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Au Liban, la guerre au champs de cannabis...

Fériel Alouti | lesinrocks.com | jeudi 16 août 2012

jeudi 16 août 2012

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Au Liban, la guerre du haschich inquiète
Fériel Alouti | lesinrocks.com | jeudi 16 août 2012

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Alors que les forces de sécurité libanaises ont lancé une opération pour détruire les champs de cannabis, les cultivateurs de la vallée de la Bekaa résistent et protègent leur unique et précieuse source de revenus.

Sur la route étroite qui conduit au village de Yammouneh, les traces des pneus brûlés et les quelques rescapés qui traînent encore sur le bord montrent que la tension est toujours vive. Ce village situé à 1500 mètres d’altitude et planté sur le flanc ouest du Mont-Liban, est d’ordinaire bien plus calme. Encerclé par la végétation, en été, la chaleur y est supportable. Dans les rues, seuls les cris des enfants bousculent le calme apparent. Les maisons ont conservé leurs vieilles pierres. Dans l’une d’elles, de vieux messieurs, installés sur une terrasse fleurie, entament une partie de backgammon. Une image de carte postale.

Mais Yammouneh est surtout réputé pour la qualité de son haschisch. Et depuis quelques jours, la colère gronde chez les habitants. Le gouvernement libanais s’est dit déterminé à « éradiquer » cette culture. La semaine dernière, les Forces de sécurité intérieure (FSI) ont donc débarqué avec tanks et tracteurs pour détruire des champs de cannabis. Plusieurs agents ont été blessés car ici, les habitants ne ripostent pas avec des pierres. Le chef du département de la lutte contre le trafic de drogue au Liban, le colonel Adel Machmouchi, a d’ailleurs indiqué que « les forces de l’ordre [allaient] dorénavant répondre aux tirs ».

Ce jour-là, une dizaine d’hommes armés ont pris leurs quartiers dans une buvette, située au bout du village. Parmi eux, un mastodonte que l’on imagine seulement dans les dessins animés. Ce colosse, capable de mettre K.O n’importe quel intrus, ne porte aucune arme. Les autres, qui sont aussi des pères de famille, possèdent un véritable arsenal de guerre. Fiers, il exhibent kalachnikovs, M16 et caisses de munitions. Une fillette, qui doit avoir à peine cinq ans, s’amuse avec les balles d’un chargeur. La scène ne surprend personne. A quelques mètres, le maire, assis en tailleur sur une pelouse verdoyante tel un shaman en méditation, répond aux questions d’un journaliste étranger. Les tirs qui « célèbrent » notre arrivée ne paraissent pas le déconcentrer.

Parmi ces hommes, certains dealent, d’autres cultivent. Comme 95% des habitants de Yammouneh, ils appartiennent tous au clan des Chreif. Avec les Chamas et les Jaafar, cette famille est l’une des plus importantes de la vallée de la Bekaa. Dans cette région de l’est du Liban, coincée entre deux chaînes de montagne, le modèle tribal l’emporte sur tous les autres. Chaque famille à ses propres lois et gare à celui qui voudrait les enfreindre.

Chaque été, hommes, femmes et enfants passent la saison au village. L’année, seul un quart des 5000 habitants y reste. Les autres fuient la neige, le froid, l’ennui et le chômage. Certains vivent désormais à Beyrouth. Ils y ont ouvert un magasin de location de voiture, travaillent dans une banque ou vendent la dernière récolte. C’est le cas de Walid*. Le jeune homme, au jean délavé et t-shirt griffé, manie plutôt bien l’anglais.

« C’est parce que mon père était cultivateur qu’aujourd’hui je suis une personne éduquée », dit-il.

Pour ce dealer qui reste évasif sur ses revenus, le cannabis « devrait être légalisé ». « On pourrait faire des médicaments et même du tissu et en quelques années la dette du Liban serait comblée », estime-t-il. Il vante la pureté du haschich libanais qui, selon lui, est un rempart au chaos. « Sans ça, tous les Libanais s’entretueraient. »

Le cannabis est à la Bekaa, ce que le caviar est à l’Iran. Un des meilleurs sur le marché. Selon les Nations Unies, le pays fait partie des cinq premiers producteurs de cannabis au monde. Une source financière pour le moins rentable. Culture et trafic auraient rapporté environ 4 milliards de dollars par an dans les années 1980. A Yammouneh, les 4×4 rutilants monopolisent donc les rues et le style quelque peu «  bling-bling » de certains hommes montre qu’ils ont « réussi ». Selon Walid, un lopin de 1000 m2 rapporte 1500 dollars par saison. Les exploitations vont de 500 à 300 000 m2. Les gros cultivateurs savent donc que leur niveau de vie est menacé et les petits craignent de ne plus pouvoir nourrir leurs familles.

