Accueil > 2012 > août > Jorion ou de l’imposture

Jorion ou de l’imposture

Onubre Einz. | criseusa.blog.lemonde.fr | vendredi 24 août 2012

lundi 27 août 2012

lemonde.fr


Jorion ou de l’imposture
Onubre Einz. | criseusa.blog.lemonde.fr | vendredi 24 août 2012

Je rédige ce post sur Jorion pour des raisons qui s’expliqueront à sa lecture. Ce papier a sa place sur un blog consacré aux USA car je tiens les idées économiques de Jorion régressives et largement démenties par les statistiques américaines qu’il ne doit pas connaître pour écrire tant de contre-vérités. Je crois que sur le fond, ce monsieur ne maîtrise que très rarement les sujets qu’il aborde. J’ai pris soin de le citer 45 fois pour démonter les logiques présidant à l’organisation discursive d’une vaste mystification intellectuelle.

************

Inconnu hier, vedette du net aujourd’hui, Mr Jorion est le pur produit d’une crise dont il a su admirablement tirer parti. L’auteur de trois ouvrages sur la crise américaine m’avait laissé sceptique. La crise y était réduite à son aspect financier abstraction faite des évolutions longues de l’économie américaine..

Dans les limites d’une contribution à l’intelligence des effets dévastateurs de l’ingénierie financière, ces ouvrages pouvaient avoir un certain intérêt pour le grand public. Salarié de l’industrie financière, Mr Jorion avait le mérite d’écrire un libre de cordonnier où le lecteur apprenait des choses. Comme chacun sait, les cordonniers parlent de chaussure et Mr Jorion, petite main de l’industrie financière, peut à juste titre parler de produits financiers.

Mais la limite du style Jorion se décelait déjà à leur lecture : absence totale de référence à la littérature spécialisée, rareté des données de l’économie financière et non financière pourtant en ligne. La production, les revenus, l’investissement, les données du crédit et des patrimoines n’apparaissaient au mieux que sous forme de données discrètes. Les séries statistiques du BEA, de la FED, du Census, du Ministère du travail ou du Trésor n’étaient jamais utilisées.

Auteur autoréférentiel par excellence, Jorion a su mener de front une carrière tardive d’auteur à succès se distinguant par une présence régulière sur internet, à la radio et plus rarement à la télévision. Il a publié à un rythme d’enfer des ouvrages qui ont assis sa notoriété tout en trouvant le temps de participer à diverses réunions publiques.

Nous serions restés neutre vis-à-vis de ce succès public si Jorion avait été un auteur d’ouvrages de bon aloi. Dans les faits, la lecture de ses livres nous conduit à crier à l’imposture. Mr Jorion revendique différentes qualités : anthropologue et sociologue, il se pique aussi de philosophie en évoquant souvent les grands noms d’Aristote ou de Marx. Il n’est hélas rien de tout cela.

Mais là où ses pratiques deviennent proprement odieuses, c’est quand il prétend expliquer la crise du capitalisme américain dont il ignore visiblement les données statistiques élémentaires. Mr Jorion n’est apte qu’à parler des produits financiers, pour le reste, il développe des analyses contraires aux données comptables.

Cette manière de procéder constitue à nos yeux plus qu’une faute intellectuelle. Elle inscrit l’imposture Jorioniste dans la stratégie des analyses dominantes trouvant profit à réduire la crise à ses aspects purement financiers. Analyser la crise ainsi, c’est en effet désarmer la critique car cette approche n’explique rien sur le fond. Jorion tente bien d’élargir son analyse, mais comme il est ignorant des données comptables, cele le conduit à multiplier les contre-vérités.

Dans ce court papier nous démontons les mécanismes ordinaires du Jorionisme. Nous examinons comment un auteur intellectuellement confus et médiocre s’y prend pour occuper un territoire – la critique du capitalisme américain - où il n’a rien à faire. Essentiellement soucieux de sa carrière, de ses ventes et de sa surface sociale, le Jorionisme n’est à nos yeux qu’une forme particulièrement méprisable d’opportunisme. Ce mépris tient aux procédés malhonnêtes que cet auteur utilise pour impressionner ses lecteurs. Il n’est pas dans notre intention de pointer tous les vices de raisonnement et autres insuffisances d’argumentation de son travail, il est impossible de citer tous les détournements d’auteurs réputés dont Mr Jorion fait son miel ou de corriger toutes les erreurs de vocabulaire dont ses textes fourmillent.

Pour illustrer cette imposture, nous avons pris quelques-unes des principales thèses de son libre « L’argent, mode d’emploi ». Nous avons examiné la cohérence interne de ses thèses et les avons ponctuellement confrontées aux données de l’économie américaine. Le livre de Jorion a le mérite d’expliciter les thèses souvent diffuse de notre auteur. Dans la mesure où Jorion veut y faire œuvre de clarté et apporter des connaissances sur l’argent, ce livre est un excellent banc d’essai pour examiner quelques grandes idées du Jorionisme. Nous pourrons ainsi montrer à quel point le Jorionisme relève de la supercherie intellectuelle pure et simple en allant au détail. Les références à ce livre seront notées ainsi AME pour Argent Mode d’emploi suivi de la page notée p.

A – Jorion, le Mégalomane.

Dans son petit ouvrage consacré à l’argent, Jorion fait preuve d’une rare modestie. On lit dans l’appendice de son livre, « Un outil d’analyse pour la monnaie », les phrases suivantes : « Ce que je vais tenter d’accomplir pour la monnaie est du même ordre que ce que Freud a réalisé pour la psychologie » (AME p 371). La méthode utilisée pour parvenir à ce résultat est révélatrice de la mégalomanie du personnage : « J’ai procédé dans la rédaction de cet ouvrage selon une méthode déjà utilisée en d’autres occasions : Je me suis penché sur le problème de l’argent comme s’il n’avait jamais été abordé par personne avant moi. Je suis allé consulter la littérature sur le sujet pour voir ce que les autres en avaient dit et comparer leurs conclusions avec les miennes  » (AME p 365). Un chercheur sérieux prend souvent la peine de lire la littérature sur la question qui l’intéresse avant de prétendre apporter du neuf. Mr Jorion, dont les méthodes ne sont pas celles d’un chercheur, ignore superbement ce qui a été fait avant lui.

