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L’usage du mercenariat par les puissances dominantes

Thierry Brugvin | thierrybrugvin.voila.net | 23 février 2011

mardi 4 décembre 2012

L’usage du mercenariat par les puissances dominantes
Thierry Brugvin | thierrybrugvin.voila.net | 23 février 2011
    

Thierry Brugvin (Sociologue)

et Juliette Henny (coordinatrice de projet de solidarité
internationale)


Avec la multiplication des guerres civiles et des révoltes pour la démocratie en 2011 particulièrement, on peut s’interroger sur le rôle du mercenariat dans ces luttes. Durant la révolte en Lybie en 2011, par exemple, le Dictateur Kadhafi a été accusé de faire appel à des mercenaires pour défendre son régime. De même les occidentaux, tel le gouvernement français, Américain, de même que les transnationales privées telle Total, ou Areva, emploient des mercenaires ou des entreprises militaires privées à leur solde dans la plupart des conflits mondiaux : Irak, Afrique. Mais ces procédés viennent encore diminuer la démocratie dans le monde.

Créer une fausse révolte populaire nationale peut permettre de cacher un coup d’Etat par un gouvernement étranger. Les grandes puissantes aiment à se parer du discours démocratique, lorsque leurs intérêts économiques et politiques sont en périls, tandis qu’elles restent silencieuses dans les autres cas. Ainsi, durant le début de la révolte tunisienne en 2011, Michèle Alliot Marie, alors ministre de la défense (de la guerre) proposait au gouvernement tunisien, son savoir faire en matière de répression policière, pour réprimer les manifestants, car la France avait des intérêts économiques à défendre dans le pays. A l’inverse lorsque la révolte se répandit en Lybie, cette fois, ce sont les opposants aux régimes de Kadhafi qui ont été soutenus et même militairement par l’aviation française et occidentale. Kadhafi étant un dictateur aux mains sales, il fut alors aisé d’invoquer l’ingérence humanitaire devant l’opinion publique. Même si ce fut sans doute utile, d’un point de vue de la démocratie intérieure libyenne de tomber un dictateur et de protéger les populations, si les gouvernements occidentaux sont intervenus c’est principalement parce que cela leur permettait de faire tomber un dirigeant trop souvent en opposition avec eux. Kadhafi cherchait notamment à renforcer l’indépendance des Etats Africains vis-à-vis du G8, des ressources pétrolières de la Lybie sont considérables, Kadhafi disposait donc d’un instrument de pression supplémentaire en cas de conflit politique.
En 2002, en Amérique Latine, selon Jacques Thomet, au Venezuela une tentative de coup d’Etat fut organisée par la CIA contre Chavez1. Elle échoua grâce au soutien de la population et de certains membres de l’armée. En 2007, Eva Golingert a accusé la CIA (situé à l’ambassade des Etats-Unis à Caracas) et l’ex-premier ministre espagnol J. M. Aznar de financer l’opposition et les médias afin que les électeurs votent contre son référendum. Elle s’appuie sur un mémorandum de la CIA classé confidentiel et intitulé "l"avancement de la phase finale de l’opération tenaille" 2. Chavez ayant dénoncé lui aussi publiquement le rôle de la CIA et d’Aznar.
A chaque fois qu’une guerre civile éclate, il s’agit donc de s’interroger, sur l’intérêt des puissances étrangères vis-à-vis de chacun des camps en présence. De manière générale, l’action des mercenaires, si elle est cachée sous la forme d’une rébellion classique, jettent le doute sur la légitimité de tel ou tel gouvernement et introduit l’idée que le régime est précaire et n’a pas le soutien de toute la population et donc doit être condamné. Cela contraint donc le gouvernement à entrer en conflit et il devient alors l’agresseur aux yeux de la communauté internationale.
Ce fut le cas, avec le gouvernement français qui décida de mener un coup d’Etat, via des rebelles locaux et / ou des mercenaires, notamment au Tchad, aux Comores (avec Bob Denard)...Là encore, l’Etat agresseur peut les utiliser sans être mis en cause, comme lors du coup d’Etat aux Comores en 1995 ou Bob Denard arrive avec 33 hommes pour monter à l’assaut du palais présidentiel de Saïd Djohar. L’Etat français intervient et arrête les mercenaires qui seront emprisonnés sauf Bob Denard, évacué par un appareil de l’armée française (Caminade, 2003)3.
De nombreux, putschistes et mercenaires sont financés par un Etat ou une entreprise étrangère, afin de servir leurs intérêts. Ainsi si le coup d’Etat réussit, ces derniers seront proches d’un pouvoir qui servira leurs projets économiques ou politiques. Si le coup d’Etat échoue, compte tenu du fait qu’ils ne sont pas les acteurs de ce coup de force, ils ont peu de chance d’être inquiétés.   
Lorsqu’un Etat A ne sert pas ou plus les intérêts des entreprises d’un Etat B, le gouvernement de ce dernier use parfois du coup d’Etat pour placer de nouveaux dirigeants au pouvoir, qui seront plus à même de servir leurs intérêts.
“La tentative de coup d’Etat contre le régime tchadien de Déby, le 13 avril 2006, aurait été contrecarrée par 1.300 soldats français stationnés dans le pays, craignant que le pouvoir ne soit transféré à des rebelles secrètement soutenus par le Soudan (Mekay, 2006)4. 
Auparavant, “le Tchad était la chasse gardée de la France. Celle-ci le fit comprendre au colonel Kadhafi dans les années 80, quand une livraison massive de missiles Milan arrêta net les blindés libyens. A l’intérieur, aucun président ne pouvait régner longtemps sans l’aval de l’Elysée et du ministère de la Défense. Quand le chef de l’Etat ne plaisait plus, on aidait, discrètement mais fermement, à son éviction. En 1990, Hissène Habré fut jugé coupable de sentiments pro-américains. La DGSE ouvrit un couloir à son ancien chef d’état-major, Idriss Déby, réfugié au Soudan”5.
 Les Etats Unis organisèrent un coup d’Etat au Chili contre Salvador Allende pour y placer le Général Pinochet. Le 11 sept 1973, coup d’Etat militaire au Chili, aura été le début de la conquête Etats-uniennes, néo-libérale, impérialiste et militaire, de l’Amérique latine, puis du monde. Le Chili aura été terrain d’expérimentation des théories néo-libérales de Milton Friedman consistant à mettre sous tutelle les pays producteurs de mat première (énergie, métaux, nourriture...) afin de garder la maîtrise de l’économie mondiale. Cela supposait de briser les gouvernements et l’économie de ce type de pays. La CIA a ainsi été l’instigatrice, d’autres coups d’Etats (Argentine, Brésil, Uruguay..), visant à placer au pouvoir des dirigeants d’extrême droite bénéfiques aux intérêts états-uniens6.

