Accueil > 2013 > février > Démentiel : les banksters sont désormais “Trop gros pour aller en prison” !

Démentiel : les banksters sont désormais “Trop gros pour aller en prison” !

Matt Taibbi - SuperNo | Rolling Stone - superno.com | jeudi 14 & mercredi 20 février 2013

mercredi 20 février 2013

superno.com

Démentiel : les banksters sont désormais “Trop gros pour aller en prison” !
Matt Taibbi - SuperNo | Rolling Stone - superno.com | jeudi 14 & mercredi 20 février 2013

SONY DSC

[C’est la façade du bankster UBS à Locarno, en Suisse. Le climat et l’environnement sont infiniment plus agréables qu’à Luxembourg, mais on y pratique aussi le recel de fraude fiscale à grande échelle]

On en lit des trucs sur Internet ! Souvent des trucs intéressants, d’ailleurs. Mais avec le flot effrayant de l’actu, on est saturé d’infos et on en oublie généralement très vite la plupart. C’est même le principe des JT : une espèce de coulée continue, de l’info triée, frelatée, prédigérée et désarmée devant laquelle la France s’avachit, s’abrutit, et dont on a oublié les détails dès le lendemain. Twitter pousse même le phénomène à son paroxysme.

Mais heureusement il y a des jours d’exception. Des jours où l’on tombe sur une perle. Un article lumineux, qui éclaire la réalité comme la lampe éblouit l’indigné interrogé au commissariat parce qu’il refuse son prélèvement ADN, ou comme le projecteur du mirador éclaire les migrants africains qui croyaient qu’ils allaient passer les barbelés de Ceuta.

Mes images sont mal choisies car la lumière peut aussi être bénéfique. Il y a des journalistes qui réussissent en un seul article à vous faire comprendre cent fois plus de choses qu’Etienne Mougeotte et Jean-Pierre Elkabbach réunis durant toute leur carrière. Qui réussissent magistralement à faire ce que j’essaie moi-même de faire laborieusement depuis que ce blog existe.

Ce journaliste s’appelle Matt Taibbi. Il est américain, et il écrit pour la version originale, c’est à dire américaine, du magazine Rolling Stone. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce magazine ne parle pas seulement de musique, mais aussi entre autres de politique. Matt Taibbi est spécialisé dans la finance. Comme Michael Lewis dont j’ai souvent parlé.

Un grand merci à Madame Laetsgo, qui écrit à ses heures sur le blog collectif “Ruminances”, qui lit et commente par ici, et qui est aussi l’un de mes plus efficaces hauts-parleurs dans ce capharnaüm qu’est Twitter. Car c’est elle qui a posté ce lien ici dans un commentaire.

Des liens, ici, il y en a pléthore. Du lard ou du cochon. C’est le principe d’un blog. Je ne vais pas vous faire croire que j’ouvre tout, mes journées n’y suffiraient pas. Mais bon, en fonction de l’auteur, de la manière dont il ou elle vend son truc, et de l’humeur du moment et du temps dont je dispose, il m’arrive de cliquer.

Or là : paf ! En pleine gueule !

Quand je pense que des gens passent leur temps à tenter de trouver des complots partout… Que d’autres tentent dans le même temps de trouver des complotistes partout… J’ai toujours pensé que le raffut que l’on faisait autour de Bilderberg, du Siècle, des Young Leaders, de Davos, et plus généralement autour de ce que certains (et notamment ici, ils/elles se reconnaîtront) autour du concept de “New World Order” (NWO), était très surfait. Pas totalement fantasmagorique, mais exagéré. Déjà parce qu’internet aidant, ces coteries, mafias et autres associations de malfaisants ne sont plus vraiment secrètes, et que des listes de leurs membres ont été publiées. Mais aussi et surtout parce que tous ces oligarques qui prétendent régenter le monde (et y arrivent hélas de mieux en mieux) sont suffisamment puissants et cyniques pour n’avoir même plus besoin de se dissimuler. Un bankster est prêt à tout pour diriger le monde et engloutir toutes ses richesses ; nul besoin d’aller se planquer à l’hôtel de Bilderberg ou à Pétaouchnok pour cela : il le dit ouvertement et joint les actes à ses paroles.

Je le dis et le répète, la finance a pris une place démesurée sur cette planète, et comme un cancer qui commence à métastaser, il faut l’arrêter par tous les moyens. D’ailleurs, au stade où nous en sommes, je crains qu’il ne soit déjà bien trop tard : la finance nous a définitivement envahis, elle contrôle nos dirigeants, nos médias, notre économie (cf Findus et la mafia de la bidoche) et elle n’a pour autre but que nous sucer jusqu’au trognon.

Vous ne me croyez pas ? Alors lisez, tas de naïfs ! Lisez ce que raconte Matt Taibbi. Denis Robert nous avait déjà fait connaître Clearstream, la discrète chambre de compensation Luxembourgeoise dont personne n’avait entendu parler auparavant, éclairant lui aussi de sa puissante torche les recoins obscurs de cet instrument redoutable de propagation de la finance occulte. Hélas, un autre fait divers a malencontreusement récupéré le nom “d’affaire Clearstream”, et désormais lorsqu’on prononce ce nom, c’est pour penser aux deux coquelets Sarkozy et Villepin qui se disputaient l’honneur d’être celui qui allait exécuter auprès des Français les ordres des banksters.

Chez Matt Taibbi, il ne s’agit pas d’officines obscures, mais de grandes banques mondiales archi-connues, qui ont pignon sur rue : la suisse UBS, récemment remise à l’honneur par l’affaire Cahuzac, et surtout la britannique HSBC, qui a des bureaux partout dans le monde, et à laquelle je dois encore quelques dizaines de milliers d’euros sur ce qu’elle m’a prêté pour acheter ma maison.

Ces deux banques ont récemment été convaincues de malfaisance répétée et généralisée. Et quand je parle de malfaisance, c’est rien de le dire. UBS est le cerveau d’un formidable scandale de manipulation des taux, portant sur des montants astronomiques qui se chiffrent en centaines de milliers de milliards (oui oui, avec 14 zéros), et connu sous le nom de Liborgate. Quant à HSBC, elle a tout simplement été convaincue de blanchiment d’argent de la drogue et du terrorisme, activité qu’elle pratique à grande échelle en tout cynisme depuis plus de 10 ans. Les narcos mexicains qu’elle a financés en toute connaissance de cause se sont rendus coupables d’exactions épouvantables, meurtres, torture, par dizaines de milliers.

Le scandale des subprimes qui a explosé à la face du monde en 2008 avait fait naître le concept de banques “Too Big To Fail”, c’est-à-dire “Trop grosses pour faire faillite”. C’était le prétexte des gouvernements, noyautés par les banksters. Aux Etats-Unis on a déjà vu que le Département du trésor (notre ministère des finances) est la cantine de tout ce que Wall Street compte comme directeurs de banques pourries. Lors de la débâcle des subprimes en 2008, le secrétaire d’Etat au Trésor était Hank Paulson, ancien dirigeant de Goldman Sachs. Et il n’avait rien trouvé de mieux pour faire avaler aux Américains et au monde entier que malgré leurs turpitudes il fallait absolument et coûte que coûte sauver les grosses banques (sous-entendu, avec nos sous) car elles étaient “Too big to fail”. C’est-à-dire que si on en laissait une tomber, c’est le système entier qui risquait de s’écrouler. On fit donc ainsi et on raqua. Plusieurs dizaines de milliers de milliards.
Ce n’était guère mieux chez nous, car il est de notoriété publique ce n’est pas notre ministre des finances Christine Lagarde qui tenait la barre lors de la tempête, mais Michel Pébereau, ex-patron de BNP Paribas et “parrain” des banksters français. On imagine fort bien le choix qu’il a fait entre ses intérêts et les nôtres.

