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Habitats autogérés et immeubles coopératifs, un remède à la crise immobilière

Rachel Knaebel | bastamag.net | 21 juillet 2011

jeudi 21 juillet 2011

Et si pour échapper au marché spéculatif de l’immobilier, les habitants se regroupaient en coopérative ? C’est le pari que font une partie des Berlinois face à l’envolée des prix des loyers. Parce qu’il est de moins en moins facile de se loger dans la capitale allemande, des coopératives investissent dans des constructions communautaires accessibles aux habitants qui ne disposent pas d’apport financier. Des projets qui proposent une alternative à la propriété individuelle.

David Scheller, 32 ans, en avait assez des « relations de pouvoir » avec ses propriétaires, du loyer doublé après le changement du système de chauffage, d’un mode de logement « où l’on ne peut rien déterminer soi-même ». Il s’est lancé dans un projet d’habitation autogérée avec un groupe d’amis et de connaissances. « Nous avons longtemps discuté pour savoir si nous voulions devenir propriétaires ou pas. La majorité s’est vite prononcée contre. Le principe de la propriété collective du Mietshäuser Syndikat nous a donc beaucoup intéressés. » Le Mietshäuser Syndikat, syndicat des maisons en location, s’est créé au début des années 1990. L’organisation regroupe aujourd’hui plus de 50 projets, soit environ 1.200 habitants. Une vingtaine d’autres est en cours.

Le principe ? Chaque groupe d’habitants forme une société à responsabilité limitée (SARL) indépendante, propriétaire de l’immeuble. Ils louent ensuite leur logement à cette société, aussi longtemps qu’ils le veulent. La SARL ne peut pas expulser ses locataires. Ces sociétés ont chacune deux associés : l’association des habitants de l’immeuble et le Mietshäuser Syndikat. Cette structure permet une autogestion quasi-totale des maisons. Le syndicat ne s’en mêle que sur un point : la propriété. « Le principe est de retirer les immeubles du marché immobilier, explique Julian Benz, conseiller bénévole pour le syndicat à Berlin. Les maisons ne peuvent pas être vendues, même si tous les habitants le souhaitent. Le syndicat a droit de veto sur cette question. »

Des crédits directs en guise d’apport

Autre spécificité : le financement des projets. « Dans une coopérative classique, il faut toujours un capital de départ », regrette David Scheller. Or, le jeune homme ne possède pas d’économies, tout comme les autres membres du groupe. Mais le Mietshäuser Syndikat s’appuie sur un fonctionnement différent. Outre les prêts accordés par des banques, souvent à vocation sociale, la capital est apporté par des crédits dits « directs ». « L’origine des créditeurs est très différente selon la structure sociale des groupes, indique Julian Benz. Ce sont les habitants eux-mêmes, des amis, la famille, d’autres projets membre du syndicat ou des fondations. » Des contrats sont établis pour chaque crédit direct. « Mais le syndicat ne peut pas garantir le remboursement. Sinon, il nous faudrait une licence bancaire. » Le système marche donc sur la confiance et la solidarité. Car chaque locataire d’une maison membre paie une cotisation sur son loyer pour soutenir les nouveaux groupes d’habitation. Le montant ? À partir de 10 centimes d’euro par m2. « Elle augmente doucement au fur et à mesure des années, mais sa hausse est limitée : le loyer ne doit pas dépasser 80% du loyer habituel dans la zone, précise le conseiller. La plupart du temps, ils restent largement en dessous. »

Reste que les immeubles vides sont de plus en plus rares à Berlin. « Ça devient vraiment difficile d’en trouver, surtout à l’intérieur des limites du périphérique. Nous avons cherché un bâtiment pendant un an, sans aucun résultat, témoigne David Scheller. Les investisseurs passent toujours devant. Ils sont plus rapides, avec plus de liquidités. Nous avions un peu perdu espoir au bout d’un moment. Et puis le syndicat nous a parlé d’un terrain libre et proposé un projet de construction neuve pour 20 habitants. » Le terrain de 800 m2 est situé dans le quartier très prisé de Prenzlauer Berg, dans le nord de la ville. « Nous avions le projet d’un immeuble neuf mais au coût de construction très bas », signale Oliver Clemens, l’architecte du projet. Soit 1.000 euros/m2, tout compris. « C’est très peu. Mais les standards sont différents sur des habitations communautaires. Il ne faut pas autant de pièces séparées, pas autant de salles de bains, tout ça aide à économiser.  »

Un loyer bon marché

Il a fallu six mois avant que le syndicat n’accepte le projet. « Il trouvait ça risqué », rapporte l’architecte. L’une des SARL membres a fait faillite l’année dernière, la première fois depuis 20 ans d’existence. Le bâtiment était classé monument historique. « Les coûts de rénovation ont augmenté largement au-delà de ce qui était viable », souligne Julian Benz. Or, un projet en dépôt de bilan, c’est un immeuble revendu aux enchères judiciaires, des habitants sans logement, et, sur ce cas-là, quelques centaines de milliers d’euros de crédits directs envolés. « Nous allons essayer de rembourser les créditeurs grâce au fond de transfert solidaire, mais nous ne pouvons pas le garantir », insiste le bénévole.