 L’usage de mercenaires vise aussi à dédouaner les gouvernements de leur responsabilité. La privatisation de la guerre est l’instrument idéal d’une politique impérialiste et le moyen idéal de violer les lois internationales et les Droits de l’Homme en passant plus ou moins inaperçu. En effet, en recourant au mercenariat et ainsi en contournant les opinions publiques et les contre-pouvoirs, les puissances recourant aux mercenaires peuvent enfreindre les règles de la démocratie. En agissant ainsi, ces puissances rendent la guerre moins visible et les protègent par la même occasion puisque, avec les mercenaires, il est plus difficile de déterminer les véritables commanditaires d’une action illégale comme un coup d’Etat par exemple. Plus largement, pour tout ce qui concerne des interventions armées à mener directement ou à appuyer par un soutien matériel, il est préférable de recourir aux services de mercenaires car, en cas d’insuccès, on peut fuir facilement ses responsabilités. Comme nous l’avons vu, la politique étrangère des pays occidentaux sert toujours les intérêts privés de ses dirigeants démocratiquement élus, mais qui, sans scrupules, sont amenés à mener une politique illégitime et moralement condamnable. C’est pourquoi l’usage de mercenaires leur offre une marge de manœuvre qui facilite leur complicité et leur assistance à des régimes peu démocratiques ou carrément tyranniques connus pour leur violation des Droits de l’Homme. L’exemple de la Colombie, soutenue par les Etats-Unis, en fait partie puisque environ 78% de ces violations sont commises par des unités paramilitaires. En 10 ans, elles auraient fait 35 000 victimes en toute impunité7. Un autre exemple est celui de l’ACRI (African Crisis Response Initiative), devenue ensuite ACOTA, un programme américain de formation et d’équipement des armées africaines a été dénoncé par Human Rights Watch et Amnesty International pour leur implication militaire dans des meurtres, viols et tortures envers des civils ougandais dans les zones rebelles8.
L’implication des Etats-Unis dans les conflits en Afrique pourrait s’illustrer par la société militaire privée Ronco qui utilisa le Rwanda d’après 1994 pour faire transiter des armes destinées à alimenter les conflits dans la région des Grands Lacs, violant ainsi l’embargo sur les armes décrété par l’ONU. Continuons dans les sociétés militaires privées américaines. L’exemple de la société Dyn Corp est très intéressant car elle intervient dans de multiples cas. Cette société est très présente en Amérique Latine et est sous le contrat du Ministère des Affaires Etrangères américain. Le prétexte officiel pour justifier leurs actions sur place est la lutte contre le trafic de drogue. Mais au lieu de lutter contre les champs de coca et les narcotrafiquants, elle s’attaque aux groupes nationalistes ou d’extrême gauche9.
Il existe de multiples stratégies pour éviter des représailles de la part de la communauté internationale en cas de problèmes. Il est toujours possible de nier n’avoir jamais eu recours ou avoir autorisé lesdits mercenaires à user de telles ou telles stratégies ou moyens militaires. En prenant l’aspect d’une rébellion classique, les mercenaires jettent le doute sur la légitimité de tel ou tel gouvernement et introduisent l’idée que le régime est précaire et n’a pas le soutien de toute la population et donc doit être condamné. Cela contraint donc le gouvernement à entrer en guerre et il devient alors l’agresseur aux yeux de la communauté internationale. C’est à peu près ce qu’il s’est passé lors de l’intervention soviétique en Afghanistan. En réalité, ce sont les Etats-Unis qui ont provoqué « l’invasion » de l’URSS car ils voulaient renverser le régime laïc afghan qui n’était pas assez favorable pour leurs intérêts privés. En 1979, le président Jimmy Carter ordonne l’entraînement d’une armée de mercenaires musulmans sous la direction des services secrets pakistanais et de la CIA. Ce programme sera financé par la culture du pavot au Pakistan qui deviendra un des plus gros producteur d’héroïne au monde10. Cette provocation de la part des Etats-Unis dans un contexte de guerre froide et le chaos qu’elle a insinué dans la région a aboutit à l’invasion soviétique.

Les milices privées et les mercenaires permettent de faire la guerre par procuration en privatisant les armées11. Lorsqu’une armée ne veut pas faire la guerre directement, elle peut s’appuyer sur différents moyens. En faisant appel à des milices privées ou des mercenaires, l’armée officielle ne peut être tenue pour responsable des actes illégaux commis. Ainsi, privatiser, c’est « réduire l’influence de la règle, la possibilité de régulation des moyens de supervision, l’obligation de la transparence et la suprématie de l’intérêt collectif sur tout autre. C’est surtout encourager l’impunité », souligne Xavier Renou12.. Les employés des sociétés militaires privées ont commis d’énormes violation des Droits de l’Homme comme la torture, le viol, les pillages (au Zaïre en 1997, en Afghanistan et en Irak en 2004), des assassinats (aux Comores en 1989), des massacres de population civiles (République Démocratique du Congo en 1999), l’exploitation sexuelle des femmes (en Bosnie en 2000) 13 et des infractions aux décisions prises par l’ONU comme l’embargo sur les armes décrété par exemple pour le Sierra Leone en 1998 et la Bosnie en 1995.