Cinq ans plus tard ces mêmes banques sont de retour, plus puissantes que jamais, et nous ont désormais collé un couteau sous la gorge, nous intimant l’ordre de rembourser une dette (là encore, près de 2 000 milliards rien que pour la France) que nous n’avons jamais demandé à contracter. L’escroquerie est énorme, mais les banksters disposent pour les aider d’institutions, de médias, et de politiciens corrompus (l’UE, Pujadas, Judas Hollandréou…) , qui nous expliquent que pour les rembourser, nous devons nous saigner à blanc, et en particulier éliminer tout notre secteur public, nos dépenses publiques, nos fonctionnaires… Concrètement cela signifie tout privatiser (enfin, ce qui ne l’a pas encore été) renoncer à la Sécu, aux allocs, à la retraite, aux écoles et hôpitaux publics… Voyez ce qui se passe en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie… Mais aussi chez nous ! Transférer des dizaines de milliards, puis des centaines, puis des milliers, de nos poches, dans les leurs… Vous pouvez voter pour qui vous voudrez (enfin, pour les candidats choisis par l’oligarchie qu’on vous présentera comme désignés par le suffrage universel), ce sera pareil. Qu’il soit de droite ou se prétende de “gauche”, c’est pareil.

Tous corrompus, tous aux ordres. Sarkozy était ouvertement l’ami des banksters. Il ne trompait personne quand il fanfaronnait au G8 en disant qu’il allait “réguler la finance” et en finir avec les paradis fiscaux. Maintenant qu’il s’est fait foutre dehors, il formerait le projet de monter, avec son gredin de compère Minc, un fonds d’investissement au… Luxembourg !
Quant à Hollandréou, il s’est fait élire en se déclarant “l’ennemi de la finance”. Mais sitôt élu, il s’est transformé en la carpette la plus veule, la plus prévenante et la plus obséquieuse devant les injonctions des bansksters qui nous rackettent.

Décidément, There Is no Alternative.

Les Etats-Unis sont une démocratie. Qui possède un système judiciaire parfaitement bien huilé. Certes, il envoie plus souvent qu’à son tour des innocents à la mort mais sinon, son efficacité est reconnue. Du moins lorsqu’on le laisse travailler. Car la nouveauté, c’est que les banksters ont désormais un tel pouvoir, qu’ils arrivent à stopper la machine judiciaire avant même qu’elle ne se mette en marche, au niveau politique. C’est ce que Matt Taibbi raconte, ce nouveau concept de “Too Big to Jail”, c’est à dire “Trop grosses pour aller en prison”. (Vous noterez au passage le jeu de mot entre “Fail” et “Jail”).
Dans les faits, les deux banques sus-citées ont bien été prises la main dans le sac et de manière répétée pour des faits gravissimes. Mais si on se laissait aller à faire juger leurs dirigeants, la justice, qui dans sa grande naïveté ne comprend pas grand chose aux subtilités de la finance mondialisée, pourrait décider, l’impudente, de les embastiller pour une paire d’années, ce qui risquerait de déstabiliser gravement la pauvre banque qui, puisqu’elle est “Too big to Fail”, pourrait par ricochet déstabiliser toutes les autres banques malhonnêtes, mais elles aussi “Too Big to Fail”. Vous me suivez ?
Du coup, pour éviter ça, le plus simple est de ne pas les juger. “Too Big To Fail” et donc “Too Big To Jail”

En France, n’importe quel caïd qui va braquer l’agence locale d’une banque, même sans tuer personne, même avec un pistolet en plastique, même en ne repartant qu’avec quelques centaines ou milliers d’euros, va probablement être condamné à 10 ou 20 ans de taule. Souvent davantage que s’il avait tué ou violé. On ne rigole pas avec le pognon des banksters. Taibbi raconte qu’un Colombien qui blanchissait de l’argent pour le compte d’un cartel du coin s’est fait gauler et a pris 10 ans de taule, tandis que les dirigeants d’HSBC, qui faisait la même chose à une échelle incomparable, s’en sortent comme une fleur. Vous les imaginez, ces multimillionnaires en costard, croupir entre un dealer et un autre escroc, qui aurait eu le tort de ne pas avoir de cravate ? Il suffit de visualiser le truc, on voit bien que ce n’est pas possible.

A ce niveau de saloperie indicible, on vomit un bon coup, on relève la tête, on se pince… On aimerait bien qu’à se moment-là sa femme bouge, qu’on se réveille…Non, ce n’est hélas pas un cauchemar. C’est la triste réalité : les banksters ont définitivement pris le pouvoir. D’ailleurs il suffit d’allumer la radio pour s’en convaincre :
Attention, les enfants, c’est pas bien ! Vous n’arriverez pas à vos 3% fin 2013. Tonton Goldman ne va pas être content ! Il va falloir réagir : vous préférez sacrifier vos allocs ou vos retraites ?

Voilà, je voulais juste faire une brève (ça, c’est raté !) introduction à cet article exceptionnel de Matt Taibbi, tel qu’il figure sur le site américain de Rolling Stone, et qui sera repris dans le magazine papier qui sortira à la fin du mois. Il est tellement bon, cet article, que j’ai immédiatement souhaité le traduire pour lui donner ici l’audience qu’il mérite. C’est un long boulot, mais Madame Laetsgo (encore elle) et Monsieur Touchatout se sont proposés pour m’aider et prendre une partie du boulot à leur charge. Ce qui fut fait. Vite et bien. Qu’ils en soient remerciés.

Et voilà. Je vous préviens, c’est long. Très long. On n’est pas là pour dresser le profil psychologique de Christian Jacob, c’est beaucoup plus complexe que ça. Mais c’est passionnant, didactique et plein d’humour et je vous interdis d’arrêter avant la fin ! Au passage, si vous avez une réponse à sa question finale, ça m’intéresse…


Gangsters Bankers : Too Big To Jail

banksters2013

[L’article original est de Matt Taibbi et à été publié le 14 février 2013 sur le site de Rolling Stone. Traduction (dans l’ordre des pages) de SuperNo, Touchatout et Laetsgo. L’illustration est celle de l’article original]

L’accord a été annoncé en loucedé, juste avant les vacances de Noël, comme si le gouvernement espérait que les gens soient trop occupés à mettre leurs souliers devant la cheminée pour y prêter attention.

Laissant sur le cul politiciens, avocats et enquêteurs partout dans le monde, le département américain de la justice a laissé en liberté les dirigeants de la banque d’origine britannique HSBC pour la plus grande affaire de blanchiment d’argent de la drogue et de terrorisme de tous les temps. Ils ont certes prononcé une amende - 1.9 milliard de dollars (euros), soit l’équivalent de 5 semaines de profit- mais ils ne sont pas allés jusqu’à soutirer un dollar ou coller un jour de prison à qui que ce soit, en dépit d’une décennie d’abus stupéfiants.

On comprend que les gens en aient ras le bol de Wall Street et que de nouvelles histoires de milliardaires cupides qui volent toujours plus n’arrivent même plus à les scandaliser. Mais l’affaire HSBC est allée bien au delà des crimes de papier et de clavier commis par ces geeks encravatés que l’on associe généralement à Wall Street. Dans cette affaire, la banque s’est littéralement accommodée de meurtres -oui oui, les a d’une certaine manière aidés et encouragés.

