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Qu’est-ce que "le Droit opposable à l’emploi" ?

M’PEP | m-pep.org | dimanche 9 décembre 2012

samedi 22 décembre 2012

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Droit opposable à l’emploi 1 : Qu’est-ce que c’est ?
M’PEP | m-pep.org | dimanche 9 décembre 2012

 Sommaire 

 DROIT OPPOSABLE À L’EMPLOI 1 : QU’EST-CE QUE C’EST ?

Par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP).

Le 9 décembre 2012.

Le droit opposable à l’emploi, s’appuyant sur le droit constitutionnel à l’emploi, vise à permettre à tout citoyen privé d’emploi de s’en voir proposer un sans délai, conforme à ses souhaits et à ses compétences. Ces emplois s’exerçant, pour la plus grande partie, dans le secteur non-marchand.

Le travail est un choix de société. A chaque époque, la façon dont les humains choisissent, produisent et distribuent les richesses dont ils estiment avoir besoin est une création originale. En ce sens, le travail, c’est-à-dire l’activité qui permet de produire ces richesses, est toujours l’expression d’une époque : l’état des sciences et des techniques, les mentalités et les mœurs, les luttes entre le capital et le travail. Il ne procède d’aucune loi naturelle. Il est toujours un choix politique, car on peut décider de ce à quoi il sert, de ses conditions et rémunérations, de sa reconnaissance et de sa symbolique. Telle est la thèse que le M’PEP veut défendre : il revient à la société de décider ce qu’elle considère comme étant du travail.

Le travail est un droit et un devoir. On n’affirmera jamais assez fortement ce principe fondamental. Certains font mine de ne pas comprendre. Comment le travail pourrait-il être un droit ? Un devoir, certes, mais un droit ? Le travail ne dépend-il pas de l’ « économie » ? Justement. Le travail ne doit plus simplement dépendre de l’ « économie » puisque celle-ci (en tout cas l’économie inspirée par les thèses néolibérales) fait la démonstration quotidienne de son impuissance. En réalité l’ « économie » n’est pas impuissante du tout, car le chômage est devenu, pour les économistes et politiciens néolibéraux, la « variable d’ajustement ». Le M’PEP considère qu’il faut découpler le travail et l’économie, faire du travail une affaire politique et non simplement économique. Il existe évidemment une condition pour parvenir à cet objectif : changer les définitions et les conceptions du travail, en faire quelque chose de beaucoup plus large que ce qu’il est actuellement.

Le fond du raisonnement proposé par le M’PEP n’est pas nouveau. Il s’appuie sur les principes républicains fixés au moment de la Révolution française qui ont laissé une trace dans notre Constitution. Son préambule n’est-il pas limpide ? On peut y lire que «  le peuple français (...) proclame (...) comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après : (...) chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Peut-on proclamer plus haute ambition ? Tout est dit dans ces quelques mots qui n’ont pas pris une ride. Plus que jamais, ce principe républicain fondamental, formalisé dans le droit, reste d’actualité.

En France, de nombreux droits existent depuis longtemps. Sur le papier. Il est nécessaire, en effet, d’opérer une distinction entre les droits sociaux, car certains ne sont que de l’encre sur du papier. Ils peuvent certes figurer dans des textes de loi – et même dans la Constitution - mais ils sont considérés comme des droits indicatifs ou « programmatiques ». Ils ne sont qu’une simple orientation, un cap que se donnent ou que prétendent se donner les gouvernements. Ils ne sont associés à aucune obligation de résultat et n’accordent aucune garantie aux citoyens.

D’autres droits sociaux sont dits « opposables ». Un droit « opposable » permet à tout citoyen de s’ « opposer », c’est-à-dire de faire condamner par la justice toute autorité publique qui ne se conformerait pas à la loi, et d’obtenir réparation quand un droit n’est pas respecté.

Les droits opposables, et particulièrement le droit à l’emploi, plongent loin leurs raines dans l’histoire de France. C’est en s’appuyant sur cette histoire qu’une définition du droit opposable est possible. Le caractère essentiellement politique du droit opposable à l’emploi – plus que tout autre droit opposable car il touche le cœur du système capitaliste – suscite son rejet violent par les forces néolibérales qui y voient, à juste titre, le facteur principal de reconstitution d’un rapport de force favorable au monde du travail.

