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Journée internationale contre la monoculture d’arbres

WRM Bulletin 158 - Septembre 2010

mardi 21 septembre 2010

WRM Bulletin 158 - Septembre 2010 -
Date : Mon, 20 Sep 2010 -

THÈME CENTRAL DE CE NUMÉRO : LA JOURNÉE INTERNATIONALE CONTRE LA MONOCULTURE D’ARBRES

L’armée silencieuse de la monoculture d’arbres poursuit sa marche écrasante sur les territoires des pays du Sud. À son passage, elle épuise l’eau, appauvrit le sol, expulse des communautés, détruit la flore et la faune. Comme les années précédentes, ce nouveau 21 septembre, Journée internationale contre la monoculture d’arbres, nous convoque pour dénoncer, agir, être solidaires et susciter la résistance afin d’affronter l’envahisseur vert.


JOURNEE INTERNATIONALE CONTRE LA MONOCULTURE D’ARBRES

Comme les années précédentes, ce 21 septembre est la Journée internationale contre la monoculture d’arbres. Dans le but de soutenir la lutte contre l’expansion des « déserts verts », la journée est consacrée à dénoncer les effets de ce système sur la vie des millions de personnes concernées.

Les arbres utilisés dans ces plantations varient suivant les objectifs des entreprises qui les plantent. Ainsi, les pins et les eucalyptus sont choisis pour approvisionner en matière première l’industrie de la pâte ; le teck, le pin et le gmelina pour l’industrie du bois ; le palmier à huile pour l’industrie des agrocarburants ; l’hévéa pour l’industrie automobile ; plusieurs espèces (d’eucalyptus et de pins surtout) pour l’affaire du marché du carbone.

Les plantations d’arbres ont des répercussions sociales et environnementales nombreuses et très graves sur les sols, l’eau, la flore et la faune, mais l’effet le plus grave est l’occupation des terres de peuples autochtones, traditionnels ou paysans, car elle les prive des moyens de subsistance qu’ils tiraient auparavant de leurs territoires ancestraux.

L’occupation territoriale pratiquée par ces entreprises a beaucoup de points en commun avec une invasion militaire. Comme dans les invasions conventionnelles, ce ne sont ni les hommes d’affaires ni les gouvernants des pays responsables de l’invasion qui les font en personne. L’invasion commence avec l’arrivée d’émissaires des entreprises, qui promettent la paix, l’emploi, la richesse et le développement. Viennent ensuite les fonctionnaires du gouvernement pour annoncer qu’un accord a été signé avec l’entreprise, que cet accord sera énormément avantageux pour la population locale, et qu’il faut que celle-ci y collabore.

Après cette étape commence l’invasion proprement dite, dont le premier pas consiste à détruire la flore locale avec des machines et des produits toxiques. Finalement, l’armée envahisseuse débarque, représentée par d’interminables rangées d’arbres qui avancent inexorablement sur le territoire de la région.

Au début, cette invasion peut susciter ou non l’opposition mais, avec le temps, lorsque les promesses s’avèrent fausses et que les impacts deviennent visibles, la résistance est presque inévitable.

Qu’elle soit antérieure ou postérieure à l’invasion, une fois que la résistance commence à se manifester les envahisseurs passent à l’étape de la division des communautés et, si cela ne réussit pas, à la répression, en employant directement leurs propres gardes ou en faisant appel à l’appareil répressif de l’État (la police, l’armée, les tribunaux) qui accourt sans tarder au secours de ses alliés.

Dans de nombreux cas, le résultat final est la violation d’une longue série de droits humains ; dans les cas les plus graves, cela aboutit à l’emprisonnement, à la torture et même au meurtre.

En bref, l’établissement de ces grandes plantations d’arbres en régime de monoculture constitue une guerre contre les peuples et la nature. La grande armée verte envahit, détruit et réprime les populations locales, dont le seul « délit » est de défendre de l’envahisseur ce qui leur appartient.

C’est pourquoi, en ce 21 septembre, nous souhaitons rendre hommage aux peuples qui luttent pour protéger leurs territoires, et exhorter à redoubler d’efforts pour les appuyer dans la légitime défense de leurs droits.


LA MONOCULTURE D’ARBRES DANS LE SUD

* Le pillage de l’Afrique se poursuit : la monoculture d’arbres

L’histoire des 500 dernières années du continent africain est celle du pillage de ses ressources et de l’exploitation violente de ses peuples par des pouvoirs étrangers (surtout européens) qui ont accumulé des richesses au prix de la souffrance (et la mort) de millions d’Africains et de la destruction de leurs ressources.

Les richesses découvertes par les premiers navigateurs européens arrivés aux côtes de l’Afrique incitèrent les nombreuses puissances européennes de l’époque (Portugal, Espagne, Angleterre, France, Allemagne, Belgique) à envahir le continent et à soumettre ses peuples par la force, à perpétrer le vol suprême de se déclarer propriétaires de ces terres et même des personnes qui les habitaient, qui furent vendues comme esclaves.

Les frontières actuelles des la plupart des pays d’Afrique sont le résultat des disputes entre ces puissances européennes et n’ont rien à voir avec les territoires des cultures indigènes qui peuplaient le continent au départ. Ces territoires furent découpés et ré-assemblés suivant les intérêts et les possibilités des puissances coloniales. Les colonies des envahisseurs allemands furent englouties par les pays qui les avaient battus aux deux grandes guerres déclenchées pour se partager le contrôle du monde.

Un des moyens adoptés par les envahisseurs pour s’approprier les ressources du continent fut l’établissement de grandes plantations (de canne à sucre, de cacao, de cacahuètes, de tabac, de palmiers à huile et d’hévéas), avec main-d’œuvre esclave au départ et semi-esclave plus tard.

Les grandes plantations d’arbres en régime de monoculture ne sont que la continuation du système établi pendant la colonisation et maintenu pendant le néocolonialisme postérieur à l’indépendance ; ce système est en expansion aujourd’hui, du fait de la mondialisation.

Les facteurs déterminants

L’énorme diversité géographique de l’Afrique, les différentes situations postcoloniales des divers pays, la guerre froide, les guerres civiles, les régimes répressifs ou démocratiques et les intérêts des puissances étrangères ont été des facteurs déterminants du choix de différents types de plantations dans chaque pays. Parmi ces facteurs, nous pouvons mentionner les suivants :

 1. Les facteurs géographiques font que le développement de certaines espèces soit facilité ou entravé suivant la région, en fonction des caractéristiques du sol, de l’ensoleillement, de la température et de la disponibilité d’eau.
 2. Dans certains cas, dans la période postcoloniale tous les liens avec l’ancien colonisateur furent coupés, tandis que dans d’autres cas la situation resta presque inchangée. Ce facteur a beaucoup d’incidence sur la présence ou l’absence d’entreprises étrangères et de marchés associés aux différentes plantations.
 3. La guerre froide aboutit dans certains cas à la rupture des liens avec les anciennes puissances coloniales et à l’établissement de régimes qui créèrent de nouveaux liens avec l’Union soviétique, la Chine ou Cuba, ce qui impliqua des changements dans les méthodes de production pour les adapter à ces nouveaux marchés.
 4. Les guerres civiles (souvent liées aux luttes entre les principales puissances mondiales) n’incitèrent pas à faire des investissements à long terme.
 5. Les régimes répressifs facilitèrent l’appropriation des terres des communautés locales pour les affecter ensuite à des plantations, tandis que les régimes plus ouverts permirent l’apparition de résistances à cette nouvelle forme de pillage.
 6. Les différents besoins en matières premières portèrent les grandes puissances à favoriser l’établissement de certains types déterminés de plantations dans les différents pays.

Des institutions comme la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et le Fonds monétaire international jouèrent un rôle également important dans l’expansion de certains types de plantations dans certains pays. Elles utilisèrent les prêts et l’imposition de mesures économiques pour favoriser la privatisation des entreprises étatiques et des plantations industrielles axées sur l’exportation.

Dans tous les cas, la FAO joua un rôle déterminant par l’imposition de la « révolution verte » – un terme tout à fait impropre – suivant laquelle la monoculture et le paquet de produits chimiques toxiques dont elle s’accompagnait était la seule option pour le développement des secteurs agricole et forestier. Les plantations d’arbres font partie de ce système, et la FAO a joué un rôle essentiel dans leur promotion, en les définissant (en fait, en les déguisant) comme des « forêts ».

Il faut souligner aussi que les agences de « coopération » bilatérales (en particulier celles d’Europe et des États-Unis) ont beaucoup contribué à promouvoir l’établissement de certains types de plantations dans les divers pays du continent.

C’est de la combinaison de tous ces facteurs (environnementaux, politiques, idéologiques et économiques) que découle la situation actuelle des plantations en Afrique. Nous nous limiterons à examiner exclusivement les plantations d’eucalyptus, de pins, de palmiers à huile et d’hévéas.

Les plantations d’eucalyptus et de pins en Afrique

Les grandes plantations d’eucalyptus et de pins se concentrent dans le Sud de l’Afrique, en particulier en Afrique du Sud, au Swaziland et au Zimbabwe, mais elles commencent à s’étendre aussi au Mozambique. D’autres surfaces plantées plus petites se trouvent en Angola, en Zambie, au Malawi et en Tanzanie ; il y a aussi une grande plantation d’eucalyptus clonés en République du Congo, établie par Shell Petroleum dans les années 1990 et aujourd’hui propriété de la société canadienne MagForestry.

En Afrique du Sud, les surfaces plantées les plus larges sont dans les provinces de Mpumalanga, KwaZulu-Natal et Eastern Cape ; elles couvrent 1,5 million d’hectares. D’autre part, environ 1,6 million d’hectares ont été envahis par des espèces utilisées dans les plantations, telles que l’acacia, l’eucalyptus et le pin.

La surface plantée au Swaziland est bien plus réduite (100 000 hectares), mais cela représente un fort pourcentage de la superficie du pays (9 %), et devient encore plus grave du fait que ces plantations occupent les meilleures terres agricoles. Dans le cas du Mozambique, les grandes plantations n’en sont qu’à leurs débuts mais il est prévu de consacrer de grandes surfaces aux plantations d’arbres pour la production de pâte, de bois de sciage et d’agrocarburants.

Cette industrie est dominée dans la région par deux grandes entreprises papetières sud-africaines, Mondi et Sappi, qui ont des plantations et des usines de pâte en Afrique du Sud et au Swaziland, et des papeteries dans le monde entier. Les espèces plantées étaient au départ surtout des acacias (pour la production de tannin et de copeaux) et des pins (pour du bois d’œuvre), mais de plus en plus on plante des eucalyptus pour fabriquer de la pâte destinée à la production de produits de papier et de cellulose.

Il est intéressant de signaler que, malgré les conséquences dramatiques que ces plantations industrielles ont pour la société et l’environnement, leur grande majorité a été certifiée par le FSC en tant que « appropriées pour l’environnement et avantageuses pour la société ».

Le palmier à huile : des bosquets naturels à usage traditionnel aux grandes plantations pour la fabrication d’agrocarburant

Le palmier à huile est utilisé depuis très longtemps en Afrique centrale et occidentale, régions où il pousse naturellement. Jusqu’à présent, une bonne partie de l’huile de palme utilisée par les communautés locales provient de la récolte des fruits dans des bosquets de palmiers naturels et elle est fabriquée par des méthodes manuelles traditionnelles. On peut en dire autant du savon et du vin de palme. Il est fréquent que les femmes soient les principales responsables de la fabrication et/ou de la commercialisation de l’huile de palme, tandis que les hommes se chargent de la récolte.

Aussi bien pendant la période coloniale qu’après l’indépendance, de grandes plantations et les installations industrielles associées furent établies dans beaucoup de pays. Tandis que pendant la période coloniale elles avaient pour but l’exportation des fruits et de l’huile, elles se sont orientées plus tard vers la production d’huile de palme et de savon pour le marché intérieur.

Ces derniers temps, la ruée vers les agrocarburants à base d’huile de palme a fortement encouragé les investissements étrangers dans une bonne dizaine de pays, dans le but de produire de grandes quantités d’huile pour la transformer en biodiesel. Une recherche menée dernièrement par le WRM met en lumière le processus généralisé d’appropriation d’énormes étendues de terres par des transnationales étrangères qui visent à produire des agrocarburants pour les pays du Nord. En voici un résumé.

Angola
 – Le groupe Atlântica (Portugal), par l’intermédiaire de sa filiale AfriAgro, a eu accès à près de 5 000 hectares (avec la possibilité d’obtenir un total de 20 000 ha) pour la production de biodiesel.
 – La compagnie italienne ENI (en association avec la brésilienne Petrobras) a passé un accord avec le gouvernement, suivant lequel la dernière fera des plantations de palmier à huile pour approvisionner ENI en matière première pour la production de biodiesel.