Depuis au moins cinq ans, le légendaire pouvoir bancaire colonial britannique a permis de blanchir des dizaines de millions de dollars pour des organisations de narco-trafiquants, y compris le cartel mexicain de Sinoala, suspecté de dizaines de milliers de meurtres au cours des 10 dernières années - des gens à ce point complètement tarés, plaisante l’ancien procureur géneral de New York Eliot Spitzer « qu’en comparaison les mecs de Wall Street avaient l’air de bons gars ». La banque avait aussi transféré de l’argent pour le compte d’organisations liées à Al Qaeda et au Hezbollah, ainsi que pour des gangsters russes ; avait permis à des pays comme l’Iran, le Soudan et la Corée du Nord d’échapper aux sanctions et, tout en aidant les assassins, les terroristes et les États voyous, avait aidé un nombre incalculable de fraudeurs fiscaux ordinaires à planquer leurs sous.

« Ils ont violé toutes les putains de lois du code pénal », dit Jack Blum, avocat et ancien enquêteur du Sénat qui dirigea une très importante enquête de trafic d’influence contre Lockheed dans les années 1970, laquelle conduisit au vote de « l’Acte sur les pratiques de corruption à l’étranger ». « Ils ont employé toutes les formes imaginables de business illégal et illicite. »

Que personne à la banque ne soit allé en prison ou n’ait eu à payer à titre personnel un seul dollar d’amende, rien de bien neuf dans cette ère de crise financière. Ce qu’il y a de différent dans ce verdict, c’est que le Département de la justice, et pour la première fois, a admis la raison pour laquelle il a décidé d’être indulgent pour cette variété particulière d’affaire criminelle : il avait peur que quelque chose de plus violent qu’une petite tape sur les doigts d’HSBC puisse affaiblir l’économie mondiale. « Si les autorités américaines avaient décidé d’engager des procédures pénales », dit le procureur général adjoint Lenny Breuer lors d’une conférence de presse pour annoncer la décision, « HSBC aurait presque à coup sûr perdu son agrément bancaire aux États-Unis, l’avenir de l’institution aurait été menacé et c’est le système bancaire tout entier qui aurait été déstabilisé ».

Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère. Dans les années qui ont suivi le 11 septembre, le simple fait de se faire approcher par une personne suspectée de terrorisme pouvait vous conduire en détention clandestine pour le restant de vos jours. Mais désormais, quand on est « Trop gros pour aller en prison », on peut se faire gauler pour blanchiment de l’argent du terrorisme et violation de l’« Acte contre l’intelligence avec l’ennemi », et non seulement on ne sera pas poursuivi pour ça, mais en prime le gouvernement se mettra en quatre pour faire en sorte qu’on ne perde pas son agrément. Quelqu’un au Congrès m’a décrit le truc ainsi : « OK, très bien, une amende, pas de peine de prison, mais ils n’ont même pas été foutus de leur enlever l’agrément ? C’est une plaisanterie ? »

Mais le Département de la Justice n’avait pas terminé sa distribution de cadeaux de Noël. Un peu plus d’une semaine plus tard, Breuer était de retour devant la presse, faisant un joli cadeau à une autre énorme société internationale, la banque suisse UBS, qui venait juste de reconnaître son rôle clé dans ce qui est peut-être la plus grosse affaire de l’histoire en matière de monopole et de distorsion de concurrence, connue sous le nom de scandale du LIBOR, une conspiration de manipulation massive des taux, impliquant des centaines de milliers de milliards de dollars (avec 14 zéros) en produits financiers. Alors que deux lampistes ont été condamnés, Breuer et le Département de la Justice se sont ouvertement inquiétés pour la stabilité globale en expliquant pourquoi aucune accusation pénale n’avait été retenue contre la maison mère.

« Notre but ici », dit Breuer, « n’est pas de détruire une institution financière majeure ».

Un journaliste à la conférence sur UBS fit remarquer que cette banque avait déjà été épinglée en 2009 dans une affaire majeure d’évasion fiscale, et posa une question délicate : « C’est une banque qui a déjà enfreint la loi auparavant », dit le journaliste, « alors, pourquoi ne pas être plus sévère ? »

« Je ne sais pas ce que “plus sévère” veut dire », répondit le procureur général adjoint.

Connue aussi sous le nom de « Hong Kong and Shanghai Banking Corporation », HSBC a toujours été associée à la drogue. Fondée en 1865, HSBC est devenue la principale banque de la Chine coloniale après la fin de la Seconde Guerre de l’Opium. Si vos connaissances sur les différentes guerres d’agression impérialiste britanniques sont un peu rouillées, la Seconde Guerre de l’Opium fut celle où l’Angleterre et d’autres puissances européennes [ndT : et principalement la France] massacrèrent un grand nombre de Chinois jusqu’à ce qu’ils consentent à légaliser le commerce de la drogue (un peu comme ils l’avaient fait lors de la Première Guerre de l’Opium, qui s’était terminée en 1842).

Un siècle et demi plus tard, il semble que les choses n’aient pas beaucoup changé. Avec sa forte implantation dans nombre des divers ex-territoires coloniaux en Asie et en Afrique, ainsi que par sa riche histoire de flexibilité morale transculturelle, HSBC a une empreinte internationale très différente des autres banques « Trop grosses pour faire faillite » comme Wells Fargo ou Bank of America. Alors que les monstres bancaires américains se sont principalement gavés dans le commerce du crédit immobilier subprime qui a causé la bulle financière de 2008, HSBC a pris un chemin légèrement différent, devenant la banque de prédilection des salopards locaux et internationaux de toutes les variétés possibles.

Les petits récidivistes ratés qui croupissent dans les prisons de Californie pour des délits sur la voie publique pourraient être surpris que la décision de non-emprisonnement prise par Lenny Breuer pour HSBC concernait déjà le troisième mauvais coup de la banque. En fait, comme le mettait en évidence un rapport désespérant de 34 pages publié l’été dernier par le Sous-comité Permanent du Sénat sur les Enquêtes, HSBC a ignoré un nombre tout simplement incroyable de mises en garde officielles.

En avril 2003, alors que le 11 septembre est encore tout frais dans l’esprit des régulateurs américains, la Réserve Fédérale envoie une lettre de mise en demeure à une filiale d’HSBC, lui ordonnant de mettre à jour son règlement, et de faire plus d’efforts pour empêcher les criminels et les terroristes d’ouvrir un compte chez eux. L’un des plus gros clients de la banque, par exemple, était la banque saoudienne Al Rajhi, pour laquelle la CIA et d’autres agences gouvernementales avaient trouvé des liens avec le terrorisme. Selon un document cité dans le rapport du Sénat, Sulaiman bin Abdul Aziz Al Rajhi faisait partie des 20 financiers historiques d’Al Qaeda, un membre de ce que Oussama Ben Laden lui-même appelait « la chaîne en or ». En 2003, la CIA écrit un rapport confidentiel sur la banque, décrivant Al Rajhi comme un « canal vers la finance extrémiste ». Dans le rapport, dont les détails ont fuité dans le public vers 2007, l’agence notait que Sulaiman Al Rajhi avait travaillé consciencieusement à aider des « œuvres » islamiques à cacher leur véritable nature, donnant l’ordre à la direction de la banque « d’explorer les instruments financiers qui permettraient aux bonnes œuvres de la banque d’éviter les contrôles officiels saoudiens »” (La banque a nié tout rôle dans le financement d’extrémistes.)

