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Charlie H., la géométrie variable de la liberté d’expression & la forme et le fond de la caricature

Youssef Girard, Thierry Brésillon & Djamel Labidi | lequotidien-oran.com, blogs.rue89.com/tunisie-libre & tunisitri.wordpress.com | mercredi 19 & dimanche 23 septembre 2012

dimanche 23 septembre 2012

Sur cette page :
- Caricatures, la forme et le fond
Djamel Labidi | lequotidien-oran.com | dimanche 23 septembre 2012
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- Caricatures du Charlie moquant le Prophète de l’islam : oulémas de pacotille contre faux Voltaire
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- Tunisie : Charlie Hebdo a fait reculer la liberté d’expression
Thierry Brésillon | blogs.rue89.com/tunisie-libre | jeudi 20 septembre 2012
- Liberté d’expression à géométrie variable
Youssef Girard | tunisitri.wordpress.com | mercredi 19 septembre 2012

parmi les truks :
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ailleurs :
- « Charlie Hebdo », la liberté d’expression et l’islamophobie
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- "Charlie Hebdo" et les caricatures : notre liberté d’expression ne cède pas au chantage
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- "Charlie Hebdo" soutenu par Marine Le Pen… bonjour l’hypocrisie !
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- L’UEJF apporte son soutien à Charlie Hebdo, victime d’une polémique déplacée concernant la nouvelle publication de caricatures de Mahomet.
| uejf.org | 19 septembre 2012
- SOS Racisme soutient Charlie Hebdo
| sos-racisme.org | ? septembre 2012
- Caricatures : les juifs partagés entre désapprobation et soutien à Charlie Hebdo
| challenges.fr | 19-09-2012
- Charlie Hebdo, les « musulmans » (1) et la liberté d’expression : faux débats et vraies questions
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lequotidien-oran.com


Caricatures, la forme et le fond
Djamel Labidi | lequotidien-oran.com | dimanche 23 septembre 2012

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On ne l’aura peut-être pas remarqué, mais c’est à peu près au moment où la justice française interdisait, dans un consensus quasi général, au magazine "Closer" de diffuser les photos de la princesse Kate les seins nus, que le journal satirique français "Charlie Hebdo" faisait paraître ses caricatures avec là aussi, le nu comme procédé de provocation du dessin. De nouveau consensus quasi général dans la classe politique et la presse françaises, mais… sur la liberté d’expression.

Certes, on pourra dire qu’il s’agit d’un côté d’une personne en vie et de l’autre d’un personnage ayant vécu au 7eme siècle, mais pour les musulmans, le Prophète est vécu comme une réalité vivante et permanente.

On pourra reprocher aux manifestations de protestation ayant eu lieu en France ou dans d’autres pays occidentaux d’être tombées dans le piège de la provocation et d’être bien maladroites. Oui, mais elles auront montré aussi combien cette liberté d’expression était à deux vitesses et ne concernaient pas les citoyens musulmans, du moins sur certains sujets qui révèlent régulièrement les limites actuelles de la démocratie occidentale. A cet égard, la déclaration, faite le 16 Septembre par le ministre de l’intérieur français Manuel Valls est édifiante : "je ne permettrai pas, dit-il à propos de la manifestation de la veille devant l’ambassade américaine à Paris, (….) que des slogans hostiles à des pays alliés (...) puissent se faire entendre dans nos rues." Les manifestations sont donc permises suivant les ambassades concernées et l’identité des manifestants ? On se souvient des grandes manifestations antiaméricaines à Paris, de la guerre du Vietnam à l’invasion de l’Irak. Les temps ont bien changé ainsi que la conception de la liberté d’expression et de manifestation en France. Toutes proportions gardées, il y a même un relent de l’état d’esprit avec lequel étaient regardées les manifestations algériennes à Paris, un certain 17 Octobre 1961, où il était clair que le droit à manifester était un droit réservé. Prenons garde à la réédition de ces moments sombres de l’Histoire.

