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Vie et mort du système scolaire américain : comment : l’évaluation et le libre-choix sapent l’éducation.
Marie Odile Caleca | 4tous.net | 9 juin 2011
jeudi 9 juin 2011
La plupart des informations de cet
article ont été relevées dans son témoignage, publié dans
le Monde Diplomatique en octobre 2010 (1).Les sources complémentaires
sont citées au fur et à mesure.
Mme Ravitch était fermement
favorable au principe de la rémunération des enseignants
au mérite, elle estimait "que les enseignants dont
les élèves obtenaient les meilleurs résultats devaient
être mieux payés que les autres. "
Elle soutenait également "la
généralisation des tests d’évaluation, qui [lui]
semblaient utiles pour déterminer avec précision quelles
écoles avaient besoin d’une aide supplémentaire. "
Elle a donc applaudi "des
deux mains" au moment où la loi « No
Child Left Behind », (pas d’enfant laissé sur
le bord du chemin) fut votée et mise en vigueur par le
gouvernement de M. George Bush en 2002.
Pas d’enfant laissé sur le bord du chemin.
De quoi s’agit-il ?
Depuis 2002, donc, la loi « No
Child Left Behind » exige que chaque Etat
évalue les capacités de lecture et de calcul de tous les
élèves, de l’équivalent CE2 à l’équivalent quatrième.
Des tests fédéraux National
Assessment of Educational Progress (NAEP) sont
appliqués à des échantillons d’élèves pour comparer les
taux de réussite locaux à ceux de l’ensemble du pays.
Selon Mme Ravitch, des
milliards de dollars ont donc été dépensés pour mettre au
point, puis faire passer les batteries de tests
nécessaires aux évaluations d’Etat et aux évaluations
fédérales.
Objectifs de réussite.
Les résultats de chaque
établissement sont ventilés en fonction de l’origine
ethnique, du niveau de maîtrise de l’anglais, de
l’existence éventuelle de handicaps et du revenu parental.
Dans chacun des groupes ainsi
constitués, un objectif de réussite aux tests a été fixé,
et doit être atteint avant 2014.
Sanctions.
Si, dans une école, un seul de ces
groupes n’affiche pas de progrès constants vers cet
objectif, l’établissement est soumis à des sanctions dont
la sévérité va croissant.
La
première année, l’école reçoit un avertissement.
Puis,
tous les élèves se voient offrir la possibilité de changer
d’établissement.
La
troisième année, les élèves les plus pauvres peuvent
bénéficier de cours supplémentaires gratuits.
Privatisation.
Si l’école ne parvient pas à
atteindre ses objectifs dans une période de cinq ans, elle
s’expose à une restructuration complète, à une
privatisation, ou, tout simplement, à une fermeture. Les
employés peuvent alors être licenciés.
Actuellement, environ un tiers des
écoles publiques du pays, soit plus de trente mille, sont
cataloguées pour leur déficit en « progrès
annuels satisfaisants ».
Course au sommet.
L’administration de M. Barack
Obama a épousé, en janvier 2009, les idées de l’ère George
W. Bush.
Baptisé « Race to the
Top » (Course au sommet), son programme
fait miroiter des subventions de 4,3 milliards de dollars
à des Etats pris à la gorge par la crise économique.
Pour bénéficier de cette manne,
ces derniers doivent supprimer toute limite légale à
l’implantation des écoles privées ou charter
schools.
Vie et mort du système scolaire américain.
Voilà donc un pays qui applique
avec vigueur et constance une politique de pilotage
volontariste à son école.
N’est-il pas normal d’évaluer avec
constance l’efficacité d’une école qui est toujours
coûteuse en fonds publics ?
N’est-il pas juste que les parents
puissent retirer leurs enfants d’établissements
défaillants, et que leurs enseignants soient sanctionnés
de leur incompétence ?
N’est-il pas efficace de
transformer des écoles en échec en établissements privés,
plus autonomes, dynamiques et innovants ?
La réponse de l’ancienne ministre,
n’est désormais plus très enthousiaste.
Elle a publié en 2010 un livre au
titre éloquent : The Death and Life of the
Great American School System : How Testing and
Choice Undermine Education.
Ce que l’on peut traduire
ainsi : Vie et mort du système scolaire
américain : comment l’évaluation et le libre-choix
sapent l’éducation.
Evaluations : des résultats peu fiables.
Niveau d’exigence.
Reprenons le descriptif de
Mme Ravitch.
La loi NCLB a laissé les Etats
définir leurs propres modes d’évaluation.
Comment un Etat peut-il afficher
sans effort des résultats positifs ?
En abaissant le niveau d’exigence
de leurs tests, de façon à permettre aux élèves
d’atteindre plus facilement les objectifs.
Ce décalage est mis en évidence
par les tests fédéraux National Assessment of
Educational Progress (NAEP) appliqués à des
échantillons d’élèves :
Ainsi, au Texas, où l’on se félicite d’un véritable "miracle pédagogique", les scores en lecture stagnent depuis dix ans.
