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Désobéissons à l’Union européenne... mode d’emploi

Bernard Gensane | legrandsoir.info | lundi 5 septembre 2011

lundi 5 septembre 2011

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Reconquérir la souveraineté populaire par les urnes et par le droit. Paris : Mille et une nuits, 2011.

Pourquoi pas, en effet ? Puisque l’« Europe » nous a désobéi, en ne respectant pas, à trois reprises, la volonté populaire exprimée clairement par référendum, désobéissons-lui.

Cela fait cinquante ans que l’ « Europe » sert les intérêts du capitalisme financier, produit des inégalités, déréglemente, détruit le secteur public, engendre de la dette et des déficits, fait supporter aux citoyens les folies (voir la crise des subprimes) des banquiers, au mieux sans la volonté des peuples, au pire contre cette volonté. Désormais, elle s’en prend aux États eux-mêmes, en prétendant, par exemple « aider » la Grèce alors qu’elle ne fait que garantir aux banques et aux « investisseurs » qu’ils sauveront leurs mises.

Pour Bruxelles, comme pour le FMI, les cibles sont toujours les mêmes : les salariés, les retraités de la fonction publique, les assurés sociaux, tandis que les cadeaux iront aux gros contribuables. Et pendant que l’« Europe » impose aux Grecs une purge finale, la Chine instaure un partenariat avantageux avec ce pays en rachetant le centre des conteneurs du port du Pirée pour muscler son commerce international.

Pour le moment, la seule expression du désarroi des citoyens européens face à ces politiques qui les ruinent à petit feu a été l’abstention qui est passée en vingt ans de 37 à 55%. Sauf lorsqu’un débat de qualité leur a été proposé. En 2005, l’abstention en France n’a pas dépassé 30% lors du référendum sur le Traité constitutionnel. En corollaire, une autre conséquence lamentable du déficit démocratique en Europe est la poussée de l’extrême droite en cinq ans (Italie : 4 à 10%, Autriche : 30% pour les deux partis nationalistes, Royaume-Uni : 5%, ce qui ne s’était jamais vu). Concernant les partis plus établis, nombre d’entre eux sont tombés du côté où ils penchaient. Comme les socio-démocrates qui ont payé leur conversion au libéralisme par un mauvais score lors des élections de 2009.

Si la tâche est considérable, c’est que de traité en traité, de loi en loi, de directive en directive, de jurisprudence en jurisprudence, l’« Europe » « s’est dotée d’un ordre juridique qui ne repose sur aucune légitimité populaire et qui ne laisse plus aucune place pour d’autres politiques économiques, sociales ou environnementales. » La « reconquête » évoquée par l’auteur dans le titre de son ouvrage ne peut passer que par la restauration de « la primauté du droit national sur le droit communautaire pour rendre au peuple sa souveraineté perdue. » Toute autre solution n’est qu’illusion, sparadrap, combat « de l’intérieur » perdu d’avance parce qu’inopérant. Cette reconquête devrait être le thème central de toutes les campagnes électorales à court ou moyen terme.

Cette Europe capitaliste vient de loin. Pierre Mendès-France, homme d’une gauche modérée mais lucide, avait dénoncé, dès 1957, un marché commun basé sur le libéralisme classique « selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. » Le père de cette Europe fut Jean Monnet, homme d’affaires, banquier « américain » dès 1935, proche des Pierpont Morgan. Partisan de l’endiguement (containment) du communisme, il sera un chaud partisan du Plan Marshall. Monet conseillera le Français Robert Schuman, homme de droite militant catholique et le démocrate-chrétien De Gasperi (Bernier commet une vraie erreur en écrivant que De Gasperi dirigea Unilever jusqu’en 1940 : opposant au fascisme, il dut se contenter, avant-guerre, d’un emploi de bibliothécaire). Relais de la pensée économique étatsunienne, porte-parole des grands patrons européens, ces hommes verront dans la construction européenne une défense du capitalisme par la création d’une grande zone de libre-échange où les peuples n’auraient aucune prise sur les grandes orientations économiques.

L’une des grandes astuces des bâtisseurs de l’« Europe » aura été de créer du droit pour un peuple qui n’existait pas. Ce qui permet, comme l’explique en détail Aurélien Bernier, de construire l’« Europe » sans les peuples, en instaurant « un organe supérieur » censé représenter « l’intérêt européen » (jamais défini publiquement) qui serait par nature meilleur que les intérêts nationaux : la Commission européenne disposant d’un droit d’initiative exclusif. La tâche prioritaire des parlements nationaux est donc de se conformer au droit communautaire, au point qu’à partir des années 1990 la Constitution française a été modifiée à cinq reprises, la dernière fois pour le Traité de Lisbonne. La conséquence politique de ce parti pris juridique est considérable : « un nouveau gouvernement démocratiquement élu ne peut pas mettre en œuvre une législation qui contreviendrait aux principes de l’Union, à commencer par celui du libre-échange. »

Seule institution démocratique, le Parlement européen n’a aucune compétence sur les traités. En revanche, la Cour de justice des communautés européennes veille à l’application du droit européen, consolide les principes du néolibéralisme par des arrêts qui ne sont susceptibles d’aucun recours. Les partis politiques sont piégés, même ceux qui envisagent (le Parti communiste, par exemple), de lutter de l’intérieur du système. La seule solution pour un gouvernement vraiment de gauche est « de ne plus obéir aux injonctions néolibérales de l’Union et de restaurer la primauté du droit national. » Bernier explique longuement que ce ne serait pas facile, mais pas non plus impossible à réaliser. En particulier par un pays comme la France, deuxième puissance économique de l’Europe, contributeur net au budget européen (3 milliards sur 19 milliards d’euros). Tout serait question d’un rapport de forces qui pourrait évoluer favorablement une fois que la France progressiste aurait montré l’exemple.

Il faudrait par ailleurs, explique l’auteur, sortir de la monnaie unique et construire une monnaie commune puisque le premier objectif de l’euro a été « d’ôter tout pouvoir aux Etats en matière monétaire. » Actuellement, les États sont pris à la gorge : la création de monnaie leur étant interdite, ils sont contraints de s’endetter auprès des marchés financiers selon des taux en partie fixés par les désormais célèbres agences de notation. Voulue par l’Allemagne pour servir ses intérêts de puissance exportatrice, la monnaie unique est très handicapante pour des pays comme la Grèce, alors qu’une monnaie commune permettrait « à chaque pays de conserver sa monnaie nationale, de maîtriser sa politique monétaire et sa politique économique. »

Avec cet ouvrage, Aurélien Bernier et le M’PEP ont voulu briser une omerta. « Les peuples savent que l’Europe ne les protège pas, ni contre la rapacité de la finance, ni contre une concurrence internationale totalement déloyale. » Y compris à gauche, tout le monde sait mais personne ne reconnaît publiquement « qu’aucun programme de gauche radicale ne peut être mis en œuvre dans le cadre du droit européen. »

À lire également (un ouvrage rédigé dans une perspective plus consensuelle) : le Manifeste d’économistes atterrés :

http://bernard-gensane.over-blog.com/article-note-de-lecture...

http://bernard-gensane.over-blog.com/


Voir en ligne : Aurélien Bernier et le M’PEP. Désobéissons à l’Union européenne !

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