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Au Guatemala, les plaies à vif de la guerre civile

Jean-Michel Caroit | lemonde.fr | jeudi 12 juillet 2012

vendredi 13 juillet 2012

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Au Guatemala, les plaies à vif de la guerre civile
Jean-Michel Caroit | lemonde.fr | jeudi 12 juillet 2012

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L’annonce du verdict de la Cour suprême du Guatemala concernant quatre anciens militaires accusés d’avoir massacré 201 paysans en 1982. | AP/Rodrigo Abd


<Le 18 juillet 1982, une soixantaine de soldats et de paramilitaires commandés par un capitaine investissent le hameau de Plan de Sanchez, peuplé 300 habitants et situé dans le département de Baja Verapaz, au nord de la capitale du Guatemala, Ciudad Guatemala. Les fillettes et les femmes les plus jeunes sont enfermées dans une maison, torturées, violées, puis exécutées. Dans un autre édifice, les enfants sont battus à mort. Les adultes sont tués par balles ou victimes de grenades lancées dans la demeure où ils avaient été régroupés. Avant de se retirer, les militaires incendient le village.

Au total, 256 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, mais aussi plusieurs nouveau-nés et des vieillards, ont été assassinées. Le lendemain, une patrouille de paramilitaires a obligé les quelques survivants à creuser des fosses pour enterrer les restes calcinés des victimes. Ordre leur a été donné de ne pas dire un mot du massacre sous peine de représailles.

Terre ancestrale de l’ethnie Achi des Mayas, la commune de Rabinal, dont dépend Plan de Sanchez, a connu plusieurs autres massacres. A la suite d’une série d’opérations de la guérilla dans la région, plusieurs centaines d’habitants de Rabinal ont été massacrés le 15 septembre 1981, alors qu’ils étaient rassemblés pour la fête de l’Indépendance. D’autres villages de la commune, comme Rio Negro, ont été décimés par les opérations punitives de l’armée et de ses supplétifs.

La plupart des massacres de Rabinal ont eu lieu entre 1981 et 1983, au plus fort de la guerre civile qui a fait plus de 200 000 morts entre 1960 et 1996 au Guatemala. Les généraux Romeo Lucas Garcia, au pouvoir de 1978 à 1982, puis Efrain Rios Montt (1982-1983), arrivé à la présidence après un coup d’Etat, ont mis en oeuvre une politique anti-insurrectionnelle contre la guérilla marxiste implantée sur l’Altiplano peuplé d’Indiens mayas. Leur stratégie s’est inspirée des méthodes appliquées par l’armée française pendant la guerre d’Algérie et reprises par les soldats américains au Vietnam. "Les guérilleros sont le poisson, la population est la mer, si vous ne pouvez attraper le poisson, il faut assécher la mer", résumait le général Rios Montt en 1982 pour expliquer la politique de la terre brûlée et le déplacement massif de populations indiennes.

"Actes génocidaires"

Selon la Commission pour la vérité historique (Comision para el esclarecimiento historico, CEH), créée sous les auspices des Nations unies après la signature des accords de paix de 1996, au moins 626 villages mayas ont été victimes de massacres et détruits durant la guerre civile. Environ 1,5 million de personnes, pour la plupart amérindiennes, ont été déplacées, et 150 000 ont dû se réfugier au Mexique voisin. L’enquête de la CEH a montré que l’armée et les paramilitaires des "patrouilles d’autodéfense civile" (PAC) étaient responsables de 93 % des actes de violence, et les mouvements de guérilla regroupés au sein de l’Union révolutionnaire nationale guatémaltèque (URNG), de 3 %. Plus de 83 % des 200 000 personnes assassinées et disparues appartenaient aux différentes ethnies mayas.