 I.- LE DROIT A L’EMPLOI PLONGE LOIN SES RACINES DANS L’HISTOIRE DE FRANCE

Comment faire pour que le droit constitutionnel au travail et à l’emploi pour chacun devienne une réalité ? Comment appliquer la Constitution ? A-t-elle d’ailleurs déjà été appliquée ? Comment faire pour réaliser le droit opposable à l’emploi ? N’est-ce pas utopique ? Ne s’agit-il là que de principes très généraux, de caractère symbolique et mythique, traçant une direction à suivre, sans avoir pour autant la vocation de se traduire dans la réalité ?

Pourquoi les présidents de la République, réputés gardiens de la Constitution, ont-ils laissé bafouer ce droit constitutionnel de base qui, nous le voyons bien, sape les fondements de la République ? Pourquoi les forces politiques de notre pays ne se fixent-elles pas pour objectif prioritaire clairement annoncé le respect de la Constitution en matière de travail et d’emploi ? Pourquoi la gauche est-elle muette sur ces questions ?

La raison vient probablement de « l’oubli » de l’histoire républicaine en matière de droit au travail. L’idée du droit au travail, en France, s’est en effet éteinte après 1848, d’un consensus entre la gauche et la droite. On distingue quatre moments dans l’histoire du droit au travail en France.

 A.- La dimension répressive puis charitable du « droit au travail » sous l’Ancien Régime

Une ordonnance du Parlement de Paris, en février 1515, affirme pour la première fois la nécessité de donner du travail aux «  individus désœuvrés  » (le terme chômage n’existe pas encore). Mais le raisonnement qui sous-tend cette ordonnance est celui du contrôle de personnes dangereuses. Les travaux qu’on leur propose sont quasi forcés. Ils portent sur le curage des fossés, le nettoyage des rues, la réfection des murailles de la ville. La déportation aux colonies est une autre forme de travail forcé.

Dans un règlement du 2 mai 1775, Turgot crée les « Ateliers de charité » qui s’éloignent du travail forcé. Il écrit : « Il serait chaque année accordé aux différentes provinces des fonds pour soulager les habitants des villes et des campagnes les moins aisés, en leur offrant du travail. Sa Majesté a pensé que le moyen le plus sûr de remplir ces vues était d’établir des ateliers de charité dans les cantons qui auront le plus souffert par la médiocrité des récoltes, et de les employer, soit à ouvrir des routes nouvelles, soit à réparer les chemins de traverse ».

 B.- La dimension politique du droit au travail sous la Révolution de 1789

Le XVIIIe siècle est travaillé par la question du « libre accès au travail  ». Celle-ci est une révolution juridique aussi importante que la révolution industrielle, avec laquelle elle fait corps. Elle casse en effet l’organisation traditionnelle des métiers et se détache peu à peu du travail forcé. Telles étaient les conditions du développement du capitalisme naissant, qui avait besoin de la « liberté » du travail.

Lors de la discussion du projet de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en 1789, deux droits ont été proclamés : le droit à l’assistance, considérée comme une « dette sacrée » de la Nation, et le droit à vivre de son travail. Pour les hommes de cette époque, «  le droit à l’assistance n’est qu’un substitut à ce droit plus essentiel à être inséré dans la société, à participer à l’utilité générale (...) chaque homme doit trouver à vivre par son travail ; les secours publics ne sont qu’un palliatif  ».

Pour la loi du 19 mars 1793 : « Tout homme a droit à sa subsistance par le travail s’il est valide ; par des secours gratuits s’il est hors d’état de travailler ».

Dès l’été 1789, des « Ateliers de secours » sont organisés pour faire la canalisation de l’Ourcq ; les enlèvements des immondices sur les bords de la Seine ; des travaux divers d’aménagement des faubourgs. Mais ils rencontrent vite de « graves problèmes d’organisation ». Ils sont submergés par le nombre des demandeurs. Celui de la Butte Montmartre passe de 2 000 à 17 000 travailleurs en quelques semaines. La discipline se détériore. L’encadrement est défaillant, la productivité très faible. Les ateliers sont fermés au printemps 1791.

Les causes de cet échec viennent probablement de l’ambiguïté théorique, politique et pratique de ces « Ateliers » : faut-il établir l’obligation ou non de travailler pour les indigents ? Quel est le statut de la rémunération, un salaire ou un secours ? Quelle est la nature juridique des Ateliers, est-ce une expression d’un droit au travail, créant ainsi une obligation pour les pouvoirs publics, ou un simple instrument de politique sociale conjoncturelle ? Sur ces trois points, la réflexion restait hésitante. Les ateliers ont été fermés sur des prétextes, pour éviter de répondre radicalement aux interrogations juridiques, philosophiques, économiques et politiques suscitées par leur fonctionnement.