Il existe trois principaux types de mercenaires, le chien de guerre, corsaire et le barbouze. Le mercenaire est un « soldat de fortune » ou « gun for hire » littéralement « gâchette à louer ». La plupart du temps ce sont les services secrets français qui recrutent les mercenaires, mais de manière non-officielle au service du gouvernement, donc des intérêts des classes dirigeantes politiques et économiques. En 2002, ils étaient payés entre 4500 à 7500 euros par mois14. Ce sont souvent d’anciens membres du régiment de parachutistes, des troupes de marines ou de la légion Etrangère ou même des anciens gendarmes de l’Elysée.
Dans les années 1980, le Front National semble être le point de rencontre et de ralliement des anciens et futurs mercenaires français, au travers du service de l’ordre du parti, le DPS15. On y trouve le mythe du mercenaire engagé contre le communisme, pour défendre l’Occident chrétien ou la race blanche. En effet, dans l’engagement mercenaire, la dimension personnelle est déterminante puisque cela met en avant des valeurs comme l’action militaire, les forces viriles, le courage et la brutalité qui sont transformées en principe d’action justifiant l’engagement.16.
Mais ce n’est pas le cas de tous. Selon une étude d’Howard Becker17, certains mercenaires sont aussi motivés par une idéologie de justice, de défense des libertés fondamentales, comme le montre certains mercenaires étrangers combattants en Côte d’Ivoire sous Laurent Gbagbo pour « sauver la démocratie ». En un mot, les motivations sont complexes et contradictoires, l’argent n’étant pas la seule motivation de ces aventuriers en mal d’action. En effet, durant le règne de Laurent Bagbo, des mercenaires de nationalité française, ukrainiennes ou sud-africaines chassaient et exécutaient les opposants au régime en place18. Cependant, même lorsqu’ils sont idéologiquement d’extrême droite, les mercenaires se préoccupent peu de la nature des régimes pour lesquels ils interviennent à partir du moment ou ils sont bien payés.
Or, pour Becker, c’est bien l’identification à l’étiquette de déviant attribué par les autres ou par soi même qui fait le déviant. Une fois que l’individu est identifié ou s’y est identifié, cela transforme ses comportements et ceux qui le rencontrent. Dans notre cas, le mercenaire ne se considérera comme déviant, c’est à dire exerçant une action immorale, que si ceux qui le rencontre le juge ainsi et surtout si lui-même le juge ainsi 19. Si lui et ses proches estiment qu’il a simplement l’étiquette d’un soldat, dont la fonction est de servir au mieux son chef, il ne se sentira alors pas déviant et n’aura donc pas ou peu de problème de conscience.
Les mercenaires « chiens de guerre » français par exemple, se sont illustrés dans de nombreux terrains de guerre, tels les coups d’Etat au Bénin en 1974, aux Comores en 1975, avec le célèbre Bob Denard. En 1997, Denis Cassou Nguesso à Brazzaville (Congo) a engagé des mercenaires des quatre coins du continent qui n’étaient autres que des réfugiés et immigrés fuyant la guerre dans leur propre pays ou cherchant une vengeance dans la volonté de se battre20. Actuellement, c’est l’Afrique qui fournit l’essentiel des effectifs de mercenaires et pour cause, c’est sur ce continent que se déroulent les pires guerres civiles d’où un nombre croissant de jeunes hommes désœuvrés et amers cherchant une raison de vivre et de se battre. La pauvreté favorise donc la levée des armées et des mercenaires.
J.P. Gouteux rapporte, que l’armée française avait formé auparavant l’armée rwandaise pendant plusieurs années avant les débuts du génocide des Tutsis et qu’elle a supervisé son déroulement sous couvert de l’opération humanitaire turquoise21. Il s’agit donc cette fois d’une guerre par procuration, non pas avec des mercenaires, mais par la formation des troupes étrangères (et aussi un appui caché pendant le génocide).

Les mercenaires ne peuvent prendre le pouvoir dans le pays ou ils sont recrutés. Ils peuvent seulement aider à le conquérir. C’est le grand intérêt pour les gouvernements ou des rebelles qui font appel aux mercenaires. En effet, ces derniers, à la différence des militaires ou des milices d’un pays, ne disposent d’aucune légitimité devant l’opinion publique du pays ou ils exécutent les basses besognes, puisqu’ils en sont étrangers. Cependant, ils peuvent retourner leur veste et travailler rapidement ensuite pour des opposants aux régimes en place, par exemple. En ce sens ils restent dangereux, tant pour le régime en place que pour ses opposants.
Certains chefs d’Etat font aussi appel à des mercenaires de nationalité étrangère pour remplacer leurs propres soldats qui susceptibles de défection lors des phases révolutionnaires. Ce fut le cas pendant la révolution libyenne en 2011, dans laquelle le dictateur Kadhafi recrutât des mercenaires tchadiens pour tenter de briser la révolte du peuple libyen.

Les mercenaires peuvent être engagé pour des assassinats sur commande. En effet, l’idéologie qui est derrière chaque acte de terrorisme n’affecte pas forcément le mercenaire qui va collaborer techniquement et valoriser ses compétences en échange d’une bonne rémunération. La fonction de tueur à gage peut évidemment convenir à un mercenaire. Les exemples fameux ne manquent pas comme celui de l’assassin de Patrice Lumuba qui devait être à l’origine de nationalité Grec, mais qui a fui avec l’argent sans accomplir sa tâche. Ou encore le cas de l’assassinat de Dulcie September, une femme sud-africaine membre de l’ANC (Congrès National Africain) résidant en France qui allait révéler la vente d’armes de la France au régime d’apartheid d’Afrique du Sud et qui a été tuée par un mercenaire français22. Mais leurs champs de compétences ne s’arrêtent pas là.

Les mercenaires sont souvent trafiquants d’armes, de drogues, de pierres précieuses ou de pétrole.  Car le mercenariat et le trafic d’arme vont de pair parce que ces deux activités sont interdites par la communauté internationale. En effet, les Etats rentiers peuvent les payer en nature avec ce type de matériaux comme l’ont fait et le font encore l’Angola, l’Afghanistan ou la Colombie. Le Libéria et le Sierra Leone sont des exemples tristement connus pour leurs diamants et ce sont des mercenaires qui assurent l’encadrement de milices chargées de la surveillance des champs diamantifères et de la revente d’armes et de cocaïne. Le film « Blood diamond » illustre ces pratiques et l’ambiance qui règne dans ces milieux et ces terrains d’actions. L’acteur Léonardo Di Caprio y joue le rôle d’un marchand de diamants dans un pays d’Afrique, dans lequel il entre en concurrence avec des mercenaires et des militaires pour le trafic de pierres précieuses.

