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Les quatre dimensions de l’oppression des Palestiniens

J. Salingue - vendredi 4 juillet 2008

lundi 4 août 2008

Les quatre dimensions de l’oppression des Palestiniens (extrait)
publié le vendredi 4 juillet 2008

J. Salingue

L’article qui suit est le dernier que je mets en ligne avant mon départ.
Je ne tenterai pas ici l’impossible résumé de ces 11 semaines passées dans
les territoires palestiniens. Il s’agira plutôt d’essayer de présenter de
manière synthétique ce qui constitue selon moi les quatre déclinaisons
essentielles de l’oppression israélienne.
Chacun sait que depuis 2002, Israël a entrepris de construire un
gigantesque Mur en Cisjordanie. Ce que l’on remarque moins souvent, c’est
que ce Mur de Béton n’est pas le seul Mur construit par l’Etat d’Israël,
même s’il est le plus visible d’entre tous. Les Palestiniens se heurtent
en effet aujourd’hui à quatre Murs, qui leur interdisent de mener une
existence digne et de voir leurs droits nationaux satisfaits : un Mur de
Fer, un Mur de Barbelés, un Mur de Verre et un Mur de Béton.
Le Mur de Fer : l’armée israélienne
« A part ceux qui ont été virtuellement "aveugles" depuis l’enfance, tous
les sionistes modérés ont compris depuis longtemps qu’il n’y a pas le
moindre espoir d’obtenir l’accord des Arabes de la Terre d’Israël pour que
la "Palestine" devienne un pays avec une majorité juive.(…) La
colonisation sioniste, même la plus limitée, doit soit se terminer, soit
être menée à bien au mépris de la volonté de la population autochtone.
Cette colonisation ne peut, par conséquent, continuer et se développer que
sous la protection d’une force indépendante de la population locale : un
mur de fer que la population autochtone ne pourra pas franchir » [1].
Ces lignes ont été écrites au début des années 20 par Vladimir Jabotinsky,
dirigeant du courant « sioniste révisionniste » duquel seront issus le
Likoud et, entre autres, les Premiers Ministres Begin, Shamir ou Sharon.
Elles exposent la doctrine du « Mur de Fer » : dans la mesure où les
Arabes de Palestine s’opposeront à l’établissement d’un Etat juif sur un
territoire dans lequel ils sont largement majoritaires, le mouvement
sioniste doit se doter d’une puissante force armée, soutenue par les pays
impérialistes, qui favorisera la colonisation et qui, le moment venu,
permettra d’imposer le fait accompli aux autochtones.
Malgré la position minoritaire du courant révisionniste dans le mouvement
sioniste (dominé par les Travaillistes de Ben Gourion), la doctrine du Mur
de Fer fait de nombreux émules et est celle qui, dans les faits, conduit à
la création de diverses milices juives armées, les plus célèbres étant la
Haganah (créée en 1920), l’Irgoun (1931) et le Groupe Stern (1940). Ces
milices terrorisent les habitants arabes et sont responsables du départ
forcé de 800 000 d’entre eux au cours des années 1947-1949. C’est le
groupe Stern, dirigé par Menahem Begin, qui commet le massacre de Deir
Yassine en avril 1948. Après la Déclaration d’indépendance d’Israël, la
Haganah constituera l’ossature de l’armée israélienne, « Tsahal », qui
absorbera rapidement les autres milices.
Dès les origines de l’Etat d’Israël, la composante militaire a joué un
rôle-clé, permettant le nettoyage ethnique indispensable à la constitution
d’un Etat juif sur un territoire majoritairement peuplé de non-Juifs. Le
Mur de Fer, l’armée, demeure aujourd’hui l’un des piliers fondamentaux de
la politique israélienne. La liste des Généraux devenus ministres ou
Premiers Ministres est trop longue pour être citée ici. On mentionnera à
titre d’exemple le Général Allon, le Général Dayan, le Général Rabin, le
Général Sharon, le Général Barak, le Général Ben Eliezer, le Général Zeevi
ou le Général Mofaz… Dans l’actuelle Knesset, les Généraux représentent
10% des élus. Et lorsque les Généraux rejoignent la vie politique, ils
n’en demeurent pas moins des militaires et leurs décisions et grandes
orientations s’en ressentent, comme l’a largement démontré la regrettée
Tanya Reinhardt [2].
En outre, « Israël est le seul pays démocratique dans lequel le commandant
en chef de l’armée assiste à toutes les réunions du gouvernement » [3].
Qui plus est, « Les généraux ont une arme qu’aucun homme politique ne peut
se permettre d’ignorer : le contrôle absolu des médias. Presque tous les
"correspondants militaires" et les "commentateurs militaires" sont les
serviteurs obéissants du commandement en chef, publiant, comme si c’était
leur propre opinion, les instructions du chef d’état-major et de ses
