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Cannabis vs Cocaïne : quelles drogues rapportent le plus d’interpellations ?

Nicolas Kayser-Bril | data-publica.com | lundi 12 décembre 2011

lundi 12 décembre 2011


Dans la guerre déclarée par les pouvoirs publics contre la toxicomanie, la lutte contre le cannabis occupe la première place : c’est en tous cas ce que disent les chiffres officiels. Petit décryptage comparé de la discrimination entre les usagers du cannabis et les cocaïnomanes.


police en duo

 

Claude Guéant, ministre de tutelle de la police, affirme livrer une guerre « sans merci » contre les drogues. Toutes les drogues ? Les chiffres de l’office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants (télécharger les données) sont sans appel. Entre 1990 et 2008, le nombre d’interpellations a été multiplié par 6 pour les usagers de cannabis, par 12 pour la cocaïne, par 24 pour l’ecstasy et par 5 pour le reste (amphétamines, LSD, champignons…).

Pourtant, à y regarder de plus près, la police préfère combattre certaines drogues plutôt que d’autres. Si la consommation de cannabis reste stable depuis une dizaine d’années et semble même diminuer, celle de cocaïne croît de manière exponentielle depuis le milieu des années 2000. Entre 2000 et 2010, l’activité policière augmentait au même rythme sur les deux drogues.

En d’autres termes, l’usager de cannabis a beaucoup plus de chances de se faire interpeller que le cocaïnomane. (L’usager désigne ici celui qui déclare avoir utilisé le produit au moins une fois dans l’année).

En 2000, une vingtaine de consommateurs sur 1000 se faisait interpeller dans l’année pour les deux drogues. En 2010, plus de 30 fumeurs sur 1000 avaient affaire à la police alors que le risque d’une interpellation était divisé par 2 pour les cocaïnomanes.

Les policiers discriminent-ils entre usagers ? Considèrent-ils qu’il est moins répréhensible de se faire un rail que de fumer un joint ?

Les explications de la police

 

  • Les consommateurs des différentes drogues sont traités également

Joints par courriel et par téléphone, les policiers ont du mal à voir le problème. Pour eux, il est hors de question de parler de discrimination. Il n’y a « pas de stigmatisation » d’une catégorie d’usagers. « On ne vise pas un consommateur plutôt qu’un autre. » expliquent-ils.

Effectivement, l’augmentation des interpellations est similaire pour tous les types de drogues. Cela ne signifie pas pour autant que les usagers sont traités de manière égale, puisque le nombre de cocaïnomanes été multiplié par 3 en 10 ans. Si la police avait une telle attitude face à tous les délits, elle chercherait toujours les voleurs de chevaux et les arnaques au Minitel.

  • Les consommateurs de cocaïne sont en zone gendarmerie

Les chiffres des interpellations ne concernent que la police[1] alors que les sondages de consommation couvrent toute la France. Si l’augmentation de la consommation de cocaïne a lieu principalement en zone gendarmerie, tout s’explique.

Cette hypothèse ne tient pas la route. Lors d’un sondage Eurobaromètre de 2011 (page 108), les jeunes urbains étaient deux fois plus nombreux à affirmer pouvoir se procurer de la cocaïne en 24 heures que les jeunes ruraux (38% contre 20%).

  • On consomme plus de cannabis dans la rue qu’avant

Les policiers n’y peuvent rien : on consomme beaucoup plus de cannabis sous leur nez aujourd’hui qu’il y a 10 ans. On ne peut pas leur reprocher d’arrêter les usagers pris sur le fait, alors qu’il faudrait aller dans les salons ou dans les toilettes des boîtes de nuit pour interpeller un cocaïnomane dans les mêmes conditions.

Le service de presse de la police n’a pas d’étude sur le sujet, mais « on voit bien » que c’est vrai, affirment-ils. Personnellement, j’aurais plutôt tendance à croire l’inverse. Lorsque je me suis fait arrêter avec un joint dans la rue, en 2003, les policiers m’ont dit de fumer en privé. Ce que je fais depuis. Si le message passe chez les dizaines de milliers de jeunes interpellés par an, on devrait s’attendre à une diminution des fumeurs en public.

Un sondage rapide auprès d’une quarantaine de personnes démonte l’argument de la police. Les résultats sont presque parfaitement répartis autour de la réponse « aucun changement ». (On pourrait avoir de meilleurs résultats avec un échantillon plus large, n’hésitez pas à diffuser le sondage.)

 

  • L’action de la police se concentre sur les trafiquants

Il ne sert à rien de regarder le nombre de consommateurs puisque les données policières ne distinguent pas entre les interpellations de trafiquants et celles d’usagers[2]. L’augmentation des interpellations pourraient bien indiquer une victoire dans la guerre contre les trafics, pas dans celle contre les fumeurs de joints.

Les données disponibles montrent, là encore, que la police se concentre principalement sur les usagers. L’augmentation concerne surtout les consommateurs. Les interpellations de trafiquant sont restées constantes (sauf pour le trafic local) alors que les interpellations d’usagers ont augmenté de 50%.

En chiffres absolus, l’action sur les trafiquants parait encore plus dérisoire : la répression de l’usage représente plus de 80% des interpellations.

Les explications plausibles

  • La police arrête plus facilement les plus « arrêtables »

Alors, pourquoi les policiers se tournent-ils plus volontiers vers les fumeurs de cannabis ? Pour Henri Bergeron, auteur de Sociologie de la Drogueil est possible que la police se concentre sur les populations les plus faciles à interpeller.

La répartition des consommateurs accrédite cette hypothèse. Les consommateurs de cannabis sont en majorité plus jeunes que ceux de cocaïne, plus prisée par les trentenaires. Il faudrait plus d’éléments pour confirmer cette piste, comme des détails sur le profil des consommateurs. On pourrait ensuite comparer le profil des consommateurs de cocaïne avec celui des populations les plus fréquemment interpellées (les jeunes, les Noirs et les Arabes, comme l’a montré l’étude du CNRS Police et minorités visibles).

  • « La police du cannabis »

Les interpellations des consommateurs de cannabis pourraient ne pas avoir pour seul objectif une répression de l’usage. Le sociologue Michel Kokoreff parle d’une « police du cannabis  » pour décrire l’importance qu’ont ces contacts dans la construction des rapports entre policiers et population dans les quartiers les plus pauvres.

Cela signifierait que les interpellations pour usage de cannabis ont lieu de manière disproportionnée dans les zones urbaines les plus sensibles.

On pourrait vérifier cette hypothèse en analysant les données d’interpellations par commune, voire par quartier. Malheureusement, le document n’est malheureusement pas encore disponible sur data.gouv.fr.

 

Source : Nicolas Kayser-Bril pour Data Publica

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[1] L’explication de la police ignore par ailleurs les données, qui couvrent effectivement l’ensemble de la France.

[2] Une fois encore, la police ignore les données utilisées au départ, qui concernent les interpellations pour usage.


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