Les « chiens de guerre » sont des mercenaires à motivations financières. En 2002 estimait les chiens de guerre de nationalité françaises étaient entre 100 et 20023. Ils figurent parmi un des trois types de mercenaires avec les corsaires et les barbouzes. Les « chiens de guerre », s’engagent dans un conflit à l’étranger pour l’argent et la volonté de combattre. En général, le « chien de guerre » est fasciné par l’armée, passionné d’armes et souvent issu d’une classe sociale défavorisée, qui y cherchent aussi un moyen de subvenir à leurs besoins et aussi un statut social en assouvissant une passion pour les armes. Leur idéologie est souvent marquée à l’extrême droite et ils militent parfois pour leurs idées explique Xavier Renou24.
Cependant, les motivations idéologiques restent généralement secondaire aux motivations financières. Ainsi, les mêmes mercenaires peuvent successivement servir les intérêts d’un chef d’Etat et quelques temps après ils peuvent travailler pour ses opposants. Dans ces cas la, les mercenaires ne considèrent pas ces volte-face comme des trahisons, mais simplement comme les différentes phases de leur métier, qu’ils jugent finalement neutre idéologiquement. Le corsaire quant à lui est à peu de chose près l’équivalent du chien de guerre.

Le corsaire, est un mercenaire qui est « l’homme d’un seul maître ». Contrairement à la majorité des mercenaires, qui vendent leurs services aux plus offrants25. L’exemple le plus connu en France, reste celui de Bob Denard qui représente la figure du corsaire attaché au service d’une puissance politique, l’Etat Français en l’occurrence et ses élites. Là encore, l’Etat peut les utiliser sans se mouiller comme lors du coup d’Etat aux Comores en 1995 où Bob Denard arrive avec 33 hommes pour monter à l’assaut du palais présidentiel de Saïd Djohar. L’Etat français intervient et arrêtent les mercenaires qui seront emprisonnés. Sauf Bob Denard, évacué par un appareil de l’armée française26.

Les barbouzes obéissent généralement à un même client. Ils ont un degré de technicité supérieur aux corsaires. Le terme barbouze fait suite à la guerre d’Algérie où l’armée française recruta dans les milieux policiers, criminels et mercenaires des hommes capables de lutter contre l’OAS (Organisation Armée Secrète) avec des méthodes violentes dont la société civile a été la première victime. Les barbouzes font beaucoup de bruit lors des évènements de mai 1968 : ils surveillent les étudiants subversifs sous couvert d’être des vigiles du rectorat, le but étant de lutter contre la contestation gauchiste27.À la suite de mai 68, ils se tournent vers l’Afrique où ils sont recrutés dans les rangs supérieurs de l’appareil de sécurité de leur pays, service secret, corps de gendarmerie d’élite, etc.… Un exemple de barbouze serait celui de l’ancien chef d’Etat-major de François Mitterrand, Jean Lacaze, qui a été chargé par la suite de la sécurité de Messieurs Houphouët-Boigny, Mobutu, Idris Deby et Laurent-Désiré Kabila, tous des créatures de la France28.

Les milices paramilitaires est souvent un instrument de répression du mouvement social et syndical. La particularité de ces milices est que les hommes qui les composent ne s’engagent pas officiellement, il s’agit de forces supplétives à l’appareil de sécurité d’un pays, ce qui induit qu’ils se permettent de s’affranchir du respect des lois et des droits humains. Ils peuvent servir un seul homme, une organisation indépendante de l’Etat, une catégorie sociale ou un parti politique. Ces organisations non-officielles et les hommes qui les dirigent et les surveillent sont financés par des pouvoirs politiques, armés et par des hommes d’affaires ou des politiciens. Beaucoup de milices sont très bien organisées, disciplinées et rigoureusement armées comme celle des Cocoyes, des Cobras ou des Ninjas à Brazzaville ou les fameux Janjaweed au Soudan qui multiplient les exactions contre la population du Darfour. Ces soldats privés sont des volontaires civils, payés ou non, engagés par conviction ou par volonté de lutter pour une cause, c’est pourquoi ces milices laissent la place à de nombreuses dérives. En Europe, ce genre de milice sont populaires en Russie, notamment à Iekaterinbourg, aux portes de l’Asie, où le trafic de drogue se fait en toute impunité sans que la police ne réagisse. L’organisation « Ville sans drogues » apparaît alors dans les années 1990 pour mener une campagne très violente contre le trafic de drogues de rue : on y tabasse les dealers et quelques crimes n’ont jamais été clarifiés. Cette milice civile est financée principalement par les commerçants du quartier et les hommes d’affaires soucieux de l’image de la ville29. La formation de milices est pris en charge par les autorités d’un pays pour accroître sa force de lutte ou préparer la mobilisation de la population à une stratégie de terreur. C’est l’exemple des milices Interrahamwe au Rwanda qui ont été endoctrinées et formées à commettre des actes de barbarie.
Les hommes des escadrons de la mort quant à eux sont des volontaires des forces de sécurité régulières. Les premiers escadrons datent de la guerre d’Algérie avec le général Aussaresses qui a mené des actions pour couper le lien entre le peuple et les éléments subversifs de la population, avec à la clefs beaucoup d’assassinats et des méthodes d’extraction d’informations par la torture30. Ces méthodes vont faire école auprès d’argentins, portugais ou israéliens qui se formeront auprès du général qui transmet son « savoir » en Argentine où 14 pays enverront leurs officiers à « l’école des dictateurs ». C’est d’ailleurs en Amérique Latine où les escadrons de la mort frapperont le plus les forces sociales proches des communistes. On y décomptera des milliers de morts, et des dizaines de milliers de disparus. Le plus célèbre dirigeant des escadrons de la mort en Bolivie fut Klaus Barbie, ancien SS et chef de la Gestapo à Lyon pendant la Seconde Guerre Mondiale, avec sa milice los novios de la muerte qui sévit pendant les années 1970. Elle fut financée par la CIA et les narcotrafiquants boliviens et prendra part au coup d’Etat qui installe le gouvernement de Luis Arce-Gomez avec une répression qui fera 25000 disparus31.
En Afghanistan, en réalité, ce sont les Etats-Unis avec la CIA, qui ont provoqué « l’invasion » de l’URSS car ils voulaient renverser le régime laïc afghan qui n’était pas assez favorable à leurs intérêts privés. En 1979, en Afghanistan, le président Jimmy Carter ordonne l’entraînement d’une armée de mercenaires musulmans sous la direction des services secrets pakistanais et de la CIA. Ceci sera financé par la culture du pavot au Pakistan qui deviendra un des plus gros producteur d’héroïne au monde. Cette provocation de la part des Etats-Unis dans un contexte de guerre froide et le chaos qu’elle a insinué dans la région a aboutit à l’invasion soviétique32.
En France, pour les projets liés à la Françafrique, on privatise temporairement des membres de l’armée ou des services secrets, afin de dégager notre pays de ses responsabilités. En louant les services d’armées privées, les états n’auront plus besoin d’entretenir en permanence une armée nationale dont l’utilisation effective n’est que ponctuelle. Avec la croissance de l’insécurité se banalise l’existence de polices et milices privées, pour les résidences ou les quartiers les plus riches. Le développement de l’économie libérale contribue à présenter l’idée d’armées privées comme un moyen de diminuer le coût des armées tout en améliorant leur efficacité. Cela permettra aussi aux grandes multinationales (Total, Shell...) de défendre directement leurs intérêts dans le monde.
Dans sa guerre contre la gauche légale et la gauche en armes, les formations paramilitaires collaborent étroitement avec l’armée. La guerre menée est une guerre contre un ennemi intérieur qui bénéficie du soutien de la population, c’est pourquoi cette dernière devient une cible pour ces groupements, notamment les responsables syndicaux, les militants des droits de l’Homme et les journalistes. La Colombie fournit aussi un bon exemple de ce que peuvent faire les sociétés militaires privées. En effet, la guerre menée contre la guérilla marxiste sert de justification au maintien de forces paramilitaires importantes qui effectuent des répressions brutales contre tous ceux qui remettent en cause la répartition très inégale de richesses. C’est pourquoi les syndicalistes, les leaders populaires, les militants, les défenseurs des Droits de l’Homme et les paysans pauvres sont la cible de ces mercenaires payés par le service de sécurité de l’Etat, les multinationales ou la mafia de la drogue33. Cette guerre dans la guerre fait que la Colombie détient le record du monde du nombre d’assassinats de syndicalistes, soit 3/5ème des syndicalistes tués dans le monde. Ainsi, les firmes multinationales en Colombie profite d’un environnement répressif qui maintient les salaires et les conditions de travail très en dessous des normes occidentales. Elles apportent une contribution active à la répression des revendications des travailleurs, notamment par le biais des mercenaires. Par exemple, la société Coca-Cola est accusée par les locaux de fournir les noms de ses employés syndiqués aux forces paramilitaires qui les éliminent par la suite34.