Tant le rapport de la CEH que celui de la Commission pour la reconstitution de la mémoire historique mise en place par l’Eglise catholique ont qualifié les crimes de l’armée d’"actes génocidaires". La Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), instance rattachée à l’Organisation des Etats américains, a confirmé cette qualification dans plusieurs arrêts depuis 2004. Les autorités guatémaltèques, elles, ont toujours nié l’existence d’un génocide. "Il y a eu un affrontement armé interne, mais il n’y a pas eu d’extermination d’une population pour des raisons ethniques ou religieuses", a soutenu le général retraité Otto Perez peu avant son élection à la présidence en novembre 2011. Commandant une unité militaire dans la province occidentale du Quiche, il a été accusé de violations des droits de l’homme, qu’il a aussi toujours niées. Dans son ouvrage La Grande Révolte indienne (Robert Laffont, 2009), le sociologue Yvon Le Bot conclut que les années les plus sanglantes du conflit guatémaltèque peuvent être qualifiées de "guerre de massacres à connotation génocidaire".

Pendant plus de vingt ans, les responsables et les auteurs des massacres ont bénéficié de l’impunité. Pour ne pas engager de poursuites, les tribunaux invoquaient l’amnistie accordée par une "loi de réconciliation nationale". A Rabinal comme dans les autres villages mayas, les survivants ont dû cohabiter sans mot dire avec les ex-membres des PAC. Les défenseurs des droits de l’homme qui tentaient de réunir des preuves et de mettre au jour les cimetières clandestins étaient pourchassés et parfois assassinés.

Il a fallu attendre novembre 2004 pour que la CIDH ordonne aux autorités guatémaltèques de juger les responsables du massacre de Plan de Sanchez et d’indemniser les parents des victimes. Les premiers visés ont été les exécutants. En mars 2012, cinq paramilitaires ont été condamnés à 7 710 ans de prison chacun : trente ans pour chacun des 256 Mayas assassinés, plus trente ans pour crimes contre l’humanité. Une durée symbolique : la peine maximale prévue par la loi est de cinquante ans. En août 2011, une première condamnation, à 6 060 années de prison, avait été prononcée contre quatre anciens soldats de l’unité d’élite Kaibil reconnus coupables d’avoir participé à un massacre en décembre 1982 dans le village de Dos Erres, dans le département du Peten.

Longtemps couvert par son immunité parlementaire, le général Rios Montt a finalement été traduit devant les tribunaux en janvier 2012 pour génocide et crimes contre l’humanité. Les avocats de l’ex-dictateur, âgé de 86 ans, ont obtenu qu’il soit assigné à résidence et ont multiplié les incidents de procédure. Fin juin, la cour d’appel a ordonné la suspension du procès après qu’ils eurent demandé l’application de la loi de réconciliation nationale en faveur de leur client.

Selon des organisations de défense des droits de l’homme, l’intensité de la répression dans la région de Rabinal s’explique par la volonté du gouvernement militaire de l’époque de chasser les Mayas de leurs terres pour construire le barrage de Chixoy, un projet hydroélectrique qui a été financé par la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement.

Trente ans plus tard, les conflits pour la répartition des terres et l’implantation de projets miniers ou de barrages n’ont pas cessé. En mars 2011, quelque 800 familles mayas ont été violemment chassées par la police et par l’armée des terres qu’elles cultivaient dans la vallée fertile de Polochic pour développer un grand projet de biocarburants. Des milliers d’Indiens ont manifesté le 30 juin contre l’implantation de bases militaires dans leurs communautés, officiellement pour lutter contre le narcotrafic.

Le Guatemala demeure l’un des pays du continent américain où la répartition des terres est la plus inégale. Les communautés mayas, qui regroupent plus de 40 % de la population, affichent toujours les taux les plus élevés de pauvreté extrême, d’analphabétisme et de malnutrition. Selon les Nations unies, près de la moitié des enfants âgés de moins de 5 ans, pour la plupart des Indiens, souffrent de dénutrition chronique. Les programmes d’allocations sociales lancés par l’ancien président social-démocrate Alvaro Colom et poursuivis par son successeur, Otto Perez, ont à peine réduit les injustices séculaires dont sont victimes les Mayas.



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