Cameroun
 – Le groupe français Bolloré est le principal acteur du secteur du palmier à huile dans ce pays où il produit 80 % de l’huile de palme et possède près de 40 000 hectares de plantations par l’intermédiaire de ses entreprises SOCAPALM, SAFACAM et Ferme Suisse. La société a aussi des établissements industriels et vient de manifester son intérêt à produire du biodiesel.

République du Congo
 – La compagnie espagnole Aurantia a annoncé son intention d’investir en plantations de palmiers à huile pour la production de biodiesel.
 – La compagnie énergétique italienne ENI a obtenu près de 70 000 hectares pour planter des palmiers à huile.
 – La compagnie énergétique Fri-El Green, elle aussi italienne, a signé un accord pour planter des palmiers à huile sur 40 000 hectares.

République démocratique du Congo
 – GAP (groupe agro-pastoral), une société qui appartient au groupe Blattner, a 10 000 hectares de plantations.
– L’entreprise canadienne TriNorth Capital a annoncé que sa filiale Feronia avait acheté à Unilever les « Plantations et Huileries du Congo ». Dans son holding de 100 000 hectares elle entend en planter environ 70 000 de palmiers à huile.
– ZTE Agribusiness Company Ltd, une société chinoise, a annoncé son intention d’établir des plantations de palmiers à huile sur plus d’un million d’hectares.

Côte d’Ivoire
– PALMCI, une compagnie qui appartient au groupe français SIFCA et aux entreprises de Singapour Wilmar International et Olam International, a 35 000 hectares de plantations industrielles.
– L’entreprise belge SIPEF-CI a acheté 12 700 hectares de plantations industrielles.
– PALMAFRIQUE, qui appartient au holding financier « Groupe l’Aiglon », a 7 500 hectares de plantations.

Gabon
– L’ex-entreprise étatique Agrogabon a été privatisée et elle dépend à présent de la compagnie belge SIAT. Elle a 6 500 hectares de plantations.
– Olam International, basée à Singapour, entend planter près de 140 000 hectares de palmiers à huile. Dans le cadre du même projet, 60 000 hectares supplémentaires seraient plantés par 3 000 entrepreneurs locaux.

Gambie
Jusqu’à présent, une seule compagnie (l’espagnole Mercatalonia) a présenté au gouvernement un projet de plantation de palmiers à huile dont on ne sait pas encore s’il sera mis en œuvre.

Ghana
– La société belge SITA est aujourd’hui le principal actionnaire de la Ghana Oil Palm Development Co., privatisée en 1995.
– Unilever est le principal actionnaire d’Oil Palm Plantation Limited, un des principaux producteurs d’huile de palme du pays.
– Wilmar International (Singapour) est devenue propriétaire de Benso Oil Palm Plantation Limited.
– Norwegian Palm Ghana Limited (NORPALM) a acheté en 2000 les plantations de National Oil Palm Limited.

Liberia
– En 2009, la compagnie malaise Sime Darby a signé un contrat pour la concession de 220 000 hectares pendant 63 ans. Environ 180 000 hectares seraient affectés à la plantation de palmiers à huile.
– L’Equatorial Palm Oil Company du Royaume-Uni possède 169 000 hectares dont 10 000 environ sont déjà plantés de palmiers à huile.
– La compagnie indonésienne Golden Agri-Veroleum est en train de compléter les négociations avec le gouvernement pour établir des plantations de palmiers à huile sur 240 000 hectares.

Madagascar
Un projet qui aurait impliqué la concession de plus d’un million d’hectares (dont 300 000 auraient été affectés à la plantation de palmiers à huile) à l’entreprise sud-coréenne Daewoo a suscité un énorme scandale et semble avoir été abandonné. Néanmoins, deux autres projets sont à l’étude :
– La société énergétique des États-Unis Sithe Global obtiendrait 60 000 hectares pour la production de biodiesel à partir de plantations de palmier à huile.
– Cultures du Cap Est, une compagnie financée par un groupe indien, obtiendrait 19 100 hectares pour planter des palmiers à huile.

Nigeria
– La société belge SIAT, par le biais de sa filiale Presco, a près de 10 000 hectares de plantations, et son but déclaré est de produire de l’huile de palme pour le marché intérieur.
– La société italienne Fri-El Green Power a une concession de 11 300 hectares, et l’option de l’élargir jusqu’a 100 000.

Sao Tomé et Principe
– La compagnie franco-belge Socfinco (qui fait partie du groupe Bolloré), par l’intermédiaire de sa filiale Agripalma, a une concession de 5 000 hectares pour la plantation de palmiers à huile. Son but est de produire de l’huile de palme pour la transformer ensuite en biodiesel en Belgique.

Sierra Leone
– Sierra Leone Agriculture (Royaume-Uni) a une concession de 41 000 hectares, dont 30 000 seraient plantés de palmiers à huile.
– Le groupe portugais Quifel a signé des accords avec des communautés locales pour planter des palmiers à huile, de la canne à sucre et du riz. Un total de 40 000 hectares serait affecté à la production d’agrocarburants pour l’exportation.
– L’entreprise britannique Gold Tree projette de traiter les fruits de palmier à huile produits dans ses plantations et dans celles des communautés locales pour faire du biodiesel. Le projet concernerait quelque 40 000 hectares.

Tanzanie
– La société belge FELISA a un projet concernant 10 000 hectares de plantations, dont la moitié lui appartiennent et le reste serait planté par les petits agriculteurs locaux.
– African Green Oil Limited a le projet de planter 20 000 hectares pour produire de l’huile de palme.
– Tanzania Biodiesel Plant Ltd possède 16 000 hectares qui seront plantés de palmiers à huile.
– InfEnergy Co. Ltd a 5 800 hectares.
– La société malaise TM Plantations Ltd prévoit de faire des plantations à Kigoma.
– Sithe Global Power (États-Unis) prévoit de faire 50 000 hectares de plantations et de raffiner l’huile dans le pays.
– InfEnergy (Royaume-Uni) a 10 000 hectares pour planter des palmiers à huile.
– Un groupe malais qui n’a pas encore été identifié prévoit de planter de palmiers à huile 40 000 hectares de terres.

Ouganda
Oil Palm Uganda Limited, propriété de Wilmar (Singapour) en association avec BIDCO, a une concession de 10 000 hectares, mais le gouvernement a accepté de lui accorder 30 000 hectares supplémentaires, dont 20 000 pour l’établissement principal et 10 000 pour des sous-traitants et des petits agriculteurs.

Les plantations industrielles d’hévéas : encore des accapareuses de terres

L’Afrique produit environ 5 % du caoutchouc naturel du monde. Les principaux producteurs sont le Nigeria (300 000 hectares), le Liberia (100 000 ha) et la Côte d’Ivoire (70 000 ha). En ce moment, de nouveaux projets de plantation d’hévéas sont présentés dans beaucoup d’autres pays africains.

La transnationale française Michelin est une des plus importantes en Afrique, où elle possède des plantations d’hévéas au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Benin. Le Golden Millennium Group de Singapour possède 18 000 hectares de plantations au Cameroun. Quant à la transnationale Bridgestone/Firestone, ses plantations semblent se concentrer uniquement au Liberia.

Les plantations de Bridgestone/Firestone au Liberia servent à montrer quelles sont les conditions de travail dans les plantations africaines d’hévéas. Voici un extrait du rapport publié en 2008 par l’ONG libérienne SAMFU [1] :

« Les saigneurs travaillent environ 12 heures par jour, sans équipement de protection (gants, lunettes, bottes de pluie, imperméables, etc.), à moins qu’ils l’achètent eux-mêmes. Ils doivent transporter sur leurs épaules nues le latex qu’ils obtiennent, dans deux seaux suspendus au bout d’un bâton. Chaque seau pèse 70 livres, soit 31,7 kilos.

Cette méthode de transport primitive n’a pas changé depuis 1926. Avec 63,4 kilos sur leurs épaules, les travailleurs marchent jusqu’aux pesages, qui peuvent être jusqu’à 3 miles [4,8 km] de distance des arbres. Firestone n’offre aucun autre moyen de transport. Les saigneurs qui font ce travail éreintant risquent d’avoir des blessures et de développer des difformités à mesure que le temps passe.

Un saigneur se lève à 4 heures du matin et s’apprête à saigner peut-être 750 arbres en une journée normale. S’il ne complète pas son quota, il ne recevra que la moitié de son salaire de la journée. Devant cette situation, ils n’ont d’autre choix que de permettre à des membres de leur famille de les aider, ou d’engager un sous-traitant.

Les saigneurs travaillent tous les jours de l’année, y compris les fériés nationaux, le jour de Noël excepté. Ils produisent de grands volumes de latex : la production mensuelle d’un saigneur vaut en moyenne 2 296,80 USD au Liberia et 3 915,00 USD sur le marché mondial, alors que le saigneur reçoit 125 USD. Sur son salaire mensuel de 125 il devra payer le ou les sous-traitants qui l’auront aidé.

‘Ces gens nous traitent comme des esclaves parce que personne ne nous défend et que nous n’avons nulle part où aller pour trouver un autre travail. On produit plus de 5 tonnes de latex par mois pour l’entreprise, et ils ne nous payent même pas le prix d’une tonne’, a dit un saigneur avec amertume.

En plus de produire du latex, les saigneurs doivent appliquer des produits chimiques (fongicides et stimulants) pour protéger les arbres et accroître leur production. En outre, ils doivent nettoyer les broussailles au pied des arbres. Cette charge de travail fait qu’ils doivent engager des sous-traitants pour pouvoir tout faire. Quand la famille est nombreuse et ne peut pas se priver du riz ou de l’argent nécessaires pour payer un sous-traitant, la femme est obligée de quitter ses enfants pour aider le mari à compléter son quota ».

Fin avril 2007, les travailleurs ont déclaré une grève pour protester contre les tentatives de la direction de Firestone de retarder les élections. Au cours de cette grève, le 27 avril 2007 la police aurait brutalisé avec des bâtons des grévistes pacifiques, poursuivi des travailleurs inoffensifs à travers la ville d’Harbel (où se trouve l’usine de traitement de latex de Firestone), fait irruption dans les maisons et battu de nombreuses personnes innocentes. Il y a eu des dizaines de blessés. Vingt-quatre travailleurs ont reçu des blessures si graves qu’ils ont dû manquer à leur travail pendant qu’ils recevaient des soins. Un travailleur blessé est mort plus tard, par suite des blessures qu’il a subies pendant l’attaque. En outre, on a lancé du gaz lacrymogène au milieu de la ville d’Harbel, densément peuplée, sans se soucier des enfants, des femmes ni des vieillards. Il paraît que de nombreux travailleurs innocents, en plus d’être arrêtés sans raison, ont été détenus pendant un temps injustifié. »

L’accaparement de terres pour les puits de carbone

La création de plantations d’arbres qui fonctionnent comme « puits de carbone » est encouragée dans plusieurs pays africains, dont les préférés semblent être le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie. L’objectif des projets est de vendre des « crédits carbone » (découlant du carbone que les arbres plantés seraient censés stocker en croissant) à des pollueurs (entreprises ou gouvernements) qui peuvent déclarer qu’en achetant ces crédits ils « réduisent » ou même « neutralisent » leurs propres émissions.

C’est le cas de la Carbon Neutral Company du Royaume-Uni, qui a établi des plantations dans les montagnes du Sud de la Tanzanie. La compagnie a planté plus de 10 000 hectares d’espèces exotiques d’eucalyptus et de pins. [2]

Un autre exemple est celui de la compagnie norvégienne Green Resources, qui opère au Mozambique, au Soudan, en Tanzanie et en Ouganda. En 2003, elle a été fortement critiquée par l’ONG norvégienne Norwatch. La compagnie a déjà planté 14 000 hectares, surtout de pins et d’eucalyptus. D’après sa page web, elle « possède plus de 200 000 ha de terre pour les plantations futures et la conservation ». [4]

Le cas de la fondation néerlandaise FACE est un de ceux qui ont fait la une, à cause de ses graves effets sur la société. En 1994, la fondation signa un accord avec les autorités ougandaises pour planter des arbres sur 25 000 hectares à l’intérieur du parc national Mount Elgon. La fondation travaille avec l’UWA, l’organisme responsable de la gestion des parcs nationaux ougandais. Le projet UWA-FACE impliquait de planter d’arbres une bande de trois kilomètres de large juste à l’intérieur de la frontière de 211 kilomètres du parc national.

