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« Le gouvernement japonais est dans le déni »

Béatrice Héraud | novethic.fr | 22/03/2011

mardi 22 mars 2011

10 jours après le tremblement de terre au Japon, l’inquiétude règne encore concernant la centrale de Fukushima de laquelle s’échappent désormais des fumées dont on ignore l’origine. Alors que des employés ont reçu un ordre d’évacuation, l’agence japonaise de sûreté nucléaire assure, elle, que les niveaux de radioactivité n’ont quasiment pas changé après l’apparition de ces fumées. Une attitude de déni que dénonce Roland Desbordes, le président de la Criirad*. Entretien.

Novethic. Quelle est la situation des japonais actuellement ?

Roland Desbordes. Elle s’est beaucoup dégradée dans la nuit après un nouveau relâché radioactif émanant du réacteur numéro 3. Nous nous attendons donc à voir la radioactivité augmenter de façon très forte au cours de la journée, et notamment à Tokyo puisque les vents ont tourné dans la nuit. Il y a plusieurs éléments radioactifs dans l’air mais essentiellement de l’iode 131 et du césium 137. Pour l’iode par exemple, la contamination de l’air à Tokyo est passée de 0,1 Bq/m3 d’air le 20 mars à 15,6 Bq/m3 le 21 entre 8h et 10. Et, contrairement au pic observé le 15 mars, on est là sur une radioactivité assez durable, même si les niveaux ont un peu baissé depuis. Si les prévisions d’augmentation se confirment, il faudra alerter la population et éventuellement préconiser un confinement, particulièrement pour les enfants et les femmes enceintes.

Que faut-il craindre pour le personnel de la centrale ?

Roland Desbordes. Tout l’environnement de la centrale est désormais très contaminé et les possibilités d’intervention du personnel très limitées. Ils tournent visiblement beaucoup pour se répartir la dose mais à 400 msv par heure, il est clair que le débit est très important. Cependant nous ne savons pas combien de temps ils restent dans la zone. Il est possible qu’ils se sacrifient, comme les liquidateurs à Tchernobyl. Ce que l’on nous a dit, c’est qu’il s’agit en grande partie d’anciens de Tepco, qui voyant le désastre auraient remplacé les plus jeunes ingénieurs sur place. Même si l’on arrive à faire redémarrer les pompes j’ai bien peur que cela ne serve pas à grand-chose, car un cœur fondu ne peut pas se refroidir.

Quelle est la menace concernant la contamination des aliments ?

Roland Desbordes. Il s’agit déjà d’une réalité, compte-tenu de ce qui est déjà tombé depuis le début de l’accident. Dans la province de Fukushima, où l’on est censé avoir fait évacuer les gens, nous n’avons pas de chiffres mais nous savons que la contamination est déjà importante. En revanche, à 100 kms, nous avons des chiffres concernant la province d’Ibaraki, qui se situe entre Fukushima et Tokyo. Nous avons des données montrant que les produits frais sont largement au dessus des limites autorisées pour la commercialisation. Pour les épinards par exemple, les informations que nous avons reçues dimanche matin font état d’un niveau de contamination de 15 000 Bq/kg en iode 131, soit 7 fois plus que la limite de contamination de 2 000 Bq/kg pour les adultes. Sur des échantillons collectés le 18 mars 2011 à Hitachi (préfecture d’Ibaraki), l’activité de l’iode 131 est de 54 100 Bq/kg soit des niveaux de contamination 27 fois supérieurs à la limite en vigueur au Japon.

Pourtant, le gouvernement japonais minimise les risques pour la santé de cette contamination…

Roland Desbordes.
Le gouvernement japonais est effectivement dans le déni depuis le départ. Par contre, nous avons découvert qu’au niveau local des initiatives se mettaient en place : des scientifiques d’un laboratoire municipal de Tokyo par exemple nous donnent des chiffres vérifiables que l’on a mis sur internet. Dans la province d’Ibaraki par exemple, les autorités ont demandé aux agriculteurs de ne pas consommer ni de vendre le lait. Après, il est évident qu’il faut prendre en compte le fait que la radioactivité arrive après un séisme et un tsunami et qu’il est difficile de se déplacer… Le côté scandaleux, c’est que le gouvernement lui, continue de dire qu’il n’y a aucun problème. Des grands pontes scientifiques sont également allés dire sur les antennes qu’il faudrait manger des épinards à ce niveau de contamination toute l’année pour atteindre les limites à ne pas dépasser. Or selon nos calculs, il suffit qu’un enfant en mange 300 g pour atteindre la dose limite annuelle ! Il faut donc prendre des mesures. Il ne faut pas non plus oublier les produits de la mer proche de la centrale, qui sont sans aucun doute contaminés, mais à quelle dose ? C’est un paramètre qu’il faut là encore absolument surveille mais malheureusement, là encore, nous n’avons aucun chiffre.

