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“ Si vous ne nous laissez pas rêver nous vous empêcherons de dormir ”

Jose Luis Sampedro Saez | YVKE Mundial | aporrea.org | 24 mai 2011

mercredi 25 mai 2011

C’EST DANS LA RUE QU’ON DÉCIDÉRA

LE CHANGEMENT DE SYSTÈME EN ESPAGNE

Vidéo de l’Asociación civil movimiento visual

— Entretien avec Jose Luis Sampedro Saez sur le Mouvement M-15

Calas de Mijas, Malaga.


Sampedro :
On a dit qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme. Ce système a toujours été un moyen de domination et il est déjà en décomposition, il est corrompu et détraqué. La situation va changer, cela ne pourra être autrement. Il sera impossible d’arrêter ce changement —pour ceux qui voudraient le faire.

Alors : les gens sont fous ? Non. Les gens sont manipulés. L’opinion publique n’est pas l’opinion publique. Elle n’est pas le résultat de la réflexion des gens. Cela est ainsi pour deux raisons : premièrement, parce que en général on ne nous a pas éduqué pour penser, pour développer une pensée propre à chacun, une pensée critique. Les gens ne réfléchissent pas, ne pensent pas de manière rationnelle. Par exemple, en ce moment, à l’échéance des élections, les gens ne réfléchissent pas, ils ne réalisent pas une analyse, une étude rationnelle … Ils ne se disent pas “ceci est meilleur que cela pour telle et telle raison”. Non, ils font leur choix de manière viscérale, en fonction des caractéristiques du candidat, de sa voix, des mensonges qu’il profère, etc. etc. L’autre raison tient à ce que le pouvoir actuel, qui aujourd’hui est constitué par le pouvoir économique, contrôle les médias et inculque des idées aux gens à travers les médias. Aujourd’hui, les gens jugent [les événements] surtout par ce qu’ils voient à la télévision et par ce qu’ils lisent dans les journaux, mais surtout par ce qu’ils voient à la télévision. Puis ils votent d’après ce qu’ils ont vu et ce qu’on leur a dit à la télévision. Ils ne pensent aucunement à ce qu’on leur cache, à ce qu’on ne leur dit pas.


Manifestant aux lunettes noires :
Faisons preuve de créativité et allons de l’avant. N’imaginons pas que tout est déjà fait … Je crois que nous devons tous réfléchir un peu et bouger … Vas-y, bouge !

Manifestant aux lunettes claires : Ici, depuis la plateforme, nous dénonçons ce que font les médias, la manipulation médiatique qui existe en Espagne, celle des grands médias qu’en réalité sont à la solde du capital et qui divulguent ce que leur impose leur patron, le marché.

Sampedro : Ce qu’on appelle “opinion publique” est une opinion médiatique, une opinion créée au moyen de l’éducation et des médias. Ce qui est important pour l’éducation et les médias l’est également pour le pouvoir car celui-ci contrôle et l’éducation et les médias. C’est aussi simple que ça.

Manifestant à la chemise à carreau : L’amnésie sociale, les médias et le pouvoir politique parviennent à faire que les gens se désintéressent de ce qui réellement les tient à cœur et qu’ils s’occupent de payer leurs traites, leur automobile, leurs vacances. Les gens ne sont pas réellement conscients que l’éducation est ce qui construit leur avenir.

Sampedro : En faisant de l’opinion publique une opinion médiatique, on s’approprie de la liberté de tout le public.


Manifestante aux lunettes rouges :
Je crois que les politiciens ont déjà démontré qu’ils se ressemblent tous (ou presque tous) une fois qu’ils sont au pouvoir.

Sampedro : En ce moment il y a deux partis politiques. Bien que je ne sois pas d’accord avec ce système je crois qu’il faudrait plus de deux partis … Ce système électoral conduit essentiellement au bipartisme, et cela participe, délibérément, du contrôle de la situation.

Manifestante aux cheveux longs : Il est évident que le bipartisme existant, celui de deux grands partis, n’est peut-être pas le modèle idéal.

Manifestant aux lunettes noires et t-shirt beige : Aujourd’hui les partis politiques constituent un obstacle à la démocratie. Ils ne servent pas de support à la participation politique. En réalité, ils se sont transformés en groupes d’intérêts, en agences d’emploi, en succursales de la finance …

Sampedro : Les deux gouvernements sont des gouvernements capitalistes. Mais qu’est-ce qui est en train de s’écrouler ? Et bien, c’est le système financier et capitaliste. Les deux gouvernements sont assujettis aux financiers. Et la preuve en est qu’à la sortie de la crise les financiers se portent merveilleusement bien, ils gagnent ce qu’ils veulent, ils vivent comme avant la crise, ils se distribuent le même capital, ils font ce qu’ils veulent, alors que le reste de la population nous en subissons les conséquences.

Manifestant au t-shirt rouge : Le système dans lequel nous vivons est fondé sur l’argent qu’il produit … Puis, par le biais de ce que nous connaissons déjà : ces intérêts générés à partir du néant, la dette devient une dette sans fin, et alors qu’il n’y a pas de l’argent pour tout le monde, eux ils continuent à l’accumuler.

Manifestant à la chemise rose : Voyons. Combien gagne un député ? Quelles sont les termes de sa retraite ? Qui contrôle son abstentionnisme ? À qui rend-il des comptes ? On pourrait continuer à se poser des questions jusqu’au petit matin, n’est-ce pas ?