généraux » [4]. Cette mainmise des Généraux sur les médias permet
d’entretenir un climat de peur permanente dans un société traversée de
contradictions mais au sein de laquelle la crainte de l’agression
étrangère et l’unité nationale derrière les opérations militaires jouent
un rôle de ciment. Elle légitime en outre un budget militaire faramineux :
les dépenses militaires par habitant sont 15 fois plus élevées en Israël
qu’aux Etats-Unis. L’armée israélienne est une des plus importantes armées
mondiales, elle est de très loin la première force militaire de la région
et la seule puissance nucléaire du Moyen-Orient.
Le Mur de Fer voulu par Jabotinsky, entendu comme une puissante force
armée jouant un rôle central dans le développement du projet sioniste,
soutenue par les pays impérialistes, existe donc bel et bien. Il se
matérialise aujourd’hui par l’occupation militaire de la Cisjordanie et
l’encerclement de Gaza. Les Palestiniens des territoires occupés en sont
les premiers témoins et les premières victimes. Les décisions les
concernant, qui ont guidé la politique répressive des autorités
d’occupation au cours des 60 dernières années, et leur confrontation
quotidienne avec l’armée, sur les checkpoints, lors des incursions ou à
l’occasion des milliers de procès devant des tribunaux militaires, sont la
tragique illustration de cette première dimension de l’oppression
israélienne : imposer par la force le fait accompli sioniste.
La tâche assignée au Mur de Fer, définie par Jabotinsky il y a 85 ans, est
plus que jamais d’actualité : « Nous prétendons que le Sionisme est moral
et juste. Et puisqu’il est moral et juste, la justice doit être rendue,
peu importe que Joseph, Simon, Ivan ou Ahmed soit d’accord ou non » [5].
Le Mur de Barbelés : les Camps de réfugiés
« La terre d’Israël est habitée par les Arabes. (…) Nous devons nous
préparer à les expulser du pays par la force des armes, tout comme l’ont
fait nos pères avec les tribus qui y vivaient, sinon, nous nous trouverons
face à un problème, représenté par la présence d’une population
d’étrangers, nombreuse, à majorité musulmane, qui se sont habitués à nous
mépriser depuis des générations. Aujourd’hui, nous ne représentons que 12%
de l’ensemble de la population, et nous ne possédons que 2%, seulement, de
la terre » [6] déclarait dès la fin du 19ème Siècle Israel Zengwill, l’un
des premiers collaborateurs de Theodor Herzl, considéré comme le « père
fondateur » du sionisme. La Palestine n’était pas, contrairement à la
formule popularisée par le mouvement sioniste, « une terre sans peuple ».
Les sionistes en avaient conscience et ont donc dès le départ envisagé
l’expulsion des autochtones afin de permettre la constitution d’un Etat
juif.
Le plan de partage de 1947 attribue un peu plus de 55% de la Palestine à
l’Etat juif. L’objectif non dissimulé des dirigeants sionistes est la
conquête de l’ensemble de la Palestine : « L’acceptation de la partition
ne nous engage pas à renoncer à la Cisjordanie. On ne demande pas à
quelqu’un de renoncer à sa vision. Nous accepterons un Etat dans les
frontières fixées aujourd’hui ; mais les frontières des aspirations
sionistes sont les affaires des Juifs et aucun facteur externe ne pourra
les limiter » (David Ben Gourion) [7]. Mais les Juifs ne représentent
qu’un tiers de la population. Le nettoyage ethnique est donc inévitable.
Les travaux des historiens palestiniens, puis des nouveaux historiens
israéliens, notamment Ilan Pappe et Benny Morris [8], ont établi que ce
sont ainsi environ 800 000 Palestiniens qui ont été chassés de leur terre
lors de la grande expulsion de 1947-1949, la « Nakba ». Ils ont en outre
démontré que cette expulsion n’était pas un dommage collatéral de la
guerre israélo-arabe de 1948 mais qu’elle était le résultat d’un plan
précis, le plan Daleth, visant à nettoyer la terre de Palestine du plus
grand nombre possible de ses habitants arabes. C’est ainsi que plus de la
moitié des 800 000 expulsions ont eu lieu avant le début de la guerre, ce
qui invalide la thèse communément répandue des villageois fuyant les
combats entre armées arabes et armée israélienne.
Les réfugiés ont-ils tous fui sous la menace directe des milices juives ou
certains d’entre eux ont-ils abandonné leurs terres par peur des massacres
 ? Ceux qui contestent la thèse de l’expulsion font de cette question un
enjeu crucial et se réfèrent constamment à d’introuvables enregistrements
radios démontrant que les régimes arabes ont appelé les Palestiniens à
