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Les bandes, véritable épouvantail sécuritaire

Marwan Mohammed | lesinrocks.com/normalezup | vendredi 24 février 2012

dimanche 26 février 2012

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Les bandes, véritable épouvantail sécuritaire
Marwan Mohammed | lesinrocks.com/normalezup | vendredi 24 février 2012
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C’est un pur hasard bien sûr ! Quelques jours après l’entrée en campagne de N. Sarkozy, le ministère de l’Intérieur publie un rapport diffusé (comme d’habitude) par Le Figaro qui, sur ce sujet, a pris la place du service de communication du ministère (en effet, la poignée de journalistes qui écrit ces articles se borne à rendre compte, sans poser de questions ou émettre de critiques, du contenu de rapports toujours très politiques).

Qu’apprend-on ? Que « 313 bandes écument le pays (…), que leur activisme croissant s’est soldé en 2011 par un bilan de six morts et 252 blessés ». Six morts, c’est évidemment six morts de trop, c’est aussi l’un des chiffres les plus bas depuis 20 ans. D’autre part, sans savoir s’il s’agit du cœur du rapport ou du cœur de l’article du Figaro, le lien entre bande et immigration est immédiatement posé en pointant le fait que l’analyse des « fluctuations saisonnières » montre un reflux en juillet et août, ce qui s’explique par « les départs estivaux hors du territoire national de certains jeunes ». Il faut saluer le travail des services de renseignement qui vont jusqu’à collecter les destinations estivales des jeunes en question… On peut aussi lire cette remarque comme une suggestion politique… Mais n’extrapolons pas.

Dans la même veine, on peut lire que « si une part des rixes a pour origine la ‘recherche du monopole sur des trafics de stupéfiants’ ou ‘l’affirmation d’une supériorité sur un territoire donné’, les experts s’attardent sur quelques ‘rixes communautaires’ ». Pourquoi s’attarder sur ces « quelques rixes communautaires » dont l’origine avancée surprend ? Le rapport contient enfin les chiffres traditionnels des affrontements repérés et pointe le nouvel outillage utilisé (tournevis, marteaux, Taser) ou l’usage des réseaux sociaux. Le lendemain de l’annonce de ce rapport, on apprend que Claude Guéant souhaite créer une mission interministérielle de lutte contre les bandes et qu’il organise un déplacement dans le Val d’Oise pour l’annoncer. Objectif décrit dans Le Figaro : procéder à des analyses plus fines pour dégager des « réponses opérationnelles ». Des analyses plus fines et des réponses opérationnelles ? Pourquoi pas ?

Le chiffrage des bandes : une recette pour le moins obscure

Contrairement à la fabrication des statistiques pénales qui est aujourd’hui bien documentée, on sait peu de chose du chiffrage des bandes. Depuis 1990, les services de renseignement alimentent la presse qui alimente l’opinion sur la réalité statistique des bandes. Depuis 20 ans, mises à part les critiques de rares journalistes avertis ou de chercheurs en sciences-sociales, l’opinion et les institutions avalent sans tousser des données, dont les ingrédients et les recettes de fabrication nous échappent. Retenons qu’il n’existe pas en France de données vérifiables et robustes permettant de chiffrer et de situer géographiquement les bandes et leur activité, sur ce point les statistiques pénales sont muettes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une volonté étatique de mesurer le phénomène.

Depuis que les bandes font parler d’elles dans l’opinion, les pouvoirs publics tentent de les chiffrer (voir les données rapportées par E. Copferman dans La génération des Blousons Noirs publié en 1962 par les éditions François Maspero). Sauf que ces données ont toujours été jugées bancales et le ministère de l’Intérieur a même fait « amende honorable » à plusieurs reprises. En 1999, l’échelle des violences urbaines qui faisait référence depuis huit ans était abandonnée car « le devoir d’interprétation de chaque fait de violence urbaine pour le classer dans l’échelle donnait au système une trop grande part à la subjectivité ».

Ensuite, la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP) prit le relais en construisant sa propre base de données appelée Saivu (Système d’analyse informatique des violences urbaines). Ce système ambitionnait de dépasser la perception essentiellement quantitative globale du phénomène enregistré jusqu’ici en élargissant les sources. Cet outil statistique compliqué fut également abandonné à la fin de l’année 2002, puis remplacé en 2005 par l’Indicateur national des violences urbaines (Invu) qui prévoyait notamment de mesurer les affrontements entre bandes à partir de l’analyse des télégrammes adressés à la DCSP (sur tous ces points voir la note de la direction générale de la police nationale à l’Observatoire national de la délinquance dans le Rapport 2006 de l’OND).

Au delà de la question cruciale de l’accès aux renseignements, de nombreuses variations dans les pratiques déclaratives entre la police et la gendarmerie et entre les régions ont réduit les chances d’une mesure homogène. Ainsi, dans un rapport des RG rendu public en septembre 2007, il apparaissait que la majorité des affrontements déclarés en 2005 (435) et en 2006 (287), provenaient de la Gendarmerie nationale et concernaient avant tout des rivalités rurales ou périurbaines. Du coup, selon le décompte des services de renseignement, en nombre de faits, le Gard se plaçait devant la Seine-Saint-Denis (une anomalie qu’avait à l’époque relevée Luc Bronner dans Le Monde).