On se trouve finalement dans une situation où manipulations et provocations s’enchevêtrent et peuvent aboutir à "une situation que personne n’a voulu mais à laquelle tout le monde a participé" pour paraphraser ce que disait un grand historien. S’il y a volonté de manipulation dans le film anti-islam "Innocence of Muslims", réalisé et produit aux Etats Unis, il faut rappeler aussi que les manipulations peuvent aussi se retourner contre leurs auteurs. Les situations sont différentes dans chaque pays musulman et donc la nature et la signification réelle des réactions et des manifestations. Ceci explique d’ailleurs qu’en Occident même, certains, dans les milieux politiques, commencent à désapprouver la provocation du journal français "Charlie Hebdo" car ils s’inquiètent d’une situation aux conséquences imprévisibles.

En Afghanistan, les manifestations contre le film anti-islam sont aussi des manifestations contre l’occupation des américains et de leurs alliés. Au Pakistan, aussi, l’émotion causée par ce film se mêle à l’hostilité contre la présence militaire américaine. En Iran, elle révèle les mêmes sentiments nationalistes face aux pressions militaires et économiques des grandes puissances occidentales. En Palestine, les manifestations contre ce film s’unissent à la mobilisation contre l’occupation israélienne.

On touche ainsi à un problème de fond. Il est faux de ne voir dans les manifestations religieuses que des causes religieuses. C’est tourner dans le cercle vicieux qui consiste à expliquer une chose par elle-même, la religion par la religion, l’islamisme par l’islamisme, et se priver de voir les causes sociales, donc politiques. Si l’habit est religieux, si la forme est religieuse, le fond lui est social. Il s’exprime avec d’autant plus de force sous la forme culturelle de l’Islam que celui-ci s’identifie dans les peuples musulmans à des aspirations à la dignité nationale ou sociale. En Europe, entre autres exemples, l’Eglise polonaise tirait son influence et son prestige du fait qu’elle s’était toujours confondue avec les aspirations nationales populaires contre la domination étrangère. Qu’on regarde bien, mais dans chaque manifestation populaire qui prend la forme religieuse de l’Islam, il y a une nation qui est agressée, il y a une communauté musulmane qui se sent humiliée, marginalisée dans le pays où elle vit. Et alors là, si on le voit bien, le discours anticlérical et laïque français de gauche sur la lutte pour la tolérance et contre le fanatisme religieux ne servira plus à cacher, et même à légitimer, comme à la période coloniale, d’autres intolérances et d’autres dominations d’autant plus inhumaines qu’elles font que ceux qui sont dominés, que les victimes finissent souvent, hélas, par être la caricature de l’image qu’en dressent leurs bourreaux.



    
    
La liberté d’expression instrumentalisée
Didier Hamann | lesoir.be | jeudi 20 septembre 2012
    