Finalement, le syndicat a acheté le terrain de Prenzlauer Berg en novembre pour 240.000 euros. Le coût global de la construction tourne autour d’un million d’euros. La banque sociale Gemeinschaftsbank (GLS) a prêté 640.000 euros. Et le groupe a recueilli 345.000 euros de crédits directs, à des taux de 0% à 3%. « Qu’on puisse collecter autant d’argent en six mois nous a impressionnés », se souvient le futur locataire. Un groupement de projets d’habitations a accordé à lui seul un crédit de 100.000 euros. Une fois la maison construite, le loyer moyen sera de 300 euros par mois et par habitant, charges et chauffage compris, soit entre 7 et 8 euros le m2. « C’est bon marché pour du logement neuf, fait remarquer Oliver Clemens.

Quatre salles de bains, une bibliothèque, des manifestations publiques

Les habitants ont participé à la conception de leur maison. Les membres du groupe, 15 aujourd’hui, ont travaillé pendant six mois avec les architectes Oliver Clemens et Robert Burghardt. « Nous avons d’abord mis au clair nos principes de vie en commun, raconte le jeune homme. Ensuite, nous les avons traduits en architecture. » « Au début, le groupe avait une vision très radicale de la communauté, relève Oliver Clemens. Par exemple, il voulait une seule grande cuisine. Finalement, il est apparu qu’il fallait un peu de hiérarchie dans le bâtiment. Nous avons opté pour une grande et quatre petites cuisines, pour les mangeurs de viande, les chats, les fumeurs, et pour se retrouver avec quelques amis. » L’immeuble, qui s’étend sur deux étages et des combles aménagés, comptera aussi quatre salles de bains et une petite bibliothèque. Toutes les pièces hors parties communes auront la même taille : 16 m2. « C’est petit, mais au total, la surface par habitant sera de 37 m2 », détaille l’architecte.

Les pièces des combles, une grande salle, un bar, voire un atelier, seront ouvertes au public pour des manifestations associatives. Un escalier extérieur y mènera sans passer par les appartements. « Nous voulons nous ouvrir sur le quartier, y organiser des projets, confirme le futur habitant. En interne, les provisions seront communes. Et nous réfléchissons à différencier les loyers selon les revenus. » La construction prévoit aussi un standard énergétique basse consommation, avec en plus un chauffe-eau solaire et un système de récupération de l’eau de pluie. Les travaux doivent commencer cet été, pour une livraison au printemps 2012.

20% de logements réservés à la location

Un peu plus au sud de la ville, au bord de la Spree, la rivière qui traverse la capitale allemande, un autre projet de construction coopérative se prépare. Trois bâtiments devraient s’élever dans deux ans entre un ancien bâtiment industriel et un nouvel immeuble de bureaux, en plein centre de Berlin. Ils abriteront l’équivalent de 60 logements. La construction coûte deux fois plus cher que pour le projet du Mietshäuser Syndikat, soit 2.000 euros/m2. Mais 80% des membres de la coopérative financeront, avec leur apport, 12 appartements réservés à des locataires sans capital. Ceux-ci devront juste participer à hauteur de 1.000 euros. Ils jouiront cependant du même droit de bail à vie que leurs voisins, qu’ils pourront également transmettre à leurs enfants. Ils profiteront aussi du même droit de vote, soit une voix par habitant, quels que soient la taille de l’appartement ou le montant de l’apport personnel, comme c’est la règle dans une coopérative.

« Nous avons déjà cédé huit appartements », indique Christian Schöningh, architecte et membre de l’équipe du projet. Chaque acquéreur d’un bail sur un appartement paie entre 1.700 euro et 2.400 euros/m2 selon la situation du logement, et 5% en plus pour financer les 12 logements locatifs [1].

Surfaces commerciales et jardins partagés

« Cela ne décourage personne, parce que la situation du terrain est exceptionnelle. Quoi que nous fassions, les gens viendraient quand même, poursuit Christian Schöningh. Ce qui effraie certains au début, c’est plutôt d’abandonner la propriété pour ce bail à vie, même si en pratique, c’est très semblable. » Puisque les membres de la coopérative peuvent vendre leur bail. « Mais ce modèle a l’avantage de concentrer l’intérêt sur l’utilisation des lieux plutôt que de rester fixer sur le bien immobilier. » Les locataires paieront entre 640 et 720 euros pour un appartement de 80 m2, charges et chauffage compris. « Ce n’est pas tellement bon marché pour Berlin pour l’instant, mais ça le sera en 2020. »

La coopérative a acheté le terrain en décembre 2010. Les 7.500 m2 appartenaient jusqu’ici à l’État, mais n’étaient pas viabilisés. Avant de construire, il faut donc relier la parcelle à la rue, au réseau d’eau et d’électricité. 3.000 m2 doivent rester non-bâtis et devenir publics, avec des chemins vers la Spree. La coopérative envisage aussi des jardins partagés. Et les 1.200 m2 de rez-de-chaussée doivent « demeurer urbains », selon le développeur du projet. Une partie accueillera des surfaces commerciales ou professionnelles, également sous forme de location ou de bail à vie. Le reste est ouvert. « Il est déjà certain qu’un espace sera réservé aux enfants, même si nous ne savons pas encore sous quelle forme. Tout ça est très flexible, tout comme pour les logements. Si un couple avec enfants s’installe aujourd’hui dans un appartement de 100 m2, mais souhaite déménager dans plus petit quand les enfants partiront, la structure de notre coopérative le permet. »

Rachel Knaebel

Notes

[1] Pour un appartement de 80 m2, cela revient à environ 8.000 euros supplémentaires


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