Évidemment la littérature sur l ‘argent est abondante, on serait donc en droit d’attendre une lecture de fond longue et patiente des sources consultées. Jorion qui ne doute de rien (et surtout pas de lui-même) fait cet étonnant aveu : « un commentateur m’a interpellé sur mon blog, comment pouvez-vous être aussi sur (sûr) de vous sur toutes ces questions monétaires alors qu’il y a un an vous disiez qu’elles ne vous étaient pas familières. Une partie de la réponse tient déjà dans la question : un an, c’est considérable quand on y consacre tout son temps » (AME p 366).

C’est confondant : sur n’importe quel sujet, un travail intellectuel prend des années. Mr Jorion a donc réussi en courant les plateaux, en rédigeant des ouvrages et en tenant son blog à trouver le temps de lire la littérature spécialisée (AME p 366). Un peu de rouerie fait passer cette grosse pilule : les contributions des lecteurs de son blog l’ont beaucoup aidé…(AME P. 366-367). Bref, la recherche a été participative…

Au-delà de la mégalomanie du personnage, la méthode de travail de Jorion brille encore par une négligence assumée des données économiques : « On peut voir dans cette approche comme un moyen de libération par rapport à la pensée comptable » (AME p 377) qui a sans doute le défaut de considérer que l’analyse économique suppose des données quantitatives. L’exergue de l’AME nous avait prévenus : « ce livre n’entend pas vous apprendre, amis lecteurs, des choses sur l’argent, vous n’y trouverez donc ni nombre, ni statistiques à part les chiffres imaginaires de mes illustrations » (AME p 7) ; Jorion leur préfère des « expériences mentales » tournant parfois au pur délire. Je recommande à ce sujet le paragraphe sur la dimensionnalité de la monnaie, et tout particulièrement les schémas des P 382 à 385 ; il y a la un passage de l’analyse à l’ésotérisme digne des loges maçonniques dans leurs meilleurs moments, on peut aussi s’amuser de la monnaie fondante (AME p. 274 et sv.).

Je ne peux m’empêcher au point où nous en sommes de citer un dernier extrait de la méthodologie jorionesque. « Mon approche est béhavioriste : elle repose uniquement sur des faits observables faisant l’impasse sur les représentations que les acteurs se font du processus où ils sont impliqués » (AME p 372-373). Les faits observables de Mr Jorion sont donc des expériences mentales…Quel fatras !!!

On aura compris, au commencement était et à la fin sera Jorion. La méthode de Jorion lui laisse toute liberté d’écrire ce qu’il veut, comme il veut. Se détournant des données réelles pour imaginer des faits observables, Jorion ne peut que multiplier les fictions quitte à convoquer ici et là des grands auteurs pour couvrir ces malversations intellectuelles. Hélas, pour lui, les fictions se heurtent aux chiffres qui sont têtus. Mr Jorion s’expose donc au confusionnisme le plus total.

La dernière arme contre le confusionnisme - qui pourrait lui être reproché - reste l’argument d’autorité : « Etant devenu ingénieur financier par la force des choses, j’en sais d’avantage que la plupart d’entre vous » (AME p 19, argument repris p 366). Il faut dire que Mr Jorion possède une situation avantageuse, il dispose « du vent frais qu’apporte le regard de l’anthropologue sur des questions traitées jusqu’ici par des spécialistes d’autres disciplines débattant uniquement entre eux » (AME p. 365). Les spécialistes bavards n’ont qu’à bien se tenir, l’anthropologue Jorion apporte un vent frais que l’on a le bonheur d’humer au détour d’un raisonnement « L’argent est une réserve de valeur, autrement dit l’argent est une richesse en soi. Et à ce titre, tout le monde en veut » (AME p 66). Levy Strauss, Leach, Marshall Shallins… n’ont jamais rien dit d’aussi profond.

Mais après tout peut-être que le travail de Jorion justifie les accents mégalomaniaques de ses propos. Certes, ces déclarations sur le temps qu’il a consacré au travail sur l’argent ne peuvent que faire sourire une personne connaissant les difficultés et le temps que prend une recherche.

Passons donc à l’examen de quelques thèses de ce mode d’emploi de l’argent. On va y découvrir que les prétentions exorbitantes de Jorion le conduisent sur la plupart des points qu’il aborde - et qu’il tranche avec fatuité - à des absurdités. Science sans patience ne vaut guère…

B - Argent et dette.

Au chapitre I de son grand ouvrage, Jorion sépare nettement argent et dette. Cette opposition lui permet de disjoindre un espace de production et d’aliénation des marchandises où circule l’argent d’un espace financier dont la dénomination varie tout long de l’ouvrage. Cette séparation lui permet ensuite d’organiser ses développements en opposant une sphère de la production et de l’échange où l’argent est présent, d’une sphère financière où domine la reconnaissance de dette. La crise peut ainsi être une crise financière sur un vague fond d’économie non financière dont il ne fait jamais une analyse sérieuse car l’une et l’autre sont disjointes. Ignorant des données statistiques de l’économie dans son ensemble, Mr Jorion ne peut faire autrement, nous allons voir plus loin que l’articulation des sphères financières et de l’économie quand elle est tentée tourne à la catastrophe.

1° Argent et dette.

On pourrait s’attendre à ce que l’argent fasse l’objet d’une investigation précise. « L’argent que je possède, ce sont les pièces que j’ai dans ma poche et les billets glissés sur ma table de nuit » (AME p 25)… Cet argent peut aussi être sur un compte courant…Cet argent, je peux l’échanger contre des biens et des services » ajoute Jorion qui réussit dans la foulée à écrire qu’un achat est une « perte d’argent dépensé » alors qu’il vient nous dire juste tout le contraire (AME p. 26). Si l’argent est dépensé, il n’a pas été perdu puisque je possède un bien. Cette faute d’expression n’est pas ponctuelle, c’est une des modalités de fonctionnement d’un discours qui fait souvent dans le non-sens burlesque.

Cette confusion permanente dans l’usage des termes entretient le doute sur la compréhension des faits mentalo-observables qui se trouvent dans l’esprit de Jorion. « L’argent est l’un des éléments de la richesse ou patrimoine, l’autre est constitué des biens que l’on possède » (AME p. 26). Si je lis correctement le texte, les biens que l’on possède sont l’autre partie de la richesse qui n’est pas un patrimoine puisque c’est l ‘argent qui est un des éléments de la richesse. La phrase ne fait pas sens. Il faudrait écrire en bon français que l’argent est un des éléments du patrimoine réunissant l’ensemble des biens mobiliers et immobiliers d’une personne physique ou d’une personne morale, on pourrait encore distinguer les éléments du patrimoine par leur degré de liquidité. On devait définir l’argent et on a fini par définir le patrimoine. Mais alors si l’argent fait partie du patrimoine, l’argent n’est pas le patrimoine : le « ou » inclusif n’a rien à faire dans cette phrase.