Sur le plan de l’obligation de travailler, comment distinguer le « vrai pauvre  » qui mérite d’être secouru, et le « faux mendiant » qui ne cherche qu’à vivre aux crochets de la société ? Comment forcer à travailler ceux qui ne le veulent pas ? Comment faire appliquer et contrôler cette obligation ? Quelles sanctions en cas de refus de travail ?

Sur le plan économique, ces Ateliers versaient une rémunération inférieure au prix du marché. La raison était de « limiter l’afflux de travailleurs  ». Mais le statut de cette rémunération restait indéterminé, oscillant entre la notion classique de salaire (rémunérant un travail) et celle de secours public (contrepartie d’une dette morale de la société). Comme si c’était au fond la nature même de l’activité exercée qui était problématique, sorte de réalité intermédiaire entre un travail et une occupation.

L’échec des Ateliers permet à certains de « théoriser » le refus du droit au travail. On en trouve l’expression la plus claire dans une intervention de Boyer-Fonfrède lors d’une réunion de l’Assemblée nationale :

« Il serait très dangereux de décréter que la société doit les moyens d’exister aux individus. Que veut-on dire d’ailleurs lorsque l’on assure que la société doit ses secours à ceux qui n’ont pas les moyens de subsister ? De quels pauvres alors veut-on parler ? Est-ce de ces pauvres valides ou invalides ? Mais la société ne doit ses secours qu’aux infirmes, à ceux qui ont été disgraciés par la nature et qui ne peuvent plus vivre de leur travail. Sous ce rapport la société, sans doute, doit la subsistance aux individus ; mais vous rendriez la société misérable et pauvre, vous tueriez l’industrie et le travail, si vous assuriez la subsistance à ceux qui n’ont rien, mais qui peuvent travailler ».

La même argumentation est utilisée aujourd’hui. On pense généralement que pour assurer ce droit, il faudrait que l’Etat intervienne lui-même, nationalise les industries, s’immisce dans la politique d’embauche des employeurs, intervienne dans l’organisation de la production. Pourtant, le plein emploi des années 60, s’il n’était pas le droit à l’emploi, revenait au même. On n’a pas observé, bien au contraire, de «  désincitation  » au travail.

 C.- La dimension de la charité privée après la Révolution

Après la période révolutionnaire, jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’assistance par le travail va se développer dans le cadre d’œuvres charitables privées. De nombreuses initiatives multiplient les « ouvroirs  », « refuges  », « asiles  », « maisons hospitalières  ». Vers les années 1830, les «  colonies agricoles » suscitent un grand engouement. Elles visent à « confier des terres incultes à défricher aux mendiants valides et par-là même leur donner un travail et des moyens de subsistance, tout en exonérant la société de leurs frais d’entretien ». La colonie agricole permettait d’inscrire la préoccupation philanthropique et moralisatrice dans le cadre d’une vision traditionaliste du social. C’est pourquoi elle sera vivement encouragée dans les milieux catholiques conservateurs qui se méfiaient en effet « de l’industrie et des déracinements qu’elle provoquait, alors que l’on voyait dans l’agriculture la véritable base du travail indissociablement moral et fécond, gardien de la structure familiale et sociale ».

 D.- L’échec des « Ateliers nationaux » de 1848

Le 26 février 1848, une affiche était collée sur les murs de Paris : « Le Gouvernement provisoire de la République s’engage à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail ; il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens  ». Deux semaines plus tard, les « Ateliers nationaux  » étaient ouverts « dans l’improvisation la plus totale  ». En juin, ils rassemblaient 100 000 personnes. L’expérience fut un échec. Pour la gauche, notamment pour Louis Blanc, on leur reprochait de n’être qu’une caricature du droit au travail. Quant à la droite, elle condamnait l’indiscipline qui y régnait, la faiblesse du rendement, les abus divers, etc. Leur fermeture déclenchera l’insurrection.

La discussion sur la Constitution de 1848 va prolonger celle qui avait débuté à partir de 1789 sur le droit au travail. Dans le premier projet, à l’article 7, on lisait : «  Le droit au travail est celui qu’a tout homme de vivre en travaillant. La société doit, par tous les moyens productifs et généraux dont elle dispose, et qui seront organisés ultérieurement, fournir du travail aux hommes valides qui ne peuvent s’en procurer autrement ».