Les entreprises militaires privées se développent, de même que leurs missions légales. Les employés de ces sociétés sont très différents des mercenaires pour la plupart, mais la limite de la profession est parfois floue, d’autant plus lorsque le contexte est violent. La société ERIC SA par exemple assure la sécurité de sites sensibles comme des mines de diamants ou d’or en Afrique. Beaucoup de mercenaires sont employés dans ces sociétés de sécurité en attendant mieux. Les Etats-Unis sont friands de ce genre de sociétés et le Ministère de la Défense américain emploierait aujourd’hui près de 700 000 sous-traitants35. La notion de combattant a beaucoup évolué avec les progrès des technologies militaires : il n’est plus nécessaire de prendre part aux échanges de feu pour avoir un impact stratégique sur les combats. De ce fait, les employés combattants sur le terrain et leurs collègues non combattants des firmes de service militaire privé peuvent recevoir le qualificatif de mercenaire.
Ainsi, à travers la présentation de ces différents types d’employés de sociétés militaires privées, nous pouvons dresser la liste des tâches et services proposés par celles-ci :
-  Support opérationnel militaire, appui direct au combat, fourniture d’équipements militaires, armements aux combattants, évacuation de casques bleus et des humanitaires des zones de combats, recherche et récupération d’otages.
-  Surveillance de sites militaires et sensibles, protection de convois humanitaires, de réfugiés.
-  Soutient logistique, c’est-à-dire construction de sites militaires, maintenance électronique ou mécanique, gestion de fonctions administratives et de management d’un site militaire.
-  Prévention des crimes et protection contre les agressions.
Cette description ne vaut pas uniquement pour les périodes de conflit mais au-delà, notamment les périodes qui suivent où le désarmement des combattants et le maintient de l’ordre est nécessaire36. Elle représente la partie légale des actions des employés des entreprises militaires privées.

Des alliances militaires peuvent servir les intérêts privés des puissances occidentales. Ces gouvernements, la plupart du temps illégitimes, ont besoin de ce soutient extérieur car ils n’ont plus le soutien de leur propre population, c’est pourquoi les forces occidentales peuvent dicter leurs conditions facilement Par exemple, en 2004, la France était le premier fournisseur de la Guinée Conakry et sont deuxième plus gros client ainsi que son principal bailleur de fond et son principal investisseur37. On peut se demander où réside l’indépendance… Ce manque d’indépendance s’illustre aussi par le fait que les puissances occidentales, notamment les Etats-Unis et la France pour ne citer qu’eux, fournissent à leurs alliés des instructeurs militaires, des agents des services secrets et de l’équipement militaire. Par exemple, en 1992, on estimait à 40 000 le nombre d’officiers africains qui ont effectué un entraînement en France38. Il est évident que la France n’a jamais renoncé à son influence sur le continent africain malgré les indépendances des Etats et, qui plus est, y a augmenté ses engagements militaires depuis.
Les mercenaires ont toujours été liés avec les grandes entreprises coloniales et, à l’époque, l’appropriation des richesses des pays du Sud par des soldats privés qui servent autant à la conquête des territoires qu’à la protection des investissements laissés sur place est monnaie courante. Aujourd’hui, les firmes multinationales n’agissent pas autrement lorsqu’elles se tournent vers les sociétés militaires privées pour obtenir de nouveaux marchés. Contrairement à ce qu’il aurait dû se passer à la suite des indépendances des pays du Sud, il y a eu un renouvellement des formes de la dépendance, notamment par la sélection de gouvernants liés aux élites politiques des pays occidentaux. Le réseau appelé la Françafrique est évidemment le mieux approprié pour illustrer ce phénomène. Les élites en question sont liées par de multiples intérêts qui interdisent de désolidariser ; ce sont des liens partisans, familiaux, économiques ou secrets. Entre la France et certains pays clefs, les accords de coopération ont pris la forme d’accords de défense contre toutes sorte d’agressions, avec des clauses secrètes prévoyant la protection des dirigeants ou leur exfiltration en cas de danger39.
Le rapporteur des Nations Unies sur le mercenariat déclarait que : « les sociétés transnationales doivent être critiquées pour la façon dont elles exploitent les ressources naturelles et les sources d’énergies. Leur intervention dans les affaires intérieures et la façon qu’elles ont d’attiser les conflits internes pour mieux défendre leurs propres intérêts ne sont pas étrangères à la présence des mercenaires, auxquels elles font appel soit pour protéger leurs installations sur des territoires qui sont littéralement soustraits à l’autorité des Etats qui ne peuvent pas l’exercer à cause de conflits, soit pour donner un appui militaire à la faction qui a pris parti en faveur des intérêts des transnationales. »40 Cette citation peut être illustrée par l’exemple suivant : au Ghana, dans la région du Tarkwa, 20 000 habitants ont été expulsés par la force suite à la pression des firmes multinationales souhaitant exploiter la terre pour du minerais41.

