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« L’homme n’est pas l’ennemi de la nature »

Etienne Dubuis - mercredi 29 septembre 2010

mercredi 29 septembre 2010

Une poignée de géographes français s’élèvent contre le catastrophisme et la démonisation de l’homme véhiculés par une certaine écologie.

Rencontre avec Sylvie Brunel, de la Sorbonne

La catastrophe serait imminente. A en croire certains prophètes de malheur, l’homme aurait une action si nuisible sur la nature qu’il serait en passe d’en détruire les grands équilibres et de compromettre ses propres moyens d’existence sur Terre. « Pas si vite ! Le pire est loin d’être sûr », leur répondent aujourd’hui une poignée de géographes français dans un livre intitulé Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête. Ancienne présidente de l’ONG Action contre la faim et directrice du master « Mondialisation, pays du Sud et développement durable » à l’Université de la Sorbonne, à Paris, Sylvie Brunel défend l’esprit de l’ouvrage* qu’elle a codirigé.

Le Temps : L’homme prépare-t-il
le terrain à de grandes catastrophes environnementales ?

Sylvie Brunel : L’être humain a un impact très important sur la planète. Aux yeux des géographes, il n’existe pas de milieu qui n’ait été transformé par lui. Cette influence découle de son exceptionnelle faculté de transformer son environnement et de son extraordinaire croissance démographique – on est passé d’un milliard d’individus en 1800 à sept aujourd’hui, en attendant d’atteindre les neuf milliards autour de 2050. Mais faut-il pour autant parler de catastrophe ? Telle est la question. Et c’est là que les géographes se désolidarisent des écologistes. De notre point de vue, cet impact n’est ni négatif, ni irrémédiable.

– N’existe-t-il pas une contradiction entre l’appétit illimité de l’homme et les ressources limitées de la planète ?

– Vous raisonnez comme si la nature constituait un certain stock de ressources dans lequel l’homme se contenterait de puiser. Cette perception peut se vérifier dans un petit nombre de cas, comme celui des ressources fossiles – charbon, gaz et pétrole – qui sont à la base de la dernière révolution capitaliste. Mais elle se révèle généralement erronée. Les écosystèmes sont en évolution perpétuelle. Et l’homme peut créer de la ressource. Il peut substituer du capital construit à du capital naturel, en produisant lui-même de la biodiversité, par exemple, chaque fois qu’il le juge souhaitable ou nécessaire. On ne peut pas opposer une nature qui serait par essence prodigue, bienveillante et positive à une humanité qui serait proliférante, nuisible et destructrice. La réalité est beaucoup plus complexe. Il existe un grand nombre de territoires qui ont été aménagés dans un sens positif, de la réintroduction des mangroves au Vietnam à la construction des polders aux Pays-Bas, en passant par la réhabilitation de zones considérées comme désertiques comme la Camargue. L’homme n’est pas l’ennemi de la nature.

– Il est tout de même responsable de la disparition d’un certain nombre d’espèces…

– Les écologistes ont raison d’attirer l’attention sur les menaces et de travailler à l’élaboration de réglementations. Il ne faut pas oublier cependant que la nature est elle-même très destructrice. Un espace livré à lui-même est envahi de végétaux et d’animaux qui en éliminent d’autres au détriment de la biodiversité. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des espèces qui existaient il y a quelques millions d’années ont d’ailleurs disparu. Quant à l’homme, s’il détruit des espèces, il tend aussi à être régulateur et créateur de biodiversité. Ce qu’il a prouvé à moult reprises dans sa pratique de l’élevage et de l’agriculture. Pensez au nombre d’espèces de chiens, de choux ou de blés nées de son initiative. La biodiversité ne s’exprime pas seulement là où la nature est laissée à elle-même mais aussi là où elle est en forte interaction avec l’homme. Ce qui me gêne dans un certain discours écologiste, c’est sa vision systématiquement négative, déprimante et accusatrice de l’action humaine sur la planète.

– Nous avons parlé de la biodiversité. Que pensez-vous de l’action
de l’homme sur le climat ? N’y a-t-il pas de raison de s’en inquiéter ?

– Les changements climatiques ont toujours existé. L’histoire de l’humanité n’est qu’une longue adaptation à l’assèchement, aux pluies, au froid, à la chaleur. Ce défi prend des allures nouvelles du fait de la rapidité du réchauffement en cours et de la masse des populations qui se trouvent dans des endroits à risque. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour tenir un discours de la peur et de la dénonciation de groupes particuliers, comme le fait Al Gore dans son film Une Vérité qui dérange.