Le Tennessee chiffrait à 90 % la part de ses élèves ayant atteint les objectifs de l’année 2007, l’estimation du NAEP a ramené ce score à 26 %.
Ainsi, au Texas, où l’on se félicite d’un véritable "miracle pédagogique", les scores en lecture stagnent depuis dix ans.
Le Tennessee chiffrait à 90 % la part de ses élèves ayant atteint les objectifs de l’année 2007, l’estimation du NAEP a ramené ce score à 26 %.
Effets pervers.
Que font les enseignants pour que
leurs élèves obtiennent de bons résultats aux évaluations
d’Etat ?
Ils interrompent les
enseignements ordinaires plusieurs mois avant la tenue
des examens pour céder la place à la préparation
intensive qui leur est consacrée.
Selon l’ancienne ministre, de
nombreux spécialistes ont établi que les enfants
apprennent désormais davantage à maîtriser les tests que
les matières concernées.
Par ailleurs, la lecture et le
calcul étant devenus prioritaires, les enseignants,
conscients que ces deux matières décideront de l’avenir de
leur école et… de leur propre emploi, négligent les
autres.
L’histoire, la littérature, la
géographie, les sciences, l’art, les langues étrangères et
l’éducation civique sont relégués au rang de matières
secondaires.
Stagnation, régression.
Mais le plus grave, c’est que cet
appauvrissement de l’enseignement, ce ciblage intense sur
les mathématiques et l’anglais, cet enseignement "teach
to the test" ne permettent même pas d’observer
les améliorations attendues dans ces matières.
Si, en lecture, le niveau se
serait amélioré pour l’équivalent du niveau CM1, les
résultats stagnent pour les élèves plus âgés. Les scores
de réussite aux tests en quatrième étaient les mêmes en
2001 qu’en 1998.
De plus, en mathématiques, les
progrès étaient plus importants avant l’adoption de la loi
NCLB, qu’après.
Charters schools.
L’idée du libre choix a
émergé aux Etats Unis à la fin des années 1980. Elle
reposait sur la certitude que les établissements privés
seraient fondés et animés par des enseignants courageux et
désintéressés, qui iraient à la rencontre des élèves les
plus en difficulté.
Ces charter schools ont,
depuis, formé un vaste mouvement, qui regroupe un million
et demi d’élèves et plus de cinq mille écoles. Certaines
sont dirigées par des intérêts privés, d’autres par des
associations à but non lucratif.
Qu’en est-il de ces écoles
privées, qui doivent remplacer les établissements
publics déficients ?
Les médias les décrivent comme de
véritables « paradis », peuplés
d’enseignants jeunes et dynamiques et d’élèves en
uniforme, aux manières impeccables et tous capables
d’entrer à l’université.
Le jugement de Mme Ravitch
est beaucoup moins flatteur sur leur fonctionnement et
leurs résultats.
Les élèves recrutés.
Les établissements de bon niveau
recrutent leurs élèves dans les familles les plus
mobilisées scolairement.
Ils acceptent moins d’élèves de
langue maternelle étrangère, handicapés ou sans domicile
fixe, ce qui leur donne un avantage par rapport aux écoles
publiques.
Enfin, ils ont le droit de
renvoyer dans le public les éléments qui « font
tache » (c’est l’expression employée dans l’article
cité).
Enseignants non syndiqués.
Plus de 95 % des charter
schools refusent d’engager des enseignants syndiqués.
Cette liberté de gestion permet
d’imposer au personnel des volumes horaires de travail
fort compétitifs : parfois soixante ou soixante-dix
heures par semaine.
Elle permet d’appliquer des
exigences annexes : dans certains établissements, le
téléphone portable des enseignants doit ainsi rester
allumé afin que les élèves puissent les joindre à tout
moment.
La liberté de fermer et de
licencier en cas de résultats défaillants, favorise
l’application de ce niveau d’exigence.
C’est de cette manière qu’en mars
2010, le seul lycée de la ville de Central Falls a pu être
fermé. Les autorités de l’Etat de Rhode Island ont
licencié tout le personnel enseignant de l’établissement.
Cette décision a été applaudie par le secrétaire d’Etat à
l’éducation, et par M. Obama lui-même. (2)
Récemment, ces professeurs ont été
réembauchés, à condition d’accepter de faire de plus
longues journées et de fournir davantage d’aide
personnalisée aux élèves.
Salaire au mérite.
En mai 2010, M. Crist,
gouverneur de Floride, a rompu avec le parti républicain
en refusant de signer une loi qui faisait dépendre
la moitié du salaire des enseignants des résultats de
leurs élèves.
Cette loi avait pourtant été votée
par les élus locaux, dans l’espoir d’obtenir les fonds
fédéraux dont ils ont cruellement besoin. Elle interdisait
par ailleurs le recrutement d’enseignants débutants,
supprimait les budgets alloués à la formation continue et
finançait l’évaluation des élèves en prélevant 5 %
sur le budget scolaire de chaque circonscription. (3)
Selon Mme Ravitch, des
mesures semblables sont prises un peu partout dans le
pays. L’auteure souligne que cette absence de protection
induit cependant un fort taux de renouvellement du
personnel dans les charter schools.