L’appropriation des biens se réalise aussi par la force au service des intérêts capitalistes. La tendance néo-libérale actuelle ne peut être séparée du phénomène de la mondialisation. Ce « nouveau régime d’accumulation mondialisée à domination financière »42 est une tendance du capitalisme qui se penche naturellement vers la recherche de nouveaux débouchés pour l’écoulement de la production des pays industrialisés en constante augmentation. La logique de rentabilité à très court terme imposée par les financiers induit une nécessité d’accumuler les richesses et de se les approprier par la force pour permettre un retour sur investissement plus rapide. Aujourd’hui, ce n’est plus seulement par les conquêtes militaires que les puissances occidentales s’accaparent les richesses, mais c’est  à travers la maîtrise des flux financiers qu’elles le font, accroissant le phénomène des échanges inégaux. Ces puissances occidentales peuvent faire pression sur les pays du Sud par l’intermédiaire de la renégociation de la dette ou l’ouverture des frontières afin d’obtenir l’autorisation pour l’écoulement de leurs excédents de production sur leurs marchés.
Comme nous le faisons remarquer plus haut, la fin de la guerre froide a précipité la fin d’une régulation des conflits au niveau mondial. Le nombre de conflits inter-étatiques entre 1990 et 2001 a augmenté : le monde a été frappé par 57 conflits majeurs sur 45 territoires distincts43. Ces conflits de basse intensité peuvent survivre même après la disparition de l’opposition Est-Ouest car ils se révèlent rentables pour leurs acteurs.
La privatisation de la violence publique s’inscrit dans un courant idéologique qui n’est autre que le néolibéralisme ayant pour but ultime l’accroissement des intérêts privés. Ainsi, la privatisation de la guerre profite surtout aux géants de l’industrie d’armement qui intègrent les sociétés militaires privées à leur logique de développement. Les conflits cités plus haut se caractérisent par l’augmentation de la violence comme stratégie d’extermination de l’adversaire avec usage du viol de masse ou du génocide comme l’exemple du Rwanda en 1994. La compétition entre les différents appétits des puissances occidentales pour l’accumulation de richesses fait de l’Afrique le continent le plus touché par les conflits de basse intensité. L’exemple de la région des grands Lacs est édifiant puisque depuis 1998, les guerres civiles et les affrontements sur place ont fait plusieurs millions de morts44.  