L’armée n’en est pas à sa première démonstration de force. Depuis la fin de la Guerre civile (1975-1990) qui entérine l’âge d’or du haschich, l’Etat planifie régulièrement de vastes opérations de destruction.

« On ne veut pas de problème avec l’armée mais si elle revient, nous bloqueront une nouvelle fois les routes et nous l’attaqueront. On sortira du village pour s’allier aux autres familles », prévient le jeune dealeur avant d’ajouter que certains cultivateurs ont déjà miné leurs champs.

« Nous sommes des révolutionnaires et les traditions sont importantes comme chez les Siciliens », ajoute-t-il, sûr de lui. Ici, les « parrains » débordent d’amour pour leurs enfants érigés en roi. Rien d’anormal d’ailleurs à ce qu’un bout de chou de quatre ans s’assoit sur les genoux de son père et prenne le volant. Les épouses coquettes se font discrètes. Quant aux chiens de garde, ils sont postés aux endroits stratégiques du village et servent de sentinelle.

D’autres habitants se disent prêts à « négocier » avec les autorités. « Je ne soutiens pas la lutte armée, je préfère signer des pétitions mais on est arrivé à un point où tous les moyens sont utiles », estime Ali directeur du Centre culturel de Yammouneh. Ce lieu, seulement ouvert l’été, offre aux enfants un éventail d’activités et organise même des conférences sur la drogue.

« Quand les jeunes finissent leurs études, beaucoup ne trouvent pas de travail du coup ils tombent dans la drogue, explique-t-il. Avant, personne ne fumait ici. »

Ali, à l’instar du reste de la population, a le sentiment d’être abandonné par l’Etat. Le ministère de l’Intérieur Marwan Charbel s’est rendu le week-end dernier à Yammouneh. Objectif : rassurer les habitants et faire tomber la pression. Il s’est engagé à obtenir des compensations pour les cultures saccagées par l’armée. Mais pour le directeur, « tout cela n’est que du bavardage, une fois de retour à Beyrouth, toutes ces promesses disparaissent. »

Dans ce village chiite, nombreux sont ceux qui ne voient aucun inconvénient à abandonner la culture du haschich mais à condition de trouver une autre source de revenus. «  Ici, les hivers sont trop froids. Le gel détruit les pommes de terre et les vergers », explique Ismaïl. Pour ce cultivateur de haschich, qui travaille l’année dans un ministère, l’Etat ne cherche aucune solution. « Dans les villages chrétiens des alentours, les ONG viennent pour aider les gens à planter des vignes. Pas ici. »

Cette famille se réunit tous les étés à Yammouneh. Chez Ismaïl, les hommes sont cultivateurs de père en fils. Le doyen est fier de souligner qu’il ne touche pas à la récolte. C’est «  haram” [ndlr, illicite en arabe], dit-il. Mais son fils de trente-deux ans, déjà marqué, fume pour deux. Ce père de famille dépose son arme sur la banquette et enlève le chargeur avant d’enchaîner plusieurs pétards. Comme son père, il reprendra la production. Et son fils en fera de même si rien n’évolue.

Pour Hassan Makhlouf, spécialiste de la drogue au Liban, « l’élimination de la culture du cannabis ne peut se faire que par un projet de développement alternatif global. Aucune aide concrète pour la reconversion n’a été proposée aux paysans ». Pourtant, Yammouneh se rêve en destination touristique. Ses vingt-sept sources d’eau, sa proximité avec les pistes de ski et son atmosphère apaisante pourraient bien attirer des backpackers amateurs de fumette.



* Tous les prénoms ont été modifiés





Avatar de Fériel Alouti

le 16 août 2012 à 11h24




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Transmis par Olivier Poularon
Thu, 16 Aug 2012 08:08:29 -0700


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