Or, le projet choisit de ne pas tenir compte des droits et besoins des peuples qui habitaient la zone et, depuis, les gardes forestiers de l’UWA appliquent un régime brutal pour empêcher les villageois d’entrer dans le parc national. En 1993 et en 2002, ces derniers furent expulsés avec violence de Mount Elgon. Depuis ces expulsions, les UWA ne cessent de les battre, les torturer, les humilier, de tirer sur eux, de les menacer et d’arracher leurs cultures. [5]

En bref, les plantations destinées à fonctionner comme puits de carbone sont une autre forme de monoculture qui provoque l’appropriation de vastes étendues de terre, en violation des droits territoriaux des populations locales qui se voient privées de leurs moyens d’existence.

Le besoin de soutenir les résistances locales

À peu d’exceptions près, le problème des plantations d’arbres en Afrique a reçu peu d’attention, aussi bien dans les pays concernés qu’aux plans régional et international. Ainsi, les luttes locales n’ont pas été visibles et ont reçu très peu de soutien. Les cas de résistance contre les plantations d’eucalyptus et de pins en Afrique du Sud, contre les plantations de palmiers à huile au Cameroun, contre les puits de carbone en Ouganda, et contre les plantations d’hévéas au Liberia font partie des exceptions qui ont réussi à attirer l’attention internationale.

Or, dès que quelqu’un fait des recherches sur la question de nombreux exemples de résistance aux plantations sont mis en lumière ; dans tous les cas, la résistance est due aux graves impacts des plantations sur la société et l’environnement. Parfois la résistance est impossible, là où les violations des droits de l’homme sont la norme. Pourtant, la résistance invisible peut devenir visible lorsque la situation change. C’est ce qui s’est passé au Togo : les communautés que les plantations de palmier à huile avaient privé de terres plusieurs décennies plus tôt ont décidé de les réclamer. Comme elles n’ont pas été satisfaites de la réponse du gouvernement, elles ont coupé les arbres et y ont mis le feu, faisant perdre à l’entreprise presque 2 000 hectares de plantations.

Dans la situation actuelle, où la tendance est à l’appropriation de vastes étendues de terres pour la production de n’importe quoi sauf des aliments (agrocarburants, pâte, caoutchouc, bois, charbon), les mouvements de résistance semble inévitables et certains d’entre eux vont se retrouver dans des situations extrêmement dangereuses. Dans ces circonstances, le soutien de l’extérieur et la divulgation de leurs luttes seront une question de vie ou de mort pour les communautés concernées.

[1] Version intégrale du rapport

[2] carbonneutral.com/

[3] “Carbon Upsets. Norwegian ‘Carbon Plantations’ in Tanzania", Jorn Stave, NorWatch.

[4] greenresources.no/.
[5] Version intégrale du rapport


* La monoculture avance dans le Sud-Est de l’Asie
* Les plantations industrielles d’arbres en Amérique latine : comment, pour quoi faire, pour qui

NOTRE OPINION

JOURNEE INTERNATIONALE CONTRE LA MONOCULTURE D’ARBRES

Comme les années précédentes, ce 21 septembre est la Journée internationale contre la monoculture d’arbres. Dans le but de soutenir la lutte contre l’expansion des « déserts verts », la journée est consacrée à dénoncer les effets de ce système sur la vie des millions de personnes concernées.

Les arbres utilisés dans ces plantations varient suivant les objectifs des entreprises qui les plantent. Ainsi, les pins et les eucalyptus sont choisis pour approvisionner en matière première l’industrie de la pâte ; le teck, le pin et le gmelina pour l’industrie du bois ; le palmier à huile pour l’industrie des agrocarburants ; l’hévéa pour l’industrie automobile ; plusieurs espèces (d’eucalyptus et de pins surtout) pour l’affaire du marché du carbone.

Les plantations d’arbres ont des répercussions sociales et environnementales nombreuses et très graves sur les sols, l’eau, la flore et la faune, mais l’effet le plus grave est l’occupation des terres de peuples autochtones, traditionnels ou paysans, car elle les prive des moyens de subsistance qu’ils tiraient auparavant de leurs territoires ancestraux.

L’occupation territoriale pratiquée par ces entreprises a beaucoup de points en commun avec une invasion militaire. Comme dans les invasions conventionnelles, ce ne sont ni les hommes d’affaires ni les gouvernants des pays responsables de l’invasion qui les font en personne. L’invasion commence avec l’arrivée d’émissaires des entreprises, qui promettent la paix, l’emploi, la richesse et le développement. Viennent ensuite les fonctionnaires du gouvernement pour annoncer qu’un accord a été signé avec l’entreprise, que cet accord sera énormément avantageux pour la population locale, et qu’il faut que celle-ci y collabore.

Après cette étape commence l’invasion proprement dite, dont le premier pas consiste à détruire la flore locale avec des machines et des produits toxiques. Finalement, l’armée envahisseuse débarque, représentée par d’interminables rangées d’arbres qui avancent inexorablement sur le territoire de la région.

Au début, cette invasion peut susciter ou non l’opposition mais, avec le temps, lorsque les promesses s’avèrent fausses et que les impacts deviennent visibles, la résistance est presque inévitable.

Qu’elle soit antérieure ou postérieure à l’invasion, une fois que la résistance commence à se manifester les envahisseurs passent à l’étape de la division des communautés et, si cela ne réussit pas, à la répression, en employant directement leurs propres gardes ou en faisant appel à l’appareil répressif de l’État (la police, l’armée, les tribunaux) qui accourt sans tarder au secours de ses alliés.

Dans de nombreux cas, le résultat final est la violation d’une longue série de droits humains ; dans les cas les plus graves, cela aboutit à l’emprisonnement, à la torture et même au meurtre.

En bref, l’établissement de ces grandes plantations d’arbres en régime de monoculture constitue une guerre contre les peuples et la nature. La grande armée verte envahit, détruit et réprime les populations locales, dont le seul « délit » est de défendre de l’envahisseur ce qui leur appartient.

C’est pourquoi, en ce 21 septembre, nous souhaitons rendre hommage aux peuples qui luttent pour protéger leurs territoires, et exhorter à redoubler d’efforts pour les appuyer dans la légitime défense de leurs droits.

index

LA MONOCULTURE D’ARBRES DANS LE SUD

LE PILLAGE DE L’AFRIQUE SE POURSUIT : LA MONOCULTURE D’ARBRES

L’histoire des 500 dernières années du continent africain est celle du pillage de ses ressources et de l’exploitation violente de ses peuples par des pouvoirs étrangers (surtout européens) qui ont accumulé des richesses au prix de la souffrance (et la mort) de millions d’Africains et de la destruction de leurs ressources.

Les richesses découvertes par les premiers navigateurs européens arrivés aux côtes de l’Afrique incitèrent les nombreuses puissances européennes de l’époque (Portugal, Espagne, Angleterre, France, Allemagne, Belgique) à envahir le continent et à soumettre ses peuples par la force, à perpétrer le vol suprême de se déclarer propriétaires de ces terres et même des personnes qui les habitaient, qui furent vendues comme esclaves.

Les frontières actuelles des la plupart des pays d’Afrique sont le résultat des disputes entre ces puissances européennes et n’ont rien à voir avec les territoires des cultures indigènes qui peuplaient le continent au départ. Ces territoires furent découpés et réassemblés suivant les intérêts et les possibilités des puissances coloniales. Les colonies des envahisseurs allemands furent englouties par les pays qui les avaient battus aux deux grandes guerres déclenchées pour se partager le contrôle du monde.

Un des moyens adoptés par les envahisseurs pour s’approprier les ressources du continent fut l’établissement de grandes plantations (de canne à sucre, de cacao, de cacahuètes, de tabac, de palmiers à huile et d’hévéas), avec main-d’œuvre esclave au départ et semi-esclave plus tard.

Les grandes plantations d’arbres en régime de monoculture ne sont que la continuation du système établi pendant la colonisation et maintenu pendant le néocolonialisme postérieur à l’indépendance ; ce système est en expansion aujourd’hui, du fait de la mondialisation.

Les facteurs déterminants

L’énorme diversité géographique de l’Afrique, les différentes situations postcoloniales des divers pays, la guerre froide, les guerres civiles, les régimes répressifs ou démocratiques et les intérêts des puissances étrangères ont été des facteurs déterminants du choix de différents types de plantations dans chaque pays. Parmi ces facteurs, nous pouvons mentionner les suivants :

1. Les facteurs géographiques font que le développement de certaines espèces soit facilité ou entravé suivant la région, en fonction des caractéristiques du sol, de l’ensoleillement, de la température et de la disponibilité d’eau.
2. Dans certains cas, dans la période postcoloniale tous les liens avec l’ancien colonisateur furent coupés, tandis que dans d’autres cas la situation resta presque inchangée. Ce facteur a beaucoup d’incidence sur la présence ou l’absence d’entreprises étrangères et de marchés associés aux différentes plantations.
3. La guerre froide aboutit dans certains cas à la rupture des liens avec les anciennes puissances coloniales et à l’établissement de régimes qui créèrent de nouveaux liens avec l’Union soviétique, la Chine ou Cuba, ce qui impliqua des changements dans les méthodes de production pour les adapter à ces nouveaux marchés.
4. Les guerres civiles (souvent liées aux luttes entre les principales puissances mondiales) n’incitèrent pas à faire des investissements à long terme.
5. Les régimes répressifs facilitèrent l’appropriation des terres des communautés locales pour les affecter ensuite à des plantations, tandis que les régimes plus ouverts permirent l’apparition de résistances à cette nouvelle forme de pillage.
6. Les différents besoins en matières premières portèrent les grandes puissances à favoriser l’établissement de certains types déterminés de plantations dans les différents pays.

Des institutions comme la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et le Fonds monétaire international jouèrent un rôle également important dans l’expansion de certains types de plantations dans certains pays. Elles utilisèrent les prêts et l’imposition de mesures économiques pour favoriser la privatisation des entreprises étatiques et des plantations industrielles axées sur l’exportation.

Dans tous les cas, la FAO joua un rôle déterminant par l’imposition de la « révolution verte » – un terme tout à fait impropre – suivant laquelle la monoculture et le paquet de produits chimiques toxiques dont elle s’accompagnait était la seule option pour le développement des secteurs agricole et forestier. Les plantations d’arbres font partie de ce système, et la FAO a joué un rôle essentiel dans leur promotion, en les définissant (en fait, en les déguisant) comme des « forêts ».

Il faut souligner aussi que les agences de « coopération » bilatérales (en particulier celles d’Europe et des États-Unis) ont beaucoup contribué à promouvoir l’établissement de certains types de plantations dans les divers pays du continent.

C’est de la combinaison de tous ces facteurs (environnementaux, politiques, idéologiques et économiques) que découle la situation actuelle des plantations en Afrique. Nous nous limiterons à examiner exclusivement les plantations d’eucalyptus, de pins, de palmiers à huile et d’hévéas.

Les plantations d’eucalyptus et de pins en Afrique

Les grandes plantations d’eucalyptus et de pins se concentrent dans le Sud de l’Afrique, en particulier en Afrique du Sud, au Swaziland et au Zimbabwe, mais elles commencent à s’étendre aussi au Mozambique. D’autres surfaces plantées plus petites se trouvent en Angola, en Zambie, au Malawi et en Tanzanie ; il y a aussi une grande plantation d’eucalyptus clonés en République du Congo, établie par Shell Petroleum dans les années 1990 et aujourd’hui propriété de la société canadienne MagForestry.

En Afrique du Sud, les surfaces plantées les plus larges sont dans les provinces de Mpumalanga, KwaZulu-Natal et Eastern Cape ; elles couvrent 1,5 million d’hectares. D’autre part, environ 1,6 million d’hectares ont été envahis par des espèces utilisées dans les plantations, telles que l’acacia, l’eucalyptus et le pin.

La surface plantée au Swaziland est bien plus réduite (100 000 hectares), mais cela représente un fort pourcentage de la superficie du pays (9 %), et devient encore plus grave du fait que ces plantations occupent les meilleures terres agricoles. Dans le cas du Mozambique, les grandes plantations n’en sont qu’à leurs débuts mais il est prévu de consacrer de grandes surfaces aux plantations d’arbres pour la production de pâte, de bois de sciage et d’agrocarburants.

Cette industrie est dominée dans la région par deux grandes entreprises papetières sud-africaines, Mondi et Sappi, qui ont des plantations et des usines de pâte en Afrique du Sud et au Swaziland, et des papeteries dans le monde entier. Les espèces plantées étaient au départ surtout des acacias (pour la production de tannin et de copeaux) et des pins (pour du bois d’œuvre), mais de plus en plus on plante des eucalyptus pour fabriquer de la pâte destinée à la production de produits de papier et de cellulose.

Il est intéressant de signaler que, malgré les conséquences dramatiques que ces plantations industrielles ont pour la société et l’environnement, leur grande majorité a été certifiée par le FSC en tant que « appropriées pour l’environnement et avantageuses pour la société ».

