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Émeutes de Londres : “ces jeunes savent qu’ils n’ont pas d’avenir”
Jason Paul Grant | owni.fr | jeudi 11 août 2011
jeudi 11 août 2011
Ça ressemble à une scène de film d’horreur. Des jeunes en nombre envahissent les rues. Pillent, saccagent et détruisent Londres. La police, dépassée, tente de protéger les centres commerciaux alors que les jeunes continuent de faire ce qu’ils veulent.
La question est : pourquoi ? Pourquoi font-ils cela ? Que faire pour les arrêter ? Je ne pense pas vraiment qu’on veuille les arrêter, sinon nous serions déjà en train de leur parler. Où ces jeunes dorment-ils ? Où sont leurs parents ? Ils doivent bien dormir quelque part, ils viennent de quelque part… Au lieu de les laisser dormir nous devrions les réveiller dès maintenant pour qu’ils répondent à nos questions.
Qu’ai-je à apporter au débat ? Pour être clair, j’ai grandi dans un quartier pauvre de Londres, un endroit qui n’a pas été détruit par les jeunes parce qu’il n’y a rien à endommager, et ce malgré les 50 millions de livres investies en 2001 qui n’ont pas été dépensées pour quoi que ce soit d’utile dans le quartier. Est ce que l’argent promis par le Labour mais jamais investi correctement fait partie du problème ?
Lorsque j’ai grandi dans ce quartier, la criminalité était élevée, les adultes qui m’entouraient n’avaient pas de travail, je ne m’en rendais pas compte à l’époque mais la zone rassemblait des immigrés du monde entier. À l’école, nos professeurs essayaient de créer un endroit sûr où jouer mais étudier devient difficile lorsqu’on rentre chez soi et qu’il n’y a pas à manger. Pour l’anecdote, mon école primaire a pris feu il y a plus d’un an et aucune réparation n’a été entreprise depuis. Cela donne une idée de la façon dont les résidents de New Cross sont considérés.
Agir ou subir
Pour en revenir à mon histoire, lorsque j’étais adolescent, les gangs dominaient la rue. Celui qui n’était pas membre d’un gang se faisait voler, battre et était considéré comme un idiot. La situation se résumait à « agis ou subis ». Les adultes étaient occupés à leurs basses besognes, entraient et sortaient de prison ou d’hôpital psychiatrique, ou planaient sous les effets de la drogue et de l’alcool. Les jeunes grandissaient très vite dans le sud de Londres.
Mon histoire a commencé dans les années 1980 mais en 2010, trente ans plus tard, rien n’a changé. D’un côté, j’ai réussi à briser le cycle de la pauvreté et de l’isolement grâce à l’éducation. J’ai rencontré un professeur originaire du Pérou qui m’a encouragé à poursuivre mes études ce qui m’a mené à une licence puis à un master. J’ai parcouru le Royaume-Uni et j’ai voyagé dans la plupart des pays européens. J’ai travaillé pour certaines des compagnies parmi les meilleures du pays et j’ai vu comment l’autre moitié de la population vit.
C’était le vilain secret que nous ne voulions pas admettre. Je me souviens de Ken Livingstone, alors maire de Londres, célébrant la City qui avait transformé le centre d’affaires en havre fiscal. Certains gagnent encore des sommes d’argent phénoménales dont les habitants pauvres de la ville ne voient pas la couleur.
Les cercles que je fréquente aujourd’hui sont très éloignés de l’autre réalité. Ça n’est donc pas une surprise que nous n’ayons jamais prévu ce qui arrive aujourd’hui ou que nous ne comprenions pas pourquoi cela arrive. Je n’ai jamais voulu m’étendre sur ce sujet mais on m’a contacté pour me demander des informations, pour s’inquiéter de ma sécurité et de la façon dont Londres va gérer ce problème.
Quand la Norvège a connu une violente tragédie, le Premier ministre a appelé à « plus de démocratie, plus d’ouverture et plus de vie sociale » – je ne peux que craindre ce que Cameron va dire au sujet des émeutes.
Des centaines de jeunes, pas un policier en vue
Hier soir j’étais dans un pub du haut Islington avec un ancien camarade de la City University of London qui émigre en Jamaïque. La clientèle était composée de personnes civilisées qui travaillent dans les médias et parlent des émeutes de manière voyeuriste. Regardez ce que font ces jeunes, ils volent des télés.
