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Gaza : le moyen et le message

Santiago Alba Rico | legrandsoir.info | lundi 3 décembre 2012

lundi 3 décembre 2012

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Gaza : le moyen et le message
Santiago Alba Rico | legrandsoir.info | lundi 3 décembre 2012
    
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Gaza n’est ni un pays, ni la partie d’une nation, ni une bande de terre et encore moins un ensemble d’êtres humains : c’est un simple investissement. Israël – et je le dis sans la moindre pointe d’ironie – n’est pas en train d’appliquer une politique génocidaire en Palestine : elle veut tuer des enfants, mais pas tous les enfants ; elle veut détruire des écoles et des hôpitaux, mais non pas empêcher radicalement toute forme de survie ; elle veut affamer ses habitants, mais non pas les tuer tous par la faim.

N’oublions pas que c’est Ariel Sharon, le même qui avait joué pendant des mois au chat et à la souris avec Yasser Arafat dans la Mouquata, qui a appliqué le fameux « plan de déconnexion » en 2005 pour transformer Gaza en une immense Mouquata de 1.500.000 habitants. Gaza est très importante pour Israël. C’est l’urinoir où les dirigeants sionistes soulagent leurs plus bas instincts ; c’est le petit frère désarmé qu’ils frappent quand ils voulaient frapper son grand frère plus costaud ; c’est la poubelle où ses politiciens ensevelissent leurs déchets : c’est le mur où ils collent leurs affiches électorales ; c’est leur jeu vidéo guerrier ; c’est la vitrine de leur marché d’armement : c’est l’otage pour toute négociation ; c’est la condition même – avec un système compliqué de respiration artificielle – de conservation de l’Etat sioniste.

Comme le répète l’écrivain libanais Elias Khoury, « Israël achète du temps en échange du sang » et ce sont les Gazaouis qui dépensent ce sang. Gaza est la banque centrale d’Israël ; sa réserve de devises. Elle est indispensable. « Déconnectée », sous blocus, démembrée, parfois frappée, mais indispensable. Israël ne veut pas détruire Gaza, ni assassiner tous ses habitants. On pourrait croire que Tel Aviv est en train de bombarder ses édifices et de tuer ses enfants, mais en réalité elle est en train de « soigner » son outil favori, d’affiner son instrument, de remodeler sa musculature. Elle est en train de tirer tout le parti dont elle peut tirer de Gaza en rentabilisant toutes ses « prestations ».

Comme le disent les analystes, Israël est en train d’envoyer des « messages ». Les messages d’Israël sont tellement évidents et prévisibles qu’il ne faut pas être un savant pour les déchiffrer. Il est bon qu’ils soient clairs pour que tous les comprennent. L’un d’eux est adressé aux électeurs israéliens, afin qu’ils craignent « l’antisémitisme islamique » et se sentent soulagés d’avoir un gouvernement fort, implacable avec l’ennemi, mais aussi avec les dissidents. Un autre message est adressé à l’Egypte et à tous les pays musulmans - de la Tunisie à la Turquie – qui, après les bouleversements et les changements de ces deux dernières années, pourraient être tentés de réviser leurs relations avec Israël. Un autre message est dirigé à l’Iran, une manière de lui montrer les dents à partir de son camp d’entraînement habituel. Non moins important est le message destiné à Obama, afin de poursuivre l’alignement étasunien inconditionnel vieux de 40 ans, en lui rappelant par la voie des faits qu’Israël est son unique véritable allié dans la région et l’unique garant de ses intérêts.

Le dernier message, et le principal, s’adresse à tout le monde : Israël, le plus artificiel et imposé des Etats, est le seul qui soit véritablement « indépendant » dans le monde et il est disposé à tout – bombes, assassinats, guerres apocalyptiques –, sans le moindre égard pour le droit international, pour les règles humanitaires, aux équilibres diplomatiques, au pragmatisme politique et à la morale commune, et cela dans l’unique but de préserver son identité raciste et coloniale.

Si le moyen est le message, les messages d’Israël ont une dimension inhumaine et criminelle. Mais ils ont aussi, pour la première fois sans doute depuis 1948, un accent désespéré. Derrière les hypocrites et obscènes déclarations de soutien occidental à l’agresseur, nous entendons une inquiétude nouvelle et nous percevons une réaction insolite de dégoût. Israël se sent moins à l’aise ; elle est plus isolée. Comme le rappelait à juste titre Ilan Pape quelques jours avant les nouvelles attaques contre Gaza, la véritable préoccupation du régime sioniste se centrent sur les changements qui ont ébranlé le statu quo dans la région. Le « printemps arabe » constitue une menace sérieuse, stratégique et politique, pour sa survie.