En janvier 2005, alors qu’elle était toujours sous la contrainte de son premier accord de probation top secret avec les Etats-Unis, HSBC décida de partiellement couper les ponts avec Al Rajhi. Notez le mot « partiellement » : la décision s’appliquerait seulement aux activité bancaires d’Al Rajhi et non à sa société de trading, une distinction qui dérangea des dirigeants de la banque. En mars 2005, Alan Ketley, un employé du service Compliance* de la filiale américaine d’HSBC, HBUS, dit en rigolant à Paul Plesser, chef du département global des échanges internationaux que c’était cool de faire du business avec Al Rajhi Trading. « On dirait que ça ne vous pose pas de problème de continuer à traiter avec Al Rajhi », écrit-il. « Vous feriez mieux de gagner beaucoup d’argent ! ».

[* ndT : « Compliance » est l’anglicisme qui désigne le service chargé de s’assurer que les activités de la banque respecte les lois et règlements en vigueur. On pourrait le traduire par « Conformité », mais dans ce milieu tout le monde dit « Compliance », alors…]

Mais cet arrangement de derrière les fagots avec le suspecté banquier de la « chaine en or » de Ben Laden n’était pas assez direct – plusieurs dirigeants de HSBC voulaient en revenir à la totale. Dans un courriel remarquable envoyé en mai 2005, Christopher Lok, responsable global de l’argent liquide de la banque, demanda à un collègue s’ils ne pouvaient pas reprendre complètement le business avec Al Rajhi dès lors qu’un des premiers régulateurs bancaires américains, le bureau du contrôleur de la monnaie (OCC), aurait levé la mise en demeure de 2003 : « après la décision de l’OCC et en espérant que ce chapitre soit clos, pourrions-nous à nouveau rendre visite à Al Rajhi ? La Compliance de Londres voyait les choses de manière plus légère ».

Après avoir été frappée par la mise en demeure de 2003, HSBC commença à s’affranchir de ses obligations, tant sur la lettre que sur l’esprit, et à une grande échelle. Néanmoins, au lieu de punir la banque, la réponse du gouvernement fut de lui envoyer encore plus de lettres de désapprobation. Typiquement, celles-ci prenaient la forme de courriers estampillés “Important” envoyés par l’OCC. La plupart d’entre elles étaient sur le même thème, c’est à dire qu’HSBC manquait à son devoir de prudence envers les personnages louches qui pourraient déposer de l’argent sur ses comptes ou utiliser ses moyens pour transférer de l’argent. HSBC entassa ces injonctions du style « Vous continuez à déconner et on est au courant » par douzaines, et sur la seule courte période entre 2005 et 2006, elle reçut 30 avertissements formels différents.

Néanmoins, en février 2006, l’OCC aux ordres de Georges Bush décide soudain de libérer HSBC de sa mise en demeure. En d’autres mots, HSBC avait tout simplement renié sa parole 30 fois en à peine plus d’un an, et s’en tirait quand même. La banque était, selon l’expression populaire, « blanchie » – et libre de faire revenir en courant tous les Al Rajhis du monde.

Après avoir totalement repris ses relations avec la banque Al Rajhi, apparemment amie des terroristes en Arabie Saoudite, HSBC lui fournit près d’un milliard de dollars. Quand HSBC lui demanda pourquoi il avait besoin de tout cet argent américain, Al Rajhi expliqua que les gens en Arabie Saoudite avaient besoin de dollars pour toutes sortes de raisons. « Pendant l’été », écrit la banque, « nous avons une forte demande de la part de touristes pour leurs vacances ».

Le Département du Trésor tient à jour une liste compilée par le bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC) et les banques américaines ne sont pas supposées faire des affaires avec quiconque figurerait sur cette liste. Mais la banque a aidé en toute connaissance de cause des individus peu recommandables à échapper au processus de sanctions. L’un d’entre eux était le puissant homme d’affaires syrien Rami Makhlouf, un proche de la famille Assad. Quand Makhlouf est apparu sur la liste de l’OFAC en 2008, HSBC n’a pas réagi en coupant les ponts avec lui, mais en essayant de trouver une solution pour les comptes que le puissant courtier syrien détenait dans ses filiales à Genève et aux Iles Caïman. « Nous avons établi que les comptes détenus aux Caïmans ne sont pas sous la juridiction, ni hébergés par aucun système des Etats-Unis”, écrit un employé du service Compliance. « Nous ne rapporterons donc pas cela à l’OFAC ».

Traduction : « On sait que ce type est sur une liste de terroristes, mais ses comptes sont dans un endroit où les Américains ne peuvent aller fouiller, alors qu’ils aillent se faire foutre. »

Rappelez-vous, c’était en 2008 – 5 ans après qu’HSBC a été pris à faire ce genre de choses. Et même 4 ans plus tard, quand elle a été interrogée par le Sénateur Carl Levin en juillet 2012, un dirigeant de HSBC refusa de dire clairement que la banque informerait le gouvernement si Makhlouf ou un autre nom sur la liste de l’OFAC apparaissait dans son système – disant simplement qu’il ferait « tout ce qu’il pourrait ».

L’échange au Sénat mit en évidence une dynamique très frustrante que les enquêteurs du gouvernement avaient eu à affronter avec les mégabanques trop grosses pour aller en prison : la même chose qui les rendait si attractives auprès des clients louches – leur capacité à déplacer instantanément l’argent autour du monde vers des endroits comme les Iles Caïman et la Suisse – leur facilitait la tâche quand il s’agissait de jouer les idiots face aux régulateurs en se retranchant derrière le secret bancaire.

Quand elle ne servait pas de banque à des personnage louches du Tiers-Monde, HSBC entraînait sa puissance de feu mentale sur le problème consistant à trouver des moyens créatifs de lui permettre de faire des affaires avec des pays soumis à des sanctions américaines, en particulier l’Iran. Dans un mémo de la filiale de HSBC au Moyen Orient (HBME), la banque note qu’elle pourrait gagner beaucoup d’argent avec l’Iran, à condition qu’elle puisse contourner de ce qu’elle appelle « des difficultés » – vous savez, ces putains de lois.

« On s’attend à ce que l’Iran devienne une source de revenus croissants pour le groupe dans le futur », dit le mémo, « et si nous voulons atteindre ce but, nous devons adopter une attitude positive lorsque nous rencontrerons des difficultés ».

« L’attitude positive » comprenait une technique appelée « camouflage », dans laquelle les filiales étrangères comme HSBC Moyen Orient ou HSBC Europe effaceraient toute référence à l’Iran dans tous les virements de ou vers les Etats-Unis, se substituant souvent elles mêmes au véritable nom du client pour éviter le déclenchement des alertes OFAC. (En d’autres mots, la transaction mentionnerait HBME d’un côté, au lieu du client Iranien.)

Pendant plus de 10 ans, la somme effarante de 19 milliards de dollars de transactions impliquant l’Iran est passée par le système financier américain, la connexion avec l’Iran étant cachée dans 75 à 90% de ces transactions. Le siège d’HSBC est établi en Angleterre depuis plus de 20 ans – c’est en fait la plus grosse banque d’Europe – mais elle a d’importantes filiales aux quatre coins du monde. Ce qui est ressorti de cette enquête, c’est que les responsables de la société-mère étaient souvent au courant des transactions douteuses alors que la filiale régionale l’ignorait. Dans le cas des transactions interdites avec l’Iran, par exemple, il existe de nombreux courriels du directeur de la Compliance d’HSBC, dans lesquels il reconnaît que la filiale américaine d’HSBC n’est pas au courant que HSBC Europe a envoyé des quantités phénoménales d’argent iranien prohibé.