Sampedro : Il me semble qu’il faudrait trouver un autre équilibre qui ne soit pas fondé sur deux partis politiques, dans la mesure du possible. Et cela est en effet possible car aucun de ces partis ne représente ce qu’on appelle “la gauche”, c’est-à-dire, être du côté des pauvres.

Notre culture occidentale traverse une gigantesque crise de valeurs parce qu’elle a remplacé les valeurs par les intérêts. Aujourd’hui, ce qui fait bouger les gens est leur intérêt économique et, comme a dit Marx, la valeur de la marchandise. Vous l’avez exprimé dans “Démocratie maintenant”. Par ailleurs, il y a d’autres formes de développement. Le développement des individualités, le développement personnel de chacun, devenir chacun de plus en plus accompli, meilleur, plus humain, plus positif, pas nécessairement avide de productivité, devenir d’avantage une personne.

C’est évident qu’il y a des alternatives. Bien sûr qu’il y a des alternatives. Ne vous inquiétez pas. Lorsque tout ceci s’effondrera — ce qui est déjà en train d’arriver et nous vivons la barbarie engendrée par cet effondrement — une autre chose adviendra. La vie ne s’arrête pas là. Ou peut-être les banquiers se croient-ils immortels ?

Manifestante avec son compagnon : Nous devons tout au moins réagir. Nous devons dire ce qui nous déplaît. Nous pouvons au moins faire ça.

Même manifestante aux cheveux longs : Je crois que si nous voulons que les choses changent, puisque nous ne nous trouvons pas bien dans la situation actuelle, nous devons l’exprimer et c’est le moment de le faire.

Sampedro : Tout ce qu’on fera contribuera au changement, à ce que la situation change progressivement …

Même manifestant à la chemise rose : Il est temps d’arrêter d’être si apathiques ; il faut sortir dans la rue. Il ne nous laissent pas d’autre alternative : il faut sortir dans la rue. Je suis ravi de voir que ce mouvement est animé pour la plupart par des jeunes gens … Il est temps de nous réveiller … il est temps que d’autres se réveillent …

Sampedro : L’attitude devrait être : prendre conscience de la réalité, ne pas accepter ce qu’on nous dit sans réflexion personnelle préalable.

Manifestante au t-shirt bleu : Nous demandons justice. D’accord ?

Même manifestante aux lunettes rouges : Il faut continuer dans la rue, manifester, nous faire entendre, ainsi, on y ajoutera petit à petit, des petits grains de sable …

Sampedro : Si on fait une manifestation puis une autre et encore une autre et si vous, les jeunes, vous vous unissez — car vous serez ceux qui paieront les pots cassés, n’est-ce pas ? — bien sûr, vous pourrez redresser la situation … Mais c’est difficile de croire qu’une seule manifestation changera la donne …

Manifestante brandissant une pancarte : Alors, puisque celle-ci est une manifestation pour une démocratie réelle, pour que ce soient les gens qui prennent les décisions et non pas ceux d’en haut — car c’est le sens que je donne à cette manifestation — cela veut dire qu’elle a autant de signification politique que n’importe quel autre acte politique … Il ne faut pas créer de la confusion, car en effet il y a des gens qui se trompent à ce sujet. Même si on n’appartient à aucun parti politique, même si on ne soutient aucun homme politique, ici on est en train de faire de la politique.

Sampedro : Il faut aller de l’avant … Il faut livrer les combats, qu’on les gagne ou qu’on les perde. Il faut les livrer pour le fait même de les livrer car cela nous réaffirme, nous rend cohérents avec nous-mêmes.

Même manifestant aux lunettes claires : Le 15 mai nous espérions franchir une étape et nous y sommes parvenus, mais pour le moment, l’objectif de la plateforme n’a pas été atteint. L’objectif de la plateforme et du mouvement citoyen sera atteint lorsqu’on parviendra réellement à un changement démocratique, lorsqu’on pourra réellement exercer une démocratie participative, lorsque la voix du peuple sera réellement entendue et qu’il sera respecté par les politiciens et les pouvoirs institutionnels.

Sampedro : Le système s’est dégradé, donc on peut effectivement dire qu’il y a une alternative. Quoi que l’on fasse, des alternatives verront le jour, c’est certain. Le dimanche 22 ? Moi je vais voter. Oui, je vais voter. Je voterai.

Même manifestante brandissant une pancarte : Nous sommes venus revendiquer que la démocratie est une affaire du peuple, qu’elle doit venir d’en bas.

Même manifestant à la chemise rose : Il est temps que nous disions “ça suffit !” Et moi, puisque j’ai pu rejoindre cette manifestation, je suis là pour dire “ça suffit ! On en veut plus !”

Manifestante au microphone : À présent c’est tout le peuple qui dit : “On en veut plus !” Qu’ils nous écoutent, haut, fort et clair. Toute l’Espagne nous écoute ! Et hors d’Espagne, dans plus de quatre pays !

Légende : Si vous ne nous laissez pas rêver, nous vous empêcherons de dormir


Sampedro :
Un autre monde est possible ? Moi je dis non, un autre monde n’est pas possible puisque, sans aucun doute, il y aura un autre monde. À coup sûr, il y aura un autre monde. Ce qui est certain c’est qu’il y aura un changement. Mais quel type de changement ? Quelle orientation aura-t-il ? Et bien, cela dépendra de nous, de nos actions.

Jose Luis Sampedro Saez,
né à Barcelone, Espagne,
le 1er février 1917.
Écrivain et humaniste,
il a fait des études économie.


Traduction de Marina Almeida pour Truks en Vrak.


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