Le palmier à huile : des bosquets naturels à usage traditionnel aux grandes plantations pour la fabrication d’agrocarburant

Le palmier à huile est utilisé depuis très longtemps en Afrique centrale et occidentale, régions où il pousse naturellement. Jusqu’à présent, une bonne partie de l’huile de palme utilisée par les communautés locales provient de la récolte des fruits dans des bosquets de palmiers naturels et elle est fabriquée par des méthodes manuelles traditionnelles. On peut en dire autant du savon et du vin de palme. Il est fréquent que les femmes soient les principales responsables de la fabrication et/ou de la commercialisation de l’huile de palme, tandis que les hommes se chargent de la récolte.

Aussi bien pendant la période coloniale qu’après l’indépendance, de grandes plantations et les installations industrielles associées furent établies dans beaucoup de pays. Tandis que pendant la période coloniale elles avaient pour but l’exportation des fruits et de l’huile, elles se sont orientées plus tard vers la production d’huile de palme et de savon pour le marché intérieur.

Ces derniers temps, la ruée vers les agrocarburants à base d’huile de palme a fortement encouragé les investissements étrangers dans une bonne dizaine de pays, dans le but de produire de grandes quantités d’huile pour la transformer en biodiesel. Une recherche menée dernièrement par le WRM met en lumière le processus généralisé d’appropriation d’énormes étendues de terres par des transnationales étrangères qui visent à produire des agrocarburants pour les pays du Nord. En voici un résumé.

Angola
– Le groupe Atlântica (Portugal), par l’intermédiaire de sa filiale AfriAgro, a eu accès à près de 5 000 hectares (avec la possibilité d’obtenir un total de 20 000 ha) pour la production de biodiesel.
– La compagnie italienne ENI (en association avec la brésilienne Petrobras) a passé un accord avec le gouvernement, suivant lequel la dernière fera des plantations de palmier à huile pour approvisionner ENI en matière première pour la production de biodiesel.

Cameroun
– Le groupe français Bolloré est le principal acteur du secteur du palmier à huile dans ce pays où il produit 80 % de l’huile de palme et possède près de 40 000 hectares de plantations par l’intermédiaire de ses entreprises SOCAPALM, SAFACAM et Ferme Suisse. La société a aussi des établissements industriels et vient de manifester son intérêt à produire du biodiesel.

République du Congo
– La compagnie espagnole Aurantia a annoncé son intention d’investir en plantations de palmiers à huile pour la production de biodiesel.
– La compagnie énergétique italienne ENI a obtenu près de 70 000 hectares pour planter des palmiers à huile.
– La compagnie énergétique Fri-El Green, elle aussi italienne, a signé un accord pour planter des palmiers à huile sur 40 000 hectares.

République démocratique du Congo
– GAP (groupe agro-pastoral), une société qui appartient au groupe Blattner, a 10 000 hectares de plantations.
– L’entreprise canadienne TriNorth Capital a annoncé que sa filiale Feronia avait acheté à Unilever les « Plantations et Huileries du Congo ». Dans son holding de 100 000 hectares elle entend en planter environ 70 000 de palmiers à huile.
– ZTE Agribusiness Company Ltd, une société chinoise, a annoncé son intention d’établir des plantations de palmiers à huile sur plus d’un million d’hectares.

Côte d’Ivoire
– PALMCI, une compagnie qui appartient au groupe français SIFCA et aux entreprises de Singapour Wilmar International et Olam International, a 35 000 hectares de plantations industrielles.
– L’entreprise belge SIPEF-CI a acheté 12 700 hectares de plantations industrielles.
– PALMAFRIQUE, qui appartient au holding financier « Groupe l’Aiglon », a 7 500 hectares de plantations.

Gabon
– L’ex-entreprise étatique Agrogabon a été privatisée et elle dépend à présent de la compagnie belge SIAT. Elle a 6 500 hectares de plantations.
– Olam International, basée à Singapour, entend planter près de 140 000 hectares de palmiers à huile. Dans le cadre du même projet, 60 000 hectares supplémentaires seraient plantés par 3 000 entrepreneurs locaux.

Gambie
Jusqu’à présent, une seule compagnie (l’espagnole Mercatalonia) a présenté au gouvernement un projet de plantation de palmiers à huile dont on ne sait pas encore s’il sera mis en œuvre.

Ghana
– La société belge SITA est aujourd’hui le principal actionnaire de la Ghana Oil Palm Development Co., privatisée en 1995.
– Unilever est le principal actionnaire d’Oil Palm Plantation Limited, un des principaux producteurs d’huile de palme du pays.
– Wilmar International (Singapour) est devenue propriétaire de Benso Oil Palm Plantation Limited.
– Norwegian Palm Ghana Limited (NORPALM) a acheté en 2000 les plantations de National Oil Palm Limited.

Liberia
– En 2009, la compagnie malaise Sime Darby a signé un contrat pour la concession de 220 000 hectares pendant 63 ans. Environ 180 000 hectares seraient affectés à la plantation de palmiers à huile.
– L’Equatorial Palm Oil Company du Royaume-Uni possède 169 000 hectares dont 10 000 environ sont déjà plantés de palmiers à huile.
– La compagnie indonésienne Golden Agri-Veroleum est en train de compléter les négociations avec le gouvernement pour établir des plantations de palmiers à huile sur 240 000 hectares.

Madagascar
Un projet qui aurait impliqué la concession de plus d’un million d’hectares (dont 300 000 auraient été affectés à la plantation de palmiers à huile) à l’entreprise sud-coréenne Daewoo a suscité un énorme scandale et semble avoir été abandonné. Néanmoins, deux autres projets sont à l’étude :
– La société énergétique des États-Unis Sithe Global obtiendrait 60 000 hectares pour la production de biodiesel à partir de plantations de palmier à huile.
– Cultures du Cap Est, une compagnie financée par un groupe indien, obtiendrait 19 100 hectares pour planter des palmiers à huile.

Nigeria
– La société belge SIAT, par le biais de sa filiale Presco, a près de 10 000 hectares de plantations, et son but déclaré est de produire de l’huile de palme pour le marché intérieur.
– La société italienne Fri-El Green Power a une concession de 11 300 hectares, et l’option de l’élargir jusqu’a 100 000.

Sao Tomé et Principe
– La compagnie franco-belge Socfinco (qui fait partie du groupe Bolloré), par l’intermédiaire de sa filiale Agripalma, a une concession de 5 000 hectares pour la plantation de palmiers à huile. Son but est de produire de l’huile de palme pour la transformer ensuite en biodiesel en Belgique.

Sierra Leone
– Sierra Leone Agriculture (Royaume-Uni) a une concession de 41 000 hectares, dont 30 000 seraient plantés de palmiers à huile.
– Le groupe portugais Quifel a signé des accords avec des communautés locales pour planter des palmiers à huile, de la canne à sucre et du riz. Un total de 40 000 hectares serait affecté à la production d’agrocarburants pour l’exportation.
– L’entreprise britannique Gold Tree projette de traiter les fruits de palmier à huile produits dans ses plantations et dans celles des communautés locales pour faire du biodiesel. Le projet concernerait quelque 40 000 hectares.

Tanzanie
– La société belge FELISA a un projet concernant 10 000 hectares de plantations, dont la moitié lui appartiennent et le reste serait planté par les petits agriculteurs locaux.
– African Green Oil Limited a le projet de planter 20 000 hectares pour produire de l’huile de palme.
– Tanzania Biodiesel Plant Ltd possède 16 000 hectares qui seront plantés de palmiers à huile.
– InfEnergy Co. Ltd a 5 800 hectares.
– La société malaise TM Plantations Ltd prévoit de faire des plantations à Kigoma.
– Sithe Global Power (États-Unis) prévoit de faire 50 000 hectares de plantations et de raffiner l’huile dans le pays.
– InfEnergy (Royaume-Uni) a 10 000 hectares pour planter des palmiers à huile.
– Un groupe malais qui n’a pas encore été identifié prévoit de planter de palmiers à huile 40 000 hectares de terres.

Ouganda
Oil Palm Uganda Limited, propriété de Wilmar (Singapour) en association avec BIDCO, a une concession de 10 000 hectares, mais le gouvernement a accepté de lui accorder 30 000 hectares supplémentaires, dont 20 000 pour l’établissement principal et 10 000 pour des sous-traitants et des petits agriculteurs.

Les plantations industrielles d’hévéas : encore des accapareuses de terres

L’Afrique produit environ 5 % du caoutchouc naturel du monde. Les principaux producteurs sont le Nigeria (300 000 hectares), le Liberia (100 000 ha) et la Côte d’Ivoire (70 000 ha). En ce moment, de nouveaux projets de plantation d’hévéas sont présentés dans beaucoup d’autres pays africains.

La transnationale française Michelin est une des plus importantes en Afrique, où elle possède des plantations d’hévéas au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Benin. Le Golden Millennium Group de Singapour possède 18 000 hectares de plantations au Cameroun. Quant à la transnationale Bridgestone/Firestone, ses plantations semblent se concentrer uniquement au Liberia.

Les plantations de Bridgestone/Firestone au Liberia servent à montrer quelles sont les conditions de travail dans les plantations africaines d’hévéas. Voici un extrait du rapport publié en 2008 par l’ONG libérienne SAMFU [1] :

« Les saigneurs travaillent environ 12 heures par jour, sans équipement de protection (gants, lunettes, bottes de pluie, imperméables, etc.), à moins qu’ils l’achètent eux-mêmes. Ils doivent transporter sur leurs épaules nues le latex qu’ils obtiennent, dans deux seaux suspendus au bout d’un bâton. Chaque seau pèse 70 livres, soit 31,7 kilos.

Cette méthode de transport primitive n’a pas changé depuis 1926. Avec 63,4 kilos sur leurs épaules, les travailleurs marchent jusqu’aux pesages, qui peuvent être jusqu’à 3 miles [4,8 km] de distance des arbres. Firestone n’offre aucun autre moyen de transport. Les saigneurs qui font ce travail éreintant risquent d’avoir des blessures et de développer des difformités à mesure que le temps passe.

Un saigneur se lève à 4 heures du matin et s’apprête à saigner peut-être 750 arbres en une journée normale. S’il ne complète pas son quota, il ne recevra que la moitié de son salaire de la journée. Devant cette situation, ils n’ont d’autre choix que de permettre à des membres de leur famille de les aider, ou d’engager un sous-traitant.

Les saigneurs travaillent tous les jours de l’année, y compris les fériés nationaux, le jour de Noël excepté. Ils produisent de grands volumes de latex : la production mensuelle d’un saigneur vaut en moyenne 2 296,80 USD au Liberia et 3 915,00 USD sur le marché mondial, alors que le saigneur reçoit 125 USD. Sur son salaire mensuel de 125 il devra payer le ou les sous-traitants qui l’auront aidé.

‘Ces gens nous traitent comme des esclaves parce que personne ne nous défend et que nous n’avons nulle part où aller pour trouver un autre travail. On produit plus de 5 tonnes de latex par mois pour l’entreprise, et ils ne nous payent même pas le prix d’une tonne’, a dit un saigneur avec amertume.

En plus de produire du latex, les saigneurs doivent appliquer des produits chimiques (fongicides et stimulants) pour protéger les arbres et accroître leur production. En outre, ils doivent nettoyer les broussailles au pied des arbres. Cette charge de travail fait qu’ils doivent engager des sous-traitants pour pouvoir tout faire. Quand la famille est nombreuse et ne peut pas se priver du riz ou de l’argent nécessaires pour payer un sous-traitant, la femme est obligée de quitter ses enfants pour aider le mari à compléter son quota ».

Fin avril 2007, les travailleurs ont déclaré une grève pour protester contre les tentatives de la direction de Firestone de retarder les élections. Au cours de cette grève, le 27 avril 2007 la police aurait brutalisé avec des bâtons des grévistes pacifiques, poursuivi des travailleurs inoffensifs à travers la ville d’Harbel (où se trouve l’usine de traitement de latex de Firestone), fait irruption dans les maisons et battu de nombreuses personnes innocentes. Il y a eu des dizaines de blessés. Vingt-quatre travailleurs ont reçu des blessures si graves qu’ils ont dû manquer à leur travail pendant qu’ils recevaient des soins. Un travailleur blessé est mort plus tard, par suite des blessures qu’il a subies pendant l’attaque. En outre, on a lancé du gaz lacrymogène au milieu de la ville d’Harbel, densément peuplée, sans se soucier des enfants, des femmes ni des vieillards. Il paraît que de nombreux travailleurs innocents, en plus d’être arrêtés sans raison, ont été détenus pendant un temps injustifié. »

L’accaparement de terres pour les puits de carbone

La création de plantations d’arbres qui fonctionnent comme « puits de carbone » est encouragée dans plusieurs pays africains, dont les préférés semblent être le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie. L’objectif des projets est de vendre des « crédits carbone » (découlant du carbone que les arbres plantés seraient censés stocker en croissant) à des pollueurs (entreprises ou gouvernements) qui peuvent déclarer qu’en achetant ces crédits ils « réduisent » ou même « neutralisent » leurs propres émissions.