« Je ne suis pas sûr que HBUS soit au courant que HBEU fournisse déjà des services de compensation pour quatre banques iraniennes », écrit-il en 2003. L’année suivante, il fait la même observation. « Je suspecte que HBUS ne soit pas au courant que des paiements [iraniens] aient pu passer par eux », écrit-il.

Quel est l’intérêt pour une banque comme HSBC de faire des affaires avec des individus peu recommandables, des escrocs, etc. ? La réponse est simple : « Si vous avez des clients intéressés par des “services particuliers” – c’est l’euphémisme pour les trucs douteux – on peut leur facturer tout ce qu’on veut », dit l’ancien enquêteur du Sénat Blum. « La marge sur l’argent blanchi pendant des années a été environ de 20%. »

Ces frais peuvent prendre plusieurs formes, des commissions initiales à l’engagement de garder ses dépôts à la banque pour une certaine durée. Quelle que soit la manière de les organiser, les possibilités de profits sont énormes, à condition que vous soyez d’accord pour recevoir de l’argent de presque n’importe où. HSBC, par ses racines dans le champ de bataille du capitalisme brut des anciennes colonies britanniques, et par sa forte présence en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient, a peut-être davantage accès à des clients demandeurs de « services particuliers » que n’importe quelle autre banque.

Et elle a travaillé dur pour satisfaire ces clients. Dans ce qui est peut-être le summum de l’innovation dans l’histoire des pratiques bancaires douteuses, HSBC a mis en place une opération offshore absurde au Mexique qui permettait à quiconque d’aller dans n’importe quelle agence HSBC au Mexique, et d’ouvrir un compte en dollars US (Les comptes HSBC au Mexique doivent être en pesos) via une certaine « succursale des Iles Cayman » de HSBC Mexique. Les preuves démontrent que les client ont rarement eu à divulguer leurs véritables nom et adresse, et encore moins à démontrer l’origine légale de leurs dépôts.

Si vous êtes capables d’imaginer une clinique de transplantation cardiaque en mode drive-in, ou une compagnie aérienne qui mettrait un minibar bien rempli dans le cockpit de chaque avion, vous saisissez approximativement l’absurdité réglementaire de la « succursale des Iles Caïmans » de HSBC Mexique. Toute cette structure était une pure compagnie coquille, gérée par des Mexicains dans les succursales d’une banque mexicaine.

À un moment, ce fantasme issu de l’imagination de la banque avait 50 000 clients, détenant un total de 2,1 milliards de dollars d’actifs. En 2002, un audit interne découvrit que 41% des comptes audités avaient des informations clients incomplètes. Six ans plus tard, un courriel d’un employé haut-placé de HSBC nota que 25% des clients n’avaient même pas de dossier. « Comment voulez-vous localiser les clients si vous n’avez pas de dossier ? », se plaignait ce dirigeant.

Ce n’est que lorsqu’on découvrit que ces comptes étaient utilisés pour payer une société américaine qui prétendait fournir des avions aux dealers de drogue mexicains que HSBC se décida à agir, même si elle ne ferma que certains des comptes de la « succursale des Iles Caïman ». Encore en 2012, quand des dirigeants de HSBC furent traînés devant le Sénat américain, la banque avait toujours 20 000 de ces comptes pour une valeur de 670 millions de dollars, et sous serment accepta seulement de dire que la banque était « en train » de les fermer.

Entretemps, durant toute cette période, les régulateurs américains continuèrent à surveiller HSBC. Dans un scénario absurde qui se poursuivit pendant les années 2000, les inspecteurs de l’OCC conduisirent des audits annuels, et trouvèrent les mêmes trucs emmerdants qu’ils avaient trouvés depuis des années, puis écrivirent des rapports sur les problèmes de la banque comme si c’était la première fois qu’ils les découvraient. Extrait du rapport 2006 de l’OCC : « Au cours de l’année, nous avons identifié un certains nombre de zones dont les pratiques de business révèlent un manque d’adhésion flagrant et réel sur le secret bancaire et l’anti-blanchiment d’argent. La direction a répondu positivement et a pris des mesures pour corriger ses faiblesses et améliorer sa conformité avec la politique de la banque. Nous validerons cette action corrective au cours du prochain cycle d’examen. »

Traduction : « Ces types sont des enfoirés, mais ils en sont conscients, c’est cool et on ne fera rien ».

Un an plus tard, le 24 juillet 2007, l’OCC tenait à dire ceci : « Au cours de l’année passée, les inspecteurs ont identifié un certain nombre de thèmes communs, dans lesquels les pratiques de business révèlent un manque d’adhésion flagrant et réel sur le secret bancaire et l’anti-blanchiment d’argent . Les politiques de la banque sont acceptables… La direction continue à répondre positivement et a pris des mesures pour améliorer la conformité avec la politique de la banque ».

Traduction : « Ce sont toujours des enfoirés, mais on les a alertés sur le problème et tout va bien se passer. »

Depuis lors, le laxisme des contrôles anti-blanchiment de HSBC a virtuellement contaminé la totalité de la banque. Des Russes se présentant comme vendeurs de voitures d’occasion en étaient arrivés à déposer 500 000 dollars par jour, principalement à travers une opération de détournement de chèques de voyage au Japon. Le programme bancaire spécial pour les ambassades étrangères de la société était tellement détourné qu’il a émis des alertes d’activités suspectes par milliers. Il y a aussi des preuves irréfutables que la banque permettait à des clients de Cuba, de Birmanie et de Corée du Nord d’échapper aux sanctions.

Lorsque qu’en 2007, lors d’une réunion de direction, une des responsables du service Compliance de la banque, Carolyn Wind, souleva le problème du manque d’effectifs pour surveiller les activités suspectes, elle fut virée sur le champ. Le culot monstre qu’il fallut à la banque pour passer outre les dirigeants de son service Compliance et continuer à engranger de l’argent de tant de sources douteuses alors qu’elle savait pertinemment qu’une armée de régulateurs surveillaient chaque mouvement est incroyable, « On ne peut pas imaginer blanchiment d’argent plus évident et impliquant la totalité d’une institution », dit Spitzer.

Vers la fin des années 2000, d’autres organismes chargés de faire appliquer la loi commencèrent à venir renifler HSBC d’un peu plus près. Le Département de la sûreté intérieure ouvrit une enquête sur HSBC pour blanchiment d’argent de la drogue, tandis que le bureau du procureur général de l’ouest de la Virginie s’intéressait à l’implication de HSBC dans une affaire de fraude à Medicare [ndT : la Sécu des vieux aux États-Unis]. Une réunion fédérale inter-agences se tint à Washington en septembre 2009, au cours de laquelle il fut constaté que HSBC était incontrôlable, et nécessitait une enquête plus poussée.

La banque elle-même fut alors avertie que son audit habituel par l’OCC était « étendu ». On affecta plus de personnel pour passer au peigne fin les comptes d’HSBC et, entre autres choses, ils découvrirent une liste de 17000 alertes d’activités suspectes qui n’avaient pas été traitées. Ils notèrent également que la banque avait une pile similaire d’assignations pour des affaires de blanchiment d’argent.

Il sembla enfin que le gouvernement était en train de vraiment s’énerver. En mars 2010, après avoir vu un nombre incalculable d’ultimatums ignorés, il en émit un de plus, donnant à HSBC 3 mois pour traiter cette putain de liste de 17000 alertes faute de quoi elle en subirait de sérieuses conséquences. Mais quelques mois plus tard, l’OCC trouva de nouveau que les contrôles anti-blanchiment de la banque étaient inefficaces, obligeant le gouvernement à prendre, euh… une action drastique, hein ?