Un principe fondamental de notre démocratie, la liberté d’expression, peut-il souffrir d’accommodements ? C’est la question que soulève la publication des caricatures du prophète Mahomet par Charlie Hebdo.
L’idée est insupportable. On aimerait tellement se ranger du côté des chevaliers blancs qui ont le courage de braver de dangereux extrémistes capables d’incendier leur rédaction. On aimerait clamer haut et fort le droit intangible des journaux de publier les opinions et les dessins que leur rôle et leur fantaisie commandent. On aimerait, tant qu’à faire, se rallier à ceux qui affirment que « nous sommes ici chez nous et, ici, on écrit ce que bon nous semble sur l’islam car nos usages laïques prévalent. Pas question de se coucher lâchement devant des fous de Dieu ».
Mais n’est-ce pas un peu trop simple ? Soyons lucides. Cette publication n’était pas servie par une intention noble. Il ne s’agissait pas de livrer une analyse ou une opinion sur l’islam et de l’assortir d’une illustration humoristique incidente. Ce n’est pas non plus un simple pied de nez aux religieux qui remettent en cause les fondements de nos démocraties laïques : la décision de publier ces dessins est de toute évidence mue par la volonté de provoquer une réaction violente (espérons qu’elle n’est pas mue par un esprit mercantile !).
Dans le contexte du séisme provoqué par le film anti-islamique américain, c’est un acte d’une grave irresponsabilité. Il provoquera sans doute quelque désolation, voire des morts.
L’hebdomadaire satirique n’a, hélas, rien prouvé du tout en agissant de la sorte. Il faut craindre qu’il apporte l’inutile démonstration qu’une poignée d’excités d’Allah seront capables de rétorsion aveugle et meurtrière. Ne pas publier lesdits dessins n’aurait nullement remis en cause nos principes.
En se drapant de vertu, Charlie Hebdo n’a pas servi la liberté d’expression, il s’est servi d’elle pour attiser un brûlot.
Le mal est fait. Comment appeler à la raison à présent ? Comment éviter d’autres morts ? Comment expliquer aux musulmans que les vrais démocrates ne rêvent pas de les offenser volontairement en publiant des dessins insultants ou en diffusant un film débile ? Pas plus que l’immense majorité des musulmans ne remet en cause nos principes de liberté d’expression et notre droit à la caricature. C’est vain. Il se trouve dans chaque camp des boutefeux qui ont intérêt à faire la sourde oreille à ces mots d’apaisement.
    
    
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maghrebemergent.info
   
   
Caricatures du Charlie moquant le Prophète de l’islam : oulémas de pacotille contre faux Voltaire
Yassin Temlali | maghrebemergent.info | Jeudi, 20 Septembre
    

Charlie Hebdo a publié d’énièmes dessins moquant le Prophète de l’islam, le montrant notamment sous les traits d’un lubrique impénitent. Pour ce journal anciennement satirique, la provocation ne consiste plus visiblement à provoquer les puissants mais à blesser les sentiments de centaines de millions de musulmans. Hélas, ceux qui sont devenus les bouffons des « racistes honteux », n’affrontent que des oulémas de service, plus intéressés à la défense de la « personne du Prophète » contre les offenses de l’« Occident » qu’à la contestation de la domination politique et économique exercé sur leurs pays par ce même « Occident ».

 

Celui que l’Occident chrétien a longtemps considéré comme un pur « charlatan », « Mahomet », a réussi en l’espace de dix ans à unir toute l’Arabie païenne sous la bannière d’une nouvelle religion. Quelques décennies après sa mort, l’Empire islamique s’étendait des bords de l’Atlantique aux contreforts de l’Himalaya. Tous les historiens sérieux reconnaissent en lui un grand génie politique, se fût-il entouré, non pas de patriciens, mais de va-nu-pieds de toutes origines.

Charlie Hebdo ne devait pas savoir grand-chose du Prophète de l’islam et de sa vie de soldat-prédicateur, où s’entremêlent conquêtes militaires et négociations politiques, spiritualité et préoccupations de la vie terrestre. Pour faire son portrait « humoristique », il s’est inspiré d’un quart de film truqué, « L’innocence des musulmans », s’abreuvant ainsi à son tour à l’insondable puits de stéréotypes anti-musulmans, legs du Moyen-âge et de ses intolérances. Présenter « Mahomet » sous les traits d’un lubrique impénitent n’a, en effet, rien d’original : ce n’est qu’un cliché rebattu datant de l’époque des guerres religieuses. Pas plus que l’évanescent réalisateur de ce qui s’appelle officiellement désormais « le film anti-islam », les dessinateurs de ce journal français, anciennement satirique, ne se sont pas demandé où un homme aussi plongé dans les plaisirs de la chair pouvait trouver le temps de fonder un Etat s’étendant sur quelque 2,5 millions de kilomètres carrés qui deviendra, en un temps court, le centre de gravité d’un immense Empire.