Les rebelles et le pseudo- terrorisme peuvent servir les intérêts des gouvernements. Compte tenu, qu’il est difficile, pour les gouvernements d’un pays et des puissances étrangères, de prévoir tous les conflits futures, lorsqu’ils n’ont pu le prévoir, ou l’organiser, alors il leur faut « surfer » sur un conflit naissant, pour servir leurs intérêts.
Au Niger, selon la CRIIRAD la nappe phréatique est contaminée par l’exploitation de l’uranium par Areva, et les travailleurs locaux sont mal protégés. Cette situation a provoqué le mécontentement des populations locales, notamment celles des touaregs qui ont vu leur mode de vie troublé par l’apparition de ces mines et des villes inhérentes. C’est pourquoi en février 2007 est apparu le Mouvement des Nigériens pour la Justice (MJN) qui revendique davantage d’autonomie pour le nord du Niger et une plus grande part des revenus de l’exploitation minière, dont l’uranium. Ce mouvement est né à la suite de la volonté du gouvernement nigérien de diversifier les partenaires miniers dans la filière de l’uranium et afin d’arrêter du même coup le contrôle total du groupe Areva sur les ressources du pays. En effet, il existe actuellement une concurrence internationale autour des ressources énergétiques, et l’uranium du Niger en intéresse plus d’un. Chinois, américains, indiens, australiens sont sur le marché pour s’approprier les richesses du sol nigérien depuis que le contrat entre Areva et le gouvernement nigérien a pris fin à la fin de l’année 200745.
Depuis, les autorités nigériennes accusent le MJN d’être à la solde des intérêts étrangers. En 2007, le groupe Areva avait été accusé par le président Mamadou Tandja de financer les rebelles touaregs et avait vu son représentant, Dominique Pin, être expulsé du pays. Le groupe a toujours démenti ces accusations et les relations ont repris leur cours normal à la fin de l’été.
Cependant, au Niger notamment, les rebelles travaillent aussi pour leurs intérêts et une lecture unilatérale, serait abusive. Depuis le début de leur mouvement, le MNJ a multiplié les attaques. En 2007, après plusieurs accrochages avec l’armée nigérienne, un camp d’exploration d’uranium du groupe Areva a été attaqué à 85 kilomètres d’Arlit et les rebelles y ont volé des véhicules et des téléphones portables46. Le MNJ a conseillé à tous les ressortissants étrangers travaillant dans le secteur de l’exploitation minière des ressources naturelles de quitter les zones de conflits pour leur sécurité.
A l’inverse, en octobre 2007, les rebelles du MJN n’ont néanmoins pas toujours besoin du soutien d’Areva pour mener des actes de terrorisme. En effet, depuis leur création, ils ont déjà enlevé le dirigeant de la China Nuclear Engineering and Construction Corporation, Mr. Zang Guohua, avant de le libérer sain et sauf. Dans ce cas, cette fois encore c’est bien les intérêts d’Areva qui s’en trouvaient renforcés. Les rebelles touaregs ont présenté le rapt comme un avertissement contre le gouvernement nigérien n’investissant pas dans les infrastructures de base du pays, mais contribuant à l’achat d’armes destinées à la répression de la rébellion par le gouvernement.
La militarisation de la zone montre bien que les intérêts financiers y sont importants. La présence de ressources naturelles amène les gouvernements étrangers à apporter un soutien militaire et financier aux pays en développement riche en ressources de façon à ce qu’ils puissent protéger les transnationales des pays industrialisés, tel la France et s’assurer un accès continu à ces ressources.
Selon RFI, en réalité, le gouvernement usa de cette stratégie, consistant à s’appuyer sur les mouvements citoyens d’opposition, pour renégocier les tarifs du cours de l’uranium entre le Niger et la France. Ainsi, début 2008 : un accord a été conclu prévoyant une augmentation d’environ 50% des prix de la livre d’oxyde d’uranium, passant la barre des 40 dollars47.  « Tandis que le Niger cèda à la Chine des contrats d’exploitation pour un montant s’élevant à 3,7 milliards d’euros » 48. Le conflit impliquant Areva, le gouvernement Nigerien et les rebelles, bénéficia donc finalement aux intérêts du pays, donc à se souveraineté. Deux ans plus tard, le président Mamadou Tandja reprend des négociations avec la Chine et de l’Iran « pour l’éventuelle exploitation de la plus grande mine d’uranium d’Afrique. Le 9 février 2010, l’Elysée déclare son inquiétude pour les positions d’AREVA au Niger, car entre temps,
Malgré les 40 ans de “présence” de l’industrie nucléaire française au Niger, AREVA risquait de tout perdre sur la dernière ligne droite (…). Entre le 9 février 2010 et le 18 février 2010, plus rien ne filtre (du moins du côté français). Pas de compte-rendu de leur visite à Niamey »49. Soudain, le 17 février le président du Niger, M. Mamadou Tandja est renversé par des rebelles nigériens. Ce type de synchronicités se répète régulièrement au Niger, comme dans de nombreux pays. Lorsqu’il s’agit de renégocier les prix de l’uranium, du pétrole ou d’autres biens ayant une importance stratégique pour les grandes puissances, il se produit souvent des coups d’Etat par des rebelles avec l’appui de ces puissances.
Résumons cet imbroglio entre 2007 et 2010. En 2007, les rebelles touaregs se sont révoltés soit disant, contre l’exploitation d’Areva vis-à-vis de l’uranium du Niger et contre des achats d’armes du gouvernement nigérien. Puis ce dernier va utiliser cette opposition des rebelles contre lui, pour renégocier les tarifs de l’uranium avec Areva, à son profit et diversifier ses clients avec la Chine notamment. Mais ces nouveaux bénéfices de l’exploitation ont-ils bénéficié à la population ? Cette réorganisation des forces et des tarifs de l’uranium, ne satisfaisant pas Areva, ils vont alors soutenir les rebelles pour faire tomber le gouvernement en 2010.
Ce fut donc une tactique à plusieurs coups, tel un coup à plusieurs bandes au billard, ainsi qu’il est d’usage dans chez les experts des manipulations politiques. Ces séquences s’enchaînent au gré des différents coups d’Etat que connaissent les pays du Sud, tel le Niger.
Dans ce type de situation, il y a en général toujours les mêmes 4 types de protagonistes, un Etat, des rebelles, une grande entreprise appuyée par son gouvernement et des entreprises étrangères concurrentes, elles mêmes soutenue par leur Etat. Ne pouvant prédire à l’avance dans quel camp va conquérir ou conserver le pouvoir, les acteurs réajustent leurs stratégies au fur et à mesure des transformations sur le terrain. Ils cherchent chacun à servir leurs intérêts en s’associant les uns les autres et en se trahissant souvent ensuite, en fonction des rapports de force en présence et de leurs intérêts.

La guerre accroît les dépenses de l’Etat et les profits des entreprises. Elle permet la prédation des richesses d’un autre Etat, d’une autre région ou d’une autre ethnie. Le génocide des juifs a permis au régime nazi de s’accaparer les richesses des familles déportées. La guerre des Etats-Unis contre l’Irak a accru les bénéfices de l’industrie privée d’armement des Etats-Unis notamment. Le financement des deux camps de la guerre civile par Elf au Congo-Brazzaville, en Angola, a accru les profits de marchands d’armes (tel Falcone) (Verschave, 2001). La vente d’arme par la France et les Etats Unis notamment aussi bien à l’Iran qu’à l’Irak, durant leur longue guerre, a permis aux vendeurs d’armes de s’enrichir. De manière générale, l’extension des conflits dans le monde profite aux vendeurs d’armes. Ainsi, la carrière politique de Jacques Chirac a été lancée par le marchand d’armes Marcel Dassault (Verschave, 2003).

La guerre extérieure vers un Etat étranger visent généralement des objectifs géostratégiques.
Les guerres ont parfois un motif économique et politique indirect. Lorsque les gains économiques ou politiques directs sont très faibles, alors les opérations humanitaires par les armées sont quasiment inexistantes. Le nombre de conflits inter-étatiques entre 1990 et 2001 a augmenté : le monde a été frappé par 57 conflits majeurs sur 45 territoires distincts50. De très nombreux conflits et massacres des populations sont commis dans des dizaines de pays, sans même que l’opinion publique mondiale soit informée. Par exemple au Congo-Brazzaville, cette guerre a fait des centaines de milliers de morts et officiellement la France n’était pas présente et les médias n’ont quasiment pas fait part de cette guerre (Verschave, 2001).
La France conserve une base militaire au Tchad qui est, lui aussi, situé au cœur de l’Afrique et qui permet d’accéder à de nombreux pays connexes, comme le Soudan (le pétrole du Darfour), le Cameroun (bois), la Centrafrique...
En 2008, durant la tentative de coup d’Etat, elle a donc soutenu militairement le dictateur Idriss Déby, afin de conserver notamment cette situation (La Croix, 2008).
Certains nations disposent d’une importance géo-stratégiques importantes. En 1997, la ’’doctrine Brzezinski » affirme que celui qui contrôle le Moyen Orient contrôle le monde, dans le mesure ou ce secteur est situé au milieu des autres continents (Europe, Asie, Afrique)51. La guerre de l’Irak, n’avait donc pas que des objectifs et pétroliers, économiques variés (vente d’armes, reconstructions...).
S’il n’y a pas de motif économique, il est rare qu’il n’y ait pas un motif politique. Soutenir un pays, c’est aussi s’assurer un allié supplémentaire dans les organisations internationales, son vote à l’Assemblée générale de l’ONU et dans d’autres de ses agences. De plus les guerres et le développement du terrorisme permet aux puissances militaires dominantes (USA, OTAN, France...) de pénétrer des zones et de s’y installer durablement, afin d’y consolider leur influence et leur maîtrise.


