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La police, les balles réelles et les manifestants/lapins

Michel Sitbon | par mel | 20 juillet 2011

dimanche 24 juillet 2011

La police peut tirer à balles réelles sur les manifestants (suite)

Il faut remercier rue 89 et maître Eolas de leurs
précisions, au sujet des décrets du 30 juin 2011. Ainsi, ce
serait en 1935, en conséquence de la manifestation
insurrectionnelle du 6 février 1934, qu’on aurait codifié
l’usage des armes à feu contre des manifestants. Quant aux
décrets de 2011, ils étaient nécessaires pour harmoniser le
passage sous l’autorité du ministère de l’intérieur de la
gendarmerie.

Merci car il va de soi qu’on préfère manifester sans penser
qu’on va se faire tirer dessus. Et l’idée de manifester en gilet
pare-balles n’est qu’à moitié drôle.


Il n’empêche qu’on peut s’étonner que cette mise au point si
informée ne soit que partielle.

En 1935, la police codifiait l’usage des armes à feu, et en
1937, lors d’une manifestation anti-fasciste à Clichy, il y aura
fusillade, quatre morts et des centaines de blessés.

Pendant la guerre la gendarmerie mobile laissera un tellement
mauvais souvenir aux résistants que ceux-ci n’auront rien de
plus pressé que de la dissoudre et de créer les CRS.

Je n’ai pas les textes règlementaires – revendiquant au besoin
la qualification de "non juriste" que Maître Eolas nous prête –,
mais il est certain qu’en 1944, lorsqu’ont été créées les CRS,
c’était précisément dans un esprit de limitation des moyens des
forces de maintien de l’ordre public, dans un esprit
"républicain" qui leur donnait leur nom.

Ainsi, depuis l’après-guerre, il n’est plus question d’user
d’armes de guerre contre des manifestations publiques, et ceci
aura même entraîné le développement de toute la panoplie que
l’on sait jusqu’aux horribles flash-balls et aux multiples gaz
lacrymogènes.

Concrètement, jusqu’à ces flash-ball, on n’enregistrait que des
degrés dans la qualité des gaz employés, ou des évolutions de la
forme des matraques, jusqu’à la fameuse tonfa, sans parler des
véritables armures qui leur ont valu le nom de robocop. Pour
être complet, on a pu voir à quelques occasions les forces de
l’ordre utiliser également des grenades offensives dont le
danger est infiniment plus faible que celui des plus fameuses
grenades défensives qu’on utilise à la guerre. Il semble que des
grenades offensives ont été surtout employées pour l’effet
psychologique de leur détonation, très différente de celle des
grenades lacrymogènes. Mais on a pu voir, lors de la
manifestation anti-nucléaire de Creys-Malville, en 1977, comment
ces grenades n’étaient certes pas d’un effet seulement
"psychologique", puisqu’elles feront ce jour-là au moins trois
victimes : un mort, et un pied et une main arrachés. À relever
que l’utilisation à tir tendu est strictement prohibée, comme
pour les flash-ball pourrait-on dire, sauf qu’encore plus
meurtrière, comme c’était vérifié ce jour-là. Sauf erreur, la
dite grenade offensive n’est pas véritablement une arme de
guerre, et c’était d’ailleurs ce qui faisait qu’on se
l’autorise.

Même lors des répressions de manifestation les plus meurtrières,
même le 17 octobre 1961, il n’y a pas d’armes de guerre.


Maître Eolas et rue 89 sont bien gentils de considérer qu’il n’y
a là rien de nouveau, lorsqu’un décret explicite une possibilité
exclue dans la pratique depuis plus d’un demi-siècle.

Sont très parlants, les débats parlementaires qui ont précédé ce
décret, pour ce qui est devenu "la loi du 3 août 2009" qui nous
alerte déjà par sa date : en août, le Parlement est d’ordinaire
en vacances, et il s’agissait bien d’un "mauvais coup de l’été"
lorsque la gendarmerie a été rattachée au ministère de
l’intérieur, sans beaucoup de débat public.

Le rapporteur dit :
"nous allons voter cet amendement qui prévoit
d’étendre la nouvelle procédure à l’usage des armes
par la police nationale, notamment par les compagnies
républicaines de
sécurité pour le maintien de l’ordre. Pourquoi deux forces
faisant le même travail, dans les mêmes conditions,
auraient-elles
deux règlements différents pour l’usage des armes ? "


Or, précisément, les CRS avaient été créées pour limiter ce
risque, et le législateur sarkozyste l’oublie, comme il est
pressé d’oublier de manière générale tout l’héritage du combat
anti-fasciste.

Si les gendarmes, unité militaire, étaient effectivement armés
de tous temps, la charge de la répression des manifestations
reposait surtout sur les CRS, les gendarmes n’intervenant que
comme force d’appoint, et bien sûr sans faire aucun usage de
leurs armes à feu, à l’image de leurs collègues CRS – à tel
point qu’on peine à les distinguer –, dans l’esprit
"républicain" de 1944.

Non juristes et "paranoïaques" peut-être : nous ne faisions que
demander aux juristes d’éclairer notre lanterne.