 

Les ex-libertaires en bouffons des beaufs « anticonformistes »

 

Tout cela a un air désespérant de déjà-vu. Les protagonistes de l’histoire ont changé, sa trame est la même qu’il y a sept ans. En septembre 2005, un journal danois, le Jyllands-Posten, avait publié des dessins figurant le Prophète en kamikaze. « Par solidarité », en février 2006, Charlie Hebdo avait repris ces dessins qui reproduisaient eux aussi, sans une once d’originalité, d’antiques stéréotypes anti-sarrasins.

On peut même, aujourd’hui, prédire la suite des événements ! Des milliers de musulmans manifesteront dans le monde entier aux cris de « Tout sauf offenser le messager de Dieu ! » Les grandes puissances occidentales, soucieuses de protéger leurs ressortissants dans des pays islamiques en ébullition, balanceront entre la « dénonciation de la provocation » et la « défense de la liberté d’expression » de peur de subir les foudres des islamophobes et autres ex-gauchistes convertis à un laïcisme abstrait et agressif. Pour « éclairer l’opinion publique » sur cette incompréhensible fureur musulmane, quelque « expert » n’ayant pas la moindre connaissance de la peinture turque et persane, où même « Mahomet » était parfois représenté - et, surtout, oubliant tout de la géopolitique de l’islamisme - soulignera que l’islam interdit la figuration de tous les êtres animés, a fortiori les envoyés de Dieu. Doctement, il rappellera, entre autres récentes horreurs sarrasines, la destruction des statues bouddhiques de Bamiyan par les Talibans, en 2001. Il ne se demandera évidemment pas pourquoi ces statues, en plus de treize siècles de pouvoir islamique, n’avaient pas subi la moindre égratignure.

En 2005, lorsqu’on avait expliqué à d’ingénus dessinateurs danois que représenter le Prophète de l’islam avec une bombe en guise de turban stigmatisait tous les musulmans comme des Ben Laden en puissance, ils s’étaient écriés, comme aujourd’hui le patron de Charlie Hebdo : « Liberté d’expression ! » Ils auraient peut-être aimé ajouter que la liberté ne devrait pas s’encombrer des sentiments de ces nations désespérément mystiques, mais les consulats danois brûlaient déjà, alors ils s’étaient abstenus. Ils ne se souvenaient même plus que le Jyllands-Posten avait refusé, en 2003, de publier des caricatures de Jésus-Christ jugées blessantes pour les chrétiens.

Tous ces bouffons des beaufs vaguement anticonformistes se demandent-ils ce qu’il adviendrait de leurs journaux s’ils avaient représenté Moïse en impitoyable chef de guerre, conduisant son peuple vers la Terre promise : n’auraient-ils pas tout de suite besoin d’un bon avocat ? Mais ils savent d’expérience que si les musulmans se défoulent en brûlant quelques drapeaux, les juifs, eux, ont appris à réagir efficacement aux odieux clichés antisémites, autre fier héritage de la chrétienté européenne et de ses innombrables inquisitions. On n’osera pas tourner en dérision leurs symboles aussi facilement qu’on ridiculise ceux des « cousins mahométans ». Pourtant, toute proportion gardée, les exploits de leurs ultra-orthodoxes ne sont pas moins éclatants que ceux des salafistes musulmans ; ils vont de l’assassinat politique au harcèlement des femmes « peu vêtues » dans les rues de Jérusalem.

 

Les « craignant-Dieu- et-le-roi »

 

Le réalisateur sans talent de « L’innocence des musulmans » et les artistes pyromanes du Charlie Hebdo -, pour qui l’héroïsme consiste à stigmatiser des minorités opprimées, n’affrontent hélas, dans le camp adverse, que des oulémas rétrogrades, dont certains se demandent encore aujourd’hui si l’image n’est pas l’œuvre de Satan.