Essayons après cette malheureuse entrée en matière de donner une nouvelle chance à Mr Jorion. Nul ne doit être condamné pour une phrase, quand bien même, il serait le nouveau Freud des questions d’argent. Mais Freud a mis quatre ans pour écrire sa Traumdeutung paru en 1900.

Faute d’avoir clairement défini l’argent – accordons lui qu’il a maladroitement reconnu qu’il servait à l’échange – Jorion va définir ensuite la dette, c’est l’excédent de l’argent que je possède et que je dépose à la banque, ce dépôt en fait une dette (AME p 28) au terme d’un échange de mon argent contre une reconnaissance de dette de la banque (AME p 29). On admettra que l’argent déposé à la banque donne lieu à une reconnaissance de dette. Mais en définissant la dette, on ne sait toujours pas ce que c’est que l’argent en dehors de sa fonction d’échange. C’est l’un des grands procédés de Jorion : la fuite en avant dans la frappe au kilomètre pour noyer le poisson. Il est vrai que si Jorion devait définir les fonctions de l’argent, il devrait parler de la monnaie. Mais là, il ne pourrait pas jeter les bases de ses futures élucubrations théoriques. Il devrait en effet être précis sur sa terminologie qui est pour le moins indécise.

Bon, au terme de son entrée en matière, nous n’avons qu’une manifestation d’un objet empirique, l’argent que j’ai dans ma poche et dont je ne sais rien ou si peu : c’est un moyen d’échange. Basta.

2° De quelques procédés jorionesques.

Faute d’avoir été conceptuellement clair, Jorion va se livrer à une opération d’habillage théorique servant à impressionner le lecteur et à lui donner autre chose à penser, c’est une opération de diversion empêchant le lecteur de voir les fautes ou la grossièreté des arguments. Les parenthèses sont miennes.

Partant du fait que l’argent déposé à la banque n’a pas sa valeur garantie, Jorion écrit « par rapport à l’argent qui est un vecteur calibré de richesse (entendez une mesure de valeur sous forme de pièces ou de billets que je possède), une reconnaissance de dette est une trace calibrée de richesse (une reconnaissance de dette d’une valeur correspondant à l’argent déposé en banque). Par vecteur, j’entends dire (merci de la précision, elle est bien utile) que l’argent porte la richesse avec lui (c’est normal l’argent sous forme de pièces ou de billets est toujours une mesure de richesse d’une valeur donnée), il est en soi de la richesse, alors que par trace, je rappelle que la reconnaissance de dette représente la richesse, mais sans l’être en soi, elle la représente par l’intermédiaire d’une promesse. C’est l’existence pour la reconnaissance de dette, du truchement d’une promesse qui établit une différence entre elle et l’argent. Mon rapport à l’argent que je possède sur moi est inconditionnel (je peux en disposer immédiatement comme je le veux) alors que celui que j’entretiens avec les reconnaissances de dettes dont je bénéficie est conditionnel (je ne peux utiliser cet argent immédiatement, il est à la banque, le banque doit être solvable…) » (AME p 33). On reconnaît dans le choix des termes des traces du vocabulaire hégélien. Mais si on lit sérieusement ce qui est écrit, alors on constate que l’habillage ne convient pas aux idées banales exposées.

Dire que l’argent porte la richesse en lui et qu’il est en soi de la richesse n’a aucun sens. L’argent n’ayant été défini que par sa fonction d’échange, l’argent n’est richesse que s’il permet de faire circuler des biens. L’argent n’est en soi richesse que s’il est utilisé pour soi, c’est-à-dire pour ce qu’il est : un moyen d’échange. L’expression « l’argent porte la richesse avec lui » n’a pas de sens. Robinson sur son île peut avoir des pièces d’or dans sa poche, si rien n’est à vendre et à échanger, l’argent ne porte aucune richesse. L’argent n’est en soi rien. « Affirmer ensuite que la reconnaissance de dette représente la richesse, mais sans l’être en soi, elle la représente par l’intermédiaire d’une promesse » est un contresens. Une promesse de dette qui n’est pas au porteur peut jouer le même rôle que l’argent/

Que fait Jorion en procédant ainsi. Il ne fait que discourir prétentieusement de la différence entre les dépôts – base du crédit à ses yeux – et l’argent qui fait circuler les biens et les services. Tout ce verbiage ne nous renseigne pas sur l’argent dont les fonctions de moyen d’échange, de mesure de valeur, de moyens de thésaurisation et d’instrument de crédit sont bien connus…des économistes.

Ce discours prétentieux est un attrape gogo poursuivant des objectifs moins innocents qu’il ne paraît. Nous devions avoir un mode d’emploi de l’argent. Nous n’avons rien appris. Jorion ne peut pas clairement définir l’argent parce que pour lui l’argent (au sens le plus vulgaire), c’est ce qui se trouve dans la sphère productive et la reconnaissance de dette, c’est la matrice de la sphère financière qui va en compliquer les modalités concrètes d’existence.

On comprend donc que l’argent, c’est ce que je possède et que la monnaie, c’est la dette et ses transformations sous des formes de plus en plus complexes dans la sphère financière. Les procédés rhétoriques soutenant ces définitions purement formelles et lexicales sont particulièrement flagrants dans le passage qui suit : Jorion soutient que les économistes visent « à faire croire qu’il n’existe que de la monnaie ; qu’il n’existe pas de différence entre la relation immédiate à l’argent et la relation médiate à la reconnaissance de dette » (AME p 59). Or il y a « une différence entre la façon dont il est fait usage, chez les économistes de parler de l’argent et de la reconnaissance de dette comme de deux variétés de la monnaie et la façon dont je conçois personnellement la question. Pour moi si la reconnaissance de dette dispose d’une capacité à se transformer en argent, il s’agit avec l’argent et la reconnaissance de dette de deux entités entièrement distinctes et parler d’elles différemment comme de deux formes de monnaie me semble une grave erreur » (AME p.59).

Certes les économistes traitent des fonctions de la monnaie en raison de ses divers usages (mesure de valeur, moyen d’échange, réserve de valeur, instrument de crédit). Mais Jorion leur oppose sa médiocre et fragile théorie sans marquer aucun point dans l’argumentation. Son « argumentation » revient à faire d’une pétition de principe un argument et de ses idées le discriminant du vrai et du faux. Tels sont les ressorts d’une mégalomanie dont le revers autoritaire trahit les fragilités discursives.

