Accueil > 2013 > janvier > Le juteux marché du bracelet électronique confié à Thales

Le juteux marché du bracelet électronique confié à Thales

Camille Polloni | rue89.com | jeudi 24 janvier 2013

jeudi 24 janvier 2013

aaa

Le juteux marché du bracelet électronique confié à Thales
Camille Polloni | rue89.com | jeudi 24 janvier 2013

Le géant français de l’aéronautique, de la défense et de la sécurité récupère un marché de 50 millions d’euros pour les quatre ans à venir.

Le bracelet électronique, autorisé en France depuis 1997, a de belles années devant lui. Devenu la première alternative à la prison, il concerne aujourd’hui plus de 10 000 personnes (il y a 67 000 détenus) et devrait prendre de plus en plus de place dans les aménagements de peine.

Le nombre de condamnés équipés d’un bracelet a été multiplié par quatre depuis 2007. Marotte du ministère de la Justice, le « placement sous surveillance électronique » (PSE, le terme officiel) constitue aussi un secteur économique porteur. Et le groupe Thales vient d’y mettre durablement le pied, dans une décision passée totalement inaperçue.

Le bracelet en chiffres
  • 9 497 placements sous surveillance électronique en aménagement de peine,
  • 607 dans le cadre d’une surveillance électronique de fin de peine (Sefip),
  • les personnes sous surveillance électronique représentent 17% de l’ensemble des condamnés sous écrou,
  • 47 personnes sous surveillance mobile (libération conditionnelle, mesure de sûreté),
  • 209 personnes assignées à résidence sous surveillance électronique (alternative à la détention provisoire).

Source : ministère de la Justice, chiffres du 1er août 2012.

Tous les quatre ans, une entreprise ou un groupement d’entreprises sont désignées pour louer les bracelets et logiciels à l’administration pénitentiaire, s’occuper de la maintenance, de la télésurveillance et de la formation des personnels.

Pour la période 2013-2017, c’est donc Thales, le géant français de l’aéronautique, de la défense et de la sécurité, qui vient de reprendre le marché.

L’entreprise a remporté en décembre, face à quatre concurrents, l’appel d’offre lancé en mars. Même s’il s’agit d’un marché public, de nombreux aspects du contrat sont couverts par le secret-défense et le secret industriel. Rue89 a pu consulter les rares éléments mis à disposition du public au siège de l’administration pénitentiaire.

Pour mettre en place le bracelet électronique, Thales prend la tête d’un groupement composé de :

  • Thales services, sa filiale spécialisée dans l’informatique ;
  • Thales communication et sécurité ;
  • G4S, une entreprise britannique de sécurité, rendue célèbre par l’épisode malheureux des JO de Londres où elle s’est révélée incapable d’honorer son contrat. Pour le bracelet électronique français, G4S se charge des solutions logicielles ;
  • Telem, filiale du groupe Onet (propreté, services et sécurité) depuis 1996.

50 millions d’euros sur quatre ans

Le groupement conduit par Thales succède à Datacet, prestataire du bracelet électronique depuis 2009. La PME basée à Antony (Hauts-de-Seine), bénéficiait d’un marché de 60 millions d’euros sur quatre ans. Le bracelet électronique représentait 30% de son chiffre d’affaires.

Datacet aussi faisait appel aux logiciels de G4S. Les boîtiers étaient fabriqués en Pologne, dans une ville industrielle voisine de Gdansk, avant d’être fournis à l’administration pénitentiaire française.

Avant 2009, c’était une entreprise israélienne, Elmo-Tech, qui proposait ses outils. Les marchés étaient alors négociés au niveau de chaque région. Trop cher, trop disparate, a estimé la Cour des comptes : mieux vaut un seul marché national.

D’après les prévisions du ministère de la Justice, 13 500 personnes pourraient être placées sous surveillance électronique en 2015. Thales reprend donc un marché en pleine expansion, avec de fortes perspectives d’amélioration technique.


Un employé de l’administration pénitentiaire du pôle régional de surveillance d’Haubourdin (Nord), installe un bracelet électronique à la cheville d’un détenu, le 16 juin 2008 (Denis Charlet/AFP)

Le contrat 2009-2013 coûte moins cher que le précédent : 50 millions d’euros sur quatre ans. L’attribution du marché dépendait à 70% de critères techniques, et à 30% du critère de prix. Et Thales a déjà fait ses preuves en matière de solutions de surveillance.

L’entreprise semble se repositionner sur les marchés de la justice : elle a déjà obtenu en 2010 l’énorme chantier des écoutes judiciaires. Sollicité, Thales n’a pas souhaité commenter pour l’instant l’attribution du marché du bracelet électronique. Elle devrait communiquer sur le sujet quand elle recevra le feu vert du ministère de la Justice.

Le déploiement du nouveau bracelet électronique doit commencer au deuxième semestre 2013, d’abord dans une région pilote, pour tester « d’éventuelles fragilités », explique-t-on à l’Administration pénitentiaire, puis dans tout le pays.

Le contrat prévoit aussi que Thales prenne en charge le dispositif de protection antirapprochement (Depar), pour les conjoints violents. Mais selon nos informations, ce projet a été abandonné entretemps par le ministère de la Justice.

Le bracelet, solution miracle ?

Le bracelet électronique semble plus efficace que la prison en terme de récidive. D’après l’étude des démographes Annie Kensey et Abdelmalik Benaouda, seuls 23% des placés sont à nouveau condamnés à de la prison ferme dans les cinq ans après la fin de leur peine. Contre 63% des ex-détenus.

Il est aussi moins cher. Une journée en prison coûte entre 60 et 80 euros par détenu ; le bracelet électronique, entre 12 et 14 euros.

Pour autant, est-il vraiment la solution miracle ? En raison de dysfonctionnements techniques ou de difficultés pour le condamné à le supporter, il peut dans certains cas être vu comme « pire que la prison ». Il est arrivé que des bracelets sonnent en permanence, montrant que cette solution est encore en rodage.

En 2010, répondant à une question du sénateur UMP Christian Vanneste, le ministère de la Justice soulignait « qu’aucune étude n’a pour l’instant été réalisée sur les impacts psychiques du placement sous surveillance électronique sur les personnes » :

« En 2010 (du 1er janvier au 13 octobre 2010), douze actes auto-agressifs concernant des personnes sous main de justice placées sous surveillance électronique ont été recensés par la direction de l’administration pénitentiaire. Ils ont été suivis d’une hospitalisation. »

Interrogée par Le Monde, une secrétaire nationale de la CGT pénitentiaire dénonçait quant à elle « le poids des lobbies de l’industrie du contrôle et de la punition » dans la politique carcérale française.


Voir en ligne : Le juteux marché du bracelet électronique confié à Thales

Un message, un commentaire ?

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.