Ces oulémas ne condamnent pas seulement les auteurs de ces impérissables œuvres « anti-islam » mais « l’Occident » dans son ensemble, vouant aux gémonies la « liberté d’expression », comme si elle était, non pas un acquis humain mais un produit douteux de sa civilisation ! Ils se préoccupent moins des souffrances des musulmans réels, victimes du racisme ordinaire de gauche et de droite en Europe et en Amérique, que des « atteintes à la personne du messager de Dieu ». Comme si le prestige de cet homme - qui a subi les pires avanies de ses adversaires sans jamais cesser de dialoguer avec eux, poussant l’intelligence politique jusqu’à les accueillir, une fois vaincus, au sein de la « communauté des croyants » - pouvait être amoindri par des épanchements pseudo-artistiques, dans lesquels le génie créatif tient moins de place que les calculs financiers.

Témoigner au Prophète autant de déférence permet à ces oulémas de justifier leur indifférence aux « milliers de Mohamed qui vivent comme des esclaves sous des régimes qui se réclament du prophète Mohamed » (Kateb Yacine). Cela leur permet aussi de faire oublier qu’ils ne contestent pas l’hégémonie américano-occidentale sur leurs nations et ne soufflent mot sur la présence militaire étrangère sur leur sol. L’occupation de l’Irak a moins suscité leur indignation que « L’Innocence des musulmans » ou les caricatures du Charlie et du Jyllands-Posten. Pourtant en Irak, pour utiliser les mots terribles d’un manifestant syrien à propos des crimes de Bachar Al Assad, les Etats-Unis « offensaient le Prophète et le Dieu du prophète » en tuant les Irakiens par milliers. Au lieu de fustiger cette hégémonie bien réelle qui réduit leurs pays à des Etats vassaux, ces serviteurs du roi préfèrent occuper les fidèles à la condamnation de la figuration d’un homme qui rappelait à ses compagnons qu’il n’était, justement, qu’« un homme, qui mange et fréquente les marchés ».

Tout comme leur ferveur « anti-occidentale », la conception qu’ont ces esprits obscurs de la liberté de conscience est à géométrie variable. A les entendre exiger de l’« Occident » qu’il tienne compte de la sensibilité des musulmans on croirait que les Etats qu’ils servent sont l’ultime sanctuaire de la tolérance religieuse. Pourtant, à leurs ouailles ils prêchent tout autre chose : qu’en « terre l’islam », on ne saurait tolérer de prosélytisme autre qu’islamique et que les renégats n’ont qu’à prendre le chemin de l’exil. En 2001, ils n’ont pas dénoncé la destruction, en Afghanistan, de statues bouddhiques qui ne faisaient de mal à personne. Al Azhar défend farouchement le droit des musulmans au respect de leurs croyances, mais il n’a pas protesté lorsque des illuminés intégristes œuvraient à séparer un libre-penseur égyptien, Hamed Abou Zeid, de son épouse au motif qu’un apostat ne saurait vivre avec une croyante. Et ce même Al Azhar ne s’offusque toujours que du bout des lèvres lorsque des fanatiques s’attaquent aux églises de Haute-Egypte ou, pis encore, exigent des Coptes qu’ils les démolissent de leurs propres mains.

Pas plus que les caricaturistes de Charlie Hebdo ne défendent la liberté d’expression en blessant sciemment les sentiments de centaines de millions de croyants, ces oulémas ne croient sincèrement à la liberté religieuse. Les premiers rêvent d’une Europe débarrassé de l’islam et de la « cinquième colonne islamique », les seconds d’un monde islamique débarrassé de ses non-musulmans de toutes obédiences, suspectés d’ourdir des complots contre la « juste religion » et de perturber la léthargique quiétude des gouvernants. Oulémas de pacotille contre faux Voltaires, la guerre des hypocrites continue.