Le débat sur le droit au travail a porté tout d’abord sur le risque de socialisation et de mainmise de L’Etat sur le système économique. Thiers refusait catégoriquement le droit au travail : l’Etat « doit réserver certains travaux publics pour les substituer aux travaux privés, quand les travaux privés viendront à manquer ; mais tout cela est borné, tout cela est accidentel (...) C’est un secours que l’Etat peut donner et pas autre chose. Il ne faut donc pas l’appeler droit ».

La position de Thiers résume bien la pensée libérale qui ne voit les droits sociaux qu’en termes de « créance clairement identifiable (...) dans une arithmétique de la réciprocité et de la compensation ». Quant à la pensée socialiste, elle a abandonné peu après le thème du droit au travail, estimant qu’il était «  impossible à mettre en œuvre dans l’univers capitaliste ».

Cette dernière réflexion est particulièrement stérile, car tout est affaire de rapport de force. Mais pour construire ces rapports de forces, il faut être capable de démontrer que le droit opposable est possible, tant sur le plan juridique que pour le financement et la mise en œuvre.

Victor Hugo, d’une certaine façon, a déjà tout dit sur ces questions. Le 20 juin 1848, il monte à la tribune de l’Assemblée nationale pour parler des Ateliers nationaux. « Ce qu’il y a de plus clair jusqu’à ce jour dans les Ateliers nationaux, c’est une énorme force dépensée en pure perte, et à quel moment ? Au moment où la nation épuisée avait besoin de toutes ses ressources, de la ressource des bras autant que de la ressource des capitaux. En quatre mois, qu’ont produit les Ateliers nationaux ? Rien. Je ne veux pas entrer dans la nomenclature des travaux qu’il était urgent d’entreprendre, que le pays réclamait, qui sont présents à tous vos esprits ; mais examinez ceci. D’un côté, une quantité immense de travaux possibles, de l’autre côté une quantité immense de travailleurs disponibles. Et le résultat ? néant ! Néant, je me trompe ; le résultat n’a pas été nul, il a été fâcheux, fâcheux doublement, fâcheux au point de vue des finances, fâcheux au point de vue de la politique (...) Vous avez abâtardi les vigoureux enfants du travail, vous avez ôté à une partie du peuple, le goût du labeur, goût salutaire qui contient la dignité, la fierté, le respect de soi-même et la santé de la conscience. A ceux qui n’avaient connu jusqu’alors que la force généreuse du bras qui travaille, vous avez appris la honteuse puissance de la main tendue ; vous avez déshabitué les épaules de porter le poids glorieux du travail honnête, et vous avez accoutumé les consciences à porter le fardeau humiliant de l’aumône. Nous connaissions déjà le désœuvré de l’opulence, vous avez créé le désœuvré de la misère, cent fois plus dangereux pour lui-même et pour autrui  ».

 II.- UNE DÉFINITION DU DROIT OPPOSABLE A L’EMPLOI

Des droits opposables existent déjà, comme le prouvent les exemples de la scolarité et de la protection de la santé. Ils reposent sur un certain nombre de conditions qui peuvent être largement étendues à d’autres domaines, notamment celui de l’emploi.

 A.- Aujourd’hui seuls deux droits fondamentaux sont déjà opposables : le droit à la scolarité et celui à la protection de la santé

 1.- Le droit à la scolarité

Une éducation doit être garantie aux enfants jusqu’à l’âge de 16 ans, les responsabilités respectives de l’Etat et des collectivités territoriales étant clairement établies par la loi. Si l’inscription scolaire d’un enfant pose un problème, il existe des voies de recours, y compris devant le tribunal administratif. En clair, si des enfants ne sont pas pris à l’école, les parents peuvent porter plainte et sont sûrs de gagner...

 2.- Le droit à la protection de la santé

Le droit à la protection de la santé ne permet pas d’imaginer un refus d’accorder des soins de la part d’un hôpital. D’autant qu’il existe l’obligation d’assistance à personnes en danger, appliquée notamment grâce au « caractère universel, obligatoire et solidaire de l’assurance-maladie » (article L. 111-2-1 du Code de la Sécurité sociale).

Qu’adviendrait-il si le droit à la scolarité et celui à la protection de la santé n’étaient pas opposables ? Tous les enfants de moins de seize ans seraient-ils scolarisés ? On peut en douter car certains d’entre eux, selon des critères opaques, feraient l’objet d’un refus d’inscription sous des prétextes variés : nombre insuffisant d’écoles ou de classes construites ; manque d’enseignants ; budgets trop faibles… En vérité, c’est l’établissement de l’instruction publique laïque, gratuite et obligatoire qui a contribué à la construction des écoles, et non l’inverse. De même, c’est le droit au logement opposable qui contribuera à la construction suffisante de logements et non l’inverse.