Paradoxalement, c’est sous la poussée des peuples arabes contre les dictatures locales qu’Israël s’est enfin inscrit dans le Proche Orient : c’est une "dictature arabe" comme les autres qui s’oppose, avec les mêmes moyens que Moubarak, Ben Ali ou Bachar Al-Assad, à la démocratisation du monde arabe. De là découle ses alliances, actives ou passives, avec tous les dictateurs, et de là provient son effort réalisé pour soutenir, en tant que base arrière, toutes les contre-révolutions. De là découle également son intérêt à alimenter tous les fanatismes sectaires qui, comme dans le cas d’Al Quaeda, peuvent empêcher la constitution souveraine de gouvernements arabes démocratiques, dont la légitimité dégradera celle du gouvernement d’Israël au yeux de l’opinion publique et en feront des interlocuteurs inévitables pour les puissances occidentales dans un cadre nouveau d’alliances régionales.

Mais Israël est ainsi faite. Sa faiblesse est une bonne nouvelle qui devrait nous réjouir. Mais nous en sommes incapables. Parce ce que ce qui donne la véritable mesure du danger que représente Israël pour la paix mondiale, c’est précisément sa capacité – et sa détermination – à transformer une bonne nouvelle en la pire qui soit : des enfants tués, des familles détruites, des maisons en ruines.

Gaza est le message que nous devons tous entendre. S’il existe un acteur irrationnel dans la région, ce n’est pas Al Quaeda, ni Bachar Al Assad, aussi irrationnel et criminel soit-il, mais bien Israël, et son isolement régional multiplie les dangers pour tout le monde. Gaza est le message. Israël – nous dit la missive – a aussi peu de scrupules qu’Al Quaeda et beaucoup plus d’armes que Bachar Al Assad, y compris des armes nucléaires, et elle est infiniment plus « indépendante » que les Etats-Unis. Lorsque cela se révèle nécessaire pour défendre un projet dont la racine « idéologique » ne répond à aucune raison ni pragmatisme d’aucune sorte, elle est disposée à utiliser tous les moyens, contre n’importe qui, sans craindre les conséquences.

L’autre message, le dernier et le premier, est proclamé de l’autre côté, par les Palestiniens, qu’il ne faut pas oublier. Face à cette pluie de feu et à ces frappes chirurgicalement infanticides, contre ce Goliath soudard qui veut les transformer en urinoir, en poubelle, en panneau électoral, en jeu vidéo, en vitrine et en monnaie d’échange, les rares et inoffensifs roquettes que lancent les Palestiniens depuis Gaza ne sont qu’une simple, élémentaire, naturelle, rageuse et douloureuse déclaration de dignité humaine. Puissent les Israéliens être capables un jour de le comprendre, d’entendre ce message de la Palestine, comme l’ont déjà entendu tous les peuples arabes et une bonne partie des peuples de la terre.

Santiago Alba Rico

Source : http://www.rebelion.org/noticia.php?id=159501

Traduction française Ataulfo Riera pour Avanti4.be : http://www.avanti4.be/analyses/article/gaza-le-moyen-et-le#....

Santiago Alba Rico est un écrivain et philosophe marxiste. Il a vécu plusieurs années au Caire et réside aujourd’hui en Tunisie.


Voir en ligne : Gaza : le moyen et le message

Messages

  • france-palestine.org
    Sanctionner la colonisation
    AFPS | france-palestine.org | vendredi 7 décembre 2012

    Le 29 novembre 2012, l’Assemblée générale des Nations Unies a accueilli l’Etat de Palestine. Cette ini­tiative a été décrite par le gou­ver­nement israélien comme « uni­la­térale », alors même que 138 Etats avaient décidé, au sein de l’entité la plus mul­ti­la­térale qui puisse être - l’Assemblée générale des Nations Unies – que la Palestine devait être reconnue comme Etat.

    Le vote a été précédé de menaces de type poli­tique, écono­mique et diplo­ma­tique, et suivi de repré­sailles : le gou­ver­nement israélien a annoncé le refus de verser les taxes revenant à l’Autorité pales­ti­nienne et la construction de 3 000 nou­veaux loge­ments dans le cadre du projet E1 qui aurait pour consé­quence de couper en deux la Cis­jor­danie à hauteur de Jérusalem.

    Il n’y a qu’une manière de com­prendre cette décision au len­demain du vote à l’ONU : le gou­ver­nement israélien sou­haite punir la Palestine pour avoir « défié » son autorité de puis­sance occu­pante, et montrer de fait que la réalité étatique sur le terrain n’existe pas. Il s’agit d’une pro­vo­cation insup­por­table et lourde de conséquences.

    L’AFPS rap­pelle que la France a voté « oui » à l’admission de la Palestine, et que ces déci­sions sont un défi diplo­ma­tique qui lui est aussi adressé.

    L’Union euro­péenne, qui condamne la colo­ni­sation mais par­ticipe à son économie, doit non seulement dénoncer fer­mement cette pro­vo­cation, mais prendre enfin des sanc­tions appropriées.

    Le bureau national

    Paris, le 6 décembre 2012

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