Cette médiocre théorie, nous allons en découvrir les enjeux politiques souterrains en examinant la question de la création monétaire dont Jorion se fait une idée toute personnelle dans le cadre d’une étonnante organisation trinitaire de la société. Mais avant de passer à cet examen, je ne peux m’empêcher de montrer vers quels abîmes le faux distinguo de Jorion entre l’argent et la reconnaissance de dette le conduit. Concernant la dette publique, Jorion écrit « la créance de l’Etat, c’est la dette publique, les emprunts de l’Etat, ce n’est pas de la monnaie » (AME P 58). C’est pourtant les bons du Trésor qui se trouvent au cœur de la politique monétaire et de la régulation du crédit de la plupart des pays ! Et en période de crise, ils sont une valeur-refuge, une réserve de valeur porteuse d’intérêt, bref il assume une fonction de la monnaie : la thésaurisation. C’est pour cela qu’ils se placent comme des petits pains. La suite vaut son pesant d’or « Mais une créance sur l’Etat, qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce de l’argent que l’Etat me doit, certainement pas, ou que je lui dois ? Pas d’avantage, c’est mon argent » (AME p. 58). Hallucinant !!!

C – Création monétaire et schéma tripartite de l’organisation de la société.

Arrivés où nous en sommes, le Jorionisme pourrait être présenté ainsi. Théorie farfelue d’un autodidacte ayant un sens aigu des relations publiques, idées incohérentes et creuses mises au service d’une petite entreprise qui ne connaît pas la crise. Mais, il faut aller plus loin pour comprendre pourquoi Jorion soutient des idées absurdes avec des arguments contrefaits et un piteux vocabulaire. La mégalomanie du personnage, ses théories faites de collage d’idées prises à droite et à gauche, sa manie de la référence classieuse destinée à impressionner le chaland, référence la plus souvent formelle ou donnant lieu à des développements étrangers aux auteurs (Marx et Aristote en font régulièrement les frais), tout cela ne devrait valoir à Mr Jorion que des haussements d’épaule, des sourires amusés ou des moues désabusées.

Nous voudrions éclairer comment et pourquoi son travail sur l’argent et ses fausses distinctions s’inscrivent dans une véritable stratégie de déni des mécanismes réels de la crise. On verra que consciemment ou inconsciemment, Jorion est un instrument dans la vaste dilution de la compréhension des mécanismes économiques dont les analyses publiques communes – notamment dans la presse – témoignent.

1° Création monétaire et conservation des quantités

Comme d’habitude, habité par ses visions mentales, Jorion fulmine un principe devant décider de tout : La conservation des quantités. Ce principe à la valeur intangible d’une bulle papale.

Ce principe de la conservation des quantités s’énonce ainsi : « En matière de finance, rien ne se crée (si ce n’est à l’initiative des banques centrales) » (AME P 379). « Quand je dépose de l’argent à la banque, que celle-ci le prête, qu’il lui revient augmenté d’intérêts qui lui ont été versés et qu’une fraction de ces intérêts m’est ristournée à moi, il ne faut pas qu’un seul centime soit perdu » (AME p 20). Ce principe de conservation est valable « bon gré mal gré dans le système monétaire » (AME p 155). Pour Jorion, les banques commerciales ne peuvent donc pas faire de création monétaire. Mais il reste à expliquer l’origine de l’argent prêté : c’est fait par l’évocation « de disparité dans la distribution du patrimoine au sein de la population et par conséquent des fonds disponibles comme capital, c’est-à-dire disponible pour être prêtés par celui qui n’en sait que faire, à ceux qui savent l’utiliser, soit dans la production des biens, soit dans leur consommation, soit encore dans la spéculation ». (AME p. 148).

Il est assez intéressant de noter que la source des fonds prêtés, c’est le patrimoine financier ou plus précisément les fonds disponibles. Celui qui ne sait que faire de ses fonds disponibles, peut donc engager ses fonds afin de répondre aux besoins d’emprunt. Mais qu’est-ce que les fonds disponibles ? Jorion ne nous le dit pas clairement.

Un bon connaisseur de l’économie américaine (dont Jorion prétend expliquer la crise) n’aura aucune peine à démontrer l’inanité des idées de Jorion. S’il s’agit des dépôts, on peut noter que la simple somme des crédits hypothécaires excède et s’écartent s’écarte de plus en plus des dépôts des particuliers et des entreprises depuis plus de trente ans (ce que Jorion ignore). Il y a donc création monétaire. Si c’est l’épargne brute des entreprises, des particuliers ou des administrations publiques auxquelles il faut ajouter les amortissements des entreprises et le solde des flux financiers avec l’étranger, la somme totale des emprunts du marché financier s’écarte de l’épargne nationalement disponible aux USA.. Il y a bien création monétaire.

Ignorant les données de bases de l’économie américaine, Jorion évoque un patrimoine existant sous une forme liquide mais quantitativement indéterminé. Si Jorion s’était donné la peine de lire les données patrimoniales des entreprises et des ménages publiés par la FED, il se serait rendu compte que l’expression fond disponible ne fait pas sens. En fait Jorion ne dit que des choses vulgaires : les fonds disponibles dont parle Jorion, c’est de l’argent possédé sous une forme indéterminée. C’est pourquoi, il est question de fonds et non d’épargne ou de dépôt. Avec le terme de fond mystérieusement issu du patrimoine, Jorion utilise une terminologie qui sauve le principe de conservation des quantités. Ce principe est en effet invérifiable dans les termes flous de Jorion puisque nous ne savons rien de la quantité à conserver. Le mot fond est donc l’expression de l’ignorance de Mr Jorion des réalités comptables de l’économie américaine.

On mesure à quel point, cette manière de procéder est malhonnête. La théorie personnelle dont se réclame Jorion en parlant de l’argent n’est en effet jamais vérifiable puisque l’on ne sait pas ce qui se trouve sous les termes employés. Et quand, on le comprend, on découvre qu’il ne s’agit que d’une pseudo dénomination.

Notons que cette théorie fait aussi reposer la disponibilité des fonds sur les riches ou les gros patrimoines, c’est le sens de l’expression « disparité de patrimoine ». Mr Jaurion (Jorion) fait œuvre de démagogie en laissant imaginer qu’il existe des fortunes colossales, très concentrées et disponibles pour l’investissement (ce qu’il appelle les avances). Hélas, c’est une vue de l’esprit. Les américains riches ont désépargné, leur patrimoine est peu liquide : il n’est pas constitué de dépôts massifs mais de produits financiers qui ne constituent en rien des fonds disponibles venant alimenter en argent des banques commerciales qui sont soumises au principe de la conservation des quantités.