C’est le cas de la Carbon Neutral Company du Royaume-Uni, qui a établi des plantations dans les montagnes du Sud de la Tanzanie. La compagnie a planté plus de 10 000 hectares d’espèces exotiques d’eucalyptus et de pins. [2]

Un autre exemple est celui de la compagnie norvégienne Green Resources, qui opère au Mozambique, au Soudan, en Tanzanie et en Ouganda. En 2003, elle a été fortement critiquée par l’ONG norvégienne Norwatch. La compagnie a déjà planté 14 000 hectares, surtout de pins et d’eucalyptus. D’après sa page web, elle « possède plus de 200 000 ha de terre pour les plantations futures et la conservation ». [4]

Le cas de la fondation néerlandaise FACE est un de ceux qui ont fait la une, à cause de ses graves effets sur la société. En 1994, la fondation signa un accord avec les autorités ougandaises pour planter des arbres sur 25 000 hectares à l’intérieur du parc national Mount Elgon. La fondation travaille avec l’UWA, l’organisme responsable de la gestion des parcs nationaux ougandais. Le projet UWA-FACE impliquait de planter d’arbres une bande de trois kilomètres de large juste à l’intérieur de la frontière de 211 kilomètres du parc national.

Or, le projet choisit de ne pas tenir compte des droits et besoins des peuples qui habitaient la zone et, depuis, les gardes forestiers de l’UWA appliquent un régime brutal pour empêcher les villageois d’entrer dans le parc national. En 1993 et en 2002, ces derniers furent expulsés avec violence de Mount Elgon. Depuis ces expulsions, les UWA ne cessent de les battre, les torturer, les humilier, de tirer sur eux, de les menacer et d’arracher leurs cultures. [5]

En bref, les plantations destinées à fonctionner comme puits de carbone sont une autre forme de monoculture qui provoque l’appropriation de vastes étendues de terre, en violation des droits territoriaux des populations locales qui se voient privées de leurs moyens d’existence.

Le besoin de soutenir les résistances locales

À peu d’exceptions près, le problème des plantations d’arbres en Afrique a reçu peu d’attention, aussi bien dans les pays concernés qu’aux plans régional et international. Ainsi, les luttes locales n’ont pas été visibles et ont reçu très peu de soutien. Les cas de résistance contre les plantations d’eucalyptus et de pins en Afrique du Sud, contre les plantations de palmiers à huile au Cameroun, contre les puits de carbone en Ouganda, et contre les plantations d’hévéas au Liberia font partie des exceptions qui ont réussi à attirer l’attention internationale.

Or, dès que quelqu’un fait des recherches sur la question de nombreux exemples de résistance aux plantations sont mis en lumière ; dans tous les cas, la résistance est due aux graves impacts des plantations sur la société et l’environnement. Parfois la résistance est impossible, là où les violations des droits de l’homme sont la norme. Pourtant, la résistance invisible peut devenir visible lorsque la situation change. C’est ce qui s’est passé au Togo : les communautés que les plantations de palmier à huile avaient privé de terres plusieurs décennies plus tôt ont décidé de les réclamer. Comme elles n’ont pas été satisfaites de la réponse du gouvernement, elles ont coupé les arbres et y ont mis le feu, faisant perdre à l’entreprise presque 2 000 hectares de plantations.

Dans la situation actuelle, où la tendance est à l’appropriation de vastes étendues de terres pour la production de n’importe quoi sauf des aliments (agrocarburants, pâte, caoutchouc, bois, charbon), les mouvements de résistance semble inévitables et certains d’entre eux vont se retrouver dans des situations extrêmement dangereuses. Dans ces circonstances, le soutien de l’extérieur et la divulgation de leurs luttes seront une question de vie ou de mort pour les communautés concernées.

[1] Version intégrale du rapport : http://www.samfu.org/do%20files/The%20Heavy%20Load_2008.pdf.
[2] http://www.carbonneutral.com/project-portfolio/uchindile-mapanda-reforestation/.
[3] “Carbon Upsets. Norwegian ‘Carbon Plantations’ in Tanzania", Jorn Stave, NorWatch.
[4] http://www.greenresources.no/.
[5] Version intégrale du rapport : http://www.wrm.org.uy/countries/Uganda/Place_Store_Carbon.pdf.

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LA MONOCULTURE AVANCE DANS LE SUD-EST DE L’ASIE

« La caractéristique essentielle des plantations en régime de monoculture est que, en plus de déplacer d’autres options, elles détruisent leur propre base. Elles ne sont ni tolérantes des autres systèmes ni capables de se reproduire elles-mêmes de façon durable. » Ainsi parlait Vandana Shiva dans son essai de 1993, devenu un classique : « La monoculture de l’esprit ».

La monoculture existe pour accroître la productivité d’un produit, qu’il s’agisse de caoutchouc, de copeaux, de bois d’œuvre, d’huile de palme, de manioc ou de sucre. Or, si la productivité augmente du point de vue commercial, elle diminue du point de vue des populations locales.

Les copeaux de bois, la pâte et la monoculture

Shiva a écrit sur l’érosion des connaissances forestières locales provoquée par la foresterie « scientifique » et le remplacement de la diversité biologique par la monoculture. Les plantations d’eucalyptus en sont le meilleur l’exemple : des rangées uniformes d’arbres presque identiques, au taux de croissance prévisible, et dont le seul objet est la production de matière première pour les industries de la pâte, de la biomasse ou du bois.

Pourtant, comme le signale Shiva, « Partout les gens ont résisté à l’expansion des eucalyptus parce qu’il détruit l’eau, le sol et les systèmes alimentaires ». Elle donne l’exemple d’un programme de foresterie sociale financé par la Banque mondiale qui a été appliqué en l’État indien de Karnataka : en août 1983, le mouvement paysan Raitha Sangha a envahi la pépinière et arraché des millions de plants d’eucalyptus. À leur place, ils ont planté des tamariniers et des manguiers.

La résistance à la prolifération des plantations a pris le contre-pied de la foresterie scientifique qui avait supprimé toutes les espèces sauf une, l’eucalyptus. Les villageois ont réaffirmé que leurs besoins passaient avant le besoin de matière première de l’industrie papetière, et que leurs connaissances étaient plus importantes que celles des experts forestiers de la Banque mondiale et du gouvernement.

Des réactions semblables contre l’eucalyptus ont commencé aussi en Thaïlande dans les années 1980. Au cours de plusieurs manifestations, les villageois ont arraché des plants d’eucalyptus, brûlé des pépinières, marché, écrit des lettres, participé à des mobilisations, classé les arbres indigènes pour éviter qu’on les coupe et les remplace par des plantations, abattu les eucalyptus et rétabli les forêts communautaires.

À cette résistance on a souvent répondu de façon brutale. Les agriculteurs de Karnataka ont été arrêtés. En Thaïlande, plus d’une dizaine d’activistes de l’environnement ont été tués pendant la dernière décennie. La violence commence parfois avant même que les villageois protestent. À la fin des années 1980, une entreprise dénommée Arara Abadi qui appartenait au géant papetier indonésien Asia Pulp & Paper (APP) a commencé à s’approprier des terres voisines du village de Mandiangin, à Sumatra. Elle s’emparait tout simplement des terres des autochtones sakai et malay, sans compensation aucune. Des policiers armés et des fonctionnaires militaires ont participé aux réunions de l’entreprise avec les villageois. Dans un rapport rédigé en 2003, Human Rights Watch témoigne de l’intimidation et de la violence qu’ont dû subir les habitants de la zone des plantations d’APP. Un villageois a dit à Human Rights Watch : « Nous apprenions souvent que quelqu’un avait été arrêté ou qu’il avait tout simplement disparu. Alors, quand ils sont venus avec leurs armes nous n’avons pas dit un mot ». L’entreprise avait imposé une monoculture de l’opinion, comme elle avait imposé la monoculture d’arbres à croissance rapide.

D’après les commentaires, APP aurait l’intention d’étendre ses activités au Cambodge et au Vietnam. En 2004, APP a montré au Cambodge sa peu séduisante tête, par le biais d’une entreprise dénommée Green Elite qui prévoyait de planter 18 300 hectares d’acacias à l’intérieur du parc national Botum Sokor. Green Elite a été flanquée à la porte, mais elle avait déjà abattu plusieurs hectares de forêt de Melaleuca et commencé à construire une fabrique de copeaux de bois.

En 2007, Green Elite a été autorisée à établir 70 000 hectares de plantations d’arbres à croissance rapide dans la province vietnamienne de Nghe An. Le travail est fait par une filiale de l’entreprise, dénommée InnovGreen Nghe An. Les plantations avancent, et InnovGreen prévoit de faire 349 000 hectares de plantations industrielles dans six provinces du Vietnam.

La Golden One Company, qui aurait des liens avec APP, vise à établir des plantations industrielles d’arbres au Laos. L’entreprise a délimité une surface d’environ 12 000 hectares dans le district de Samuoi, province de Salavan, mais on ignore quelle est exactement la situation de la concession.

Le pouvoir écrasant du caoutchouc

Ces dernières années, d’énormes étendues de terres ont été affectées à la monoculture d’hévéas, en Chine, au Laos, en Thaïlande, au Cambodge et en Birmanie. D’après un article publié en 2009 dans le magazine Science, en Chine cette expansion a été encouragée surtout pour remplacer la culture itinérante. Les gouvernements ont tendance à voir cette méthode agricole comme « un système destructeur qui provoque la dégradation et la diminution des forêts », et ils ont donc favorisé son remplacement par des plantations. Ironiquement, cela se fait souvent au nom du « reboisement », alors que, sauf la présence d’arbres, les plantations qui en résultent n’ont rien à voir avec les forêts.

Les auteurs de l’article de Science, Alan Ziegler et ses collègues de l’Université nationale de Singapour, estiment que 500 000 hectares de forêt d’altitude ont été transformés en plantations d’hévéas dans les cinq pays mentionnés.

Ils affirment que les plantations de caoutchouc pourraient avoir de graves effets sur l’environnement : diminution de la diversité biologique, réduction des stocks de carbone, pollution et dégradation des réserves d’eau locales. Ziegler fait maintenant de nouvelles recherches, avec des chercheurs thaïlandais et cambodgiens, au sujet des impacts des plantations d’hévéas sur la circulation de l’eau et du carbone.

Avec l’augmentation du prix du caoutchouc et de la demande, la surface des plantations est en train de s’élargir. En 2009, les exportations de caoutchouc du Cambodge ont augmenté de 36 %. Des sociétés vietnamiennes prévoient de planter 200 000 hectares d’hévéas en Birmanie.

La monoculture de produits alimentaires

Entre 2006 et 2008, les prix internationaux des aliments sont montés en flèche, et ce pour plusieurs raisons. L’augmentation du prix du pétrole en est une. La demande de cultures alimentaires pour la production de biocarburants en est une autre. La troisième est que les spéculateurs financiers de Goldman Sachs et d’autres banques se sont retirés du secteur des prêts hypothécaires à risque et ont investi énormément d’argent dans les produits alimentaires, faisant monter aussi le prix des aliments.

Mais il y a une quatrième raison de l’augmentation des prix des aliments, et elle se trouve dans les rizières vietnamiennes. Le Vietnam est le troisième exportateur de riz du monde. Or, une épidémie de maladie et de ravageurs s’est abattue sur les rizières du pays, de sorte que la production mondiale de riz a diminué.

Là encore, le problème réside dans la monoculture. L’agriculture moins intensive et beaucoup moins vulnérable aux ravageurs et aux maladies que la monoculture. Vandana Shiva nous en avait alertés en 1993 : « En détruisant la diversité, on a détruit les moyens dont disposait la nature pour contrôler les ravageurs ; ainsi, les semences ‘miraculeuses’ de la révolution verte sont devenues le moyen de créer de nouveaux ravageurs et de nouvelles maladies ».

Monoculture « durable » ?

La plupart du temps, la réaction du mouvement écologiste contre les plantations en régime de monoculture à consisté surtout à exiger ce qu’on appelle « durabilité ». Par exemple, au début de cette année, le WWF a formulé le « Projet de plantations de deuxième génération », grâce auquel il travaillera avec les entreprises de pâte et de papier à la promotion de plantations « bien gérées et situées au bon endroit » et susceptibles de contribuer au développement durable ». Le WWF aidera une des sociétés concernées, Stora Enso, à élargir de 160 000 hectares ses plantations en Chine. Or, les plantations de Stora Enso dans ce pays ont été très controversées, et elles ont abouti à une série de disputes territoriales et à des violences contre un avocat qui représentait les agriculteurs locaux.

