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Nantes, l’escalade des pères cache une proposition de loi.
Patric Jean | patricjean.blogspot.fr | lundi 18 février 2013
mardi 19 février 2013
Nantes, l’escalade des pères cache une proposition de loi.
Patric Jean | patricjean.blogspot.fr | lundi 18 février 2013
Deux hommes séparés de leurs enfants par la justice
ont défrayé la chronique en montant sur des grues à Nantes ces derniers jours et,
pour l’un d’eux, en restant perché tout le week-end. Cette action coup-de-poing
survient à quelques jours d’une manifestation nationale prévue mercredi par une
association de pères pour « dénoncer les dérives du pouvoir
judiciaire » en matière de justice familiale.
Pour les besoins d’un film documentaire (la
Domination masculine), j’ai moi-même longuement enquêté sur ces associations
d’hommes au Québec, où le mouvement « masculiniste » très organisé
est l’inspirateur d’activistes européens. Afin de mieux les approcher, je me
suis fait passer, pendant des mois, pour l’un d’entre eux. Ce qui se passe à
Nantes est directement lié à ces mouvements, ainsi qu’à un récent projet de loi
dont on a peu parlé.
Que sait-on des hommes qui ont escaladé les
grues ? Le premier dit ne pas avoir revu son fils depuis deux ans et
manifeste donc son « désespoir ». Mais on sait qu’il a été condamné à un an de prison
en septembre 2012, dont quatre mois ferme, pour avoir enlevé son fils. Des
violences avaient été exercées à cette occasion. L’enfant avait été retrouvé en
Ardèche, trois mois et demi plus tard. Cet homme s’est donc vu retirer son
autorité parentale, ce qui est prévisible.
Un second père a alors escaladé une autre grue pour
en redescendre quelques heures plus tard et déclarer à la presse que
« malheureusement, la justice n’est pas impartiale, il suffit de prendre
tous les chiffres sur les résidences et domiciliations des enfants, 80% des
domiciliations sont remises aux mamans ». Or cet homme est accusé par son ex-compagne de violences
conjugales et de mauvais traitement sur ses enfants.
Ce lundi matin, on peut toujours voir le premier
grimpeur avec sa grande banderole bien visible, trois téléphones portables à disposition
pour répondre aux journalistes, faisant le V de la victoire aux caméras de
télévision.
Cette situation rappelle étrangement des actions
organisées par des groupes d’hommes anglais et québécois de « Fathers for
justice », il y a quelques années. Si la ressemblance est frappante, elle
n’a, en fait, rien d’étrange.
Lorsque j’ai infiltré ces mouvements à Montréal,
j’ai pu entendre dans les moindres détails la stratégie que ces militants de la
cause masculine désiraient mettre en place sur le plan international. Cette
affaire des grues de Nantes en fait partie et n’est en rien un coup de folie
d’un père isolé. C’est un long travail politique qui n’en est qu’à son début.
Mais tout d’abord, qu’est-ce que le
masculinisme ? Il s’agit d’une mouvance également nommée
« anti-féminisme », qui propose le rétablissement de valeurs
patriarcales sans compromis : différenciation radicale des sexes et de la place
de l’homme et de la femme à tous niveaux de la société, suprématie de l’homme
sur la femme dans la famille, mais aussi la conduite de la cité, défense du
couple hétérosexuel très durable comme seul modèle possible, éducation
viriliste des garçons et donc refus de toute égalité des femmes et des hommes. Ils
nient l’importance des phénomènes de la violence conjugale, de l’inceste et du
viol, qui seraient des inventions des féministes, que certains d’entre eux nomment
« fémi-nazis ».
Ils considèrent les avancées des luttes de femmes
et des homosexuels en vue de l’égalité comme une destruction du modèle social
sur laquelle il faut revenir. Le divorce étant beaucoup plus souvent demandé
par les femmes, ils espèrent un durcissement des conditions de son obtention.
Leur lutte est donc celle de la défense du pouvoir masculin ancestral à tous
niveaux de la société.
C’est au nom de ces idées rétrogrades qu’un jeune
homme a massacré quatorze étudiantes de l’école polytechnique de Montréal le 6
décembre 1989, estimant qu’elles prenaient la place des hommes. Le tueur est
ensuite devenu le héros des masculinistes les plus « décomplexés ».
Les masculinistes ont donc partagé confidentiellement
avec moi les différentes stratégies mises en place, notamment au Québec, pour
faire valoir leurs idées. Mais analysant leur échec, ils m’ont aussi décrit les
conseils qu’ils prodiguaient à leurs émules français, belges, suisses,
espagnols… Leur stratégie consiste à fonder leur communication sur les pères à
travers deux arguments.
Le premier revient à dénoncer, parfois de façon
paranoïaque, la collusion entre magistrats, médias, politiques afin d’évincer
les pères de la vie de leurs enfants. L’argument apporté par un des deux hommes
de Nantes est, mot pour mot, une phrase ressassée par les Québécois depuis des
années : « 80% des enfants sont confiés majoritairement aux mères par
la justice ». Ils oublient de dire que dans 80% des cas, les pères
souhaitent qu’il en soit ainsi. Un week-end sur deux et la moitié des vacances
leur suffisent, et il n’y a donc aucun conflit sur ce point. Cela paraît normal
dans une société où les femmes s’occupent encore à 80% des tâches parentales et
domestiques. Les actions médiatiques entreprises habituellement par les
masculinistes visent donc à attirer l’attention des médias sur des données
chiffrées tendancieuses et que la
presse vérifie rarement.