Les explications de Jorion relèvent de l’imprécision en boule de neige. Jorion n’a pas été précis sur l’argent, les patrimoines et les fonds. Grisé par ses mots, Jorion titube dans les ténèbres de la confusion où il entraîne son malheureux lecteur.

2° La conception trinitaire de l’économie selon Jorion, la théorie des quantités et la création monétaire.

L’imprécision de la théorie de la conservation des quantités tire sa source de la conception trinitaire que Jorion se fait de l’économie moderne où il y a « trois grands groupes qui constituent nos sociétés : les capitalistes ou investisseurs (ce sont eux qui ont les fonds), les entrepreneurs ou dirigeants d’entreprises (qui produisent les richesses) et les salariés » (AME p. 223). On conviendra que cette représentation est un peu courte pour un homme qui se définit comme un sociologue. Pour dissimuler ce raccourci théorique, il a fallu convoquer Dumézil pour faire niveau (AME p. 124) et raconter ensuite des historiettes (AME p. 124-125).

En fait l’existence de ces trois groupes semble permettre le développement d’un schéma économique où les investisseurs relayés par les banques prêtent de l’argent à des entreprises ou des ménages qui en ont besoin ou des spéculateurs. On découvre en lisant Jorion que ce schéma est censé fournir l’explication de l’origine des fortunes : l’intérêt. « Ce sont les intérêts qui font que l’argent appelle l’argent, puisque par leur truchement, une sorte de pompe est amorcée, qui siphonne l’argent produit au niveau des plus pauvres - ou il est nécessairement obtenu par le travail – pour le conduire au niveau des plus riches où il n’apparaît plus comme un produit transformé du travail, mais comme l’aboutissement d’une fructification automatique, le processus de transformation du travail en argent étant devenu invisible. » (AME p 270). Et ce sont les banques qui sont le moyen privilégié de ce transfert : « A partir de leur position financière entre préteurs et emprunteurs, les banques sont parvenues à constituer la finance en un empire qui ponctionne une part toujours croissante sur les flux monétaires engendrés par l’économie » (AME p 290).

L’analyse précise de ce processus est donnée par Jorion à la Page 322 de AME. « Le rapport de forces entre investisseurs (détenteurs de fortune) et entrepreneurs détermine le partage entre eux d’un surplus créé par le travail des travailleurs : les rentiers obtiennent les intérêts et ce qui reste du surplus revient aux entrepreneurs comme profit , à charge pour ces derniers de redistribuer à leur tour ce profit entre eux et les travailleurs dans une proportion que détermine le rapport de force existant entre ces deux classes ».

Les termes de cette analyse entraînent notre auteur à multiplier les absurdités. Le travail des travailleurs ne crée pas de surplus. Un surplus existe quand une production excède une consommation. Une production n’est donc jamais un surplus. D’autre part, la valeur réalisée de cette production ne se répartit pas de la manière dont Jorion présente les choses. Pour qu’il y ait production, par les travailleurs, il faut leur payer un salaire. Quant au profit, depuis quand s’incorpore-t-il dans les salaires ? Salaires et profits sont deux choses distinctes. Cette erreur gravissime d’utilisation des termes n’est pas une faute ponctuelle, on la trouve reformulée dans les mêmes termes en AME p 337

Se réclamant de Marx, Jorion écrit des inepties. La notion de surplus n’est pas marxiste ! Pour Marx, c’est l’exploitation de la force de travail par les « entrepreneurs » qui produit une quantité de valeur supérieure à la quantité de valeur des biens achetés par les salaires qui ont produit cette force. Le surplus prend trois noms :

 

  • survaleur par comparaison de deux quantités de valeur issues de l’exploitation de la force de travail : la quantité de valeur produite par la force de travail est inférieure à la quantité de valeur nécessaire à sa production.
  • sur-travail : la force de travail a produit une quantité de travail supérieure à la quantité de travail présente dans les biens qui l’ont généré ;
  • surproduit : le produit du travailleur est en valeur supérieure à la valeur de la quantité des produits qui ont assuré la reproduction de sa force de travail.

L’expression travail des travailleurs si l’on se donne la peine de réfléchir est une formule redondante parfaitement vide de toute valeur analytique. Le travail est une faculté générique de l’homme. Le travail des travailleurs est donc la faculté des travailleurs d’être défini par cette faculté générique. Les hommes travaillent. Que faire alors du travail des travailleurs ? Rien, il faut parler des hommes en activité productive pour être clair. Et dans ce cas, le travail des travailleurs s’appelle l’exploitation de leur force de travail résultant de son usage par les entrepreneurs qui détiennent les moyens de production.

En terme plus accessible, l’utilisation de la force de travail produit une valeur ajoutée qui doit être vendue sous forme de marchandises. Une partie de la valeur ajoutée permet de payer les salaires, une autre revient à l’entreprise sous forme d’amortissement et de bénéfice. Ce bénéfice peut être appelé profit au sens vulgaire. Ce profit se divise en revenu des propriétaires directs des entreprises et en revenu des propriétaires indirects. De ce profit sont déduits les intérêts ; l’amortissement du capital productif couvre le principal.

Pourquoi Jorion écrit-il surplus (ce qui n’a aucun sens) ? Parce qu’il se représente la valeur produite par la mise au travail des salariés comme une seule quantité. De cette quantité sont soustraites – j’utilise son vocabulaire parfaitement faux ou inadéquat - des intérêts croissants parce que les fortunes qui s’accumulent prennent des parts grandissantes de cette quantité en faisant des avances croissantes aux capitalistes de l’argent de l’investissement qui leur manque. Pourquoi les entreprises s’endettent-elles ? Parce que la part qui leur est laissée est de plus en plus faible pour couvrir les besoins d’investissement (Jorion ne s’exprime pas en termes aussi clairs). Et pourquoi les ménages s’endettent-ils ? Parce que les salaires sont trop bas (la présence du mot pauvre en liaison avec celui de travailleurs n’a rien d’accidentel, nous y reviendrons).

Toutes ces idées sont évidemment fausses. Elles trahissent des confusions innombrables : le surplus existe, c’est ce qui excède la consommation des moyens de production existant comme capital fixe et capital circulant (stocks) pour réaliser une production de biens et de services. Ce surplus a même un nom : le revenu. Et le revenu a même des subdivisions : salaires, dividendes, intérêts et rentes. Jorion ne s’est pas rendu compte en utilisant le mot surplus qu’il disait n’importe quoi.