En matière de santé, le schéma américain se mettrait vite en place : sur le brancard et aux urgences, la première démarche de l’hôpital faite auprès des patients serait de leur demander leur carte de crédit…

 B.- Un droit « opposable », pour se matérialiser, repose sur trois conditions

 1.- Désigner une autorité politique responsable

Ce doit être en général l’Etat. C’est ce dernier, en effet, pour reprendre une expression tombée en désuétude, qui est en charge de la « bienfaisance nationale ».

 2.- Doter cette autorité des moyens et prérogatives nécessaires

Pour être effectif, le droit au logement par exemple induit un « devoir de loger  ». Pour le droit à l’emploi, l’Etat aurait l’obligation de proposer des emplois ; pour le droit aux soins, il doit organiser l’accès aux soins pour tous, etc. Le droit n’est plus un simple objectif indicatif pour les politiques publiques : la puissance publique est contrainte par une obligation de résultat sous peine de sanction. Tout citoyen en difficulté pour accéder ou se maintenir dans le logement bénéficiera par conséquent d’une aide qui lui permettra effectivement d’être logé ou relogé.

 3.- Ouvrir des voies de recours pour le citoyen

Le droit est garantit par des voies de recours auprès d’une autorité politique responsable. Elles sont d’abord amiables puis en dernier ressort juridictionnelles.

 C.- Quels sont les autres droits qui devraient devenir « opposables » ?

Il paraîtrait logique et conforme à l’esprit des Lumières, poursuivi dans le programme du Conseil national de la Résistance, de commencer par les droits établis dans le préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante de la Constitution de 1958 actuellement en vigueur :

Le droit à l’égalité entre les hommes et les femmes : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. »

Le droit à l’emploi : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. »

Le droit au respect : « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.  »

Le droit de participation à la gestion des entreprises : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. »

Le droit au service public : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.  »

Le droit au revenu : «  Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.  »

Le droit à la formation professionnelle et à la culture : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. »

 III.- LE FANATISME DE MARCHE CONTRE LES DROITS OPPOSABLES

Malgré le grand nombre de droits inscrits dans les textes juridiques, pourquoi si peu sont opposables et restent lettre morte ? Les obstacles sont d’ordre idéologique, politique et culturel, et liés à une certaine conception de la propriété et de la concurrence.

 A.- Des obstacles idéologiques

Le logement, pour reprendre cet exemple, est aujourd’hui un marché. Pour les néolibéraux la catastrophe guette car un droit opposable au logement reviendrait à permettre à toute personne dépourvue d’un logement d’en occuper un, même si elle se trouve dans l’incapacité de payer un loyer au prix de marché. La charge du logement serait alors transférée sur les contribuables, comme tout financement de droits opposables. Toute tentative de faire appliquer le droit au logement ne pourrait donc qu’encourager la construction massive de logements sociaux par la puissance publique, augmentant les dépenses sociales de la nation et provoquant une concurrence « déloyale » avec le secteur privé. Le logement social, en outre, en proposant des loyers inférieurs à ceux résultant de la confrontation de l’offre et de la demande sur un marché « libre », engendrerait mécaniquement une baisse du prix des loyers dans le secteur privé. Horreur, la sphère publique dominerait alors la sphère privée !

Le droit opposable condense à lui seul toute la question libérale. Il pose d’abord le problème de la finalité de l’économie. Avec des droits opposables qu’il faut financer, l’économie est remise à sa place qui est de produire des richesses permettant de répondre aux besoins de la population. On produira biens et services pour permettre l’application du droit au logement, aux soins, à l’éducation, à l’emploi, etc. C’est l’orientation générale de l’économie qui est changée, les activités productives seront plus économes en énergie et en pollutions.

Ensuite, l’autre mérite du droit opposable est d’entrer dans le détail. Nulle vague promesse électorale n’est possible. Il faut être concret et débattre des moyens de réaliser le droit. C’est le retour de la politique contre la marche au hasard de l’économie de casino.