Enfin, façon de parler… En octobre 2012, l’OCC respira un bon coup, enfila ses habits de grand garçon, et… envoya une seconde lettre de mise en demeure !

Autrement dit, c’était « Ne refaites jamais ça » - une fois de plus. La sanction pour tous ces défis délibérés fut de ramener le processus de régulation vers le même genre de mise à l’épreuve à laquelle ils l’avaient déjà condamnée en 2003.

On ne peut pas dire qu’HSBC n’avait rien changé après le second « Ne refaites jamais ça ». Elle changea – elle embaucha des gens.

Au cours de l’été 2010, Everett Stern, 25 ans, qui sortait tout juste de l’école de commerce, était en proie à une petite envie de voyager, à la recherche d’un boulot et de l’aventure. Son rêve était de devenir agent de la CIA, d’affronter les méchants et de coxer des terroristes du Moyen-Orient. Il présenta sa candidature au service secret de l’agence, obtint même un entretien,mais juste avant la remise des diplômes, le jeune et exubérant binoclard Stern fut refusé.

Il était effondré, mais c’est alors qu’il tomba sur une offre d’emploi en ligne qui piqua sa curiosité. HSBC, une grande banque internationale, cherchait du monde pour collaborer à son programme de lutte anti-blanchiment d’argent. “J’ai pensé que c’était exactement ce que je voulais faire”, dit-il, “ça paraissait tellement exaltant.”

Stern se présenta aux bureaux HSBC de Newcastle, Delaware, pour un entretien et en ce mois d’octobre, juste après que l’OCC ait envoyé sa deuxième lettre « Ne refaites jamais ça », il commença à travailler comme membre du programme « étendu » de HSBC de lutte contre le blanchiment d’argent.

Dès le départ, Stern savait qu’il y avait quelque chose de tordu dans son boulot. « J’ai dû aller à la bibliothèque pour emprunter des livres sur le blanchiment d’argent » dit Stern aujourd’hui en riant. « C’était à ce point-là », il n’y avait ni cours ni séminaires sur le blanchiment d’argent, ce que c’était, comment le détecter. Son travail consistait principalement à rechercher sur l’internet les noms de personnages infréquentables et à les soumettre aux systèmes internes de la banque, pour voir s’il émergeaient quelque part dans les noms des comptes.

Plus tordu encore, personne ne semblait chercher à savoir si quelqu’un travaillait vraiment. Le bureau du Delaware est resté pratiquement vide pendant longtemps, juste une immense pièce aux murs nus avec quelques box aménagés sommairement, pas plus d’une douzaine de personnes , et personne pour encadrer aucun des employés. Stern et un de ses collègues cessaient régulièrement le travail à 10 h 30 le matin, pour aller passer quelques heures à lancer des cailloux dans une carrière derrière les bureaux de la banque. Puis ils revenaient à leurs box et tuaient le temps jusque vers 15 h, ou une heure à laquelle il était plausible qu’ils aient effectué une vraie journée de travail. « Si on réclamait davantage de travail, ils se mettaient en colère », dit Stern.

Stern touchait un salaire de départ de 54 900 $.

Assez tôt, cependant, pris d’ennui et peut-être aussi d’un peu de patriotisme, Stern commença à passer au crible quelques-unes des alertes passées et essaya de les comprendre. Presque tout de suite, il trouva une série d’opérations très inquiétantes. Il y avait une compagnie d’agents de change qui virait de fortes sommes à des bénéficiaires intraçables au Moyen-Orient. Stern trouva par une simple recherche internet qu’une compagnie fruitière saoudienne envoyait des millions à un personnage haut placé de la branche yéménite des Frères Musulmans. Stern apprit même que HSBC autorisait le transfert de millions de dollars de la chaîne africaine de supermarchés Karaiba vers une entreprise dénommée Tajco, dirigée par les frères Tajideen, identifiés par le “Département du trésor” comme un des principaux financiers du Hezbollah.

Chaque fois que Stern rapportait une de ses trouvailles à ses patrons, ils lui faisaient les gros yeux, ou pire. Quand il signala à son patron qu’une compagnie de navigation liée à l’Iran travaillait intensément avec la banque, il explosa. « C’est pour ça que vous me dérangez ? » lui demanda sèchement le patron.

Peu après, le bureau vide commença à se remplir. La manœuvre de HSBC pour le recrutement de personnels nouveaux était en fait plutôt futée. La banque liquidait sa section de recouvrement de cartes de crédit et mutait le gros des employés au service anti-blanchiment. Encore une fois sans véritable formation de quiconque, ils jetaient des centaines d’employés au verbe haut, mâcheurs de gomme, la plupart incultes, déconneurs à l’occasion, dans un nouveau boulot, pour en faire des enquêteurs anti-blanchiment.

Stern dit que non seulement ses collègues étaient nuls dans leur boulot, mais qu’ils ne savaient même pas ce qu’était leur boulot. « Vous pouvez vous pointer dans ce bâtiment aujourd’hui », dit-il, « et demander si quelqu’un sait ce qu’est le blanchiment d’argent – je vous garantis que pas un ne saura. »

Quand quelque chose de louche émerge d’un compte, la banque déclenche une alerte. Une alerte peut naître de pratiquement n’importe quoi, depuis un virement de 9 999 $ (pour rester en dessous de la limite des 10 000 $) jusqu’à des virements de grosses sommes en nombres ronds vers quelqu’un qui ouvre un compte sous un nom ou une adresse qui sonne faux.

Quand une alerte est déclenchée, la banque est censée enquêter promptement sur le sujet. Si la banque n’efface pas l’alerte, elle crée un « Rapport d’activité suspecte » qui est transmis au Département du Trésor pour enquête.

Stern se trouva alors dans une sorte de mécanisme pervers de non-conformité. HSBC s’était « conformée » à nouveau à la deuxième injonction « Ne refaites jamais ça » du Gouvernement, en embauchant des centaines de personnes qu’elle avait transformées en une armée de blanchiment des opérations suspectes. Rappelez-vous que le reproche fait à HSBC n’était pas tant d’avoir accepté précisément l’argent de la drogue ou du terrorisme, mais d’avoir permis l’accumulation de comptes douteux sans vérification.

Le patron du bureau de Stern au Delaware donna des objectifs à sa nouvelle équipe : chacun devait traiter 72 alertes par semaine. Pour ceux d’entre vous qui tiennent les comptes à la maison, cela signifie presque deux alertes examinées et effacées à chaque heure. Selon Stern, à peu près n’importe quelle information était bonne pour effacer une alerte. « En gros, si une compagnie avait un site web, vous pouviez les blanchir », dit-il.

Bientôt, les cadres de la Compliance chez HSBC envoyèrent des courriels de satisfaction. « Bon travail de certains professionnels du Delaware pour le début de la semaine », écrivait le patron de Stern le 30 juin 2011. Le courriel était intitulé « La foule des 60 et plus », ce qui valait félicitations pour les employés qui avaient blanchi plus de 60 opérations cette semaine-là.

Après avoir essayé de convaincre ses patrons d’au moins le laisser faire son travail et rechercher le blanchiment d’argent, Stern décida de se faire lanceur d’alerte, en racontant au FBI et autres agences ce qui se passait à la banque. Il quitta son travail à HSBC en 2011, convaincu que les foudres du gouvernement allaient s’abattre sur ses anciens employeurs.