J’aurais aussi bien pu me trouver en Australie ; j’étais tellement éloigné des événements se déroulant à Londres cette même nuit. J’ai ensuite rejoint le sud de Londres à vélo et je n’ai croisé aucune agitation sur mon chemin. En traversant Islington, Angel, Farrington, St Paul et le London Bridge, les rues étaient désertes. Aucun jeune en vue.
C’est quand je suis arrivé sur Old Kent Road que le film a commencé. Il y avait littéralement des centaines de jeunes en survet’ courant dans tous les sens, à chaque coin de rue des gens se rassemblaient. Les jeunes avaient pris le contrôle sans que personne ne les arrête et ne leur dise de rentrer chez eux.
Pour ceux qui ne connaissent pas Old Kent Road, il s’agit d’une zone très démunie où se trouvent les logements sociaux d’Aylesbury. Tony Blair y avait investi des millions mais les nouvelles autorités ont décidé de les démolir. Nous laissons tomber ces enfants. Il y avait un rassemblement de musulmans, qui venaient probablement de rompre le jeûne. Et deux cafés, l’un rempli de Somaliens, et l’autre de Maghrébins. Ces groupes d’hommes étaient heureux de se retrouver et ne prêtaient aucune attention aux jeunes. Il n’y avait pas un policier en vue.
Alors que je me dirigeais vers New Cross, j’ai trouvé la police. Trois fourgons arrêtés pour interpeller un jeune. Cela paraissait vraiment étrange et je voulais leur dire que la route derrière moi était remplie de jeunes qui erraient dans les rues. J’ai poursuivi mon chemin, ne voulant pas m’impliquer.
J’ai traversé New Cross mais je voulais voir d’autres quartiers. J’ai donc poursuivi ma route jusqu’à Lewisham. Tout était désert le long du chemin. Tous les magasins étaient fermés alors qu’il n’était que 23 heures un soir de semaine. Quand je suis arrivé au centre de Lewisham, la police faisait son travail. Elle avait bouclé l’accès à tout le centre commercial, empêchant les gens de passer. J’ai continué mon chemin jusqu’à Catford et là encore, la police protégeait le centre commercial.
J’ai décidé de rentrer chez moi. Quand je suis arrivé mon portable était rempli de messages, d’e-mails et d’appels en absence. Ma batterie était à plat et mes proches désespéraient d’avoir de mes nouvelles. Ils étaient abreuvés d’émeutes à la télé.
Cela fait trop longtemps que nous méprisons ces jeunes
Pour être totalement honnête, c’est la première fois de ma vie que je vois une chose pareille. Les jeunes sont complètement perturbés et il n’y a pas d’explication rationnelle pour un tel niveau de violence. Le problème est qu’ils ne sont pas rationnels. Ils ne sont pas des gens éduqués qui pensent pouvoir dominer le monde. Ces jeunes ont vu leurs parents lutter et savent qu’ils n’ont pas d’avenir.
Je me souviens avoir travaillé pour un centre éducatif pour jeunes exclus du système scolaire traditionnel. Lors de mon premier jour je leur ai demandé ce qu’ils voulaient faire plus tard. La première réponse était dealer. Choqué, j’ai continué en leur demandant s’ils importeraient de la drogue de Colombie ou d’Afghanistan. Ils n’avaient jamais entendu parler de ces pays et voulaient vendre des petits sachets dans leur quartier. C’était comme ça qu’ils voyaient les adultes gagner de l’argent. J’ai alors suggéré qu’ils pourraient travailler dans la City, où des gens gagnent énormément d’argent. Personne ne lance de défi à ces jeunes ou ne leur permet de voir une autre réalité.
Cela fait trop longtemps que nous – la société – méprisons ces jeunes. Nous n’avons jamais voulu les prendre dans nos bras. Nous les avons diabolisés, exclus du système scolaire, laissés au chômage. Nous les avons enfermés puis libérés juste pour voir la même situation se répéter.
Je pense que les gens qui sont employés à s’occuper de ces jeunes devraient démissionner et permettre à ceux d’entre nous qui s’inquiètent vraiment de leur avenir de les changer. Les gens peuvent changer, et si nous n’y croyons pas alors nous avons un problème.
Je connais beaucoup de projets pour les jeunes et d’organisations très investies dans leur travail qui luttent pour avoir des fonds et doivent compter sur des volontaires pour être sur le front. Alors même que les élus touchent des salaires exorbitants et que les fonds investis ne sont pas dépensés correctement.