Le second argument est l’invention par un
masculiniste défendant la pédophilie, Richard Gardner, du
« Syndrome d’aliénation parentale » ou « SAP ». Outre
l’aspect nauséabond de son inventeur, on ne peut que remarquer que de syndrome
il n’y a guère, puisque aucune faculté de médecine ou de psychologie au monde,
aucune institution n’a jamais reconnu ce concept comme valide.
Il s’agit de l’idée que lors d’un divorce, la femme
(ou l’homme, mais les masculinistes s’en prennent évidemment aux femmes) aurait
tendance à dénigrer l’image du père de ses enfants auprès de ceux-ci afin de
les en écarter. Les pères seraient donc des centaines de milliers à être sortis
de la vie de leurs enfants par la justice à cause de ce pseudo-syndrome.
Ce prétendu syndrome sert de paravent aux hommes
accusés de violences conjugales ou d’agressions sexuelles sur leurs enfants.
L’accusation des victimes devient une « allégation mensongère »,
preuve qu’elles veulent mettre en place un syndrome d’évincement des pères,
pour lequel elles doivent être condamnées. Ce qui arrive de plus en plus
souvent. Un blanc-seing pour homme violent ou violeur. Une arme de destruction
massive pour son avocat.
Qu’il y ait des cas difficiles et malheureux ne
peut être contesté. La séparation d’un couple avec enfant provoque souvent des
déchirements. Mais imaginer qu’il y aurait une situation systémique
d’évincement des pères par les mères dans la vie des enfants au point d’en observer
un syndrome est une affabulation. Mais certains hommes, habitués à ce que l’on
considère la violence conjugale comme une affaire privée et l’inceste comme un
sujet à ne pas évoquer, ne décolèrent pas à l’idée qu’une femme puisse les dénoncer,
voire porter plainte. Tout progrès en ce sens est vécu par eux comme une
trahison.
J’ai moi-même suffisamment entendu ces hommes
parler de la pédophilie pour témoigner du fait qu’elle est considérée par
beaucoup de ceux-ci comme une pulsion masculine qu’il ne faut pas refréner. Un
père incestueux incarcéré à la suite d’une condamnation à des années de prison
est soutenu et considéré comme un héros de leur combat politique.
Les conseils donnés par les masculinistes à leurs
amis européens sont donc suivis à la lettre cette semaine à Nantes. L’escalade
des grues est une copie de celle des ponts de Montréal. Même V de la victoire.
Même batterie de téléphones portables pour parler à la presse. Même
manifestation pré-organisée dans la semaine pour attirer l’attention des
médias. Et finalement, même volonté de changer les lois.
Car il s’agit bien de cela. Un
projet de loi (n° 309) a été déposé 24 octobre 2012 pour rendre la résidence
alternée obligatoire ce qui rendra plus difficile les demandes de séparation
des femmes qui ont des enfants. Ce projet de loi propose six modifications du
Code civil et du Code pénal et fait entrer dans la loi le Syndrome d’aliénation
parentale.
Ils n’en sont pas à leur coup d’essai, puisque
différentes propositions de lois ont été déposées, résultant d’un imposant
lobbying des associations masculinistes en France.
-
le 18 mars 2009, la proposition de loi 1531 pour instaurer la résidence
alternée comme solution préférentielle : Proposition de loi no 1531
-
le 3 juin 2009 la proposition de loi 1710 pour lutter contre toutes les
manipulations d’enfants allant jusqu’au syndrome d’aliénation parentale (SAP)
et les discrédits d’un parent par l’autre parent : Proposition de loi n° 1710
-
et donc, le 24 octobre 2012, la proposition de loi 309 pour rendre la
résidence alternée obligatoire et la forcer au besoin au moyen du SAP : Proposition de loi n° 309
Il
est peut-être important de rappeler que, dans nos pays, lors d’une séparation, les
enfants n’ont été confiés aux mères que depuis un siècle. En effet, jusqu’au
début du XXe siècle, le père avait tous les droits sur ses enfants et les
confiait bien souvent à une de ses proches. En France, jusqu’à la loi de 1970,
il n’était question que des pères. Cette loi instaura la notion d’autorité
parentale conjointe et partagée. Les « parents », égaux en droits avant
séparation, vont l’être aussi après le divorce et remplacer les
« père » et « mère ».
Mais,
si 80% des couples séparés décident à l’amiable de la garde des enfants,
souvent pris en charge la majorité du temps par les mères, on a enfin révélé
qu’une femme sur cinq subit de la violence conjugale (Amnesty International), et qu’un enfant sur cinq est abusé sexuellement,
majoritairement par des proches (Conseil de l’Europe).
Ainsi, les masculinistes niant ces violences et
réclamant un retour vers une situation où l’homme était le pater familias développent une théorie que de nombreux députés et
sénateurs (de droite surtout) ne renient pas en déposant ces propositions de lois.
Les échecs précédents n’empêcheront pas des élus
d’en déposer de nouvelles lors de la prochaine discussion à l’Assemblée
nationale sur la famille. On peut parier sans risque que les grimpeurs de
Nantes et leurs amis feront à nouveau parler d’eux dans les mois à venir.