– Que reprochez-vous à ce discours ?

– La mobilisation actuelle en faveur de l’environnement est justifiée dans le sens où nous ne pouvons plus considérer, comme par le passé, que nous nous trouvons dans un espace aux ressources infinies et qu’on peut gaspiller et polluer comme on l’entend. Cela dit, elle pose deux problèmes. L’inquiétude écologique est d’abord instrumentalisée par des structures diverses, des entreprises, des partis politiques, des organisations militantes, qui voient en elle un moyen de servir leurs intérêts particuliers en se ralliant des consommateurs, des électeurs ou des sympathisants. Elle revient ensuite à mettre l’accent sur des dangers futurs au nom de tiers absents, les générations à venir, alors qu’il existe dans le monde d’aujourd’hui d’énormes problèmes à régler immédiatement, à commencer par le manque d’eau potable et de nourriture en suffisance, dont souffrent un milliard de personnes.

– N’est-il pas important de prévenir des catastrophes futures ?

– Pour autant que ces catastrophes soient à peu près certaines. Or, ceux qui annoncent ce genre de désastres se trompent plus souvent qu’à leur tour. Leur ancêtre, Malthus, avait expliqué à la fin du XVIIIe siècle que le développement de la production agricole n’avait aucune chance de suivre la croissance démographique, ce qui a été totalement démenti par les faits. Plus près de nous, le Club de Rome, qui a réuni des scientifiques éminents, a annoncé en 1972 l’épuisement des réserves de gaz et de pétrole avant la fin du XXe siècle. A tort également. Ces Cassandre commettent tous la même erreur. Ils s’appuient sur une situation présente pour réaliser des projections de manière mécanique sans tenir compte de paramètres comme le progrès technique ou les changements de comportement, qui ont pourtant, siècle après siècle, changé systématiquement la donne.

– A qui profite le discours écologiste catastrophiste ?

– Il profite tout d’abord à notre système économique. Le capitalisme a toujours cherché de nouvelles sources de profit. Or voici que, au moment où les habitants des pays industrialisés voient leurs besoins globalement satisfaits, ce discours vient leur dire que leurs biens, jugés dangereux pour la planète, doivent être remplacés par d’autres, plus propres et plus chers. Quelle aubaine !

– Et qui ce discours dessert-il ?

– Il lèse les petites gens. Alors que les géographes croient en la capacité de l’humanité à s’adapter au changement climatique, le discours catastrophiste insiste sur la nécessité d’empêcher autant que possible le réchauffement en limitant les rejets de gaz à effet de serre. Or, ce faisant, il attise une guerre entre les riches et les pauvres. Au niveau global entre les pays industrialisés, qui prônent la réduction des émissions et se battent pour contrôler le marché des technologies vertes, et les pays émergents, qui souhaitent privilégier les stratégies d’adaptation mais ont mille peines à obtenir les moyens financiers nécessaires. D’où de fortes tensions, comme il en a surgi lors de la conférence de Copenhague sur le climat. Au niveau local, les personnes modestes sont culpabilisées par les nantis qui ont la possibilité d’acheter des certificats de compensation carbone et de racheter ainsi leurs « écarts » comme on acquérait des indulgences au Moyen Age.

– Les individus n’ont pas d’obligations de ce genre…

– Certes, mais le système joue sur le désir des gens de bien se comporter et sur le sentiment de culpabilité de ceux qui n’y parviennent pas. Or, imaginez que vous êtes une mère de famille à revenu modeste, sans possibilité de compenser vos émissions. Vous êtes censée allaiter votre bébé, utiliser des couches lavables et éviter les trajets en voiture. Il s’agit là d’obligations très honorables, mais le temps consacré à les respecter interdit de s’adonner à des activités plus enrichissantes. Est-ce vraiment là ce que veulent les femmes ? Le discours catastrophiste a un caractère profondément régressif (il prétend que tout allait mieux avant) et discriminant (il est sensiblement moins contraignant pour certains que pour d’autres). Je ne suis pas contre les appels à la frugalité mais à condition qu’ils soient adressés prioritairement à ceux qui possèdent le plus.

Le Ciel ne va pas nous tomber sur la tête, dirigé par Sylvie Brunel et Jean-Robert Pitte, Ed. JC Lattès, 2010.


Voir en ligne : « L’homme n’est pas l’ennemi de la nature »

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