L’éclairage proposé par Eolas ressemble à celui d’un exégète
gouvernemental, plus qu’à un travail critique qui s’impose,
particulièrement en matière juridique, lorsqu’on assiste à la
destruction méthodique de l’État de droit républicain sur lequel
repose le contrat social.

"Un peu de sérieux quand on parle de la chose publique n’est pas
superflu", dit-il. Est-il bien sérieux de déployer tant
d’efforts pour justifier l’injustifiable ?

Accordons à Eolas toutefois qu’il aura pris le temps de lire en
détail les textes et relevé d’une part ce que nous avions
souligné : que l’usage de la force ne peut être que
"proportionné au trouble qu’il doit faire cesser". Nous
trouvions ça contradictoire avec la possibilité d’user armes à
feu contre des manifestants désarmés. Or l’article 3 d’un des
deux décrets discutés dit bien que l’emploi de fusils à
répétition de calibre 7,62 n’est prévu qu’à titre de riposte en
cas d’ouverture de feu contre les forces de l’ordre, souligne à
juste titre Eolas.

C’est un point essentiel. Notre juriste est catégorique : les
autres "armes à feu" listées ne sont pas à balles réelles – et
c’est le jargon militaire plus que juridique qui nous aura
manqué, lorsque nous envisagions ce risque.


Ainsi, à la lettre, ce décret ne serait pas particulièrement
fautif. Encore une fois, c’est son esprit qui l’est lorsque le
législateur aura voulu explicitement gommer celui qui préside au
maintien de l’ordre public depuis la Libération contre
l’occupant nazi et ses sbires de l’État français qui avait
abouti à ce qu’on avait appelé, avec intention, "compagnies
républicaines de sécurité".

Aussi prudent soit-il dans son expression juridique, ce décret
procède bien d’une volonté qu’on pourrait qualifier ici
d’"anti-républicaine" de bâtir un État gouvernable par la force,
avec ses codifications toujours susceptibles d’être
transgressées, contre la volonté des citoyens.

Personne ne dit qu’on tire sur les manifestants en France comme
en Syrie. Mais, à la lettre, le droit français est si joliment
fignolé qu’Assad pourrait le transposer directement dans son
"état de droit" syrien sans jamais être en faute, même en
pratiquant l’hécatombe quotidienne que l’on sait. (Et, comme on
sait, il se soucie y compris de prétendre que les manifestants
sont armés – et n’a aucun mal à le mettre en scène par ailleurs,
avec son recours massif à un système milicien tel que le droit
français l’organise aussi depuis la Loppsi, insuffisamment
dénoncée par Eolas et rue 89, nous a-t-il semblé.)

Peut-être sommes nous médiocres juristes et paranoïaques, mais
franchement à l’heure de la maximalisation des pouvoirs
policiers de fichage et de tant d’autres choses, y compris de
recrutement de milices, il n’est pas complètement fou de
s’émouvoir de ce soucis de codifier l’inconcevable. On voit là
l’État se préoccuper par anticipation de comment il pourrait
gérer des situations extrêmes, comme avec la loi adoptée dans le
même mouvement, ce 13 juillet, qui permet la mobilisation de
"réserves civiles" en cas de "crise majeure".

S’il y a de la "paranoïa" quelque part, il semble que ce soit
d’abord dans l’esprit du législateur et du gouvernement qui
l’inspire, comme du récent Livre blanc de la défense, daté de
2008, qui assimilait la sécurité intérieure aux problèmes de
défense jusque-là considérés comme extérieurs.

Toute la construction qui en découle, qu’il s’agisse du passage
de la gendarmerie sous l’autorité du ministère de l’intérieur
comme de la possibilité de créer des milices au service de la
police ou de la gendarmerie en temps ordinaire – prévue par
l’article 113 de la Loppsi –, ou en temps extraordinaires –
comme l’organise cette nouvelle loi –, tout ceci procède d’une
volonté de nature manifestement autoritaire – "sécuritaire"
comme on dit – et anti-démocratique. À ce sens, il s’agit d’une
entreprise qu’on pourrait qualifier globalement d’anti-juridique
– si l’on conçoit le droit comme étant destiné à protéger les
citoyens contre l’État et non l’inverse.

La presse, les juristes blogueurs, comme les citoyens, ont
plutôt matière à s’indigner qu’à considérer que tout est égal
sous le soleil – alerter, s’alerter, plutôt que se vouloir
rassurants là où il n’y a pas vraiment lieu. Et ceci même s’il
faut espérer qu’il ne s’agisse que d’éctoplasmes législatifs qui
expriment plus les fantasmes d’un État manifestement
paranoïaque, lui, que toute réalité concevable. Fantasmes
auxquels il n’est pas interdit de penser qu’il puisse être fait
obstacle.


À condition qu’on n’omette pas de regarder en face cette
entreprise monstrueuse, et de la critiquer méthodiquement, sur
les blogs juridiques comme dans les média, sur le web ou
ailleurs.


ms



Transmis par Michel Sitbon
Wed, 20 Jul 2011 23:49:33 +0000

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