Entretemps, de nombreuses agences, dont le « Département de sécurité intérieure », s’étaient introduites partout dans le dos de HSBC, entre autres comme partie prenante dans une vaste enquête internationale sur les stupéfiants. Au cours d’une période de quatre ans entre 2006 et 2009, des virements pour le montant ahurissant de 200 000 milliards de dollars sont passés sans aucun contrôle. La banque a négligé de donner l’attention nécessaire à l’achat incroyable, depuis le Mexique, de 9 milliards de dollars US en billets, ce qui permettait aux cartels de la drogue, tant mexicains que colombiens, de convertir en pesos pour l’usage national les dollars US issus des ventes de drogue. Les policiers anti-drogue ont découvert que les trafiquants du Mexique fabriquaient des mallettes à billets aux dimensions exactes des vitres des comptoirs HSBC.

L’ancien « inspecteur du renflouement » et procureur fédéral Neil Barofsky, qui avait contribué à obtenir de nombreuses inculpations pour blanchiment d’argent étranger, fait remarquer que les gens avec qui HSBC faisait des affaires, comme les cartels Norte del Valle de Colombie et Sinaloa du Mexique, étaient « les pires organisations de trafiquants qu’on peut imaginer » – des groupes qui non seulement pratiquent le meurtre à grande échelle, mais sont connus aussi pour des décapitations, des vidéos de torture (« le truc à la mode aujourd’hui », dit-il) et autres atrocités, dont aucune ne se produit sans blanchisseurs d’argent. C’est pour cette raison, dit Barofsky, que les procureurs anti-drogue ne sont pas avares de lourdes peines de prison à l’encontre des blanchisseurs. « Franchement, notre vision du blanchiment était qu’il était à égalité avec le trafic lui-même, et aussi significatif », dit-il.

Barofsky a été impliqué dans la première extradition d’un citoyen colombien (Pablo Trujillo, un membre du cartel pour lequel HSBC faisait circuler de l’argent) sur des accusations de blanchiment. « Ce type a pris 10 ans », dit Barofsky. « HSBC faisait la même chose, simplement sur une bien plus grande échelle que ce couillon. »

Clairement, HSBC a enfreint la deuxième injonction « Ne refaites jamais ça ». Everett Stern l’a vu de ses yeux ; de même l’OCC (Bureau du contrôleur de la monnaie) et le Sénat américain, dont la sous-commission permanente des enquêtes a décidé de soumettre la compagnie à une enquête d’un an sur le blanchiment d’argent. La banque elle-même, en réponse à l’enquête du Sénat, a reconnu qu’elle avait « parfois échoué à respecter les normes que les régulateurs et les clients attendent ». Elle a continué plus tard en se disant « profondément désolée ».

Quelques jours après Thanksgiving 2012, Stern entendit que le Département de la justice était sur le point d’annoncer une transaction. Depuis qu’il avait quitté HSBC l’année précédente, il avait connu une période difficile. La publication de ses allégations l’avait ruiné sur le plan émotionnel et financier. Il avait été incapable de trouver un emploi et eut même à un moment recours à l’aide sociale. Mais maintenant que les fédéraux étaient sur le point d’abattre la masse sur HSBC, il s’imaginait qu’il aurait la satisfaction de savoir son sacrifice utile.

Il vint alors à New-York et s’installa dans une chambre d’hôtel, à attendre que des reporters lui demandent ses commentaires. Quand il a entendu que la « punition » annoncée par Breuer était une inculpation avec sursis – un « Ne refaites jamais ça » pour la troisième fois, si on veut – il a été sidéré.

« J’ai pensé : tout ça pour rien ? », dit-il. « Je ne pouvais pas y croire. »

L’écrivain Ambrose Bierce a dit une fois que tout ce qu’il y a de pire qu’une clarinette, c’est deux clarinettes. Dans la même veine, tout ce qu’il y a de pire qu’une banque totalement corrompue, c’est une multitude de banques corrompues.

Si la transaction HSBC a montré combien de saloperies l’État était disposé à tolérer d’une banque, Breuer revenait une semaine plus tard pour montrer que le gouvernement se montrerait tout aussi coulant avec les banques qui s’associent à d’autres banques pour provoquer des scandales encore plus grands. Le 19 décembre 2012, il annonçait que le Département de la justice, finalement, ne poursuivait pas le géant suisse UBS pour sa part dans ce qui est probablement le plus gros scandale financier de tous les temps.

Le scandale du LIBOR, qui est au cœur du compromis de l’UBS, met l’affaire Enron au niveau d’un stationnement interdit. Beaucoup des plus grandes banques internationales, dont UBS de Suisse, Barclay’s et Royal Bank of Scotland du Royaume-Uni, se sont réunies et mises d’accord en secret pour manipuler le « London Interbank Offered Rate », ou LIBOR, qui mesure le taux auquel les banques se prêtent entre elles. La plupart, sinon la totalité, des taux d’intérêts sont accrochés au LIBOR. Les prix de centaines de milliers de milliards de dollars de produits financiers sont liés au LIBOR, depuis les prêts commerciaux jusqu’aux cartes de crédit, en passant par les prêts immobiliers, les prêts au collectivités, les assurances et les devises.

Si vous pouvez imaginer des dirigeants de Ford, GM, Mitsubishi, BMW et Mercedes qui se réuniraient chaque matin pour fixer le prix de l’aluminium et de l’acier inoxydable, vous avez une vague idée du scandale du LIBOR, sauf que dans la comparaison avec les fabricants de voitures, vous traitez de chiffres ridiculement petits. Il s’agit des plus grandes banques du monde qui se réunissent chaque matin pour fixer précisément le prix de la monnaie. Un taux LIBOR bas signifie que les banques sont fortes et en bonne santé. Ces banques falsifiaient les résultats de leur échanges physiques quotidiens. En termes de banque, elles étaient florissantes.

Deux manipulations bien distinctes ont eu lieu. En 2008, en pleine tourmente financière, les banques proposent des taux artificiellement bas afin de renvoyer une image de solidité financière aux marchés. Mais à d’autres moments au fil des années, des traders ont intrigué afin de faire monter ou baisser les taux, pour leur plus grand profit, sur des deals spécifiques.

Il n’y a personne au monde qui cultive une herbe suffisamment costaud pour aider l’esprit humain à appréhender l’énormité de ce crime. C’est une conspiration d’une telle ampleur que les avocats en charge des dossiers rencontrent les plus grandes difficultés à chiffrer l’étendue des dégâts.

Voilà comment ça fonctionne : chaque matin, 16 des plus grandes banques mondiales soumettent des chiffres à un panel situé à Londres. Ces chiffres représentent les taux d’intérêts que chacune applique aux banques qui leur empruntent de l’argent et les taux d’intérêt qui lui sont appliqués en retour. Le panel LIBOR prend ces 16 taux d’intérêts différents, écarte les 4 plus élevés et les 4 plus faibles, et réalise une moyenne des 8 restant afin de déterminer le cours du jour du LIBOR – la base sur laquelle se calculent les taux d’intérêts aux quatre coins de la planète.

Le fait que le LIBOR exclue les 4 chiffres les plus élevés et les plus faibles est très important car cela signifie qu’il est extrêmement difficile d’influencer artificiellement le taux final… sauf à envisager que de nombreuses banques se soient entendues entre elles ! En effet, une banque mentant de manière éhontée et proposant un taux proche du 0 pour ses échanges avec les autres banques n’aura quasiment aucun impact sur le taux d’intérêt final du LIBOR. Afin d’être certain que le taux que vous créez est artificiellement haut ou bas, vous avez besoin d’un sacré paquet de banques dans la combine… et il s’est avéré que c’était bien le cas.

