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« Il faut légaliser le cannabis pour casser les trafics »

Didier Jayle - Simon Barthélémy | lalsace.fr | 04/07/2011

lundi 4 juillet 2011

Le « public n’est pas prêt » à la dépénalisation du cannabis. Archives Jean-François Frey

Le « public n’est pas prêt » à la dépénalisation du cannabis. Archives Jean-François Frey

La dépénalisation du cannabis agite la classe politique. Nous ouvrons aujourd’hui le débat.

Didier Jayle, président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (Mildt) de 2002 à 2007, est médecin, titulaire de la chaire d’addictologie au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers),

Faut-il dépénaliser les drogues douces ?

Je suis content que ce débat ait lieu à un an de la présidentielle. En 2002, nommé par le gouvernement Raffarin à tête de la Mildt (mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie), j’avais proposé de changer la loi de 1970. Je souhaitais que la possession et l’usage de drogues soient passibles d’une contravention, et non plus de prison.

Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, y était favorable, même si son conseiller judiciaire Étienne Apaire, qui m’a succédé à la Mildt, plaidait pour une forte amende de 1 500 euros, quand je défendais une contravention de bas niveau.

C’était une forme de dépénalisation, puisqu’on passait du délit à l’amende. On conservait une sanction, comme il en existe aussi dans les pays qui ont dépénalisé (Espagne, Portugal…). C’était intelligible pour les gens, car on permettait aux parents de continuer à brandir l’interdit pour freiner la consommation chez les jeunes.

Pourquoi ce projet n’a-t-il pas vu le jour ?

Je devais rendre mon rapport en septembre 2003, mais après la canicule, tout le monde s’en fichait. Le ministre de la Santé, Jean-François Mattéi, a été débarqué, Nicolas Sarkozy est parti à Bercy et son remplaçant à l’intérieur, Dominique de Villepin, était contre la dépénalisation. Il a aujourd’hui changé d’avis.

Pourquoi dépénaliser ?

Plus de 100 000 fumeurs sont interpellés chaque année. C’est coûteux, inutile en terme de lutte contre le trafic, et entraîne un sentiment anticivique. S’imaginer que si on fume un joint, on doit subir un traitement de désintoxication, c’est mal compris et contre-productif. Le problème, c’est qu’en dépénalisant la consommation, on ne touche pas au trafic. On peut même l’encourager en enlevant des bâtons des roues des dealers, comme aux Pays-Bas.

Pour s’y attaquer, il faudrait légaliser. La distribution contrôlée, proposée par l’ancien ministre de l’Intérieur socialiste, Daniel Vaillant, a une logique, celle de casser les marchés. La vente légale ne serait pas simple à organiser, mais j’y suis favorable. Car si les policiers antidrogue font un travail exemplaire, avec courage et abnégation, ils ont toujours un train de retard sur les trafiquants, et ne parviennent à réduire ni la consommation, ni la disponibilité des produits. Donc le système actuel ne marche pas, et l’économie du cannabis pourrit la vie des quartiers. Il n’est pas acceptable que le deal soit un modèle de réussite sociale dans les banlieues.

Mais selon deux récents sondages (parus dans Sud Ouest, puis Le Parisien), environ 60 % des Français sont hostiles à la dépénalisation, même si les moins de 35 ans sont majoritairement pour…

Le public n’est pas prêt. C’est en partie conjoncturel – il suffit d’une émission montrant les ravages du cannabis pour renforcer l’opposition à la dépénalisation. Les Français pensent aussi que quand un produit est mauvais, surtout si c’est un truc de jeune, il vaut mieux l’interdire. Si ça marchait, ce serait logique, mais il n’y a pas de proportionnalité entre la loi et l’usage : la France est devant la Hollande en terme de consommation par habitant !

Peut-on enrayer ce phénomène ?

Les chiffres étaient en baisse entre 2003 et 2008 quand j’étais à la Mildt, grâce à une politique d’information et de prise en charge sanitaire. En 2004, on a lancé la première campagne de sensibilisation en Europe sur une drogue illicite, et édité deux millions de brochures exposant autant les effets négatifs que positifs du cannabis. Il fallait débanaliser ce produit, mais aussi arrêter de culpabiliser les consommateurs. Au slogan « la drogue c’est de la merde », nous avons préféré « le cannabis est une réalité », car pour les jeunes, il est presque anormal de ne pas avoir fumé au moins une fois. « Depuis que je fume du cannabis, j’ai perdu tous mes potes », disait par exemple un de nos spots. Et c’est vrai : ceux qui fument beaucoup s’isolent et n’osent pas parler de leur délit. D’où la mise en place d’un numéro vert pour une consultation anonyme et gratuite, utilisé par 30 000 personnes la première année. Cette campagne a changé des choses.

Selon une étude de l’Office français des drogues et des toxicomanies (OFDT), 13,4 millions de Français affirment avoir déjà fumé du cannabis en 2010, soit un million de plus qu’il y a cinq ans.

La politique actuelle est un retour 40 ans en arrière. Pour moi, si l’expérimentation du cannabis touche un maximum de jeunes, il faut s’en occuper. Mon successeur Étienne Apaire vise au contraire le « zéro expérimentation ». Il est à côté de la plaque. Certes, il faut repousser l’expérimentation le plus tardivement possible. Mais la majorité des consommations ne pose pas de problèmes et, lorsque c’est le cas, il faut pouvoir aider les gens. Ce n’est pas possible d’imaginer un monde sans drogue. Or, la Mildt ne fait plus de pédagogie sur le cannabis. Elle ne parle pas non plus de cocaïne, alors que la consommation flambe. Elle s’est même opposée aux salles de consommation d’héroïne, malgré leurs effets reconnus sur la santé des toxicomanes. C’est calamiteux et inadmissible.

Quels sont les risques du cannabis ?

Au volant, c’est l’association alcool-cannabis qui tue. Un pétard multiplie le risque par deux, comme un taux d’alcoolémie toléré, de 0,4 g. Associé à l’alcool, le risque est multiplié par 15, contre un risque multiplié par 8,5 avec un taux moyen d’alcool. On voit donc que la loi actuelle sur le cannabis au volant, qui sanctionne toute consommation, non fondée sur un constat scientifique, est beaucoup plus répressive que pour l’alcool.

Par ailleurs, tout un faisceau d’études montre qu’une consommation intensive de cannabis chez des sujets prédisposés favorise l’émergence de comportements schizophréniques. Comme 1 % de la population est porteuse du gène de la schizophrénie, et que 600 000 personnes ont une consommation intensive de cannabis, on peut estimer que 6000 personnes sont concernées. Ce n’est donc pas un produit anodin. Et la sévérité de la sanction ne change rien à son caractère médical préoccupant.

Le cannabis est-il un premier pas vers les drogues dures ?

Non, il n’y a aucun lien avéré entre les deux. En revanche, le caractère illicite d’une drogue peut inciter le consommateur à transgresser une nouvelle fois l’interdit. D’autant que le cannabis et la cocaïne, qui arrivent en Europe via le Maroc par les mêmes voies, sont ensuite vendus par les mêmes dealers.


le 04/07/2011
à 16:44
propos recueillis par Simon Barthélémy, de notre bureau parisien,


Transmis par Anarzone
Mon, 4 Jul 2011 23:46:25 -0700