Pour la période récente, l’Intérieur et ses services de renseignement ont recensé 222 bandes avec 2 500 membres réguliers et 2 500 membres occasionnels alors que pour l’année suivante, le ministre Hortefeux avançait dans Le Figaro le chiffre de 511 groupes avec 5 000 individus. On n’a jamais pu expliquer le doublement du nombre de bandes et/ou la division par deux de leur taille. En 2010, les services de renseignements recensaient 618 bandes et donc cette année, leur nombre retombe à 313. On pourrait penser que l’Intérieur allait crier victoire avec cette division par deux du nombre des bandes, ou bien applaudir l’efficacité de la loi anti-bande mais non, d’après un fonctionnaire de haut rang cité par Le Figaro, un « toilettage dans l’identification et le nombre des bandes » a été réalisé car le « bilan précédent (…) n’était plus à jour » en raison du comptage de « structures inertes ». Sans aller jusqu’à dire que ces chiffres ne veulent rien dire ou encore moins nier le phénomène et les problèmes concrets qu’il pose, je souligne ici que leur valeur n’est pas établie et que les mea culpa successifs des services de renseignement interpellent.

Les usages politiques des bandes

Il faut surtout avoir à l’esprit que l’utilité de ces chiffres et de leur mise en scène n’est pas tant analytique que politique. Sur ce point, il faut rappeler que le statut politique des bandes a changé depuis 10 ans. Durant la 11ème législature (1997-2002), les bandes ont rarement été discutées à l’Assemblée Nationale, chaque intervention dans l’hémicycle étant une réaction a un fait divers. La dizaine d’échanges que nous avons recensés lors de nos recherches étaient essentiellement des questions au gouvernement d’une opposition qui réagissait à l’actualité nationale et parfois à des évènements locaux. C’est pourtant une période qui va être marquée par une agitation croissante autour des questions de sécurité. Durant cette période, la politisation des bandes fut dispersée et on retrouve déjà certaines thématiques classiquement associées au phénomène depuis la fin des années 1970 comme la double thèse du rajeunissement et de l’aggravation, ou celles de l’américanisation, de la récidive, de la ghettoïsation des cités, mais surtout la question des émeutes urbaines. Au passage, si la thèse du rajeunissement était fondée depuis quarante ans, on devrait se méfier des regroupements dans les crèches des cités.

Puis le passage de la 11e à la 12e mandature marque un tournant dans la politisation des bandes. Les débats sur le phénomène se multiplient, s’allongent et se précisent, mais surtout, leur contenu se modifie. A la fois comme ministre de l’Intérieur puis comme président de la République, Nicolas Sarkozy, accompagné au départ d’une poignée de députés proches de la droite populaire, est l’un des principaux architectes d’une double rupture dans la politisation des bandes : celles-ci passent du statut classique de « parasite » de proximité pour devenir, d’un point de vue rhétorique, un puissant ennemi intérieur doublé d’un pouvoir local, représentant un danger pour la République et nécessitant – c’est la seconde rupture – le vote de dispositions ciblant plus explicitement les bandes et la mise en place de nouvelles stratégies policières et judiciaires. Des ruptures sémantiques et juridiques qui n’ont guère rencontré de résistance à gauche, mis à part quelques rares députés écologistes.

Un « fléau néfaste et dangereux »

Depuis 2002 ce qui frappe le plus, c’est le statut d’épouvantail sécuritaire des bandes de jeunes. Toutes les lois touchant la délinquance se justifient d’une manière ou d’une autre par le recours à la figure des bandes en instrumentalisant méthodiquement des faits divers. Lors de la dernière législature, la « bande » a tour à tour été considérée comme une menace pour la République, ses institutions et ses agents (E. Ciotti, P. Goujon, J.-P. Door, C. Bartolone N. Perruchot, P. Calméjane C. Vanneste, D. Batho J.-M. Bockel), comme acteur ou conséquence du banditisme et du trafic de drogue (D. Batho, M. Herbillon J.-C. Guibal N. Perruchot, J.-P. Garraud, M. Alliot-Marie, J.-M. Bockel, N. Mamère), comme vecteur de violences collectives, notamment létales (E. Raoult P. Goujon, C. Bartolone, J.-P. Garraud, J.-M. Bockel, D. Batho) comme cause ou conséquence du communautarisme (J.C. Guibal, C. Vanneste, J.-C. Bouchet), elles ont également été associées aux thèmes de l’antisémitisme, du hooliganisme ou de l’homophobie.

Les seuls critiques à gauche n’ont pas ciblé l’ampleur et la réalité du phénomène (mises à part les positions très minoritaires de M. Vaxès et N. Mamère), mais avant tout les visées secondaires de la loi anti-bande (D. Raimbourg et D. Batho).

Ainsi, les bandes sont « néfastes », « dangereuses » et considérées comme un « fléau ». Elles représenteraient un danger par l’ordre républicain. Il y a un large consensus politique sur cette vision de base et c’est la raison pour laquelle la figure des bandes fait figure d’épouvantail. La bande (et les thèmes qui lui sont associés depuis plusieurs décennies) est symboliquement efficace et fait écho à un imaginaire social qui la considère comme une résistance féodale à la pacification des mœurs, comme une incarnation majeure de la dangerosité sociale. Une vision qui repose sur une distinction radicale entre la « délinquance des mineurs » comme phénomène global et les « bandes, mafias et trafics organisés » comme phénomène désencastré du social, de la ségrégation ou des discriminations par exemple.

Les voix qui relativisent la « dangerosité » des bandes sont rares, y compris à gauche et ce, même si les données disponibles sur les bandes sont récentes et bancales et que la plupart des enquêtes sociologiques sur le sujet relativise fortement la pénétration de la criminalité organisée dans des groupes composés essentiellement par des adolescents auteurs de désordres publics, mais qui pointe surtout les liens déterminant entre ségrégation socioéconomique et scolarités, scolarités et sociabilités. Question sociale, inégalités scolaires, pauvreté, ségrégations, etc. bon, j’arrête de vous embêter avec ça…


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