Ce mot bizarre, « durabilité », a dévoré une bonne partie du mouvement écologiste, engloutissant des activistes et recrachant des cadres costumés qui se baladent de fiesta d’affaires en fiesta d’affaires.

Il y a d’abord le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) dont le président travaille pour Shell et qui compte parmi ses 200 entreprises membres des modèles de vertu écologique tels que Sappi, Mondi, Stora Enso, Weyerhaeuser, MeadWestvaco, Veracel et Fibria (comme on appelle ces jours-ci Aracruz Celulose). Le WBCSD a un projet de « industrie de produits forestiers durables », dont le « moteur » est de « trouver des moyens de gérer les forêts de façon durable pour répondre aux besoins de six milliards de personnes – neuf milliards en 2050 – en produits de bois et de papier, en énergie renouvelable et neutre en émissions, en services des écosystèmes et en moyens de subsistance sains ». Ici nous voyons ce que veut dire développement durable : davantage de production (et donc de destruction) des forêts du monde, et davantage de plantations industrielles d’arbres.

Le mythe du palmier à huile « durable »

Il y a ensuite la Table ronde pour l’huile de palme durable (RSPO), créée par le WWF et plusieurs entreprises de plantation de palmiers à huile. Une vidéo promotionnelle postée sur le site web de la RSPO demande : « Quelles sont les méthodes durables que la RSPO encourage ? ». Les réponses sont révélatrices : plantation de variétés à fort rendement ; emploi de buffles pour transporter les régimes de fruits récoltés, « réduisant ainsi la consommation d’énergie d’origine fossile » ; gestion des déchets au niveau du broyage ; contrôle intégré des ravageurs ; culture de légumineuses pour ajouter du nitrogène au sol ; replantation sans brûlage ; efficacité énergétique dans le processus d’extraction avec transformation des déchets en biocarburant et en biogaz ; défense de la sécurité au travail et soins de santé appropriés ; mesures pour la protection de la diversité biologique ; soutien des communautés locales et de l’éducation des enfants.

Ces choses-là, l’industrie de l’huile de palme devrait les faire de toute façon, mais l’hypocrisie des deux dernières est à vous couper le souffle. La principale responsable de la destruction des forêts malaises et indonésiennes et les moyens d’existence de milliers d’habitants et d’autochtones déclare maintenant qu’elle encourage la protection de la diversité biologique et la subsistance des communautés locales ! Ce serait bien si c’était vrai... mais non.

Revenons à la vidéo. Pendant que la caméra parcourt une plantation de palmiers à huile, le présentateur nous dit tranquillement :

« Tandis que d’autres industries agricoles se contentent de solutions vertes superficielles, il est évident pour beaucoup de personnes que l’huile de palme durable pourrait être un effort révolutionnaire et historique, un phare d’espoir et d’inspiration. »

Plusieurs ONG (autres que celles des cadres costumés dont je parlais plus haut) ont travaillé dur pour que la RSPO adopte des normes exigeantes. Il y a un Protocole de certification, un Code de conduite et des Principes et critères qui incluent les droits des peuples autochtones et le droit au consentement préalable, libre et en connaissance de cause.

Pourtant, les abus continuent. En juin 2010, des centaines de petits propriétaires de plantations de palmier à huile ont protesté à Riau, Sumatra, parce que Tri Bakti Sarimas, membre de la RSPO, n’avait pas tenu sa promesse de rendre la terre aux paysans. Pendant la manifestation, un officier de la Brigade mobile de police a abattu une femme. Plusieurs autres manifestants ont été blessés ou arrêtés.

Le défaut le plus gros de la RSPO est peut-être qu’elle ne fait rien contre l’expansion permanente de l’industrie. D’après les estimations de l’ONG elle prévoit d’élargir de 26,7 millions d’hectares ses plantations indonésiennes.

Il est inévitablement contradictoire de qualifier de « durable » un produit cultivé dans d’énormes plantations en régime de monoculture. Or, dans le cas du palmier à huile cultivé dans le Sud-Est de l’Asie, cette méthode est la seule possible, comme l’explique Marcus Colchester, du Forest Peoples Programme, dans un récent rapport intitulé « L’huile de palme et les peuples autochtones du Sud-Est de l’Asie » :

« Pour obtenir une production maximale d’une étendue de terre minimale il convient planter les palmiers à des intervalles réguliers et en régime de monoculture. Du fait que l’huile contenue dans les lourds régimes de fruits mûrs perd rapidement ses qualités, les producteurs doivent porter ces fruits au pressoir, où l’huile sera extraite et stabilisée, dans un délai de 48 heures. Ils ont donc besoin de routes qui, à leur tour, ont besoin d’être entretenues. »

Que les plantations appartiennent à une entreprise ou à un système de petits propriétaires, dans tous les cas il faut qu’elles soient très larges – de quatre à cinq hectares par usine – pour maintenir en fonctionnement les presses à huile, d’après les estimations de Colchester.

Les grandes plantations ont détruit l’habitat des éléphants, des tigres, des orangs-outangs et de bien d’autres espèces. Elles ont donné lieu à de graves violations des droits de l’homme qui ont été documentées au cours des six dernières années dans plusieurs rapports des ONG. « L’acquisition de terres pour de grands établissements ou des systèmes de petits propriétaires viole le droit à la propriété des peuples autochtones », écrit Colchester. « Leurs terres leur sont enlevées sans paiement et irrémédiablement. » Le Bureau national du territoire indonésien déclare qu’il y a environ 3 500 litiges d’ordre foncier dans le pays.

Le carbone : une nouvelle monoculture ?

En mai 2010, les gouvernements indonésien et norvégien ont signé une lettre d’intention pour un contrat de déboisement évité d’un milliard de dollars. Dans le cadre de ce contrat, le gouvernement indonésien a annoncé la suspension pendant deux ans de toute nouvelle concession dans les forêts ou les tourbières. Le gouvernement n’a pas été clair quant à ce que cette suspension signifie vraiment. Certains fonctionnaires disent qu’elle s’appliquera à un minimum de 26,7 millions d’hectares sur lesquels l’industrie de l’huile de palme prévoit d’étendre ses plantations. Agus Purnomo, chef du Conseil national sur le changement climatique de l’Indonésie, a dit à Reuteurs qu’au moins une partie de l’argent norvégien serait employé à compenser les entreprises de plantations dont les concessions seraient annulées. « Quand on retire une licence, quand on annule quelque chose, cela coûte de l’argent », dit-il. D’autres fonctionnaires ont dit que le moratoire n’allait pas s’appliquer aux concessions existantes. Si cela est vrai, le moratoire n’aura pratiquement aucun impact sur le déboisement en Indonésie, même pas pendant les deux misérables années où il sera en place.

Les pourparlers internationaux sur la réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation des forêts (REDD) risquent même de pousser à éliminer encore des forêts, à assécher des marais et à les affecter à la monoculture en Indonésie. Selon Reuters, en août 2010 Wandojo Siswanto, conseiller particulier du ministre des forêts, aurait dit que « S’il le système REDD est approuvé, nos plantations de palmier à huile pourraient y participer ». Et il a ajouté : « Je pense qu’il suffirait de dire que les plantations de palmiers à huile pourraient atténuer le changement climatique en piégeant du carbone ». Il a dit que les plantations existantes ou en projet sur des terres dégradées pourraient être éligibles pour obtenir des crédits carbone.

Le problème, comme le Mouvement mondial pour les forêts tropicales et d’autres l’ont signalé maintes et maintes fois, est que les Nations unies ne reconnaissent pas que les plantations ne sont pas des forêts. Dans le monde bizarre des négociations de l’ONU sur le changement climatique, la définition actuelle de forêt ne fait pas de différence entre les forêts indigènes et les plantations industrielles d’arbres.

Même si le système REDD fonctionne comme il doit et évite le déboisement au lieu d’encourager l’expansion des plantations, il y a encore des risques. Une nouvelle forme de foresterie « scientifique » commence à apparaître, dont les experts apprennent aux communautés locales à gérer les forêts en tant que puits de carbone. Les connaissances de la forêt et de leur gestion que possèdent ces communautés doivent s’adapter à la nouvelle économie du carbone. Les forêts pourraient devenir des ‘monocultures’ de carbone, destinées à produire un seul produit : des crédits-carbone destinés à sortir d’affaire les pays du Nord qui n’ont pas réussi à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Comme dans n’importe plantation en régime de monoculture, la productivité (en crédits) augmenterait peut-être, mais la productivité telle que l’entendent les communautés locales pourrait diminuer.

Bien entendu, les peuples autochtones et les communautés locales ne sont pas restés les bras croisés. Beaucoup d’entre eux sont en train d’exiger que dans tout accord international sur REDD figure le plein respect de leurs droits. Leur message est clair : « Sans droits, pas de REDD ».

En avril 2009, plus de 400 peuples autochtones se sont réunis à Anchorage, en Alaska, pour le Sommet mondial des peuples autochtones sur le changement climatique. Ils ont produit la Déclaration d’Anchorage, où ils rejettent spécifiquement les échanges de carbone et les compensations en tant que fausses solutions du changement climatique. À propos de REDD, la déclaration dit :

« Toutes les initiatives prises au sein du Programme pour la réduction des émissions dues à la déforestation et la dégradation (REDD) doivent s’assurer qu’elles reconnaissent et mettent en place les droits humains des peuples indigènes, y compris la sécurité de leurs baux fonciers, de leur propriété, de la reconnaissance de leur propriété des terres de façon traditionnelle, les usages et lois coutumières et les bénéfices multiples des forêts pour le climat, les écosystèmes et les peuples, avant que toute action soit prise. » [http://www.forestpeoples.org/documents/
forest_issues/anchorage_declaration_apr09_fr.pdf]

D’autres s’opposent absolument au système REDD. La Vía Campesina, un mouvement international de paysans et de petits agriculteurs qui a près de 300 millions de membres, déclare que « l’initiative REDD+ doit être rejetée ». Les peuples autochtones présents à la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre-mère, organisée en avril 2010 en Bolivie, ont déclaré :

« Nous condamnons les mécanismes de marché tels que REDD (réduction des émissions provenant de la déforestation et de la dégradation des forêts) ainsi que ses versions + et ++, qui violent la souveraineté des peuples et leur droit à un choix préalable librement consenti, de même que la souveraineté des États nationaux, les coutumes des peules et les droits de la nature. » [http://cmpcc.org/2010/05/20/accord-des-peuples/#more-2041]

En août 2010, le Forum social des Amériques a rejeté REDD :

« Nous dénonçons les gouvernements des pays du Nord géopolitique qui, plutôt que de penser à faire face aux graves conséquences du changement climatique, cherchent à éviter leurs responsabilités et à développer de nouveaux mécanismes de marché du carbone pour accroître leurs profits, comme le mécanisme de "Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts » (REDD), qui favorise la marchandisation et la privatisation des forêts et la perte de souveraineté sur les territoires. Nous refusons de tels mécanismes. » [http://www.convergencedesluttes.fr/index.php?post/2010/08/31
/QUATRIEME-FORUM-SOCIAL-DES-AMERIQUES]

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LES PLANTATIONS INDUSTRIELLES D’ARBRES EN AMERIQUE LATINE : COMMENT, POUR QUOI FAIRE, POUR QUI

Aux yeux des grandes entreprises et des conglomérats commerciaux, les territoires d’Amérique latine ont deux caractéristiques : leur grande surface et l’existence de marchandises très prisées, comme le bois, le palmier à huile, les cultures commerciales, la viande, la laine, les matières premières des agrocarburants, les ressources génétiques, le sol, l’eau. Ils attirent comme un aimant le gros capital.

Les grandes étendues d’écosystèmes riches en diversité biologique – selve, forêt, pampa, sierra, hauts plateaux, savane – ont été la base territoriale sur laquelle ont proliféré les diverses modalités culturelles et productives des communautés de la région. Les grands commerçants voient comme des marchandises les éléments qui ont constitué la tradition agricole millénaire de beaucoup de peuples, dont les vestiges témoignent du niveau de connaissances qu’ils avaient atteint.

Aujourd’hui comme il y a plus de 500 ans, le colonialisme est toujours vivant, avec d’autres formes et sous d’autres noms. Les bateaux qui partaient autrefois des ports latino-américains chargés d’or, d’argent, de cacao ou de caoutchouc sont aujourd’hui d’énormes cargos qui emportent notre eau et notre sol dans les rondins, les copeaux, la pâte à papier, l’huile de palme. Ils emportent aussi, de manière sophistiquée, notre atmosphère pour la vendre sur le marché du carbone. Ils emportent, en définitive, au prix du marché, l’avenir des prochaines générations.