  
  
 

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Trouvé sur europe-solidaire.org
 

 
 
 





Tunisie : Charlie Hebdo a fait reculer la liberté d’expression
Thierry Brésillon | blogs.rue89.com/tunisie-libre | jeudi 20 septembre 2012

Vue de Tunisie, la publication de caricatures du Prophète par Charlie Hebdo ne pouvait arriver au pire moment. Non seulement elle met en danger les ressortissants occidentaux mais ses conséquences seront durables et désastreuses.

Qu’ont gagné l’art, la littérature et la liberté à cet humour de potache ? A part quelques rires gras, rien. Rien de bon en tout cas.

Ce sont des gens comme Christopher Stevens, l’ambassadeur américain, mort à Benghazi le 11 septembre, qui paient d’abord le prix de ce genre d’inconséquences. Les hommes-passerelles, ceux qui sortent de leur citadelle de certitudes et vont au contact, hybrident leur pensée de perspectives différentes, se donnent la peine d’écouter et d’apprendre des sociétés musulmanes, qui se trouvent le plus exposés aux passions que déclenchent les provocateurs.

Il sera plus difficile pour nous, journalistes, de travailler sur le terrain. Vendredi, lors de la couverture de l’assaut de l’ambassade américaine, nous avons été pris à partie par des manifestants parce que nous étions français, et dans les moments les plus critiques, le passage de la violence verbale à la violence physique ne tient qu’à un fil. Travailler auprès des milieux radicalisés pour les connaître, en donner une image juste, suppose la patiente création d’un minimum de confiance.

La liberté d’expression sert d’autres fins qu’elle-même

D’un coup de plume, les comiques de Charlie Hebdo dévastent tout cela. Pour quelle démarche journalistique ? Pour nous apporter quelle information ? S’ils veulent faire preuve de courage et exercer leur liberté d’expression, les sujets ne manquent pas.

La liberté d’expression sert d’autres fins qu’elle-même, elle sert à des artistes à s’interroger sur le temps, elle sert à des journalistes à montrer les réalités, même déplaisantes, au prix d’un travail d’enquête, en prenant des risques personnels, en passant du temps pour comprendre les sociétés… Pour tout cela, l’espace se réduit sous l’effet des provocations inutiles.

On rétorquera que c’est inverser le sens des responsabilités, que c’est dédouaner le censeur ou l’auteur de la violence, mais quand vous voyez un camion débouler à 100 km/h et que vous traversez tout de même parce que le feu est vert, qui est responsable de l’accident ?

Les Tunisiens ont conquis le droit de définir leurs propres règles

Ce que Charlie Hebdo et ceux qui justifient sa démarche s’entêtent à ignorer, c’est que la Tunisie et les pays arabes en pleine mutation depuis les changements de régime, traversent une période extrêmement délicate dont l’enjeu est considérable. Il s’agit d’acclimater les normes démocratiques dans des contextes politiques et culturels pour lesquels elles sont nouvelles. Il ne s’agit pas de relativisme, mais de prendre simplement en compte la réalité des sociétés.

La réalité c’est que, pour une immense majorité, la religion demeure une colonne vertébrale de la morale sociale, que des décennies de répression contre les pratiquants un peu trop zélés ont laissé un traumatisme profond et une aversion épidermique pour toute atteinte aux symboles religieux. « Tout sauf le Prophète », est devenu le slogan le plus en vogue.

Il faut informer les gens qui, comme Abdelwahab Meddeb, déclarent « il n’est pas question de s’adapter, c’est la liberté d’expression sans condition qui doit primer », que ce temps est révolu. Que les Tunisiens ont conquis le droit de définir eux-mêmes leurs propres règles dans un débat démocratique. Qu’il n’y pas d’autres voie pour la démocratisation des pays arabes que l’appropriation des valeurs par les sociétés elles-mêmes. Que les injonctions et les coups de menton, pas plus que la démocratie importée à coups de bombes, n’y changeront rien. Aucun progrès ne s’accomplira sans un consensus social.

