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La fermeture de Megaupload signe l’échec des lois antipiratage

Raphaële Karayan | lexpansion.lexpress.fr | vendredi 20 janvier 2012

samedi 21 janvier 2012

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La vaste opération internationale menée contre Megaupload préfigure sans doute le nouveau visage de la lutte contre le piratage, après l’échec des lois existantes. Mais elle pourrait déclencher un changement de cap salutaire pour tout le monde. Analyse.


REUTERS/Chip East

On se souviendra peut-être que le jour où MegaUpload a été fermé, l’Hadopi est morte. Et il se pourrait que ceux qui combattaient avec rage la loi française finissent par la pleurer. Après tout, personne n’était encore passé devant le tribunal, aucune amende ni coupure d’accès n’avait été prononcée, les uns avaient trouvé des méthodes sûres techniquement pour télécharger, les autres s’étaient tournés vers le streaming ou le téléchargement direct, d’autres avaient opté pour les offres légales. Aujourd’hui, qu’est-ce qui se passe ? Des internautes ayant payé pour un service se retrouvent dans l’impossibilité d’accéder à leurs documents, même légaux. Le grand ménage du FBI ne fait pas dans le détail. On ne peut que déplorer les dommages collatéraux de la censure. Et ce n’est qu’un début, pour plusieurs raisons.

Les lois antipiratage sont un échec

En France, malgré les déclarations de Nicolas Sarkozy et de Pascal Nègre, la mesure de l’impact d’Hadopi sur le piratage est périlleuse. L’Hadopi elle-même ne s’y risque pas avec précision. Dans les coulisses, il est certain que les ayants-droit n’en sont pas satisfaits, et qu’ils préféreraient faire le boulot eux-mêmes. Le secteur du cinéma l’a d’ailleurs montré en lançant une large offensive judiciaire contre la galaxie des sites Allo (Allostreaming.com, Alloshowtv.com, Alloshare.com et Allomovie) en décembre. Un dossier étayé, et qui a réussi son coup. Allostreaming a fermé, sans même attendre la décision de justice du TGI de Paris prévue en mars. Étonnamment, les intermédiaires (dont Google) se sont montrés coopératifs.

Aux Etats-Unis, la proposition de loi américaine SOPA, qui va beaucoup plus loin en prévoyant le blocage des sites, n’est pas sûre d’aboutir. Elle soulève l’opposition des grands acteurs de l’internet, et même de Barack Obama, au nom de la liberté d’expression et de l’innovation. De précédentes tentatives, baptisées PIPA ou COICA, n’ont pas vu le jour. Si le projet aboutit, ce pourrait être sous une forme édulcorée.

C’est ce que veulent les politiques

Si Barack Obama ne soutient pas SOPA, il ne s’est pas opposé à l’opération du FBI. Nicolas Sarkozy, de son côté, a "salué" l’opération dans un communiqué, rappelant "que la lutte contre les sites de téléchargement direct ou de streaming illégaux, qui fondent leur modèle commercial sur le piratage des oeuvres, constitue une impérieuse nécessité (...) Le moment est donc venu d’une collaboration judiciaire et policière active entre Etats pour porter un coup d’arrêt à leur développement." De l’aveu même du Président, Hadopi ne suffit pas. "Le combat judiciaire contre ces acteurs commerciaux constitue le complément indispensable de la ’réponse graduée’, essentiellement pédagogique, conduite par la Hadopi à l’égard des échanges entre particuliers." Dont acte : Hadopi est pédagogique, pas répressive.

Ce que veulent les gouvernements aujourd’hui, c’est lutter contre l’exploitation commerciale du piratage. Même François Hollande est d’accord avec ça. Il s’est prononcé hier pour une nouvelle loi remplaçant Hadopi, mais aussi pour renforcer la lutte contre la contrefaçon. La députée socialiste Aurélie Filippetti, conseillère du candidat PS pour la culture, a jugé ce matin sur France Inter "normale" la fermeture de Megaupload, et déclaré vouloir "renforcer la lutte contre ce genre de sites totalement illégaux qui font de l’argent sur le dos des artistes".

Une coordination internationale est possible

L’opération Megaupload montre qu’il n’y a pas besoin de faire de nouvelles lois pour agir, ni pour mener les enquêtes (les charges s’appuient sur des échanges de mails des dirigeants, dont la messagerie était donc espionnée). Tant mieux, cela pourrait éviter de nouvelles lois officialisant le filtrage généralisé, parfois sans juge, pour se concentrer uniquement sur les "gros dealers".

"La grande nouveauté, c’est que le mythe de l’inaccessibilité d’internet est tombé, analyse Fabrice Lorvo, associé du cabinet d’avocats FTPA. Jusqu’à présent l’international était le meilleur protecteur des acteurs d’internet. Là, on a eu une action coordonnée sur différents pays en faisant appliquer le droit américain. Ils ont tapé fort."

L’affaire a été instruite par le bureau du procureur de Virginie et le bureau des affaires criminelles du département de la Justice. L’enquête, menée par le FBI, a obtenu la collaboration de la police et de plusieurs agences gouvernementales néo-zélandaises, des douanes et du ministère de la Justice de Hong-Kong, de la police néerlandaise, londonienne et canadienne, de l’unité de cybercriminalité et du ministère de la Justice canadiens. L’Australie, l’Allemagne et les Philippines ont également prêté main forte, indique le gouvernement américain.