Meilleure efficacité dans le
privé ?
Mais, si on laisse de côté ces
quelques inconvénients qui ne sauraient décourager le
libéral affirmé, les résultats de ces "charter
schools"confirment-ils les espoirs qu’on y a
placés ?
La réponse est non.
Malgré leurs financements publics,
les établissements privés restent rétifs au contrôle de
l’Etat. A New York, l’administration de l’Etat a voulu
évaluer les charter schools qu’elle avait
autorisées. Mais celles-ci sont allées en justice pour
l’en empêcher : l’Etat devait leur faire confiance et
les laisser procéder elles-mêmes à cet audit.
La seule évaluation faite à
l’échelle nationale, a été financée par la Walton Family
Foundation, farouche partisane des charter
schools. Réalisée par Margaret Raymond,
économiste à l’université de Stanford, elle révèle
cependant que :
17 % de ces établissements affichent un niveau supérieur à celui d’écoles publiques comparables
46% ont des résultats équivalents
37% ont des résultats significativement plus mauvais que les écoles publiques comparables. (4)
17 % de ces établissements affichent un niveau supérieur à celui d’écoles publiques comparables
46% ont des résultats équivalents
37% ont des résultats significativement plus mauvais que les écoles publiques comparables. (4)
Volte-face.
La conclusion de Mme Ravitch
ferait presque oublier son enthousiasme de départ :
"Aujourd’hui, en observant les
effets concrets de ces politiques, je considère que la
qualité de l’enseignement que reçoivent les enfants
prime sur les problèmes de gestion, d’organisation ou
d’évaluation des établissements". (Ibid.)
"Il est absurde d’évaluer les
enseignants selon les résultats des élèves, car ceux-ci
dépendent bien sûr de ce qui se passe en classe, mais
aussi de facteurs extérieurs tels que les ressources, la
motivation des élèves ou le soutien que peuvent leur
apporter les parents."
"Le paramètre permettant de
prédire le plus sûrement de faibles résultats
académiques, c’est la pauvreté, pas les mauvais
enseignants."
"Nous sommes en train de
détruire le système éducatif, en lui appliquant ces
politiques stupides."
"La privatisation des écoles
placées dans des quartiers difficiles ne fait pas
progresser les élèves. C’est seulement un moyen
d’abandonner la responsabilité de l’Etat à prodiguer une
éducation de qualité." (Ibid.)
***********************
Bien sûr, on nous semble
inimaginable pour le moment, de sanctionner ouvertement,
en France, les écoles des quartiers à fortes difficultés
sociales et leurs enseignants.
Mais les évaluations
nationales telles qu’elles sont appliquées actuellement,
et la volonté d’utiliser les chiffres qui en découlent
pour piloter le système scolaire sont, malheureusement la
première étape de ce type de processus.
Mais les décrets
multiples qui favorisent le développement de l’école
privée s’intègrent à la même logique.
Mais la remise en
cause de la carte scolaire facilite la fuite des familles
des classes moyennes des écoles classées ZEP, RAR, ou
ECLAIR. Il sera ensuite facile de souligner, les résultats
trop peu brillants des ces établissements.
.
Les considérations de
Mme Ravitch s’appuient sur l’expérience et le
recul...
Saura-t-on en tirer les
conclusions qui s’imposent et éviter d’engager plus avant
le système scolaire français dans les mêmes "politiques
stupides" ?
Peut-être est-il temps
d’interpeller les partis dits de gauche sur leurs
intentions précises dans le domaine des services publics
en général et de l’éducation en particulier.
Ont-ils l’intention de revenir sur
la volonté actuelle de gestion par le chiffre de ces
services publics ?
S’engagent-ils à remettre en
question la privatisation, plus ou moins masquée, de
l’école, la santé, la poste, l’électricité, inscrite dans
le traité de Lisbonne ?
Rien n’est moins sûr.
Marie Odile Caleca,
Professeur des écoles,
Clermont-Ferrand
Transmis par Andry Nicolas
Thu, 9 Jun 2011 21:22:30 +0100 (BST)
Transmis par Andry Nicolas
Thu, 9 Jun 2011 21:22:30 +0100 (BST)
Voir en ligne : Vie et mort du système scolaire américain : comment l’évaluation et le libre-choix sapent l’éducation.
Messages
1. Vie et mort du système scolaire américain : comment : l’évaluation et le libre-choix sapent l’éducation., 12 juin 2011, 00:10
Merci beaucoup de l’intérêt que vous portez à cet artcle, et d’en avoir relayé le texte sur votre site, elargissant ainsi sa diffusion !
Cependant, les articles de "Quelle école pour demain ?" sont parfois enrichis au cours du temps, ou complétés en fonction des commentaires qui sont déposés sur le site. Il est donc préférable de citer le début ou une amorce de l’article, et de renvoyer sur le site !
Bien cordialement
Marie Odile Caleca