fuir leurs terres. Au-delà du fait que les travaux historiques les plus
récents ont largement démontré le caractère programmé et systématique des
expulsions, ce « débat » n’est qu’un contre-feu allumé afin de détourner
l’attention d’une vérité historique que personne ne peut contester :
quelles que soient les motivations qui ont poussé chacun des réfugiés à
s’enfuir, aucun d’entre eux n’a jamais pu retourner sur sa terre.
Il en va de même des centaines de milliers d’autres Palestiniens qui ont
rejoint le contingent des réfugiés lors des autres vagues d’expulsion,
notamment en juin 1967. Il y a aujourd’hui d’après les chiffres officiels
de l’ONU plus de 4.5 millions de réfugiés palestiniens. Il existe 59
camps, pour certains encore entourés de barbelés, à Gaza (8 camps), en
Cisjordanie (19), en Jordanie (10), en Syrie (10) et au Liban (12). A ce
chiffre s’ajoutent les réfugiés non enregistrés à l’UNRWA. D’après le
Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS), il y a aujourd’hui à
travers le monde environ 7 millions de réfugiés palestiniens, sur une
population totale d’un peu plus de 10 millions.
Plus des 2/3 des Palestiniens sont donc des réfugiés à qui Israël dénie le
droit de revenir sur leurs terres. Ce qui faisait dire à Hussam Khadr,
membre du Fatah au Camp de Balata, ancien député aujourd’hui emprisonné,
que « la cause palestinienne est la cause des réfugiés ». C’est ce qui
autorise aussi tout observateur un peu sérieux de la question
palestinienne à dire que tout « règlement » faisant l’impasse sur les
revendications de la reconnaissance de l’expulsion et du droit au retour
est chimérique et/ou malhonnête. Le Mur de Barbelés qui enferme près de
70% du peuple palestinien dans des Camps et dans un statut de réfugiés
permanents est le second volet incontournable de l’oppression générée par
Israël.
Le Mur de Verre : le statut des Palestiniens de 48
« Il y a des citoyens arabes dans l’Etat d’Israël. C’est notre principal
souci. Qu’on en finisse à Gaza. Qu’on en finisse en Judée et en Samarie
[en Cisjordanie]. Nous nous retrouverons alors face à notre principal
souci » (Gideon Ezra, actuel Ministre israélien de l’Environnement, membre
du parti Kadima) [9].
Un troisième Mur enferme la population palestinienne et constitue un
aspect souvent sous-estimé ou volontairement négligé de l’oppression
israélienne. C’est le « Mur de Verre », pour emprunter une image du
journaliste Jonathan Cook, qui enferme les Palestiniens de 1948, les
mal-nommés « Arabes israéliens ».
La minorité palestinienne en Israël, estimée à 1.3 millions de membres
(soit un peu moins d’1/5ème de la population israélienne), se compose des
Palestiniens qui sont demeurés dans les terres conquises par Israël en
1947-1949 et de leurs descendants. La façon dont Israël traite cette
minorité et les mesures radicales qu’une grande partie de l’establishment
sioniste souhaiterait prendre à son encontre sont révélatrices de
l’indépassable contradiction entre la réalisation du projet sioniste
d’établissement d’un Etat juif en Palestine et la satisfaction des droits
nationaux du peuple palestinien.
Soumis à la loi martiale de 1949 à 1966, les Palestiniens d’Israël
jouissent depuis 1967, en théorie, des mêmes droits que tous les
Israéliens. En théorie seulement car les discriminations, si elles ne sont
plus inscrites dans la loi, persistent et se développent. Du Ministère des
Affaires Religieuses qui n’attribue que 2% de son budget aux communautés
palestiniennes d’Israël et qui refuse d’accorder des crédits pour les
cimetières « non-juifs » aux nombreuses municipalités qui s’abstiennent
d’utiliser l’arabe pour la signalisation routière, les cas de
discrimination institutionnelle sont légion.
Si l’on y ajoute la discrimination à l’embauche, au logement ou la
faiblesse des crédits alloués par l’Etat pour le développement économique
et social des villes et villages arabes (54.8 % des Palestiniens de 48
vivent en dessous du seuil de pauvreté contre 20.3 % des Juifs), voire
même la non-reconnaissance de l’existence de certains de ces villages, se
dessine un système de discriminations paralégales que Jonathan Cook
appelle un « Mur de Verre ». Un « Mur de Verre » car, s’il enferme bel et
bien les Palestiniens d’Israël dans un statut de sous-citoyens, il demeure
invisible et autorise Israël à affirmer être un Etat démocratique et
non-discriminatoire.

.../...

La totale :

http://juliensalingue.over-blog.com/article-20777756.html


Voir en ligne : Les quatre dimensions de l’oppression des Palestiniens

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