Considérez vous qu’il y a désinformation de la part du gouvernement japonais ?

Roland Desbordes. Le gouvernement japonais nous cache depuis le départ les informations que l’on demande sur la contamination de l’air. Par ailleurs, nous savons depuis longtemps que les exploitants, souvent avec la complicité des autorités, ont dissimulé de nombreux incidents et des éléments clés dans la sécurité nucléaire. Même si l’accident est dû à des éléments naturels comme le séisme et le tsunami et pas seulement à une défaillance de Tepco, il faut quand même se poser des questions quand aux normes sismiques et de tsunami qui ont été prises en compte lors de sa construction. Sachant que le Japon est extrêmement sujet à ce type d’évènement, il faut mettre ces questions sur la table. Car ce n’est pas la première fois qu’un séisme cause des dégâts dans une centrale nucléaire japonaise : il y a déjà eu des alertes. En 2007, un séisme avait fait de gros dégâts dans une centrale à Kashiwazaki-Kariwa. Au départ, l’opérateur voulait la redémarrer immédiatement ; il a fallu qu’un député de la région demande un audit et exige des travaux pour les stopper et les empêcher de redémarrer à la va vite. Au final elle a été arrêtée pendant deux ans. Sans parler de nombreux rapports d’anomalies dans différentes centrales… Malheureusement, j’ai peur que cela ne soit pas si différent en France.

Et en France justement, comment jugez-vous l’information diffusée par les autorités ?

Roland Desbordes. Au niveau français, il y a aussi des problèmes. La semaine dernière, l’IRSN, qui est quand même l’expert officiel de l’Etat- mais aussi des exploitants nucléaires à l’occasion- et qui devrait décider des mesures en cas d’accident nucléaire en France, estimait également qu’il était à peine nécessaire d’avoir évacué la zone de 20 kms autour de Fukushima et qu’au-delà il n’y avait aucun problème. On peut donc craindre qu’en cas d’accident en France, il fasse de même. Cependant, je ne mets pas toutes les autorités françaises dans le même sac : l’ASN, avec laquelle la Criirad s’est de nombreuses fois accroché, a eu depuis le début un discourt très correct, sans chercher systématiquement à rassurer et à minimiser les problèmes. C’est eux par exemple qui ont osé dire que l’accident classé au départ en niveau 4 était sans doute plus important.

Quant à vous, quelles sont vos sources pour évaluer la situation au Japon ?

Roland Desbordes. Nous avons des contacts avec des scientifiques sur place, qui travaillent dans des laboratoires indépendants de l’Etat et des exploitants, notamment avec le Tokyo Metropolitan Industrial Technology Research Institute. Plusieurs laboratoires ou autorités dans le monde ont des données sur la radioactivité, mais peu les diffusent. Ce n’est pas normal. Nous attendons maintenant des échantillons en provenance du Japon que veulent nous envoyer des journalistes, des citoyens ou des scientifiques pour les analyser en toute indépendance.

Existe-t-il un risque de contamination pour les populations françaises, notamment pour les territoires d’outre mer ?

Roland Desbordes. Vu la distance, la dispersion, la dilution, il est clair que le risque est évidemment très faible. Nous avons des balises qui analysent l’air en continu dans la région du Rhône ; il est très probable qu’elles décèlent des particules radioactives mais en revanche il est très peu probable que cela atteigne un niveau sanitaire demandant de prendre des mesures. Cependant, l’accident n’est pas terminé : on ne sait pas ce qui peut se passer si la situation dégénère avec des rejets dans l’atmosphère : personne ne connaît les scénarios, ni les conséquences qui en découleraient. Concernant les territoires d’outre-mer, la Polynésie est bien entendu en première ligne puis Saint Pierre et Miquelon. Officiellement, des balises d’alerte y sont disposées et se déclenchent en cas de problème de contamination de l’air.

Rappelons que 10 jours après le séisme et du tsunami, le bilan toujours provisoire, est de plus de 21 500 tués et disparus, dont 8 649 décès confirmés par la police.

* Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité, créée en 1986 après Tchernobyl pour informer les populations, expertiser et évaluer les pollutions radioactives.

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