L’actuelle mondialisation des marchés repose sur une structure de subordination – des pays du Sud par rapport à ceux du Nord, des groupes qui vendent leur force de travail par rapport aux propriétaires du capital, des minorités ethniques par rapport aux groupes hégémoniques, du sexe féminin par rapport au sexe masculin. Cette subordination a permis la formation d’un capital excédentaire chez les groupes dominants, au prix de nombreuses inégalités intrinsèques et de la pénurie des groupes subordonnés.

C’est dans le cadre de l’expansion de ce capital accumulé que la mondialisation devient une plateforme idéale pour que des groupements d’entreprises de plus en plus concentrés s’approprient la nature et la transforment en marchandise. La production se fait à une échelle de plus en plus grande et de façon de plus en plus uniforme, à l’intention de marchés de plus en plus grands et convenablement uniformisés. La consommation devient la base et le moteur de l’économie et, bien souvent, les politiques sociales permettent d’introduire les améliorations nécessaires pour maintenir le système en place et même pour accroître le nombre des consommateurs.

La plantation industrielle d’arbres exotiques, qui fait partie de cette expansion, démarre dans le continent dans les années 1950, par l’occupation et l’appropriation de la terre et de l’eau et aux dépens des écosystèmes et des populations locales. Il ne s’agit pas d’un projet isolé : il s’insère dans le modèle de la « révolution verte » préconisée par la FAO, qui consolide l’industrialisation de l’agriculture. Viennent ensuite la Banque mondiale, le FMI, la BID, les processus des Nations unies en matière de forêts (GIF, FIF, FNUF), des agences bilatérales telles que GTZ et JICA, des sociétés conseil comme Jaakko Poyry. Grâce à des mécanismes de prêt, de subvention, d’extension, de formation, de propagande, ils réussissent à faire valoir leurs arguments dans le monde scientifique et universitaire et à influer sur les politiques étatiques de plusieurs pays qui, en appliquant des modèles assez semblables entre eux, favorisent l’introduction en Amérique latine de plantations forestières à des fins d’exportation.

D’après la FAO, entre 2000 et 2005 la superficie des plantations forestières a augmenté de 2,8 millions d’hectares par an [1], et les données concernant 2009 indiquent que dans la région Amérique latine et Caraïbes il y a 12,5 millions d’hectares de plantations d’arbres, le palmier à huile non compris. Pour 2020 on prévoit une augmentation qui porterait la surface des plantations forestières à 17,3 millions d’hectares.

Ainsi, la région est considérée comme « leader en plantations forestières de forte productivité », en particulier l’Argentine, le Brésil, le Chili et l’Uruguay qui possèdent 78 % des plantations de ce genre. Les plantations fortement productives sont surtout celles d’espèces sélectionnées pour la rapidité de leur croissance, les principales étant l’eucalyptus (65 % des plantations du Brésil, 80 % de celles de l’Uruguay) et le pin (49 % des surfaces plantées en Argentine, 78 % de celles du Chili). En dehors de la place dominante de ces pays, il y a dans presque toute la région de grandes étendues de plantations forestières.

Du bois pour fabriquer de la pâte à papier

Jusqu’à présent, la plupart des plantations de variétés d’eucalyptus et de pins à croissance rapide sont destinées à la production de pâte à papier, une activité industrielle très polluante et qui consomme beaucoup d’eau et d’énergie (elle figure à la 5e place parmi les consommateurs industriels d’énergie du monde). Bien entendu, la fabrication industrielle de papier a été très avantageuse pour l’humanité : c’est elle qui permit, dans les années 1800, de baisser les coûts et de divulguer la lecture et l’écriture. Cependant, la production actuelle dépasse de beaucoup les besoins associés à l’accès à l’éducation, bien que cet emploi soit utilisé comme un fort argument pour justifier le besoin de produire toujours plus de papier. En fait, l’emballage consomme beaucoup plus de papier que l’éducation, l’information et les communications ; à cela s’ajoutent bien d’autres produits caractéristiques de cette ère de consommation de produits jetables.

Cela met en lumière la fausseté de la prémisse suivant laquelle le niveau de l’éducation est proportionnel à la consommation de papier. Il suffit de comparer le taux de consommation de papier et carton avec le taux de scolarité. Ainsi, à Cuba, qui consomme beaucoup moins de papier que les États-Unis, la Finlande ou le Chili, les taux d’inscription à l’éducation tertiaire sont supérieurs à ceux du Chili et des États-Unis. [2]

Consommation de papier et de carton par personne et par an (2005)
Europe : 132,39 kg (Finlande 324,97 kg)
États-Unis : 297, 05 kg
Amérique du Sud, Amérique centrale et Caraïbes : 84,85 ig (Chili 64,57 kg, Cuba 8,63 kg).

Éducation : taux brut d’immatriculation au niveau secondaire (2006)
Finlande : 93 %
États-Unis : 82 %
Chili : 48 %
Cuba : 88 %

Les inégalités dans la consommation coïncident avec les inégalités intrinsèques au modèle actuel où dominent les intérêts des grandes entreprises, mais elles montrent aussi que la consommation démesurée n’est pas nécessaire au développement humain.

D’autre part, les plantations d’arbres, point de départ de la chaîne papetière, ont été introduites et continuent d’arriver dans les territoires latino-américains sous prétexte qu’elles « contribuent au développement ». Néanmoins, dans le cas emblématique du Chili où les plantations forestières ont toujours été fortement soutenues par l’État au détriment de la forêt indigène, un article de l’organisation CODEFF [3] signale que les recensements de population prouvent que « les communes qui ont les plus grandes surfaces de plantations sont celles qui ont déplacé la plus forte proportion de paysans vers les zones urbaines et provoqué les taux de pauvreté les plus importants ».

La coupe incontrôlée d’espèces indigènes pour planter des espèces exotiques comme l’eucalyptus a abouti à la destruction d’espèces animales et végétales endémiques et provoqué des altérations du système hydrologique, comme l’a dit Bernardo Zentilli, président de CODEFF. Il a ajouté que la modification de l’équilibre hydrique a provoqué de fortes crues en hiver et l’assèchement des marais en été, de sorte que la surface cultivable a diminué.

Le même article cite l’AIFBN (Association d’ingénieurs forestiers pour la forêt indigène), d’après laquelle « entre 1978 et 1987, près de 50 000 hectares de forêt indigène ont disparu dans deux des principales régions boisées du pays (VII et VIII), ainsi que presque un tiers des forêts littorales de la région VIII, qui ont été remplacées par des plantations de pins. L’actualisation du cadastre des ressources végétales indigènes de la région Los Ríos indique que plus de 20 000 hectares de forêt indigène ont été remplacés par des plantations d’arbres exotiques au cours de la dernière décennie ».

Le fruit de la discorde : le palmier à huile

Le palmier à huile, d’origine africaine, est utilisé depuis longtemps pour l’obtention d’huile. Depuis quelque temps, l’huile est employée à des fins industrielles et, plus récemment, en raison de la crise climatique sa production a brusquement augmenté, du fait qu’il y aurait là une possibilité censément « écologique » de continuer à alimenter le mode de production et de consommation inviable qui est à la racine du problème mais qui reste intact.

En Amérique latine, la culture du palmier à huile se fait en régime de monoculture sur de grandes étendues, au prix du déplacement forcé des populations autochtones ; dans certains cas, les paysans y contribuent avec leur travail et, souvent, avec leur terre. D’autre part, les nouvelles plantations se font habituellement dans des zones de forêt tropicale humide, qui sont rasées, drainées, fertilisées, plantées et pulvérisées sans cesse avec de puissants herbicides qui, joints aux engrais chimiques, arrivent au sol et polluent les sources d’eau. Comme ce mode de production interdit toute autre culture, il porte atteinte à la souveraineté alimentaire des communautés locales. En outre, pour maximiser la teneur en huile de chaque fruit ou plante, on assèche la terre au moyen de canaux qui drainent les lacs, les ruisseaux et toute zone humide proche des plantations, ce qui affecte la flore et la faune. [4]

La culture du palmier à huile se développe rapidement dans d’autres zones tropicales favorables de la région. Au Mexique, les plantations envahissent à feu et à sang la forêt Lacandona ; au Pérou, les habitants de l’Amazonie proclament que « la forêt n’est pas à vendre, il faut la défendre » et affrontent le groupe Romero ; au Guatemala, les palmiers se multiplient au milieu des expulsions et des achats forcés de terres des communautés appauvries qui se voient obligées d’émigrer ; au Honduras, les paysans et les membres du MUCA (Mouvement paysan unifié de l’Aguán) ont été brutalement réprimés par l’armée et la police qui défendaient le propriétaire terrien Miguel Facussé Barjun, surnommé « le palmiculteur de la mort » ; au Nicaragua, les plantations de palmiers sont la nouvelle affaire de la United Brands, autrefois United Fruit, une société associée à une longue histoire de manipulations politiques et sociales ; au Costa Rica, la culture du palmier s’affirme de plus en plus.

Le cas de la Colombie est représentatif : les plantations de palmiers à huile couvrent plus de 360 000 hectares, et l’ex-président Uribe a annoncé qu’elles atteindraient 6 millions d’hectares. La production, financée surtout par la Banque mondiale, a été fondée sur le dépouillement des communautés locales de leurs terres collectives. Meurtres, destruction de logements et de matériels, déplacements massifs, blocages économiques, harcèlements continuels, menaces, violences permanentes de la part de l’armée nationale et des paramilitaires au service des entreprises : tel a été le prix de ce progrès, comme le dénonce la Comisión Intereclesial de Justicia y Paz. Dans le cas de Bajo Atrato, l’expansion du palmier a dépouillé de plus de 25 000 hectares 15 hameaux du Curvaradó et de plus de 20 000 hectares quatre hameaux du Cacarica, alors que des gouvernements antérieurs leur en avaient donné la propriété collective. [5]

Les travailleurs des plantations de palmiers travaillent dans des conditions d’esclavage. La surveillance par des hommes armés pendant la journée de travail, et le paiement en tickets d’alimentation à échanger dans les magasins de l’entreprise, sans que le travailleur puisse recevoir son salaire en argent et en disposer librement, sont le visage caché de l’énergie supposée « propre » qu’offrirait l’agrocarburant obtenu du palmier à huile.

Indupalma est une des entreprises de plantation leaders en Colombie. Pour se développer, elle a suivi l’exemple de la Malaisie et créé des alliances avec les paysans pour produire les palmiers dans de petites propriétés mais sans couper les liens avec le gros capital. En 1995, Indupalma a proposé au syndicat Sintraindupalma la formation d’alliances. Quand le syndicat a refusé, les paramilitaires ont assassiné 4 dirigeants et fait disparaître un autre. [6]

Des cosmétiques pour les plantations

Confronté aux fortes critiques qu’a soulevées dans le monde entier l’expansion des plantations de palmiers à huile en raison des graves répercussions environnementales et socio-économiques et de la violation des droits de l’homme qu’elle comporte, le secteur a réagi en essayant de « verdir » son image. Ainsi est apparue la Table ronde pour la production durable d’huile de palme (RSPO d’après l’anglais), à l’intention surtout des consommateurs européens et nord-américains.

Dans le même sens, la Colombie a proposé le programme du « palmier paysan », qui vise à intégrer la culture du palmier à huile au système de production agro-alimentaire. L’organisation colombienne Grupo Semillas met en question la durabilité à long terme de ce programme, parce que « il faut non seulement évaluer si cette culture est viable et rentable pour l’agriculteur mais savoir aussi qui contrôlera finalement tout le processus ». [7]

Dans le Chocó biogéographique, les organisations afrocolombiennes et indigènes, à l’occasion d’une réunion convoquée par l’organisation conservationniste WWF pour promouvoir le « palmier durable », ont refusé de participer aussi bien à la production industrielle du palmier qu’à l’initiative du « palmier durable », à cause des graves impacts de cette culture, qui supposent des atteintes à leurs droits, en particulier leur droit ancestral au territoire, la perte d’autonomie, la disparition de leurs méthodes traditionnelles de production, la détérioration de leur culture et des manifestations de la diversité. [8]

De leur côté, les plantations d’eucalyptus ont elles aussi un maquillage qui les favorise. Le FSC est le principal système de certification qui a donné son label aux plantations forestières à grande échelle : environ huit millions d’hectares dans huit pays. En l’état de Bahia, au Brésil, l’entreprise forestière Veracel (à laquelle participent Stora Enso et Aracruz Celulose) a plus de 100 000 ha de plantations d’eucalyptus. Veracel a dépouillé de leurs terres la plupart des indigènes des peuples pataxó et tupinambá, elle emploie de grands volumes du pesticide Sulfluramida, interdit par le FSC, et elle a dû payer des amendes pour avoir tué une quantité considérable d’arbres indigènes avec des herbicides et pour avoir déboisé et planté trop près des parcs nationaux. Malgré tout cela, elle a obtenu le label FSC.