Je pourrais continuer mais je préfère m’arrêter. Allons nous réagir et être plus attentif ? Alors que nous nettoyons les rues de Londres demandons nous pourquoi ils agissent ainsi. La catastrophe est imminente. Que va-t-il se passer ce soir ? Quel sera notre futur ?
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MAJ : Interrogé par la BBC, Darcus Howe, écrivain et journaliste, semble partager certaines des interrogations développées par Jason Paul Grant. La BBC a présenté ses excuses à l’auteur suite à l’interview.
Billet initialement publié en anglais sur le blog de Jason Paul Grant sous le titre “Attack of the Hoodies”
Traduction : Marie Telling
Illustrations FilckR CC par paul adrian par Beacon Radio par J@ck !
Voir en ligne : Émeutes de Londres : “ces jeunes savent qu’ils n’ont pas d’avenir”
Messages
1. Émeutes de Londres : “ces jeunes savent qu’ils n’ont pas d’avenir”, 13 août 2011, 18:07, par H.
Remerciements pour cet article, cette vidéo incroyable du témoignage de Darcus Howe et surtout AU TRADUCTEUR quel(le) qu’il (elle) soit qui permet à ce que la lumière de l’esprit puisse se frayer un chemin au travers du mur des langues.
Merci à Darcus Howe !
On reste sidéré par cette journaliste au ton si arrogant que ça frise la haine de classe ou le mépris raciste.
Elle arrive à la fin à traiter d’émeutier Darcus Howe ! On croît rêver !
Cette privilégié du système ne comprend rien à rien. On est tout autant sidéré, qu’avant même de parler , elle plaque sur son interview sa moraline à trois penny et tente par tous les moyens à faire cracher à son interviewé on ne sait quelle abjuration de crimes qu’il n’a pas commis.
Il est marrant de voir une journaliste se conduire en direct avec son invité - Darcus Howe - comme les flics font avec le petit-fils de cet écrivain. La journaliste colle au mur l’écrivain interviewé et lui fouille les neurones pour qu’il condamne non seulement " les émeutiers " tandis que lui parle de " temps historique " comme il s’en passe en Egypte et ailleurs mais elle ose lui dire d’avouer qu’il est lui aussi un " émeutier " --------- ???
NO COMMENT !
Elle n’écoute rien, ne comprend rien. La journaliste répète sa petite leçon comme une bonne poupée ventriloque. Parlerait-elle ainsi avec tant de morgue envers son boss, ses maîtres, David Cameron l’escroc au pouvoir ?
Interviewrait-elle ainsi avec autant d’ arrogance Georges Soros , le criminel financier s’il était interviewé par elle ?
Que nenni ! La upper class se permet tout. La City pille les nations et fait les poches aux " ploucs " Britanniques, les accule à la misère et à la violence mais Dame Journaliste n’en a cure. Elle s’affuble du beau manteau de l’inquisition néolibérale pour que l’invité abjure n’importe quoi, pourvu qu’il parle.
Darcus Howe parle d’insurrection populaire. Il a raison.
La prochaine révolution et les insurgés conscientisés qui la feront iront de suite s’emparer des bastilles médiatiques. C’est là que se cache le coeur, non pas du pouvoir, mais de l’obéissance au pouvoir. Les cellules médiatiques sont les lieux de soumission au pouvoir qui nous rompt. C’est pourquoi viendra un temps où ce empire médiatique fractal & privé, vendu aux multinationales de l’armement et corrompu jusqu’à l’os sera détruit. Car On ne fait rien avec la mort, les bavardages convenus pour formater une opinion.
La vie sera ailleurs dans d’autres façon de pratiquer les médias ou de s’en foutre tout simplement.
Franchement, de quoi se plaint-elle cette journaliste ?
Ce qu’elle vend comme idéologie consumériste 24 sur 24 n’a t-il pas parfaitement réussi ?
Les jeunes - "blanc" & "noirs" confondus - lors de l’insurrection populaire n’ont -il pas parfaitement obéît au valeurs de la société néolibérale ?
Ne ce sont-ils pas entiché pour la mode, les téléviseurs et ordinateurs dernier cri, les pompes sport, etc.... ?
Les seules valeurs "marchandes" en vogue à cette heure, hein ? Et validés comme le nec plus ultra de la bonne société. Le must du must.
Une réussite totale, non ?