ?
Il y a les deux aspects. Il est en train de négocier pour son gouvernement, donc il ne faut pas qu’il s’expose trop. Et puis tout simplement, il y a un vrai risque d’embrasement dans les Territoires palestiniens et des déclarations de Benyamin Netanyahu pourraient contribuer à enflammer. Et du coup, il pourrait porter la responsabilité directement d’un éventuel embrasement des territoires occupés, ce qu’il ne veut évidemment pas faire parce que cela serait une reconnaissance de sa politique, qui en réalité conduit la population palestinienne à chaque jour un peu plus protester contre la situation qui leur est faite.
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