Le vocabulaire imprécis a un défaut : il rend impossible l’utilisation de la notion d’intérêt comme avance que les plus fortunés feraient à des entrepreneurs manquant d’argent. Les amortissements du capital fixe diminuent le volume des avances à faire pour produire ; la théorie de l’intérêt spoliateur (l’argent qui va à l’argent) s’effondre comme le principe de conservation des quantités. Le concept d’avance est donc inadéquat car il ne correspond pas au fonctionnement du capital.

Si Mr Jorion avait des connaissances précises des données de l’économie américaine, il saurait que les avances dont il parle sont en fait des investissements, ces investissements permettent aux entreprises américaines de faire une accumulation financière aussi importante que l’accumulation productive en ce moment même. Le fait d’imaginer des entreprises à court d’argent n’est pas ce qui se passe en réalité, les marges d’autofinancement des entreprises sont suffisantes aux USA depuis très longtemps, quant à l’argent pour spéculer, il ne leur manque pas, les entreprises s’endettent en grande partie réaliser une accumulation de patrimoine financier.

Mais le dogme de la conservation des quantités – qui est une reprise informe de la théorie marxienne de l’utilisation de la force de travail comme source des quantités de valeur à conserver dont parle Jorion en termes obscurs – ne lui permet pas de se confronter aux statistiques montrant que dans la réalité ses idées sont fausses ou inopérantes.

3° Brèves remarques sur la théorie des crises.

La théorie des crises de Mr Jorion est à l’unisson de ses idées incohérentes. « La concentration de l’argent (dans les mains des plus fortunés) est à la source de multiples problèmes et débouche, chaque fois qu’elle atteint un niveau excessif, sur des crises dévastatrices. Pourquoi ? Parce que la présence de l’argent en de trop rares endroits oblige àle faire parvenir là où on en a besoin, comme avance dans un processus productif ou pour subvenir à des besoins de consommation, nécessitant des intermédiaires qu’il faut rémunérer, ainsi qu’une rémunération du capital lui-même autrement dit le versement d’intérêt ».

On comprend mieux pourquoi Mr Jorion présente une formule de l’organisation sociale en trois classes et refuse toute idée de création monétaire contre toutes les évidences comptables prouvant le contraire. Il veut proposer une théorie du capitalisme où la valeur manque aux uns – entreprises et salariés – parce qu’elle est siphonnée par les autres -les investisseurs détenteurs de capital ou de gors patrimoines. Si les fonds disponibles ne sont jamais identifiés clairement, c’est que leur nomination avec une catégorie économique quelconque, comme par exemple l’épargne, entraînerait l’effondrement immédiat des élucubrations de Jorion.

D’ailleurs, la formule trinitaire d’organisation de la société ne colle pas avec les réalités. Les entreprises américaines font de l’accumulation financière et de l’accumulation de capital productif. Elles sont donc « investisseurs » et « entrepreneurs » à la fois. 51 % de l’actif total des entreprises anonymes américaine est financier !!! Le % est de 40 % pour les entreprises détenues à titre personnel.

Véritable bulle spéculative, les idées de Jorion dénoncent leur irrationalité pour peu que leur lecteur les suivent jusqu’au bout : s’il y avait disette d’argent d’un côté et excès de l’autre, le besoin d’argent s’accroîtrait de plus en plus d’un côté et sa disponibilité de plus en plus de l’autre. Les taux d’intérêt devraient monter puisque le volume d’argent détenu de manière concentrée pourrait être prêté aux conditions posées par l’Oligarchie de la fortune, qui selon Jorion tient tous les leviers (AME p 323), y compris la politique de l’intérêt puisque « les banques centrales, dirigées dès leur origine par les rentiers ou capitalistes ont toujours œuvre conformément à leurs souhaits, et aujourd’hui plus que jamais » (AME p 328). Or c’est le contraire qui se produit depuis plus de vingt ans aux USA. Les taux baissent car il y a création monétaire et que l’argent créé n’a pas vraiment de prix quand il est créé.

Si l’on refuse cet argument et que l’on fait l’hypothèse d’une seule quantité de valeur produite et inégalement répartie au fil du temps dans un espace économique donné et organisé trinitairement, on arrive à un nouveau paradoxe. Puisque la quantité de fonds disponibles est égale aux quantités d’emprunts ou d’argent manquant, l’intérêt doit être égal à Zéro selon l’hypothèse de la conservation des quantités que réaliseraient les banques commerciales ou toute autre forme de médiation financière.

C – De quelques signes de la fausseté intrinsèque des idées et des procédés de Mr Jorion.

1° Du crédit à la consommation

Les pages sur le crédit à la consommation sont des illustrations particulièrement nettes du confusionnisme qu’entretient Jorion : évidemment, si les intérêts ponctionnent les entreprises et les travailleurs, leur niveau de vie se dégrade et ne peut être soutenu que par leur endettement : « La nécessité de remplacer les salaires insuffisants par un accès au crédit à la consommation fait que le système capitaliste fonctionne tout entier à l’instar des bulles financières…. » (AME p 326). « Le moment vient, nous l’avons vu, où les salaires même complétés de prêts à la consommation, ne suffisent plus à absorber toute la production… » (AME p 327).

Aux USA, si cette théorie était vraie, on aurait dû voir la baisse relative des salaires dans le revenu s’accompagner d’une hausse très forte des crédits à la consommation. Or il n’en a rien été. Les crédits à la consommation ont progressé très légèrement au-dessus du rythme de la croissance du PIB durant la décennie précédant une crise qui n’est en rien une crise de surproduction. Il y a aux USA une sous-accumulation du capital rendant strictement impossible l’existence d’une crise de surproduction. Le souci du secteur financier a été de contenir l’expansion des crédits à la consommation afin d’éviter l’inflation. Il y a bien eu baisse relative de la part des salaires dans le revenu américain, mais il faut souligner que cette baisse relative ne rendait pas nécessaire une explosion des crédits à la consommation qui n’existe pas dans les faits.