notes

1 THOMET Jacques, 2007Les soldats de
l’information, Ed. Hugo Doc.
2 GOLINGER Eva, 2007, Bush Versus Chavez : Washington War on
Venezuela, Paperback, USA.
3. Caminade, 2003, Comores-Mayoette, une histoire
néocoloniale, Marseille, Agone.

4 MEKAY Emad, “Le Tchad tient la Banque mondiale à sa
merci”, Washington, 8 mai 2006, Inter Press Service News
Agency.
5 Prier Pierre , “Le Tchad, laboratoire de l’après
« Françafrique »”, Le Figaro, 15/04/2006.
6 PETRAS James, VELMEYER Henry, 2001, La face cachée de la
mondialisation, L’Impérialisme au XXIe siècle,
Parangon 282 p., p. 114.
7 HUMAN RIGHTS WATCH, “Colombia : Paramilitary groups Closely Tied to
Army, Police”, 4 octobre 2001.
8 RENOU Xavier, CHAPLEAU Philippe, MADSEN Wayne, , VERSCHAVE
François Xavier, La privatisation de la violence. Mercenaires
et sociétés militaires privées au service du
marché, Agone, Marseille, 2005, 496 p, citation p. 302.
9 RENOU, Op. Cit., p. 309.
10 John K. Cookley, Unholy Wars : Afghanistan, America and
International Terrorism, Pluto Press, Sterling, 1999.

11 La majorité des analyses concernant le mercenariat ont
été rédigées par Juliette HENNY, sous la
direction de Thierry Brugvin.
12 RENOU Xavier, 2005, p. 15 
13 RENOU, Op. Cit., p.303-304.
14 DOMINGUEZ François, VIGNAUX Barbara, “La nébuleuse
des mercenaires français”, Le Monde diplomatique, août
2003.
15 X. Renou, Op. Cit. p.356.
16 X. Renou, Op. Cit. p.358.
17 BECKER Howard S, Outsiders, Free Press, New York, 1963.
18 X. Renou, Op. Cit. p.39.
19 BECKER Howard S, Outsiders, Free Press, New York, 1963.

20 Libération, 4 février 1999.
21 GOUTEUX Jean Paul, Le Monde, un contre-pouvoir ? L’Esprit
frappeur, 1999.
22 GROENINCK Evelyne, « On the twisted trail of Dulcie’s
Death », Mail & Guardian, 9 janvier 1998.
23 X. Renou, Op. Cit. p.356.
24 RENOU Xavier, Op. Cit. p. 15 
25 RENOU Xavier, Op. Cit. 2005.
26 CAMINADE Pierre, Comores-Mayotte : une histoire
néocoloniale, Agone, Marseille, 2003.
27 Patrice Chairrof, Dossier B comme barbouzes, Alain Moreau, 1975.
28 X. Renou, Op. Cit. p.54.
29 X. Renou, Op. Cit. p.57-58.
30 Paul Aussaresses, Services spéciaux, Algérie
1955-1957, Perrin, 2001.
31 Michael Levine et Laura Kavanau-Levine, Blancs comme neige. La
drôle de guerre à la cocaïne, Dagorno, 1996.
32 John K. Cookley, Unholy Wars : Afghanistan, America and
International Terrorism, Pluto Press, Sterling, 1999.
33 Asad ismi, « Profiting From Repression :
Canadian firms in Colombia protected by military death
squads », Policy Alternatives, décembre-janvier
2000-2001.
34 Libération, 20 juillet 2001.
35 Joshua Kurlantzick, « Warfare Inc. »,
Military Officer, mai 2003.
36 X. Renou, Op. Cit. p.81-86.
37 Xavier Renou, op. Cit., p. 273.
38 Guy Martin, Journal of Modern African Studies, New York, 1995.
39 Xavier Renou, Op. Cit., p.319.
40 Narconews, 16 mars 2001.
41 Xavier Renou, Op. Cit, p.329.
42 François Chesnais, La mondialisation du capital,
Syros/Alternatives économiques, 1997.
43 Luc Mampaey et Claude Sarfati, in François Chesnais,
La finance mondialisée. Racines sociales et politiques,
configuration, conséquences, La Découverte, 2004.
44 RENOU, La privatisation de la violence, Ed. Agone, Marseille,
2005, p.265.
45 A. Aguelasse, in La Hache, hebdomadaire nigérien, n°
128, juillet 2007.
46 Philippe Bernard, « Les Touaregs revendiquent le
partage des bénéfices de l’uranium », in Le
Monde, édition du 10 octobre 2007.
47 RFI, « Areva au Niger : un accord
retrouvé », disponible sur www.rfi.fr

48 TAHERUKA Shabazz, Coup d’état au Niger :implication
d’Areva et de la France ?
http://www.alterinfo.net/Coup-d-etat-au-Niger-implication-d-Areva-et-de-la-France_a44564.html,
février 2011.

49 TAHERUKA, février 2011.
50 MAMPAEY Luc et SARFATI Claude, in François Chesnais,
La finance mondialisée. Racines sociales et politiques,
configuration, conséquences, La Découverte, 2004.
51 BRZEZINSKI Zbigniew, Le Grand échiquier, L’Amérique
et le reste du monde, Paris, Bayard, 1997.


Voir en ligne : L’usage du mercenariat par les puissances dominantes

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