Que l’opération ait été rendue possible ne la rend pas forcément légitime. Bruxelles s’est notamment inquiété d’une action unilatérale qui pénalise aussi ceux qui utilisent légalement ses services pour stocker des données. Mais selon Fabrice Lorvo, "vu les charges, c’est tout à fait normal d’avoir une mesure conservatoire (la fermeture du site avant le jugement, ndlr). Il me semble vraiment peu probable qu’un internaute puisse gagner un procès contre le gouvernement américain en disant qu’il porte atteinte à ses droits."

Quant à la possibilité d’appliquer le Code fédéral américain à un site enregistré à Hong Kong dont les serveurs sont éparpillés dans le monde, l’avocat explique que "les Américains ont une vision extensive de la compétence. S’il y a des intérêts américains en jeu, et pas d’autres juridictions compétentes dans la mesure où il n’existe pas de droit international applicable à chaque pays, ils peuvent se déclarer compétents."

Enfin, si les Etats-Unis ont pu "débrancher" les noms de domaine des sites de Mega, c’est qu’ils ont la mainmise sur le .com.

Le statut de l’hébergeur n’est pas forcément remis en cause

Il ne faudrait pas conclure que la fermeture de Megaupload condamne le "statut de l’hébergeur", jusque là protégé par sa qualité d’intermédiaire technique, qui le dégage de sa responsabilité sur les contenus stockés sur ses serveurs, tant qu’il met de la bonne volonté à les supprimer quand on l’en avertit.

Se cacher derrière ce statut de "disque dur à distance" va être la ligne de défense de Megaupload, mais le site a été visé pour des raisons bien particulières. Les charges incluent tentative de racket, blanchiment d’argent et contrefaçon en bande organisée. L’acte d’accusation affirme que la société a tiré 175 millions de dollars de profits de ses activités depuis 2005, dont 150 millions d’abonnements premium et 25 millions de publicité. Elle incitait ses utilisateurs à uploader sur ses serveurs du contenu populaire (s’ils ne sont pas assez téléchargés les contenus sont effacés, dans la version gratuite du service). Les dirigeants ont même payé des internautes pour uploader des contenus protégés par le copyright (le FBI cite un cas de rémunération à 55.000 dollars pour un de ces contributeurs méritants). Et ils ont mis de la mauvaise volonté pour retirer les contenus illégaux, en ne supprimant que leur lien et pas le fichier sur leurs serveurs, quand ils recevaient une notification d’un ayant droit. Sans ces charges, très lourdes, qui font risquer 60 ans de prison à Kim Dotcom, une opération comme celle-ci n’aurait pas été montée. "Cette opération a été possible parce que Megaupload était un gros poisson. Des petits, il y en aura toujours et ils ne seront pas chassés", estime Fabrice Lorvo.

Autrement dit, cela ne menace pas tous les sites de partage de fichiers. Ce sera donc plus facile à faire accepter aux acteurs du web et aux internautes.

La bataille de la légalisation du partage "hors marché"

Avec la fermeture de Megaupload, qui augure d’autres actions de ce type, le débat sur le piratage pourrait évoluer. Les conclusions sont les mêmes que pour toutes les autres initiatives de lutte contre le piratage : ça n’empêchera pas les internautes de trouver d’autres solutions. Mais à vrai dire, ce discours a été compris par une partie des ayants-droit. "Vous aurez toujours des gens qui essaient de tricher, mais pas avec une telle ampleur. C’est ça qui est important", a déclaré à l’AFP David El Sayegh, directeur général du Snep (syndicat de producteurs de disques).

On voit même une inflexion du discours du Parti Pirate et de la Quadrature du Net, qui prennent le soin de préciser leurs revendications. Pour Jérémie Zimmermann, porte-parole de La Quadrature du Net, la fermeture de Megaupload "résonne comme un vibrant appel à l’utilisation de protocoles pair à pair décentralisés pour le partage sans but de profit entre individus. Il nous faut urgemment réformer un droit d’auteur malade devenu nuisible à l’architecture même de l’Internet libre". "La vraie solution est de reconnaître un droit bien circonscrit au partage hors marché entre individus, et de mettre en place de nouveaux mécanismes de financement pour une économie culturelle qui soit compatible avec ce partage", déclare Philippe Aigrain, co-fondateur de La Quadrature du Net. Le Parti Pirate défend lui aussi "la légalisation du partage hors marché entre citoyens".

Le message, c’est donc "partager, mais sans faire de profit". On y voit deux choses : un appel à responsabiliser les internautes, comme on leur dirait de ne pas acheter des sacs Vuitton à 10 euros, manifestement contrefaits. Et un combat pour le partage sur internet qui ne s’appliquerait pas aveuglément, mais dans un cadre privé et non marchand, se rapprochant d’une nouvelle exception de copie privée.

Et si la disparition de Megaupload permettait enfin à tous d’être plus constructifs ?






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