Toutes ces initiatives visent à doter l’affaire d’une bonne image. Cependant, l’erreur fondamentale est de vouloir faire passer pour durable ce qui par définition ne l’est pas : un produit obtenu de plantations industrielles d’arbres surtout exotiques, qui ont de graves répercussions sur l’eau, le sol, la faune et la flore sauvages, les forêts, les moyens d’existence et la santé humaine, et qui provoquent des déplacements de personnes et des violations des droits de l’homme.

La criminalisation de la protestation sociale

Dans beaucoup de pays latino-américains, les mouvements ou processus populaires qui luttent contre la perte de leurs territoires, de l’eau, de la forêt et de leurs moyens d’existence à cause des plantations, qu’il s’agisse d’eucalyptus, de pins, de palmiers, d’hévéas, etc., sont confrontés à ce qu’on appelle la « criminalisation » de la résistance. Il s’agit d’une tactique qui consiste à qualifier de délits les actes de résistance et à porter au domaine judiciaire et pénal un conflit intrinsèquement social. Ainsi les entreprises, en l’occurrence les entreprises forestières ou de plantation de palmiers, peuvent se servir de la capacité punitive de l’État pour neutraliser l’opposition.

Des leaders sociaux reconnus et respectés, des personnes qui défendent légitimement leur identité, leur mode de vie et leurs méthodes de production, se voient persécutés, incarcérés, jugés et même assassinés. On combine la répression avec l’utilisation formelle de la légalité pour pénaliser les acteurs sociaux qui s’opposent à des politiques et des méthodes de production qui, pour gagner de l’argent, conspirent en définitive contre la survie de la planète.

Au Chili, les prisons hébergent des dizaines de prisonniers politiques mapuches qui défendent leur territoire contre l’invasion des plantations d’eucalyptus et de pins. La plupart finissent par être jugés en application de la législation antiterroriste qui subsiste depuis l’époque du tyran Pinochet. Malgré cela, la résistance continue dans la prison sous la forme de grèves de la faim, tandis que la répression s’étend à la famille des détenus. En Colombie, dans la région du Chocó, les Afrocolombiens et les organisations des droits de l’homme, comme en ce moment Justicia y Paz, subissent les menaces et la violence des militaires et des paramilitaires pour leur opposition à l’agro-industrie du palmier à huile et à l’extension de l’élevage. Au Honduras, la lutte sociale des paysans de Bajo Aguán pour la défense de leurs droits sur les terres qui leur ont été volées pour la production extensive de palmiers à huile a eu pour résultat tragique de nombreux morts et blessés, un pas de plus dans l’escalade de la répression que vit le pays depuis le coup d’État de juin 2009.

Les effets suivant le sexe

L’expansion de la monoculture d’arbres, comme tous les mégaprojets antisociaux, a des effets différents suivant le sexe. Comme le montre une déclaration des femmes sur les impacts de l’expansion des plantations d’arbres exotiques sur la prairie, prononcée en 2009 à l’occasion du Congrès forestier mondial organisé en Argentine, les plantations d’eucalyptus ont provoqué « des situations de peur, de violence et de harcèlement sexuel. Beaucoup de femmes disent qu’elles ont peur de marcher seules à proximité des plantations, à cause de la présence de personnes étrangères à la communauté. Ainsi, elles n’ont plus le droit de se déplacer librement, ce qui entraîne la modification de leurs habitudes et coutumes. En outre, beaucoup d’entre elles ont subi des harcèlements de la part des travailleurs. Cela s’est traduit par une diminution de l’indépendance et de l’autonomie des travailleuses et des femmes en général ».

La déclaration fait référence à d’autres effets qui risquent de contribuer à déstructurer le tissu social et familial et à susciter la prostitution, la prolifération de maladies de transmission sexuelle, la consommation de drogues, la modification des habitudes alimentaires, « comme cela arrive en général après l’arrivée de ce genre d’entreprises. Malheureusement, les institutions publiques ne comptabilisent ni n’analysent ces impacts ».

Dans la conclusion, les femmes disent : « nous résisterons et nous continuerons de lutter aussi longtemps qu’il faudra, non seulement contre l’expansion des plantations d’arbres exotiques et les mégaprojets des entreprises papetières, mais contre la marchandisation de la vie et l’affaiblissement de l’autonomie des femmes. Nous, les femmes, nous avons la capacité de faire que ‘des choses nouvelles arrivent’, et nous sommes en train de le faire ». [9]

Au Brésil, le 8 mars de chaque année, Journée internationale de la femme, les femmes paysannes, indigènes ou noires du Mouvement Sans Terre et de La Vía Campesina sont devenues l’étendard de la lutte contre l’invasion des eucalyptus des entreprises de pâte telles que Stora Enso, Votorantin/Fibria, Suzano, Veracel. Les femmes dénoncent que ces armées de soldats clonés sous forme d’eucalyptus s’emparent des terres des peuples indigènes, des communautés locales, des familles paysannes, les dépouillant de leur identité, de leurs connaissances, de leur capacité de produire et de consommer des aliments sains et appropriés à leur culture. Elles luttent contre l’agro-industrie et pour la souveraineté alimentaire.

Elles dénoncent aussi qu’à cette oppression s’ajoutent les différences suivant le sexe, la situation d’inégalité de la femme qui l’oblige à porter presque entièrement la responsabilité des enfants, qui fait rétribuer différemment les hommes et les femmes pour le même travail, qui souvent fait d’elles la cible de harcèlements sexuels et qui, malheureusement, les condamne parfois à être victimes de violence physique de la part des hommes, même au sein de leur famille.

L’affaire du changement climatique

Personne n’est à l’abri de l’appétit mercantiliste. La crise climatique est devenue une nouvelle affaire où les fausses solutions proposées par des organismes internationaux tels que la Banque mondiale et même le Protocole de Kyoto favorisent l’expansion de la monoculture d’arbres. Au moyen des puits de carbone, qui font partie du Mécanisme de développement propre, ou du système REDD+ (réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation), qui pourrait inclure les plantations industrielles d’arbres comme une manière « d’augmenter les réserves de carbone forestier » susceptible de recevoir du financement, les entreprises trouvent de nouveaux « marchés » et la plantation d’arbres se déguise en forêt pour investir de grosses sommes dans le marché du carbone.

En Colombie, la Convention-cadre de concertation pour une production plus propre (1995) permet aux entreprises de plantation de palmiers de participer à l’affaire des puits de carbone surgie dans le cadre du Protocole de Kyoto. Les incitations financières et les avantages fiscaux accordés par le gouvernement pour le développement de technologies qui permettent de capter le gaz méthane de l’environnement permettraient aux entreprises d’obtenir des bénéfices additionnels dans un nouveau créneau : le marché du carbone.

L’Equateur aussi préconise la plantation d’un million d’hectares d’arbres pour vendre des certificats de réduction des émissions (CER) sur le marché mondial du carbone, par le biais du Plan national de boisement et reboisement du programme Proforestal.

L’affaire de la plantation d’arbres est avantageuse aussi pour des entreprises extérieures à la filière : Nestlé Waters France veut compenser, par des projets de reboisement, l’équivalent des émissions annuelles de carbone qui découlent de la production de l’eau minérale Vittel en France et en Belgique. Pour ce faire, elle financera la plantation de 350 000 arbres dans l’Amazonie bolivienne et un autre projet de plantations dans la forêt péruvienne, et elle entend planter le même nombre d’arbres chaque année. [11]

Au Brésil, l’entreprise sidérurgique et forestière Plantar S.A. Reflorestamentos a des plantations industrielles d’eucalyptus dans l’État de Minas Gerais. En dépit du fait que ces arbres sont utilisés pour la fabrication de fer en lingots, qu’elle s’est appropriée des terres, au détriment de l’eau, du sol et du riche biome du Cerrado, et qu’il s’agit d’une industrie très polluante, l’entreprise a essayé plusieurs fois d’obtenir des crédits du MDL pour financer ses plantations d’eucalyptus. Elle allègue que cette énergie serait moins polluante que celle produite à partir du charbon. Or, il s’agit d’une ruse commerciale pour gagner sur tous les tableaux, puisque l’entreprise n’a jamais utilisé du charbon.

Vers un modèle différent

La plantation industrielle d’arbres en régime de monoculture est incompatible avec la manifestation naturelle de la vie, qui est diverse. Elle est artificielle, destructive, polluante.

Les peuples des pays d’Amérique latine ont su tisser des réseaux sociaux pour dénoncer les impacts de la monoculture d’arbres. C’est le cas du Réseau latino-américain contre la monoculture d’arbres 8RECOMA), un réseau décentralisé d’organisations latino-américaines qui coordonne des actions, cherche du soutien pour les luttes locales et les alternatives sociales et environnementales appropriées aux différentes réalités, et fait des échanges horizontaux entre les pays.

Bien d’autres initiatives vont dans le même sens, comme l’expérience des familles quilombolas d’Espírito Santo, au Brésil, qui trouvent, au milieu des eucalyptus, des moyens de survivre et de lutter pour reconquérir leurs ressources naturelles et leur patrimoine génétique. Les communautés améliorent les méthodes traditionnelles et adaptent des techniques de gestion, ouvrent des voies de commercialisation dans les marchés locaux et régionaux, et encouragent les échanges permanents de semences et de méthodes agricoles entre les communautés.

La recherche d’une voie différente pour la production, la commercialisation et la consommation qui nous éloigne du processus actuel d’extermination est devenue un impératif, et les communautés qui résistent sont celles qui peuvent susciter le changement nécessaire, en créant la souveraineté locale, en construisant la souveraineté alimentaire. Il faudra continuer de travailler pour changer de cap.

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[1] Evaluación de los Recursos Forestales Mundiales 2005, 15 Resultados Claves, .

[2] World Resources Institute, indicateurs sur l’éducation
 ; indicateurs sur la consommation de papier : .

[3] “Plantaciones de eucalyptus ponen en peligro al bosque nativo”, Comité Nacional Pro Defensa de la Flora y Fauna (CODEFF), distribué par Ecoportal, , et Servindi, .

[4] “Palma africana : un proyecto mundial socialmente y ecológicamente destructor”, François Houtart, 2006, http://colombia.indymedia.org/news/2006/06/45170.php.

[5] “Agronegocios de palma y banano en el Bajo Atrato. Impactos ambientales y socioeconómicos”, Comisión Intereclesial de Justicia y Paz,
www.pasc.ca/IMG/doc/Palma_y_bio.doc.

[6] “En Medio del Engaño : El Magdalena Medio y el Banco Mundial”, Gearóid Ó Loingsigh, 2010, http://www.redcolombia.org/index.php ?
option=com_content&task=view&id=1070&Itemid=36.

[7] “El agronegocio de la Palma Aceitera en Colombia. ¿Desarrollo para las poblaciones locales o una crónica para el desastre ?”, Grupo Semillas, 2008, Revista Semillas Nº 34/35, http://www.semillas.org.co/sitio.shtml?apc=w--1--&x=20155558.

[8] Document des organisations qui participent à la Table ronde sur l’huile de palme durable. Atelier de discussion sur les principes et les critères, Cali, Colombie, 18 et 19 septembre 2007 ; Revista Semillas Nº 34/35, http://www.semillas.org.co/sitio.shtml?apc=e-b-20155545-20155545&x=20155568

[9] “Declaración de las mujeres sobre los impactos de la expansión de los monocultivos de árboles exóticos sobre la pradera” à l’occasion du Congrès forestier mondial, Buenos Aires, Argentine, octobre 2009.

[10] “El agronegocio de la Palma Aceitera en Colombia. ¿Desarrollo para las poblaciones locales o una crónica para el desastre ?”, Grupo Semillas, 2008, Revista Semillas Nº 34/35, http://www.semillas.org.co/sitio.shtml?apc=w--1--&x=20155558.

[11] “Peru hails Western carbon offsetting programmes”, BBC, 28 mars 2010, http://news.bbc.co.uk/2/hi/business/8586617.stm.

Bulletin mensuel du Mouvement mondial pour les forêts
Ce bulletin est maintenant disponible également en espagnol, en portugais et en anglais
Éditeur : Ricardo Carrère
Secrétariat International
Maldonado 1858, Montevideo, Uruguay
Mel : wrm@wrm.org.uy
Site internet : http://www.wrm.org.uy

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Voir en ligne : JOURNÉE INTERNATIONALE CONTRE LA MONOCULTURE D’ARBRES

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