Peut-être que Mr Jorion a confondu crédit à la consommation avec crédits aux consommateurs contrairement à ce qu’il dit. Dans le premier cas, il s’agit de crédits destinés a acheté des biens durables ou semi-durables, dans le second cas, il s’agit de l’ensemble des crédits, crédit immobilier inclus. Mais il ne semble pas que cela soit le cas, puisqu’au chapitre III, Les intérêts, Jorion distingue bien les crédits à la consommation du crédit au logement (AME p. 85 et 88)

Entre les données empiriques, et les déductions imaginaires, le parti pris de Mr Jorion en faveur de ces derniers le conduit à aller contre les faits. « Les capitalistes voudraient-ils qu’une meilleure redistribution des revenus assure en permanence un équilibre entre les salaires et la production…que la perception d’intérêt n’en continuerait pas moins d’assurer inexorablement le déséquilibre du système, la richesse créée par les pauvres (?) étant constamment drainée vers les plus riches » (AME p. 327-328). Cette phrase dont le sens est obscur (s’agit-il d’une théorie de la paupérisation des masses que suggère le mot pauvre sous l’action pernicieuse des intérêts perçus en volume croissant par les riches ?) suggère que les « pauvres » doivent toujours plus faire appel aux crédits à la consommation – ce qui n’est pas statistiquement avéré par l’évolution des crédits à la consommation aux USA. De plus, on ne sait pas de quel pauvre. il y a bien eu montée des inégalités relatives de revenu aux USA en faveur des plus riches ménages, mais le pouvoir d’achat des autres ménages ne s’est pas effondré. Ajoutons que les statistiques de la pauvreté ne font pas apparaître une augmentation du pourcentage des pauvres dans la population américaine. Ce Pourcentage a tendu à baisser après 1994, il n’a remonté fortement qu’avec la crise.

 2° Des considérations imaginaires sur les effets détournés de la productivité et « la durée du temps » de travail.

Sans se rendre compte de la redondance des termes, Jorion étudie la « durée du temps de travail » (sic) en AME p 334 et sv. « Le fait que les travailleurs n’obtiennent le salaire que comme un reste une fois que capitalistes (lisez investisseurs) et patrons se sont servis, explique pourquoi leur productivité croissante ne débouche ni sur une diminution du nombre de leurs heures de travail, ni sur une diminution du nombre de ceux qui ont à travailler » (AME P 335).

C’est aux USA, économie financiarisée par excellence, que l’on devrait voir une augmentation de « la durée du travail » ou son maintien à un niveau élevé si l’on suit l’idée de Jorion. Hélas, la durée du travail hebdomadaire des salariés du privé n’a fait qu’y baisser depuis des décennies de même que le nombre d’heure de travail annuel. Si Jorion connaissait les chiffres, il ne soutiendrait pas des idées aussi énormes.

Quant à la diminution du nombre de ceux qui ont à travailler, elle fait signe vers l’incompétence économique notoire de Jorion en matière de statistiques américaines, pays sur lequel il écrit d’abondance. Aux USA le taux d’activité de la population en âge de travailler baisse ; alors que le nombre de salariés augmente. Et ce n’est pas pour des raisons liés à la productivité, mais au caractère extensif de l’usage de la main d’œuvre qui se heurte à une base productive en contraction sous l’action d’une sous-accumulation du capital trentenaire.

L’explication théorique du phénomène sur laquelle s’achève notre lecture des divagations de Jorion mérite un effort de traduction tant elle est absconse et fausse. Ma traduction est entre parenthèse. « Pourquoi ne travaillons nous pas moins  ? La raison est politique. Aucune part du surplus (ou valeur ajoutée) ne peut se dégager car si elle apparaissait, elle serait immédiatement partagée entre investisseurs et dirigeants d’entreprises ». Le raisonnement est absurde !!! Si une part de valeur ajoutée se dégage, c’est qu’elle existe. Elle ne peut pas apparaître en plus, comme ça par hypothèse, le « si elle (la part du surplus) apparaissait » n’a donc aucun sens. La démonstration Politique (en quoi est-elle politique d’ailleurs ?) est donc nulle. La suite confirme cette nullité : « La cause en est déjà connue : c’est parce que le surplus (expression irrationnelle) créé se partage entre les intérêts que touche l’investisseur (le capitaliste) et le profit que touche le dirigeant d’entreprise (le patron) ». Le tour s’achève par un salmigondis d’idées fantaisistes de Jorion : « Et nous l’avons vu, c’est le rapport de force entre eux qui déterminera où se situeront les taux d’intérêt (le loyer de l’argent) et par conséquent aussi le profit qui n’est que le différence entre le surplus qu’a permis l’utilisation (productive) du capital comme avance (financière) et les intérêts. C’est alors le dirigeant d’entreprise qui partage ce profit entre lui et ses employés selon le rapport de forces qui prévaut cette fois entre eux » (AME p 336-337 pour tous les extraits de ce paragraphe).

Toutes les erreurs, pour ne pas dire les aberrations, du Jorionisme sont là. Et Jorion n’a pas même à la fin donné une explication claire de la raison pour laquelle la productivité devrait entraîner une augmentation des quantités de travail.

Conclusion.

1° L’imposture.

La réflexion sur l’argent ou la monnaie ne peut pas s’improviser en un an. Jorion - qui se prend pour un nouveau Freud - commet toutes les erreurs de l’autodidacte pressé par le temps. La présomption hallucinante du personnage peut sans doute le prémunir contre une confrontation avec lui-même, elle réussit même à lui faire l’économie de la sa relecture. Mais les incroyables prétentions de Mr Jorion ont pour effet de pervertir tout son livre (et plus généralement ses ouvrages dès qu’il ne parle plus de chaussures). Rien ne reste debout : démonstration, principe, argumentation, référence (faussement académique), sociologisme (de bazar), anthropologie (de pacotille). Nous avons lu avec attention ce livre, les références à Aristote ou Marx sont le plus souvent artificielles et tronquées ; d’autres éléments comme la théorie du prix-rapport de force sont intenables pour la majorité des biens en régime de concurrence.

Nous n’avons pas fait un sort à la définition du capitaliste opposé à l’investisseur : quand de l’argent fonctionne comme capital, il peut être du capital financier, du capital productif, du capital commercial, du capital agricole. Le capital se distingue de tous les autres modes de production par la généralisation de la valorisation de tous les investissements susceptibles d’augmenter la valeur du capital accumulé ou du capital dépensé dans la production pour réaliser un volume de production de biens ou de services.