Criminaliser l’atteinte au sacré

Depuis plusieurs mois, la liberté d’expression est au cœur du débat public. Plus, elle est le pierre de touche de la nature démocratique du futur régime. Le résultat flagrant des provocations, c’est que dorénavant l’idée de liberté d’expression est immanquablement associée à la possibilité du blasphème et aux troubles dévastateurs qu’il engendre. Qu’elle est perçue comme un risque qu’il faut canaliser. Comme un conditionnalité extérieure imposée par un Occident donneur de leçons.

L’Assemblée constituante envisage actuellement la possibilité d’introduire la criminalisation de l’atteinte au sacré dans la Constitution. C’était un débat ouvert, où les positions pouvaient évoluer. L’espace politique pour un autre discours est désormais quasiment fermé.

Charlie Hebdo pourra célébrer au moins une victoire, celle d’avoir fourni la preuve dont avaient besoin les partisans de cette mesure, qu’il est dangereux de laisser les symboles religieux à la merci du premier imbécile venu. Il sera beaucoup plus difficile de trouver une majorité pour voter contre cette version du texte.

« Le Prophète est au-dessus de tout cela »

Il est possible d’ignorer les provocations. Mais voilà, dans un contexte surchauffé ce n’est pas le cas, et toute réserve, toute défense d’une liberté d’expression inconditionnelle est devenue inaudible, bien au-delà des cercles radicaux.

Un jeune militant d’Ennahdha explique :

« Le film “L’Innocence des musulmans” ne m’a pas choqué parce qu’il est excessif et que notre Prophète est bien au-dessus de tout cela, mais vu le faible niveau d’éducation de la majorité des gens, c’est difficile d’avancer cette idée. »

Un cadre du parti islamiste concède aussi :

« Bien sûr, le plus sage serait de ne pas répondre aux provocations, même si défendre les symboles de l’islam contre ceux qui les attaquent est un devoir religieux. Mais politiquement, il est devenu suicidaire de tenir ce discours et de défendre une autre position que la criminalisation de l’atteinte au sacré. »

Ennahdha y trouve peut-être son compte, mais même les partis dont la religion n’est pas le fonds de commerce, doivent donner des gages à l’indignation collective, tandis que Rached Ghannouchi et l’Organisation de la coopération islamique rouvrent le débat sur une norme internationale interdisant la diffamation du religieux.

La tentation de surenchérir

Il existait, il existe encore, la possibilité de déminer le sujet, d’orienter le processus en cours en Tunisie vers une consolidation des libertés et une appropriation des normes démocratiques, mais cette possibilité demande du doigté, et non une balourdise arrogante.

La référence va déplaire à certains, mais l’un des rares à avoir tenu ces jours-ci un langage de sagesse, est Tariq Ramadan. Il explique que si l’indignation est légitime, il est préférable d’ignorer les provocations et de ne pas céder à la tentation de surenchérir sur les passions populaires, parce qu’il y a d’autres priorités.

Pour les Tunisiens, ces priorités sont de sortir le pays de son marasme économique, de déraciner de manière juste et transparente les réseaux mafieux hérités de l’ancien régime, de recréer le lien social détruit par des décennies de surveillance mutuelle. Pas de gaspiller son énergie et son temps à défendre l’islam contre tous les irresponsables et les provocateurs de la terre.


Thierry Brésillon
Journaliste





Liberté d’expression à géométrie variable
Youssef Girard | tunisitri.wordpress.com | mercredi 19 septembre 2012

Les manifestations en réaction au film islamophobe « The innocence of muslims » ayant enflammé le monde musulman, ont eu des répercussions en France. Samedi 15 septembre, un petit groupe d’environ 100 à 250 personnes ont tenté de manifester devant l’ambassade étatsunienne à Paris. Il n’en a pas fallu davantage pour réveiller les ardeurs du microcosme médiatico-politique toujours prompt à défendre le « monde libre » contre les « barbares islamistes ».