Bien sûr, les « prélèvements obligatoires » sont accusés par le fanatisme néolibéral de compromettre le développement économique en décourageant l’initiative et en alourdissant les « charges » du secteur productif dans la compétition internationale. Plus les impôts et cotisations sociales seraient bas, plus les incitations à travailler seraient élevées. Les agents économiques effectueraient un arbitrage entre le travail et les loisirs d’autant plus favorable au premier que leur rémunération nette, après impôts et cotisations, serait plus élevée. Moins d’impôts et de cotisations offriraient alors plus de liberté aux entreprises, plus de profits et de salaires directs, l’incitation à produire et à travailler devrait en être accrue. Le volume et la qualité de l’emploi dépendraient donc d’un faible niveau de « prélèvements ».

Pourtant, l’idée selon laquelle une baisse des «  prélèvements  » renforcerait la croissance, la compétitivité et l’emploi, manque de bases théoriques comme de confirmations empiriques.

Il est en effet très difficile de trouver la preuve d’un effet négatif du montant des «  prélèvements obligatoires  » sur la croissance et l’emploi. Une comparaison entre pays développés sur une longue période ne révèle aucune corrélation entre le niveau du taux de « prélèvements obligatoires » et le taux de croissance du PIB ou l’emploi. Au contraire, une comparaison des pays européens montre une relation positive entre le niveau de vie et le taux de «  prélèvements obligatoires  ». Mais est-ce le haut niveau de vie qui permet un tel taux de « prélèvements obligatoires  » ou l’inverse ? La relation peut fort bien jouer dans les deux sens.

Il n’existe donc aucune raison économique sérieuse de faire de la baisse des « prélèvements obligatoires  » un objectif de la politique économique au motif d’encourager la création d’emplois. Qu’il s’agisse d’un argument électoral payant est une autre affaire.

 B.- L’importance du secteur non-marchand pour le droit opposable à l’emploi

A l’opposé des conceptions néolibérales de baisse des impôts et « charges  », une conception progressiste doit mettre la fiscalité au service de l’emploi, particulièrement pour le financement d’emplois dans le secteur non-marchand. On peut rappeler que la comptabilité nationale distingue le secteur marchand et le secteur non-marchand. Est marchand ce qui est vendu à un prix « économiquement significatif  », c’est-à-dire couvrant plus de 50 % des coûts, le prix pouvant être un péage, une redevance ou un droit. Est non-marchand ce qui est financé par des « prélèvements obligatoires » et des contributions volontaires (dons, cotisations), et distribué gratuitement ou vendu à un prix « économiquement non significatif  », c’est-à-dire qui couvre moins de la moitié des coûts de production. Comme il n’y a pas de prix de marché dans le secteur non-marchand, on mesure ces services, dans la comptabilité nationale et donc dans le PIB, par la somme de leurs coûts de production : essentiellement la rémunération des salariés (les fonctionnaires notamment). En 2003, le PIB s’élevait en France à 1 557 milliards d’euros dont les administrations publiques ont représenté 378 milliards d’euros, et les administrations privées 11 milliards, soit un total de 389 milliards d’euros pour les activités non-marchandes (25 %).

Réfléchir à la sphère non-marchande revient à mener une interrogation de type philosophique et politique sur ce que sont la production, la croissance, l’économie, la richesse et sur ce qu’est le travail, ou plutôt sur ce que tout cela devrait être. Il s’agit de rehausser la sphère non-marchande vis-à-vis de la sphère marchande, puisque la lutte du M’PEP se porte contre la « marchandisation  » du monde à un nombre toujours plus étendu d’activités humaines. Lutter contre la « marchandisation » du monde revient ainsi à lutter contre l’extension de la sphère marchande et, par contrecoup, pour le développement de la sphère non-marchande.

Selon les néolibéraux, seule l’entreprise privée, et donc la sphère marchande, produirait des richesses. Et c’est seulement à partir de la sphère marchande que l’on pourrait répartir ces richesses et financer la sphère non-marchande. Le secteur non-marchand, l’Etat en particulier, ne serait pour les néolibéraux qu’un parasite, une sangsue, un boulet attaché aux pieds de l’économie marchande qui en ralentirait la marche.

Pourtant le développement de la sphère non-marchande est la composante la plus essentielle du monde d’aujourd’hui et plus encore d’un autre monde possible. On peut tenter de la définir autour des trois idées suivantes :

  • c’est le développement de la production de valeurs d’usage pour répondre aux besoins humains ;
  • c’est un moyen essentiel pour contribuer à supprimer le chômage et libérer le travail ;
  • c’est une perspective inouïe de démocratie, participative et représentative, pour permettre la délibération publique sur les besoins individuels et collectifs.



Voir en ligne : Droit opposable à l’emploi 1 : Qu’est-ce que c’est ?

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