Les raccourcis historiques mériteraient aussi une analyse démystificatrice. Mais corriger Jorion est une tâche sans fin tant les erreurs empruntent à d’autres erreurs le crédit de leur démonstration. Jorion peut dénoncer les spéculateurs ; toute sa méthode est spéculative et fausse dans ses prémisses, ses développements, ses conclusions et son évocation des faits empiriques. Et Jorion a le culot (ou l’inconscience) de se réclamer du « Concept Théorique » alors que d’autres restent « aux notions pré-systématiques » (AME p 48-49)

Non, Mr Jorion, on ne s’improvise du jour au lendemain, analyste de l’argent et des phénomènes économiques. Le savoir demande de la rigueur et de l’humilité. Un homme rigoureux n’aurait jamais écrit : « Bien qu’étant anthropologue et sociologue de formation, j’en viens souvent à reformuler des théories économiques en remplaçant dans leur explication la dynamique psychologique qui les sous-tend prétendument par une rationalité purement économique » (AME p 250-251). Vous vous revendiquez donc plus intelligent que les économistes puisque vous pouvez leur faire la leçon sur leur propre terrain en étant plus objectif qu’eux. Et quelle leçon vous leur offrez, vos élucubrations sont en tout point démenties par la comptabilité américaine que vous ignorez superbement. Quand les raisonnements sont démentis par les faits, on change la théorie. Vous au contraire, vous réinventez les faits que vous observez en imagination à la manière des béhavioristes (les vrais) qui étaient les chantres du réalisme expérimental. Votre usage des termes et théories glanés ici et là sont une trahison permanente.

Il ne fait à ce titre aucun doute. Dupe ou non de lui-même, malade de la notoriété ou simple opportuniste, mégalomane ou roué, Jorion est dans tous les cas de figure un complet imposteur. Mr Jorion, vous vous êtes placé dans l’impossibilité de soutenir vos affirmations mégalomaniaques en additionnant les idées loufoques dont la monnaie fondante est l’exemple le plus risible. La seule fois, ou vous admettez qu’il peut y avoir création Monétaire, vous imputez cette création aux banques centrales. C’est encore une absurdité, la FED en ce moment ne crée pas de monnaie, si elle créait de la monnaie pourquoi servirait-elle des intérêts aux institutions de dépôts qui assurent par leurs prêts la couverture de son bilan fort dégradé. Le encore, vous ne connaissez pas les données élémentaires de la comptabilité financière des USA.

2° Les effets Nocifs sur le champ public

Notre profond agacement ne tient pas à vos procédés douteux et à vos motivations médiocres. La recherche tardive et sans scrupule du succès public est souvent l’envers de l’amertume et de la frustration très présente chez les chercheurs ratés. Ce qui nous dérange le plus, c’est la figure publique que présente Jorion à un public crédule auquel sa suffisance fait violence et que ses procédés trompent et égarent.

Nous souffrons d’une information économique orientée et sous contrôle. Jorion aurait pu faire un travail d’éclaireur et d’analyste de l’immobilier et des méfaits de l’ingénierie financière tout à fait utile et respectable, il aurait dû se cantonner à cela. Hélas, Jorion s’est attaqué à des questions plus complexes sans posséder les compétences théoriques et statistiques nécessaires à leur traitement. Il a dès lors multiplié les divagations et les âneries.

La gêne que je ressens envers le travail de Mr Jorion tient au rôle public que Mr Jorion joue dans un espace médiatique déjà sous contrôle. Imposteur, Jorion contribue par ses idées fumeuses à ajouter de la confusion à une crise dont les médias tendent à occulter ou à travestir les tenants et les aboutissants. En introduisant des notions confuses, des idées démenties par les faits, des théories incohérentes, Mr Jorion participe à la subversion d’un espace critique qu’il prétend éclairer. Mr Jorion rend en fait ses lecteurs inintelligents.

La question de son succès public ne se pose pas uniquement en termes de méthodologie inadaptée et de propos contradictoires. Le problème est de déterminer si Mr Jorion ne sert pas les intérêts financiers qu’il dénonce en embrouillant les esprits. Je le dis avec brutalité : le Jorionisme est au plan de l’argumentation une pitrerie dérisoire. Mais au plan de l’espace public, il stérilise le débat en introduisant des représentations fausses qui déplacent l’attention du lecteur vers des questions stériles. Du débat, jaillit la lumière à la condition que les débatteurs soient des gens honnêtes. Introduire, l’idée que la crise est purement financière en raison d’inégalité de richesse que la sphère financière permet d’accumuler, c’est ne pas expliquer la crise dans la diversité de ses déterminations et de ses mécanismes. La coupure entre argent et reconnaissance de dette sur laquelle ce papier débute est l’artifice le plus négatif du jorionisme. Il commande tout l’édifice d’idées fausses qui constituent les théories fumeuses de Jorion.

Nombreuses sont les personnes qui veulent comprendre objectivement ce qui se passe depuis 2007 aux USA et dans le monde. La dépression actuelle n’est pas pour eux matière à succès ou à notoriété. C’est une interrogation qui concerne le passé en ce qu’il ouvre l’avenir. Il ne nous paraît pas acceptable de détourner les individus de la part de vérité qu’ils recherchent en interposant entre eux et le monde des théories abracadrabrantesques. Il ne nous paraît pas respectable de les tromper à ce point sur l’état des choses en leur fournissant des réflexions douteuses dans leur formulation accompagnées d’outils d’analyse inadéquats.

A ce titre, « L’argent mode d’emploi » et les travaux de Mr Jorion qui en prolongent les analyses ne sont pas simplement agaçants. Ils sont nocifs.

Et puisqu’ils ces livres et son site lui rapportent de l’argent "qu’il a dans sa poche", force est de reconnaitre qu’il y a tromperie sur la marchandise

Onubre Einz.

J’invite les leteurs de ce papier à la diffuser le plus largement possible. Je n’ai pas le temps de faire de l’advertising...

 

Pour mesurer, les erreurs commises sur le malheureux Aristote, je conseille la P. 67 qui est loufoque. On y trouve une lecture platonicienne de la distinction aristotélicienne entre la puissance et l’acte....une confusion de plus. En fait Jorion a confondu a puissance et l’acte avec la question de l’un et du multiple et il ne s’est pas rendu compte qu’il lisait Aristote avec la grille du Mythe de la caverne.

L’exemple du chat qui devrait permettre de clarifier la lecture très personnelle de indique une confusion sur la différence des registres d’argumentation entre l’essence d’une chose, le propre et l’incident. Il montre par là qu’il n’a rien compris à la théorie du syllogisme qui est le coeur de la démonstration permettant d’atteindre à la substance.

Tout est à l’avenant, chez cet auteur pitoyable. Démonter toute les erreurs du charlatan Jorion prendrait des volumes entiers.

Complément statistique (à la suite) de cet article :
 criseusa.blog.lemonde.fr/statistique/




****
Transmis par La liste de Pascal
Sun, 26 Aug 2012 15:17:37 +0200




Voir en ligne : Jorion ou de l’imposture

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.