 

Interrogé sur France 2, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a déclaré que cette manifestation était « inacceptable » : « Je ne permettrai pas que des femmes voilées entièrement, que des prières de rue, que des slogans hostiles à des pays alliés, à nos valeurs, puissent se faire entendre dans nos rues »[1].

Outre les États-Unis, nous pourrions nous poser la question de l’identité desdits « pays alliés » contre lesquels le ministre de l’Intérieur veut interdire de prononcer « des slogans hostiles ». Celui qui se déclarait lié « de manière éternelle à Israël »[2], ne pensait certainement pas uniquement aux « slogans hostiles » aux États-Unis en prononçant ces mots. Nous pourrions aussi nous poser la question des soi-disant «  valeurs » que le ministre de l’Intérieur refuse de voir dénoncées publiquement lorsque l’on connaît sa propension à déplorer le manque de Blancs à Évry[3] ou à organiser la « chasse » aux Roms.

 

Au-delà de ces questions, en souhaitant bannir l’expression de certaines opinions de l’espace public, Manuel Valls affirme ouvertement vouloir porter atteinte à la « liberté d’expression » qu’il se gargarise de défendre. Cette « liberté d’expression » ne s’appliquerait visiblement pas aux musulmans voulant exprimer leur colère et leur indignation. Pourtant, ladite « liberté d’expression » est systématiquement invoquée pour défendre toutes les attaques contre l’islam et les musulmans. Le « blasphème » aurait un statut de droit inaliénable, de valeur « sacrée ». Il serait du devoir des musulmans d’« apprendre » à accepter passivement la « critique », pour ne pas dire l’insulte, de leur religion, de leur culture et de leur civilisation.

 

Cette « liberté d’expression » tant vantée ne donnerait-elle pas aussi le droit aux musulmans de prononcer des « slogans hostiles » à l’égard de tel ou tel État et à l’égard de « valeurs » qu’il reste à définir ? Ce droit ne relèverait-il pas lui aussi d’un droit inaliénable, d’une valeur « sacrée » ? Visiblement non, selon les principes à géométrie variable du ministre de l’Intérieur d’un pays condamnant l’outrage au drapeau national de 1 500 euros d’amende. Le droit au « blasphème » a de saintes limites républicaines qui ne sauraient être transgressées.

 

Ne vivant officiellement plus sous le code de l’indigénat, la « liberté d’expression » devrait s’appliquer aux musulmans comme aux autres catégories de la population qui sont censées avoir parfaitement le droit d’exprimer leur colère, leurs revendications et leur indignation publiquement. Les musulmans devraient pouvoir manifester en toute liberté en vertu des principes hautement revendiqués par le ministre de l’Intérieur. En violation de ces principes lorsqu’il est question des musulmans, M. Valls préfère menacer, interdire et réprimer. Il perpétue ainsi une logique coloniale dans laquelle deux humanités ontologiquement différentes ont des droits distincts : « liberté d’expression » pour les occidentaux ; injonction au silence pour les autres.

 

Manuel Valls et ses acolytes donneurs de leçons de « liberté d’expression » et de « démocratie » devraient savoir que les idées trahies se vengent souvent terriblement. L’adage n’affirme-t-il pas que « quiconque creuse un puits sous les pieds de son prochain, y tombera lui-même ».

 

Youssef Girard


[1] « Enquête ouverte après la manifestation islamiste de Paris », URL : http://fr.reuters.com/article/topNews/idFRPAE88F04M20120916

[2] Hamza Hichem, « Manuel Valls : « Je suis lié de manière éternelle à Israël », URL : http://oumma.com/Manuel-Valls-Je-suis-lie-de

[3] Martin Julien, « Manuel Valls aimerait plus de « blancs » dans sa ville d’Evry », URL : http://www.rue89.com/2009/06/10/manuel-valls-aimerait-plus-de-blancs-dans-sa-ville-devry?page=11





Voir en ligne : Caricatures, la forme et le fond... Liberté d’expression à géométrie variable

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