Depuis les vingt dernières années (peut-être, cela reste à creuser), les banques soumettent des taux bidonnés, souvent en concertation avec d’autres banques. Elles l’ont fait pour des raisons très diverses, mais la principale, c’est que si un trader passe un deal lié au LIBOR – panier de monnaies, obligations d’États, hypothèques, et autres – ce deal permettra au trader de gagner beaucoup plus d’argent si le taux d’intérêt est bas. Concrètement, ça signifie que le trader de la banque X appelle le courtier de la banque qui envoie le taux LIBOR et lui offre du cash, de l’alcool, un renvoi d’ascenseur ou autres corruptions afin qu’il soumette un taux falsifié à son avantage ce jour-là.

Le scandale a éclaté l’année dernière quand la mégabanque anglaise Barclays a reconnu avoir bidouillé les taux LIBOR. Les régulateurs anglais ont découvert de très nombreux courriels montrant des traders de différentes banques qui manipulent joyeusement des éléments de crédit (vos cartes de crédit, le taux d’intérêts de vos emprunts, votre impôt, etc.) afin de faire plus de pognon sur quelque deal sordide qu’ils conduisent ce jour-là. Dans un des cas, le trader d’une banque dont le nom n’a pas été révélé envoie un courriel à un courtier de la Barclays, le remerciant de son aide dans la manipulation du taux et lui promettant une bouteille de bulles en récompense de ses efforts.

« Mon pote, je t’en dois une ! Passe après le boulot à l’occasion, et on ouvrira une bouteille de Bollinger. »

La banque UBS est la suivante à passer aux aveux et le règlement de l’affaire – une amende de 1,5 milliard de dollars contre l’abandon des poursuites – est similaire, si ce n’est que les courriels découverts sont encore plus dégoûtants et explicites que ceux de la Barclays. L’Autorité des Services Financiers britanniques, l’équivalent de la SEC aux USA [NdT : ou de l’AMF en France], découvre des milliers de demandes visant à truquer les taux d’intérêt sur une période de plusieurs années, et impliquant des dizaines d’individus différents et de multiples banques. Dans de nombreux cas, les méfaits sont commis de manière plus ou moins affichée, par écrit, avec des traders offrant des pots de vin sans aucun complexe et sans aucune crainte de sanctions, absence de sanction qui se trouvera malheureusement avérée par la suite.

 « Je vais t’offrir un putain de deal, propose un trader d’UBS à un courtier à qui il demande d’arranger le taux. « Je te paierai, mettons, 50 000, 100 000 dollars ! »

 Les régulateurs britanniques ne cherchent pas à cacher l’ampleur du scandale.

L’affaire UBS démontre sans aucun doute possible que le scandale du LIBOR implique des centaines de personnes dans les institutions financières les plus grandes et prestigieuses du monde. En d’autres termes, un cas avéré de cartel d’intérêts posant la question de savoir si les plus grandes banques du monde ne sont pas en train de créer un nouvelle forme de haute finance, pas vraiment capitaliste dans son essence [ŇDT : concurrence libre et non faussée, blabla…]

« Nous enquêtons sur cinq autres institutions », rapporte Christopher Hamilton de la FSA « ainsi que sur un grand nombre de personnes physiques » (au moment où cet article est publié, une autre banque, la Royal Bank of Scotland, a également accepté une transaction pour le règlement de son implication dans le scandale du LIBOR).

 Cela recoupe ce que Bob Diamond, le précédent PDG de la Barclays, déclarait au Parlement le lendemain de sa démission l’année dernière. « Il y a un problème d’envergure, impliquant l’ensemble de la profession, qui couve » a-t-il déclaré. Michael Hausfeld est un avocat réputé qui a pris en charge la défense de villes comme Baltimore, dont les investissements ont perdu beaucoup de valeur avec la baisse des taux. Il souligne que le public n’a pas du tout compris l’importance de propos tels que ceux de Diamond. « En gros, Diamond a dit qu’il y avait un problème énorme. Mais personne n’a encore défini quel est ce problème ! ».

 Ce que Hausfeld veut souligner en disant cela, c’est que ce « problème » ne se limite pas uniquement à quelques péquins trafiquant les taux par ci par là. Il pourrait traduire une tentative systémique de pervertir le capitalisme lui-même [ndT : le comble du blasphème pour des américains ?!) ]Et donc mettre en exergue la grave erreur qui consiste à régler par une transaction amiable l’abandon des poursuites contre les banques.

 HSBC a fait bien plus que fermer les yeux sur quelques transactions douteuses. La banque a défié à de nombreuses reprises les injonctions du gouvernement et, de manière délibérée, a tout fait pour qu’il n’y ait plus de distinction entre argent propre et argent sale au fil des années. Et quand elle parvient à convaincre le gouvernement d’accepter un règlement amiable pour ces délits, afin de préserver son agrément bancaire, elle fait du crime la norme.

 Au même moment, UBS présente un cas similaire, avec des infractions répétées qui ne violent pas seulement l’esprit de la loi, mais l’intégrité même du système concurrentiel ! Si vous laissez des centaines de banquiers intoxiqués par l’argent facile passer leur matinée à s’envoyer des courriels vantards tout en manipulant le cours de l’argent (des traders d’UBS – qui feraient mieux d’apprendre à écrire – s’envoient des courriels dans lesquels ils s’intitulent « Capitaine Caos », « les trois Mousquetères », ou « Superman », sic !), autant laisser tomber le système capitaliste et donner aux 16 plus grandes banques du monde un nouveau nom : Bureau International des Prix.

 Ainsi, en l’espace de quelques semaines, les régulateurs tant britanniques qu’américains ont baissé leur culotte et signé une reddition totale face au crime et au monopole. Ces accords à l’amiable représentent bien plus que de laisser filer quelques riches. Ce sont des décisions politiques majeures dont les conséquences vont se faire sentir pendant très longtemps.

 Et pire que les accords eux-mêmes, c’est l’analyse qu’en fait Breuer. « Dans le monde actuel de la finance, basé sur la confiance, un bon accord est un accord qui fait en sorte que les clients ne fuient pas une institution donnée, que les emplois ne soient pas perdus, qu’il ne se produise pas un événement de nature économique, disproportionné par rapport à l’accord lui-même. »

 En d’autres termes, ce que Breuer nous dit, c’est que les banques nous tiennent par les couilles, que le coût social engendré par l’emprisonnement des responsables serait beaucoup plus élevé que de les laisser continuer à faire ce qu’ils veulent.

 Ce sont des conneries, diamétralement opposées à la vérité, mais c’est ce dont le gouvernement actuel est convaincu. Les Américains ont compris depuis très longtemps que les riches ont les moyens de se payer de bons avocats et de s’en sortir blancs comme neige, tandis que les pauvres peuvent aller se faire foutre et purger une peine. Mais ça, c’est quelque chose de différent. Ça, c’est le gouvernement qui reconnaît publiquement qu’il a peur de poursuivre en justice les puissants. C’est quelque chose qui n’est jamais arrivé dans l’histoire des Etats-Unis, même durant les jours de gloire de Capone, ou Escobar, ou même Nixon. Et quand vous admettez que certaines personnes sont trop importantes pour être poursuivies… cela signifie a contrario que toutes les autres sont si peu importantes qu’elles peuvent aller en taule.

 Une classe qu’on peut arrêter. Une classe qu’on ne peut pas arrêter. Nous l’avons toujours suspecté, là, c’est clair. Et maintenant, on fait quoi ?


Voir en ligne : Démentiel : les banksters sont désormais “Trop gros pour aller en prison” !

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.